Roberto Casati

philosophe italien

Roberto Casati, est un philosophe italien, né le 9 novembre 1961.

Philosophie de l'Ocean modifier

Dans tous les comptes rendus de la colonisation européenne ultérieure, qui dura trois siècles, on perçoit un vif sentiment de perplexité. Les Tasmans, de Bougainville, Mendana, Cook, connaissaient leur affaire, c'étaient des marins compétents, des professionnels aguerris capables d'affronter des traversées océaniques avec des équipements et dans des conditions qu'aujourd'hui nous définirions comme extrêmes, ils savaient ce que voulait dire aller en mer; et c'est justement pour cela qu'ils ne comprenaient pas comment il avait été possible qu'avec des moyens qui leur paraissaient primitif, sans cartes, sans instruments tel le sextant, sans théorie mathématique du ciel, et sur des embarcations légères, les peuples de la Polynésie soient allés d'une île à l'autre sur de telles distances, ni comment ils avaient pu continuer à entretenir des commerces réguliers qui semblaient présupposer des compétences de navigation mystérieuses, presque surnaturelles.


Les câbles textiles sont en soi et pour soi un instrument hors du commun. Leur fonction est d'assembler ce qui est proche ou de contrôler à distance. Constamment inspectés à la vue et au toucher, ils transmettent des informations sur les voiles et sur les autres objets auxquels ils sont liés. Ils se substituent à notre corps quand ils bloquent la barre de gouvernail, libérant nos mains pour d'autres tâches; ils sont une extension de notre corps quand ils deviennent un prolongement de nos bras. Un élément essentiel de la culture maritime est donc la capacité de faire des nœuds et de les défaire.


La mer avec son altérité a permis à notre espèce de garder et de propager ses traits aventureux et le fait d'y aller, en quête d'aventure, a à son tour donné naissance à une recherche profonde, je dirais abyssale, sur la connaissance, à quelque chose qui, sortant de l'élément liquide, c'est consolidé et asséché en philosophie: dans sa proximité, la mer est si distante de nous qu'elle a réclamé l'invention et la réinvention d'outils conceptuels puissants et versatiles, cristallisés en canons philosophiques et scientifiques. De la navigation, nous tirons d'innombrables leçons: redondance, frugalité, réutilisation, précision lexicale, intelligence collective, observation et communion avec le milieu environnant.


Le plancton est le migrant par excellence, apatride, difficile à ranger dans une case. Si, de nos jours, le travail exige toujours plus de mobilité sans protéger de manière adéquate et semble vouloir faire de nous tous des migrants dépourvus de droits, l'imagination juridique peut créer des instruments qui défendent tous les travailleurs, sur la terre comme sous la surface de l'océan; et si ce qui vaut pour nous peut aussi bien, dès aujourd'hui, s'appliquer au plancton, alors ce que nous mettons en œuvre pour le plancton pourra un jour nous protéger nous.


La mer serait vue comme une planète étrangère mais attenante, avec laquelle nous pouvons avoir des rapports culturels, diplomatiques ou même commerciaux, mais une exoplanète quand même. Dans la négociation conceptuelle, nous recommencerions à voir la côte comme une frontière, mais pas comme une frontière typique, physique ou orographique, plutôt comme une vrai limite entre deux mondes. Cela ne doit ni nous épouvanter ni nous bloquer.


Vous pouvez également consulter les articles suivants sur les autres projets Wikimédia :