Léon Tolstoï

écrivain russe, XIXe - début XXe s.
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Léon Tolstoï (1828 - 1910) est, avec Fedor Dostoïevski, un des géants de la seconde partie de la période connue comme l'âge d'or de la littérature russe (débutant en 1820, avec les premières œuvres de Pouchkine, et se terminant en 1880 avec les dernières grandes œuvres de Dostoïevski). Ses œuvres les plus connues sont les romans Guerre et Paix, Anna Karénine et Résurrection.

Léon Tolstoï par Sergueï Prokoudine-Gorski (1908).

La route, la ligne du Terek, perceptible dans le lointain, les stanitsa, la population, n'étaient plus une plaisanterie. Il regardait le ciel, et songeait aux montagnes. Il se regardait, il regardait Jeannot : encore les montagnes ! Voici deux cosaques à cheval, leurs fusils dans leurs gaines se balancent régulièrement sur leur dos, leurs chevaux déplacent en cadence leurs jambes baies et grises : toujours les montagnes !… Derrière le Terek, on voit une fumée dans un aoul : les montagnes !… Le soleil se lève et brille sur le Terek qu'on aperçoit entre les roseaux : les montagnes !… D'une stanitsa sort une araba : des femmes circulent, de belles femmes, jeunes : les montagnes !… Les abrek rôdent dans la steppe, et j'avance, je n'ai pas peur d'eux, j'ai mon fusil, ma force, ma jeunesse : les montagnes !…

  • Les Cosaques (1863), Léon Tolstoï (trad. Pierre Pascal), éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2008  (ISBN 978-2-07-036850-1), chap. III, p. 36


Le vieillard s'en alla. La chanson se tut. On entendit des pas et un caquet joyeux. Un peu après, la chanson résonna de nouveau, mais plus loin, et la voix sonore d'Erochka se joignit aux autres. « Quels hommes, quelle vie ! » pensa Olenine, avec un soupir, et il regagna son logis.

  • Les Cosaques (1863), Léon Tolstoï (trad. Pierre Pascal), éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2008  (ISBN 978-2-07-036850-1), chap. XV, p. 113


Olenine était si bien entré dans la vie de la stanitsa que le passé lui semblait absolument étranger et que l'avenir, surtout en dehors du monde où il vivait, ne présentait plus pour lui aucun intérêt. Quand il recevait des lettres de chez lui, de parents ou de connaissances, il était blessé de voir qu'on le regrettait comme un homme perdu, alors que, dans son village, il considérait comme perdus tous ceux qui menaient une autre vie. Il était convaincu que jamais il n'aurait à se repentir d'avoir rompu avec sa vie d'autrefois et de s'être organisé une existence aussi solitaire et originale dans la stanitsa.

  • Les Cosaques (1863), Léon Tolstoï (trad. Pierre Pascal), éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2008  (ISBN 978-2-07-036850-1), chap. XXVI, p. 188, 189


Le vieillard était assis sur le plancher et ne se levait pas.
– Est-ce ainsi qu'on se sépare ? Idiot ! Ah ! voilà les gens de maintenant ! On a fait bon ménage toute une année, et puis : adieu ! et le voila loin. Mais moi je t'aime, j'ai pitié de toi ! Tu es si malheureux, toujours seul, toujours seul. Tu es mal aimé, on dirait ! Des fois je ne dors pas, je songe à toi, et j'ai pitié. Comme on dit dans la chanson :
Il n'est pas commode, non, frère,
De vivre en pays étranger.
C'est comme ça pour toi.

  • Les Cosaques (1863), Léon Tolstoï (trad. Pierre Pascal), éd. Gallimard, coll. « folio classique », 2008  (ISBN 978-2-07-036850-1), chap. XLII, p. 277


Le vicomte avait un joli minois, les traits mous et les manières d'un jeune homme se considérant nettement comme une célébrité, mais qui, de par sa bonne éducation, offrait humblement à la société où il se trouvait l'opportunité de profiter de sa personne. À l'évidence, Anna Pavlova en régalait ses invités. Tel un maître d'hôtel qui présente comme un met sublime un morceau de bœuf qu'on n'aurait pas envie de manger si on le voyait dans une cuisine malpropre, Anna Pavlova servait le vicomte à ses hôtes, comme une chose empreinte d'un raffinement surnaturel, tandis que les messieurs qui logeaient dans le même hôtel que lui et qui jouaient tous les jours au billard en sa compagnie ne voyaient sa personne qu'un grand maître de la carambole et ne sentaient pas particulièrement heureux de fréquenter le vicomte ni de lui parler. [...] le vicomte fut servi à toute la compagnie sous l'éclairage le plus élégant et le plus avantageux pour lui, tel un rosbif parsemé de persil et posé sur un plat chaud.
  • (ru) Виконт был миловидный, с мягкими чертами и приемами, молодой человек, очевидно считавший себя знаменитостью, но, по благовоспитанности, скромно предоставлявший пользоваться собой тому обществу, в котором он находился. Анна Павловна, очевидно, угощала им своих гостей. Как хороший метрд`отель подает как нечто сверхъестественно-прекрасное тот кусок говядины, который есть не захочется, если увидать его в грязной кухне, так в нынешний вечер Анна Павловна сервировала своим гостям сначала виконта, потом аббата, как что-то сверхъестественно утонченное. [...] виконт был подан обществу в самом изящном и выгодном для него свете, как ростбиф на горячем блюде, посыпанный зеленью.


Anna Karénine (Анна Каренина), 1877

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Voir le recueil de citations : Anna Karénine
En Nekhludov, comme en tout homme, il y avait deux hommes. Il y avait l’homme moral, disposé à ne chercher son bien que dans le bien des autres ; et il y avait l'homme animal, ne cherchant que son bien individuel et prêt à sacrifier pour lui le bien du monde entier.


Dans l’amour entre l’homme et la femme, il y a toujours une minute où cet amour atteint son plus haut degré, où il n’a plus rien de réfléchi ni rien de sensuel, où il est l’entière union de deux êtres en un seul.


Un des préjugés les plus enracinés et les plus répandus consiste à croire que tout homme a en propre certaines qualités définies, qu’il est bon ou méchant, intelligent ou sot, énergique ou apathique, et ainsi de suite. Rien de tel, en réalité. Nous pouvons dire d’un homme qu’il est plus souvent bon que méchant, plus souvent intelligent que sot, plus souvent énergique qu’apathique, ou inversement : mais dire d’un homme, comme nous le faisons tous les jours, qu’il est bon ou intelligent, d’un autre qu’il est méchant ou sot, c’est méconnaître le vrai caractère de la nature humaine. Les hommes sont pareils aux rivières qui, toutes, sont faites de la même eau, mais dont chacune est tantôt large, tantôt resserrée, tantôt lente et tantôt rapide, tantôt tiède et tantôt glacée. Les hommes, eux aussi, portent en eux le germe de toutes les qualités humaines, et tantôt ils en manifestent une, tantôt une autre, se montrant souvent différents d’eux-mêmes, c’est-à-dire de ce qu’ils ont l’habitude de paraître. Mais chez certains hommes ces changements sont plus rares, et mettent plus de temps à se préparer, tandis que chez d’autres ils sont plus rapides et se succèdent avec plus de fréquence.


« Terrible, se dit-il, cette persistance de la bête dans l’homme ! Mais quand elle est à découvert, et que tu la reconnais pour ce qu’elle est, tu restes le même que tu étais avant, soit que tu y cèdes ou que tu y résistes ; tandis que quand cette animalité se cache sous des dehors soi-disant poétiques, quand, au lieu de t’apparaître dans sa bassesse, elle prétend t’inspirer du respect, c’en est fait de toi tout entier ! La bête, en toi, supprime l’homme, et tu cesses de pouvoir distinguer le bien du mal. Voila ce qui est plus affreux que tout le reste ! »


Tout le mal vient de ce que les hommes croient que certaines situations existent où l’on peut agir sans amour envers les hommes, tandis que de telles situations n’existent pas. Envers les choses, on peut agir sans amour : on peut, sans amour, fendre le bois, battre le fer, cuire des briques ; mais dans les rapports d’homme à homme l’amour est aussi indispensable que l’est par exemple la prudence dans les rapports de l’homme avec les abeilles. La nature le veut ainsi, c’est une nécessité de l’ordre des choses. Si l’on voulait laisser de côté la prudence quand on a affaire aux abeilles, on nuirait aux abeilles et on se nuirait à soi-même. Et pareillement il n’y a pas à songer à laisser de côté l’amour quand on a affaire aux hommes. Et cela n’est que juste, car l’amour réciproque entre hommes est l’unique fondement possible de la vie de l’humanité. Sans doute un homme ne peut pas se contraindre à aimer, comme il peut se contraindre à travailler ; mais de là ne résulte point que quelqu’un puisse agir envers les hommes sans amour, surtout si lui-même a besoin des autres hommes. L’homme qui ne se sent pas d’amour pour les autres hommes, qu’un tel homme s’occupe de soi, de choses inanimées, de tout ce qui lui plaira, excepté des hommes ! De même que l’on se saurait manger sans dommage et avec profit que si l’on éprouve le désir de manger, de même on ne peut agir envers les hommes sans dommage et avec profit si l’on ne commence point par aimer les hommes.


Tous les hommes vivent et agissent en partie d’après leurs propres idées, en partie d’après les idées d’autrui. Et une des principales différences entre les hommes consiste dans la mesure différente où ils s’inspirent de leurs propres idées et de celles d’autrui. Les uns se bornent, le plus souvent, à ne se servir de leurs propres pensées que par manière de jeu ; ils emploient leur raison comme on fait tourner les roues d’une machine, quand on a ôté la courroie qui les relie l’une à l’autre ; et dans les circonstances importantes de la vie, et même dans le détail de leurs actes les plus ordinaires, ils s’en remettent à la pensée d’autrui, qu’ils nomment « l’usage », la « tradition », les « convenances », la « loi ». D’autres, au contraire, en plus petit nombre, considèrent leur propre pensée comme le principal guide de leur conduite et s’efforcent, autant qu’ils peuvent, de n’agir que d’après les avis de leur raison à eux.


(...) de même que, en temps de guerre, officiers et soldats se sentent autorisés par l’opinion générale à commettre des actes qui, en temps de paix, sont tenus pour criminels, de même les révolutionnaires, dans leur lutte, se regardaient comme couverts par l’opinion de leur cercle, en vertu de laquelle les actes de cruauté qu’ils commettaient étaient nobles et moraux, étant commis par eux au prix de leur liberté, de leur vie, de tout ce qui est cher à la plupart des hommes. Ainsi s’expliquait, (...) que des personnes excellentes, incapables non seulement de causer une souffrance, mais même d’en supporter la vue, pussent se préparer tranquillement à la violence et au meurtre, et professer la sainteté de tels actes, considérés comme moyens de défense, ou encore comme instrument utile à la réalisation d’un idéal de bonheur pour l’humanité.


Au lieu des haines nationales qu'on nous inspire sous le couvert du patriotisme, il faut enseigner aux enfants l'horreur et le mépris de la carrière militaire, qui sert à diviser les hommes, il faut leur enseigner à considérer comme un signe de sauvagerie la division des hommes en États, la diversité des lois et des frontières; que massacrer des étrangers inconnus sans le moindre prétexte est le plus horrible des forfaits dont est capable l'homme tombé au dernier degré de la bête.
  • Les munitions du pacifisme: anthologie de plus de 400 pensées et arguments contre la guerre, Ermenonville, éd. Brochure Mensuelle, 1933, p. 25


Le patriotisme est un sentiment artificiel et déraisonnable, source funeste de la plupart des maux qui désolent l'humanité.
  • Les munitions du pacifisme: anthologie de plus de 400 pensées et arguments contre la guerre, Ermenonville, éd. Brochure Mensuelle, 1933, p. 47


Quand je songe à tous les maux que j'ai vus et que j'ai soufferts, provenant des haines nationales, je me dis que tout cela repose sur un grossier mensonge : l'amour de la Patrie.
  • Les munitions du pacifisme: anthologie de plus de 400 pensées et arguments contre la guerre, Ermenonville, éd. Brochure Mensuelle, 1933, p. 30


Comme le dit Tolstoï, le bonheur est une allégorie, le malheur une histoire
  • Kafka sur le rivage, Haruki Murakami, éd. Belfond, coll. « Poche », 2006  (ISBN 9782264056160), p. 215


 
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