Analphabétisme
Cette page est une ébauche. N'hésitez pas à la modifier en ajoutant des citations admissibles ! | |
Dans les Cévennes, vers 1910
modifierA vingt mètres, il nous salua, le bras tendu sous l'étoffe. Puis, un œil fermé :
— Vous avez un crayon? dit-il à Albin.
— Là, dit Albin en fouillant sa poche.
— Voilà trois mois que j'attendais un des vôtres... c'est pour mon compte..., vous savez. Je garde depuis le premier mars... à dix francs par mois, plus un demi-mois de l'année dernière qu'ils me doivent... même c'est une dispute. Mais bon, c'est dit maintenant. Je garderai jusqu'en octobre. Je voudrais leur demander mon dû jusqu'au quinze mai. Combien ça me fait à toucher? et combien à prendre pour le reste?
Albin calculait, écrivait des chiffres, très gros, sur une feuille de papier, tandis que le vieux recommençait son histoire.
C'était pour lui la plus grande confidence, l'abandon de son seul secret. Pauvre calcul, mais qu'avait-il à dire d'autre qui ne fût commun à tous les hommes, qui ne fût révélé par des yeux attentifs, des oreilles inclinées, des mains ou des lèvres ouvertes sous le vent? Tout ce qu'il pensait tenait à la terre, aux mouvements du ciel ou des bêtes, tandis que cette addition qu'il ne pouvait faire seul sans brouiller les chiffres, commandait tous les espoirs secrets de sa vie. Aussi, confiant mais tourmenté, il reprenait sans cesse ses explications :
- Vous pensez bien que j'aurais pu le demander aux autres, à ceux de là-bas. Ou à quelqu'un de capable enfin... mais on y est vite de sa poche. Aussi je me disais : un de ces jours, quelqu'un du Maubert passera par là... comme ça je suis tranquille.
- Suite Cévenole, André Chamson, éd. Plon, 1968, partie Le crime des justes, p. 294