Les silences du colonel Bramble, 1918
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L'amour de l'humanité est un état pathologique d’origine sexuelle qui se produit fréquemment à l'époque de la puberté chez les intellectuels timides : le phosphore en excès dans l'organisme doit s'éliminer d’une façon quelconque.
Les silences du colonel Bramble, André Maurois, éd. Denoël, 1908, p. 23
C’est au moyen âge, dit-il, que nous devons les deux pires inventions de l’humanité : l’amour romanesque et la poudre à canon.
Les silences du colonel Bramble, André Maurois, éd. Denoël, 1908, p. 133
René ou la vie de Chateaubriand, 1938
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C'est le propre du génie que de voir et de comprendre vite.
Chateaubriand ne resta en Amérique que cinq mois. Mais que faut-il à un grand écrivain ? Une nuit délicieuse, un campement d'Indiens, quelques visions grouillantes, bigarrées, l'éclat et le clinquant d'un vocabulaire exotique. Là-dessus il reconstruira un monde.
René ou la vie de Chateaubriand (1938), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1956
(ISBN 2-246-18904-7), chap. II « Le voyageur et le soldat », II
Séjour en Amérique, p. 65
Quand Fontanes vint le prendre chez Mme de Lindsay pour le faire entrer dans Paris par la barrière de l'Etoile, il crut qu'il allait descendre aux enfers. Fontanes dut expliquer qu'il s'agissait plus simplement de descendre les Champs-Elysées.
Chateaubriand fut surpris d'y entendre des violons, des clarinettes, des tambours et d'y voir, dans les bastringues, danser des hommes et des femmes. La place Louis-XV, où s'était dressée la guillotine et où il croyait encore glisser dans le sang, était tranquille et nue.
René ou la vie de Chateaubriand (1938), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1956
(ISBN 2-246-18904-7), chap. IV « Le Génie du christianisme », I
Premiers contacts avec la France, p. 118
En somme, la lutte entre le parti néo-chrétien de Fontanes et les survivants de la Révolution allait se trouver, dans les Martyrs, transposée en drame du IIIe siècle.
C'était alors à la mode, parmi les monarchistes, que de chercher, dans les histoires de l'Antiquité, des exemples et des prétextes. « Tout le monde veut lire Tacite et les dames, dit-on, n'en trouvent pas la substance trop forte pour elles. » Chateaubriand se voyait encouragé dans son dessein par toutes les jolies femmes de la noblesse non ralliée. Sa démission avait fait de lui le héros des salons bien pensants. Dès qu'il revint à Paris, au début de 1805, les châteaux se le disputèrent.
René ou la vie de Chateaubriand (1938), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1956
(ISBN 2-246-18904-7), chap. V « Itinéraire de Paris à l'Andalousie », III «
Taedet animam meam vitae meae... », p. 179
Lélia ou la vie de George Sand, 1952
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Parmi les aïeux de
George Sand,
tous les personnages sont extraordinaires. Les rois s'y mêlent aux chanoinesses, les grands soldats aux filles de théâtre. Toutes les femmes s'appellent Aurore, comme dans les contes de fées ; toutes ont des fils, des amants, et préfèrent les fils aux amants. Les enfants naturels y tombent comme grêle, mais sont reconnus, exaltés, royalement élevés. Tous sont séduisants, anarchistes, tendres et cruels.
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. I. Aurore Dupin, I.
Rois, soldats, chanoinesses, comédiennes, p. 16
Quand la révolution de Mirabeau devint celle de Danton, Mme Dupin cessa d'applaudir.
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. I. Aurore Dupin, II.
La Révolution et l'Empire, p. 30
L'enfant a besoin de se sentir soutenu par une puissance magique. Aurore se créa donc un dieu familier, qui était toute douceur et toute bonté, et qu'elle appela Corambé. Elle lui éleva, dans le secret d'un taillis, un autel de mousses et de coquillages sur lequel elle venait, non point sacrifier, mais libérer des oiseaux et des scarabées. Seulement, pour les libérer, il fallait d'abord les prendre, ce qui les faisait souffrir. D'où l'on voit que le corambéisme, comme toutes les religions, avait ses mystères.
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. I. Aurore Dupin, III.
Les enfances Aurore, p. 48
Elle ne pensait pas aux hommes. Au couvent, elle avait trouvé les jeunes filles divisées en trois groupes : les sages, pieuses et douces ; les diables, rebelles et amusantes ; entre les deux, les bêtes, masse inerte et fluide comme le marais des assemblées. La première année, « Dupin » fut un diable, mêlé à toutes les folles expéditions sur les toits et dans les caves.
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. I. Aurore Dupin, IV.
Le diable dans le bénitier, p. 52
Toujours elle souhaitera retrouver l'indépendance masculine, dont Nohant et Deschartres lui avaient donné le goût. Toujours aussi elle gardera ce sens que donne le contact avec les réalités de la terre et du travail. La pensée trop libre n'avance pas, malgré ses efforts ; elle aurait besoin, comme l'oiseau, de la résistance du milieu. L'action révèle les limites que doit s'imposer l'esprit.
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. I. Aurore Dupin, V.
L'héritière de Nohant, p. 69
Ce que le monde appelle scandale, disait-elle, n'est pas ce que le Christ eût appelé scandale.
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. I. Aurore Dupin, V.
L'héritière de Nohant, p. 78
Pour comprendre Aurore Dudevant en 1830, et son besoin d'aventures sentimentales et spirituelles, il faut se représenter ce qu'étais alors, en France, l'effervescence intellectuelle. La Passion régnait. Comme autrefois la Raison, la Folie était déifiée. Les nouveaux poètes, les nouvelles doctrines philosophiques et sociales enivraient les jeunes. On se disait hugolâtre, saint-simonien, fouriériste avec délire.
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. II. Madame Dudevant, IV.
Le petit Jules, p. 149
Prosper Mérimée, grand ami de
Sainte-Beuve, était, comme Henri Beyle, un de ces sentimentaux blessés dès l'enfance dont le diable fait ses Don Juan. Il se plaisait à parler de l'amour en technicien, avec une crudité de carabin. Cela lui valut des succès au foyer de l'Opéra et dans quelques boudoirs. Rencontrant cette jolie femme, bizarre, disponible, intelligente et célèbre, il entreprit d'ajouter un scalp à son collier.
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. V. George Sand, IV.
Nouveau amis. — Lélia, p. 219
Elle ne savait pas que le génie est toujours solitaire et qu'il n'existe pas de hiérarchie morale unaniment acceptée par les meilleurs. Elle avait pris pour des poètes tous les gens qui faisaient des vers. Deux ans de dure expérience lui avaient montré que les grands hommes ne sont pas des géants, « que le monde est pavé de brutes et que l'on ne peut faire un pas sans en faire crier une. »
Lélia ou la vie de George Sand (1952), André Maurois, éd. Le Livre de Poche, 2004
(ISBN 2-253-10923-1), chap. V. George Sand, VI., p. 224
Don Juan ou la vie de Byron, 1952
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Le romantique, tout occupé de soi-même, laisse derrière lui, comme une traînée lumineuse, sa vie, dont ses ouvrages éclairent les instants. Il est pittoresque et facile à ressusciter. Le classique, parce qu'il accepte la société dans laquelle il est né, s'efforce de la peindre avec vérité et tend à s'effacer derrière ses personnages.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Préface, p. 65
Byron, élevé en calviniste, croit à la prédestination et, se constatant diabolique, attend l'enfer. Quand il dort, abrité par les rideaux rouges d'une courtine, il rêve des flammes éternelles. Les cauchemars de Hugo sont apocalyptiques, ceux de Byron sont sataniques. Mais à l'état de veille, c'est Byron qui, des deux, a le plus de bon sens.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Préface, p. 13
Ses plaisirs étaient d'un enfant malfaisant. Il allait, la nuit, ouvrir les écluses des ruisseaux pour détruire les usines de cotonnades ; il vidait les étangs de ses voisins ; au bord du sien, il avait fait construire deux petits forts en pierre et une flotte de bateaux-jouets qu'il lançait sur le lac. Il passait des journées entières à diriger des batailles navales entre les bateaux et les forts, qui tiraient les uns sur les autres avec des canons en miniature.
- À propos d'un ancêtre de Byron, duquel il héritera l'abbaye de Newstead.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Les Byron de Newstead, p. 32
Comme enseigne il avait été embarqué, en 1740, à bord du Wager, qui devait prendre part à une expédition contre les colonies espagnoles, et qui échoua sur des récifs, au large de la côte du Chili. Ce fut une scène terrible ; des vagues énormes se brisaient sur l'épave, un marin devint fou, l'équipage se révolta, le capitaine dut tirer sur ses hommes à bout portant.
- À propos du grand-père de Byron, surnommé Jack Mauvais Temps.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Les Byron de Newstead, p. 33
Vers la fin de 1790, John Byron obtint de sa femme et de sa sœur, Mrs Leigh, un peu d'argent pour fuir en France. Mrs Leigh possédait une maison à Valenciennes. Ce fut là qu'alla vivre le capitaine déchu, mêlé à la Révolution française sans la comprendre, troussant les servantes d'auberge et toujours à court d'un louis.
- À propos du père de Byron.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Les Gordon de Gight, p. 42
Garçon privé de père, il avait appris très jeune à mépriser toute autorité. Son esprit ne reconnaissait pas le devoir d'obéir à des êtres dont il avait découvert les faiblesses ; son orgueil lui défendait de plier par prudence, à défaut de respect.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Harrow-sur-la-colline, p. 60
En mai 1809, le léger Matthews et le méthodique Hobhouse vinrent faire un séjour à l'abbaye. Ce furent quelques jours de plaisante folie. La gravité apparente des lieux, les ombres qui les hantaient donnaient, par contraste, un agrément piquant à la gaieté de ces jeunes gens. A l'entrée, à la droite des marches qui conduisaient dans le hall, était enchaîné un ours ; à gauche, un chien-loup. Si on entrait sans crier pour annoncer son arrivée, on n'avait échappé à l'ours et au chien que pour se trouver sous le feu d'une bande de jeunes tireurs, essayant leurs pistolets sous les voûtes. Le matin, on se levait tard, le breakfast restant sur la table jusqu'à ce que tout le monde fût descendu. Puis on lisait, on faisait de l'escrime, on tirait au pistolet, on montait à cheval, on ramait sur le lac, on jouait avec l'ours. Dans le parc, Matthews, sur une des faces de la tombe de « Boatswain, un chien », crayonnait l'épitaphe de « Hobhouse, un porc ». On dînait entre sept et huit heures. Après le dîner, on faisait passer à la ronde un crâne humain rempli de vin. C'était celui de quelque moine, dont le jardinier avait trouvé le squelette en béchant. Byron l'avait fait monter en coupe par un orfèvre de Nottingham, qui l'avait renvoyé bien poli et couleur écaille de tortue. Il avait composé des vers sur cette coupe.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Crâne d'ivoire poli, p. 119
La cave était bonne et les filles de service pourvoyaient aux autres plaisirs de la bande.
Byron était assez fier de cette petite troupe de jolies servantes recrutées dans les villages voisins. Ces mœurs faciles lui semblaient féodales, idylliques, et d'ailleurs flatteuses. L'abbaye, dans la légende locale, devenait le repaire d'un nouveau Mauvais Lord.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Crâne d'ivoire poli, p. 120
De Lisbonne à Séville, [Hobhouse et Byron] voyagèrent à cheval. La route était bordée de croix ; chacune rappelait un meurtre. Ils rencontrèrent un prisonnier et des espions qu'on emmenait à Séville pour y être pendus. Il y avait dans le spectacle de ce monde où la mort et l'amour étaient à chaque pas quelque chose d'animal et de franc qui allait au cœur de Byron.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 200
(ISBN 2-246-14564-3), Premier pèlerinage de Childe Harold, p. 124
Comme dans les danses macabres des sculpteurs du Moyen Age, les corps jeunes et nus, dans la vie de Newstead, alternaient avec les crânes et les squelettes.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Timon de Newstead, p. 151
L'attitude était agréable ; il payait d'une assez dure solitude le droit de mépriser les hommes et les femmes, mais ce mépris avait des charmes. Il était Lord
Byron, baron Byron de Rochdale, Timon de Newstead, misanthrope. Depuis la mort de son Terre-Neuve, il n'aimait personne que le souvenir de celui-ci, un daim apprivoisé et trois tortues grecques.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Timon de Newstead, p. 153
Souvent il parlait de vendre Newstead et d'aller vivre dans l'île de Naxos ; il adopterait les coutumes et les mœurs des Orientaux et passerait sa vie à étudier leurs poèmes. Le froid de cet hiver anglais l'attristait, et aussi l'atmosphère spirituelle du pays. C'était un temps de politique autoritaire. La guerre atteignait peu les classes dirigeantes. Leur vie était facile, la chasse au renard, l'amour, le Parlement occupaient leurs riches loisirs.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Annus mirabilis, p. 159
Un soir, Londres avait été pour lui un désert peuplé de trois ou quatre amis ; le lendemain, c'était une ville des
Mille et Une Nuits, toute semée de palais illuminés qui s'ouvraient au plus illustre des jeunes Anglais.
Une grande société mondaine (c'est-à-dire, comme disait
Byron, les quatre mille personnes qui sont debout quand tout le monde est couché) est toujours sujette à de rapides mouvements d'admiration et de dégoût ; parmi ces hommes et ces femmes qui se voient chaque jour, chaque soir, une gloire nouvelle fait son chemin avec une foudroyante vitesse.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Annus mirabilis, p. 162
Il y a toujours dans l'histoire d'un peuple des moments où ceux mêmes qui en jouissent sont las de la platitude de l'ordre établi. Childe Harold dans la vie de l'Angleterre paraissait en un tel moment.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Annus mirabilis, p. 163
Dans les dîners de Mayfair le murmure des conversations ne semblait plus être qu'un long « Byr'n, Byr'n » toujours répété. Chaque saison avait alors son lion politique, militaire ou littéraire. Byron fut le lion sans rival des soirées de 1812.
Il connut « cette mer étincelante de pierreries, de plumes, de perles et de soie ». Les femmes imaginaient avec émotion la grande abbaye, les passions criminelles, et ce cœur de marbre de Childe Harold, refusé, donc convoité. Tout de suite elles l'assiégèrent, foule charmante.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3),
Annus mirabilis, p. 164
Pour
Byron, le Créateur existait, mais la Création était mauvaise. Caïn avait raison de se plaindre du Dieu des Juifs, Prométhée de maudire Jupiter, et lui, George Gordon Byron, victime innocente de la fatalité de son sang, il appartenait, lui aussi, à la race des grands révoltés.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Cortège d'un cœur sanglant, p. 300
Dans le cachot de Bonnivard où
Byron grava son nom, ils se firent raconter l'histoire de cette victime des tyrans et Byron, en une seule nuit, écrivit
Le Prisonnier de Chillon, tandis que Shelley composait l'
Hymne à la Beauté intellectuelle.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Cortège d'un cœur sanglant, p. 301
Une œuvre naît toujours d'un choc qui fertilise un terrain favorable. Le terrain, chez
Byron, était prêt ; c'était cette masse brûlante de sentiments inexprimés, horreur, amour, désir, regrets, lave qui une fois encore menaçait de tout engloutir. Du choc produit par la lecture de
Faust et par les paysages des Alpes, sortit un grand poème dramatique :
Manfred.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Avalanches, p. 312
Pour Childe Harold, Rome était le plus parfait des terrains de méditation. Le monde ne pouvait contenir de plus belle réserve de thèmes byroniens. Grandeur et décadence, ruine et beauté, des lieux communs sublimes s'élevaient à chaque carrefour... Méditation sur la tombe de Cecilia Metella. Qui était-elle, cette grande dame qui dormait dans une forteresse ? Avait-elle été chaste et belle ? De celles qui aiment leur seigneur, ou de celles qui aiment le seigneur des autres ? Etait-elle morte jeune, un dernier rayon rose sur ses joues enfantines, ou très vieille, avec de longues tresses gris argent ? Il avait pour la mort tant de goût sensuel qu'il s'attendrissait sur cette morte inconnue... Rêverie sur le Palatin. Les oiseaux de nuit s'y répondaient parmi les pierres couvertes de lierre qui avaient formé le palais des empereurs... Eternelle morale de toute histoire humaine. La Liberté engendre la Gloire, puis la Gloire la Richesse, la Tyrannie qui ramène les Barbares, et le cycle recommence... Rhétorique ? Oui, sans doute. Mais il faut des rhéteurs... Au Colisée, par un soir de clair de lune où les étoiles tremblaient sous les arcs frangés de fleurs sauvages, dans ce cercle magique hanté par les grands morts, contre ceux qui l'avaient fait souffrir, contre « sa Clytemnestre morale », contre les insulteurs de son exil, il évoqua sa déesse favorite, Némésis, et le temps vengeur.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), La ville fée du cœur, p. 333
Tout surpris de glisser parmi des palais roses, Hanson et son fils arrivèrent en gondole, chargés de liasses de documents, de brosses à dents et de poudre rouge. Ils montèrent les marches du Palazzo Mocenigo entre des chiens, des oiseaux, un renard, un loup en cage, puis, par un escalier de marbre, furent conduits à l'appartement de
Byron.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Palazzo mocenigo, p. 349
Ravenne devait lui plaire, petite ville mystérieuse qui cachait dans ses rues étroites et fraîches les reliques d'un empire barbare.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Chevalier servant, p. 353
Pour les promenades à cheval, une grande forêt de pins s'étendait jusqu'au bord de la mer, sur des terrains jadis recouverts par les eaux et où les flottes romaines avaient jeté leurs ancres. C'était la Pineta de Boccace, le bois immémorial de Ravenne, où les chiens du Chasseur fantôme poursuivaient éternellement la Dame qui avait méprisé l'amour.
Byron aima cette solitude sylvestre et marine, qu'animait le bruit des cigales.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Chevalier servant, p. 354
Missolonghi était un bourg de pêcheurs, construit au-dessous du niveau de la mer. Des prairies couvertes de roseaux entouraient la ville ; dans la saison des pluies, les rues elles-mêmes devenaient des marécages. Aucun drainage n'était possible ; l'eau stagnante croupissait au ras des maisons. Pourtant Missolonghi avait un charme étrange, inhumain ; à demi submergée par les mers, cette Atlantide semblait hors du monde. Des bergers vêtus de peaux de chèvre habitaient des cabanes, dans les roseaux, au pied des montagnes violettes. Tout sentait le sel, le poisson, la vase. La maison de Lord
Byron était un bâtiment assez haut, dans lequel habitait déjà le colonel Stanhope. Des fenêtres la vue était belle ; après le miroir d'argent terni de la lagune, on voyait le trait noir que formait le chapelet des îles, surmonté de petites habitations lacustres dont les fins pilotis se détachaient sur le ciel.
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Hamlet et Don Quichotte, p. 431
Depuis quelques instants, un terrible orage s'était abattu sur Missolonghi. La nuit tombait ; éclairs et coups de tonnerre se succédaient dans l'obscurité. La brève lueur des éclairs dessinait au loin, sur la lagune, la silhouette sombre des îles. La pluie, balayée par le vent, battait les vitres des maisons. Les soldats et les bergers qui s'y étaient réfugiés ignoraient encore la funèbre nouvelle, mais il croyaient, comme leurs ancêtres, que des prodiges accompagnaient la mort d'un héros et, remarquant la violence inouïe du tonnerre, se disaient entre eux «
Byron est mort ».
Don Juan ou la vie de Byron (1952), André Maurois, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 2006
(ISBN 2-246-14564-3), Hamlet et Don Quichotte, p. 449
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