Boccace
poète et romancier italien, ministre plénipotentiaire de la République de Florence
Giovanni Boccaccio (en français Jean Boccace mais le plus souvent simplement Boccace), est un écrivain italien né le 16 juin 1313 à Certaldo, mort le 21 décembre 1375 à Certaldo. Son œuvre la plus connue est le Décaméron (du grec δέκα, déca, dix, et ἡμέρα, hêméra, jour) dont l'action se déroule à Florence durant l'épidémie de peste noire en 1348. C'est un recueil de nouvelles écrit en langue italienne entre 1349 et 1353, qui marque la naissance de la prose italienne. Il se compose de 100 courts récits
La Peste Noire à Florence (Première Journée, Introduction)
modifierJe dis donc que les années de la fructueuse incarnation du Fils de Dieu avaient atteint le nombre de mille trois cent quarante huit lorsque, dans l’excellente cité de Florence, belle par-dessus toute autre de l’Italie, parvint la mortelle pestilence. Or, comme nulle mesure de sagesse ou précaution humaine n’était efficace pour la combattre(et ce ne fut pas faute de purger la ville d’une multitude d’immondices par les officiers désignés à cet effet, d’y interdire l’entrée à tout malade, d’y prodiguer force conseil conseils pour la conservation de la santé, d’y faire d’humbles supplications lors des processions, ainsi que des prières adressées à Dieu par les dévotes personnes), presque au début du printemps de ladite année, le mal développa horriblement ses effets douloureux et les manifesta d’une prodigieuse manière.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 38
Pour soigner ces maladies, il n’y avait ni diagnostic de médecin, ni vertu de médicament qui parût efficace ou portât profit. Au contraire, soit que la nature de la maladie ne le permît pas, soit que l’ignorance des praticiens (parmi eux désormais, outre les vrais savants, très nombreux étaient les femmes et les hommes n’ayant jamais eu la moindre notion de médecine) les empêchât de déceler l’origine du mal et, partant, d’appliquer le remède approprié, non seulement peu de gens guérissaient, mais presque tous mouraient dans les trois jours de l’apparition des symptômes susdits, les uns plus tôt, les autres plus tard, généralement sans fièvre ni autre complication.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 39
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La Peste Noire à Florence, miniature du Décaméron
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La peste bubonnique ou Peste Noire. "The Chronicles of Gilles Li Muisis" (1272-1352), abbot of the monastery of St. Martin of the Righteous. Bibliothèque royale de Belgique, MS 13076-77, f. 24v.
Presque tous tendaient cruellement à éviter et à fuir les malades ainsi que leurs affaires. Certains pensaient que vivre avec modération et se garder de tout excès constituait un bon moyen de résister au fléau. D’autres, à l’opposé, estimant que, face à un si grand mal, nul remède n’était plus sûr que boire beaucoup, se donner du bon temps, aller chantant et s’amusant alentour, tenter de satisfaire toutes ses envies, rire et se moquer de ce qui se passait : et ils s’efforçaient d’agir comme ils disaient, courant jour et nuit de taverne en taverne, buvant sans règle ni mesure, surtout dans les maisons d’autrui, s’ils apprenaient qu’il y avait matière à quelque agrément ou à quelque plaisir. La chose leur était d'ailleurs aisée puisque chacun, comme s’il ne devait plus vivre, avait laissé à l’abandon ses biens comme sa propre personne.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 40
En une telle affliction, en une si grande misère de notre cité, il était donc licite à chacun de se comporter à sa guise. Beaucoup observaient une voie moyenne, ne se restreignant pas sur la nourriture autant que les premiers, ne s’abandonnant pas à la boisson ou à d’autres excès : mais ils usaient des choses à suffisance et suivant leur appétit, et, au lieu de s’enfermer chez eux, circulaient alentour, tenant à la main qui des fleurs, qui des herbes odorantes, qui diverses sortes d’aromates, les portant souvent aux narines et jugeant excellent de se conforter le cerveau avec de tels parfums, car l’air était tout infecté et empuanti par l’odeur des cadavres, des maladies et des médicaments.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 41
Quelques uns, d’un avis plus cruel mais peut-être plus sûr, disaient qu’aucun remède n’était meilleur ni aussi bon contre les pestilences que de fuir devant elles. Poussés par cet argument, n’ayant souci que d’eux-mêmes, beaucoup d’hommes et de femmes abandonnèrent leur ville, leurs maisons, leurs quartiers, leurs parents et leurs biens, partant pour des campagnes étrangères ou au moins pour la leur, comme si la colère de Dieu ne devait pas punir par cette peste l’iniquité des hommes où qu’ils fussent, mais opprimer ceux-là seuls qui se trouvaient dans les murs de la cité, ou comme s’ils pensaient que plus personne ne devait rester dans cette ville et que sa dernière heure était venue.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 41
Comme les voisins, parents et amis abandonnaient les malades, comme les serviteurs se faisaient rares, un usage se répandit, presque inconnu jusqu’alors. Quelle que fût son élégance, sa beauté ou son rang, une dame était-elle atteinte, elle ne s’inquiétait point d’avoir à son service un homme, qu’il fût jeune ou non : pour peu que l’exigea la nécessité de son mal, elle lui dévoilait n’importe quelle partie de son corps, tout comme elle l’aurait fait à une femme ; ce qui par la suite, chez celles qui guérirent, fut peut-être la cause d’une moindre honnêteté. Il s’ensuivit aussi la mort de nombreuses personnes qui, d’aventure, si on les avait secourues, auraient réchappé. Faute pour ces malades, de recevoir les soins appropriés, et l’épidémie demeurant très forte, les décès se multipliaient jour et nuit dans la ville, au point que c’était une stupeur de l’entendre dire tout comme de le voir. La nécessité, en quelque sorte, fit donc naître chez les survivants des mœurs contraires aux anciennes coutumes de la cité.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 42
Première journée, 1
modifierOn ne le voyait jamais à l'église et il bafouait avec d'abominables paroles les sacrements qu'il tenait pour méprisables ; par contre, il visitait assidûment les tavernes et fréquentait les lieux mal famés. Il aimait autant les femmes que les chiens les coups de bâtons, l'autre sexe le réjouissait par contre, plus que tout autre triste individu.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 59
Première journée, 2
modifierIl commença à observer la manière de vivre du pape, des cardinaux, des autres prélats et des courtisans. Il s'apperçut que du plus grand au plus petit, tous commettaient le plus malhonnêtement du monde le pêché de luxure, cédant soit au penchant de la nature, soit au vice de la sodomie, sans aucune retenue, remords ou honte, si bien que les prostituées et les jeunes garçons étaient là de puissants intermédiaires pour obtenir les grâces les plus hautes. En outre, il trouva ces gens-là, sans exception, gloutons, buveurs, ivrognes et luxurieux et, tels des bêtes brutes, plus esclaves de leur ventre que d'autre chose.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 73-74
Première journée, 10
modifierIl était si noble de cœur à presque soixante-dix ans qu'il ne répugna pas, alors que la chaleur de la vie avait presque abandonné son corps, à succomber aux feux de l'amour.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 99
Deuxième journée, 6
modifierSeigneur Currado, j'ai aimé ta fille, je l'aime et je l'aimerai toujours, parce que l'estime digne de mon amour ; si envers elle je me suis comporté de manière déshonnête, selon l'opinion du vulgaire, j'ai commis le pêché qui accompagne toujours la jeunesse, à tel point que pour le supprimer, il faudrait bannir cet âge, si les vieillards voulaient bien se rappeler qu'ils ont été jeunes, eux aussi, et comparaient leurs manquements à ceux des autres, ils n'en jugeraient point sévèrement comme tu le fais et font tous les autres.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 158
Deuxième journée, 7
modifierIl avait plusieurs fois remarqué que la jeune femme avait du goût pour le vin qu'elle n'était pas accoutumé à boire parce que sa religion le lui interdisait ; il s'avisa donc qu'en lui servant du vin, l'auxiliaire de Vénus, il pourrait la surprendre.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 168
Deuxième journée, 7
modifierIl commença à la consoler au moyen de ce saint Cloître que Dieu nous a donné, à nous les hommes.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 169
Deuxième journée, 10
modifierJe suis en état de pêché "mortier", j'y resterai autant qu'il me plaira avec ce "pilon" bien embecqué.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 221
Deuxième journée, 10
modifierSans se soucier de fêtes ou vigiles ou faire carême, ils "travaillèrent leur champ" et se donnèrent du bon temps tant que leurs jambes purent les porter.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 222
Troisième journée, 4
modifierLa dame qui chevauchait à cet instant l'âne de saint Benoît ou de saint Jean Galbert lui répondit :
- Pardi, mon cher mari, je me démène autant que se peut.
- Pardi, mon cher mari, je me démène autant que se peut.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 260
Troisième journée, 6
modifierHélas, pauvre de moi, en qui ai-je mis mon amour pendant toutes ces années ? J'ai aimé ce chien d'infidèle qui, croyant tenir dans ses bras une autre femme m'a fait plus de caresses et de tendresses en ces quelques instants que j'ai passé avec lui qu'il ne m'en a fait depuis que je lui appartiens. Tu n'as pas manqué d'énergie aujourd'hui, sale renégat, alors qu'à la maison tu parais toujours si faible, si épuisé, si incapable.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 274
Quatrième journée, 2
modifierVous avez déjà vu beaucoup des beautés comme moi qui feraient pâlir les saintes du paradis ?
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 351
Cinquième journée, 4
modifierLeurs parents, une fois partis, les amoureux à nouveau s'enlacèrent et, comme ils n'avaient couru que six lieues pendant la nuit, ils en firent encore deux autres avant de se lever puis ils mirent un terme à cette première étape.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 445
Cinquième journée, 10
modifierCe misérable me délaisse pour courir en sabots par temps sec[1] et bien moi, je vais m'ingénier à me munir pour la pluie[2].
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 479
Cinquième journée, 10
modifierC'est pourquoi, mes chères amies, je tiens à vous dire : « Celui qui te trompe, trompe-le, et si tu ne peux pas le faire aussitôt, souviens-t-en jusqu'à ce que tu le puisses, afin que l'âne qui rue contre le mur en reçoive le coup ».
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 489
Sixième journée, 10
modifierJe lui laissais libre et pleine jouissance du Montmorel[3] dans toute son étendue et en version vulgaire, ainsi que de quelques parties de Cabriole[4] à la recherche desquelles il se perdait depuis longtemps déjà.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 526
Septième journée, 1
modifierIl coucha chez la dame qui, reposant dans ses bras toute la nuit, lui enseigna six prières de son mari[5].
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 540
Septième journée, 1
modifierTu es venu la queue dressée et tu repartiras de même.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 542
Huitième journée, 2
modifierElle était de fait une bonne paysanne, fraîche et plaisante à regarder, brunette et bien en chair et plus portée à savoir moudre qu'une autre[6].
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 612
Huitième journée, 2
modifierMessire le prêtre, qui avait son arbalète bandée, couvrant Belcore des plus doux baisers du monde et la faisant proche parente du Seigneur, là, tout à loisir, se donna du bon temps avec elle.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 615
Huitième journée, 9
modifierIls lui promirent de lui donner pour dame la comtesse Civillari qui était la plus belle chose que l'on pût trouver dans toute la culaterie du genre humain.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 681
Neuvième journée, 5
modifierVoilà un bel amoureux ! Tu ne sais pas comme tu es, scélérat ! Tu ne sais pas comme tu es, misérable ! En te pressant de partout, on ne tirerait pas de toi la moindre sauce[7].
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 731
Neuvième journée, 6
modifierAdriano, qui n'était pas encore endormi, l'accueillit volontiers et, avec joie et sans mot dire, sur le champ mit la voile[8] au grand plaisir de la bonne femme.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 735
Neuvième journée, 6
modifierMorbleu, je viens d'avoir avec elle le plaisir le plus intense qu'un homme puisse éprouver avec une femme, je peux dire que je suis allé à la campagne au moins six fois[9].
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 735
Conclusion de l'auteur
modifierS'il y a, peut être, en ces nouvelles quelques mots plus licencieux qu'il ne convient à des bigotes, lesquelles pèsent davantage les paroles que les actes et s'ingénient à paraître vertueuse plus qu' l'être, je dis qu'il ne peut point m'être reproché de les avoir écrits, pas plus qu'on ne blâme les hommes et les femmes qui parlent couramment de « trou » et de « pieu », de « mortier » ou de « piton », de « saucisse » et de « mortadelle » et d'une foule de choses semblables.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 858
Conclusion de l'auteur
modifierEt l'on se souciera qu'il y en ait également pour dire que j'ai mauvaise langue et venimeuse, parce que, en quelque endroit, j'ai écrit la vérité sur les religieux ? À celles qui le soutiendront, il faut pardonner, car c'est assurément une juste raison qui les pousse, étant donné que les frères sont gens honnêtes qui fuient l'inconfort pour l'amour de Dieu, moulent le grain en abondance[10], et sans rien dire ; et si ce n'est qu'ils sentent un peu le bouc, leur querelle serait bien plaisante.
- Boccace, Décaméron, Christian Bec (traduction, introduction et notes sous la direction de), éd. Librairie Générale de France, Paris, 1994, p. 861