Delphine Horvilleur
femme rabbin, directrice de la rédaction du journal Tenou'a, essayiste française
Delphine Horvilleur , née le à Nancy, est une femme rabbin du Mouvement juif libéral de France (MJLF).
Citations
modifier[Les héros de la tradtion juive] sont ce que Derrida appelait «le dernier des juifs» au sens de «dernier des cons» ! Ils sont toujours in and out, ils appartiennent et n’appartiennent pas tout à la fois. Ils sont sans cesse en train de s’arracher au monde qui les a vu naître. Ils sont donc des héritiers fidèles car ils se décrochent de leur appartenance première ! C’est vrai d’Abraham, de Jacob, des prophètes et des héros que l’on encense : ils sont vulnérables et ne sont pas toujours des modèles ! [...] [la littérature juive] met un point d’honneur à rendre ses héros faillibles. Cela a un grand avantage : le lecteur peut s’identifier plus facilement. On est ainsi plus proche de l’anti-héros et de ses petits (ou grands) travers que d’une figure parfaite, réputée infaillible, comme on en trouve souvent dans le Coran. Voyez plutôt : les Juifs n’ont aucun problème à dire que Noé n’était pas un super type, que Moïse s’est révélé être un mauvais père et un mauvais mari, que le roi David s’est lui-même trompé en plusieurs occasions… La littérature juive tire de cela un message puissant : c’est parce que ces héros sont faillibles, parce qu’ils se trouvent être peu qualifiés pour le rôle qu’on leur attribue qu’ils peuvent accéder à la fonction… Isaac est aveugle ? Il se retrouve visionnaire ! Jacob boîte ? Il incarnera la verticalité ! La leçon est la suivante : on n’a jamais fini de dire qui on peut être ! Cela brise donc l’obsession de l’identité pure, du retour à l’authenticité à tout prix comme elle est en vogue aujourd’hui…
- Propos recueillis par Laurent David Samama
- « Delphine Horvilleur : l’entretien fleuve », Laurent David Samama, La Règle du jeu, 28 février 2019 (lire en ligne)
Réflexions sur la question antisémite, 2019
modifierLa féminisation du Juif ne touche pas que son caractère, de nombreux textes antisémites suggèrent que la virilité fait biologiquement défaut au corps juif, et pas simplement à son esprit. Dès le Moyen Âge, fleurit une littérature antijuive qui affirme que le corps de l'homme juif saigne chaque mois, par l'un ou l'autre de ses organes, le nez ou l'anus, de préférence.
- Réflexions sur la question antisémite, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2019 (ISBN 978-2-246-81552-5), p. 87
Tout le paradoxe est là. L'antisémite croit qu'il reproche au juif d'AVOIR quelque chose qu'il n'a pas… mais il reproche aussi au juif de NE PAS AVOIR quelque chose mais plutôt de bien vivre sans. Cachez ce trou que je ne saurais voir ! Non seulement le juif renvoie à l'impossible identité infaillible, non seulement il incarne le vide dont on voudrait se débarrasser, mais en plus il vit avec, et même il « sur-vit » et il en fait le fondement de son infinie renaissance.
- Réflexions sur la question antisémite, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2019 (ISBN 978-2-246-81552-5), p. 110
Il n'y a pas de Ajar, 2022
modifier L'oeuvre de Gary/Ajar est le livre de chevet des gens qui ne sont pas prêts à se résoudre ni au rétrécissement de l'existence ni à celui du langage, mais qui croient qu'il est donné de réinventer l'un comme l'autre. Ne jamais finir de dire ou de "se" dire. Refuser qu'un texte ou un homme ait définitivement été compris. Et croire dur comme fer qu'il pourra toujours faire l'objet d'un malentendu.
- Il n'y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2022, p. 12
[Il] est permis et salutaire de ne pas se laisser définir par son nom ou sa naissance.[...] Permis et salutaire de juger un homme pour ce qu'il fait et non pour ce dont il hérite. D'exiger pour l'autre une égalité, non pas parce qu'il est comme nous, mais précisément parce qu'il n'est pas comme nous, et que son étrangeté nous oblige.
- Il n'y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2022, p. 17-18
Les juifs se sont toujours débrouillés pour que la définition de leur judaïsme - ce à quoi ça tient - reste un indéfinissable, un au-delà de la naissance, de la croyance ou d'une quelconque pratique. Un presque rien qui n'a, au bout du compte, pas grand-chose à voir avec la religion de votre mère, la recette du foie haché, la stricte observance ou l'art de raconter des blagues. Le judaïsme s'assure en toute circonstance que la question de l'identité échappe à toute résolution, et ne tolère aucune définition définitive.
- Il n'y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2022, p. 19
Que savons-nous des
textes dont nous ne savons rien ? De quelle manière sommes-nous les héritiers à la fois des histoires qu'on a lues et de celles qu'on ne nous a pas racontées ?
- Il n'y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2022, p. 29
Nous sommes pour toujours les enfants de nos parents, des mondes qu'ils ont construits et des univers détruits qu'ils ont pleurés, des deuils qu'ils ont eu à faire et des espoirs qu'ils ont placés dans les noms qu'ils nous ont donnés.
- Il n'y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2022, p. 31
Mais nous sommes aussi, et pour toujours, les enfants des livres que nous avons lus, les fils et les filles des textes qui nous ont construits, de leurs mots et de leurs silences.
- Il n'y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2022, p. 31
Tu le sais bien, toi aussi : parfois, on est les enfants de nos parents biologiques ou adoptifs...Mais on est toujours ceux de nos bibliothèques, les fils et les filles des histoires qu'on a lues ou entendues. On est tous conçus par procréation littérairement assistée.
- Il n'y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, éd. Grasset, 2022, p. 79