Gilbert Simondon

philosophe français du XXe siècle, spécialiste de la théorie de l'information, de philosophie de la technique, de psychologie et d'épistémologie

Gilbert Simondon, né le 2 octobre 1924 à Saint-Étienne et mort le 7 février 1989 à Palaiseau, est un philosophe français du XXe siècle. Il est spécialiste de la théorie de l'information, de philosophie de la technique, de psychologie et d'épistémologie. Il est connu pour ses deux thèses, Du mode d'existence des objets techniques et L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information. Le reste de son œuvre consiste en de nombreux articles, cours et conférences.

Du mode d'existence des objets techniques (MEOT), 1958 modifier

L’aliénation est la rupture entre fond et forme dans la vie psychique : le milieu associé n’effectue plus la régulation du dynamisme des formes.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 73


La collectivisation des moyens de production ne peut opérer une réduction de l’aliénation par elle-même ; elle ne peut l’opérer que si elle est la condition préalable de l’acquisition par l’individu humain de l’intelligence de l’objet technique individué.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 166


Un contenu introduit dans la mémoire humaine va se poser et prendre forme sur les contenus antérieurs : le vivant est ce en quoi l’a posteriori devient a priori ; la mémoire est la fonction par laquelle des a posteriori deviennent des a priori.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 172


On peut affirmer en ce sens que la naissance d’une philosophie technique au niveau des ensembles n’est possible que par l’étude approfondie des régulations, c’est-à-dire de l’information. Les véritables ensembles techniques ne sont pas ceux qui utilisent des individus techniques, mais ceux qui sont un tissu d’individus techniques en relation d’interconnexion. Toute philosophie des techniques qui part de la réalité des ensembles utilisant les individus techniques sans les mettre en relation d’information reste une philosophie de la puissance humaine à travers les techniques, non une philosophie des techniques.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 176


On pourrait nommer philosophie autocratique des techniques celle qui prend l’ensemble technique comme un lieu où l’on utilise les machines pour obtenir de la puissance. La machine est seulement un moyen; la fin est la conquête de la nature, la domestication des forces naturelles au moyen d’un premier asservissement : la machine est un esclave qui sert à faire d’autres esclaves. Une pareille inspiration dominatrice et esclavagiste peut se rencontrer avec une requête de liberté pour l’homme. Mais il est difficile de se libérer en transférant l’esclavage sur d’autres êtres, hommes, animaux ou machines; régner sur un peuple de machines asservissant le monde entier, c’est encore régner, et tout règne suppose l’acceptation des schèmes d’asservissement.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 176


Nous supposons que la technicité résulte d’un déphasage d’un mode unique, central et originel d’être au monde, le mode magique ; la phase qui équilibre la technicité est le mode d’être religieux. Au point neutre, entre technique et religion, apparaît au moment du dédoublement de l’unité magique primitive la pensée esthétique : elle n’est pas une phase, mais un rappel permanent de la rupture de l’unité du mode d’être magique, et une recherche d’unité future.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 222


L’unité magique primitive est la relation de liaison vitale entre l’homme et le monde, définissant un univers à la fois subjectif et objectif antérieur à toute distinction de l’objet et du sujet, et par conséquent aussi à toute apparition de l’objet séparé. On peut concevoir le mode primitif de relation de l’homme au monde comme antérieur non seulement à l’objectivation du monde, mais même à la ségrégation d’unités objectives dans le champ qui sera le champ objectif. C’est à un univers éprouvé comme milieu que l’homme se trouve lié.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 227


[...]l’étape magique, dans laquelle la médiation n’est encore ni subjectivée ni objectivée, ni fragmentée ni universalisée, et n’est que la plus simple et la plus fondamentale des structurations du milieu d’un vivant : la naissance d’un réseau de points privilégiés d’échange entre l’être et le milieu.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 227


Un lieu privilégié, un lieu qui a du pouvoir, c'est celui qui draine en lui toute la force et l'efficace du domaine qu'il limite ; il résume et contient la force d'un masse compacte de réalité ; il la résume et la gouverne, comme un lieu élevé gouverne et domine une basse contrée ; le pic élevé est seigneur de la montagne, comme la partie la plus impénétrable du bois est ce en quoi réside toute sa réalité. Le monde magique est ainsi fait d'un réseau de lieux et de choses qui ont un pouvoir et sont rattachés aux autres choses et aux autres lieux qui ont aussi un pouvoir.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 228


Chaque point singulier concentre en lui la capacité de commander à une partie du monde qu’il représente particulièrement et dont il traduit la réalité, dans la communication avec l’homme. On pourrait nommer ces point singuliers des points-clefs commandant le rapport homme-monde, de manière réversible, car le monde influence l’homme comme l’homme influence le monde.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 229


Les techniques, après avoir mobilisé et détaché du monde les figures schématiques du monde magique, retournent vers le monde pour s’allier à lui par la coïncidence du ciment et du roc, du câble et de la vallée, du pylône et de la colline ; une nouvelle réticulation, choisie par la technique, s’institue en donnant un privilège à certains lieux du monde, dans une alliance synergique des schèmes techniques et des pouvoirs naturels. Là apparaît l’impression esthétique, dans cet accord et ce dépassement de la technique qui devient à nouveau concrète, insérée, rattachée au monde par les points-clefs les plus remarquables. La médiation entre l’homme et le monde devient elle-même un monde, la structure du monde.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 250


Jusqu’à ce jour, il ne semble pas que les deux réticulations, celle des techniques dans le monde géographique et celle des religions dans le monde humain, soient capables de se rencontrer analogiquement en une relation symbolique réelle. Ce serait seulement ainsi, pourtant, que l’impression esthétique pourrait énoncer la redécouverte de la totalité magique, en indiquant que les forces de la pensée se retrouvent l’une l’autre. L’impression esthétique, commune à la pensée religieuse et à la pensée technique, est le seul pont qui puisse permettre de relier ces deux moitiés de la pensée résultant de l’abandon de la pensée magique.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 251


Généralement, tout travestissement d’objets techniques en objets esthétiques produit l’impression gênante d’un faux, et paraît un mensonge matérialisé.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 254


L’objet technique n’est pas beau dans n’importe quelles circonstances et n’importe où ; il est beau quand il rencontre un lieu singulier et remarquable du monde; la ligne à haute tension est belle quand elle enjambe une vallée, la voiture, quand elle vire, le train, quand il part ou sort du tunnel. L’objet technique est beau quand il a rencontré un fond qui lui convient, dont il peut être la figure propre, c’est-à-dire quand il achève et exprime le monde. L’objet technique peut même être beau par rapport à un objet plus vaste qui lui sert de fond, d’univers en quelque sorte. L’antenne du radar est belle quand elle est vue du pont du navire, surmontant la plus haute superstructure; posée au sol, elle n’est plus qu’un cornet assez grossier, monté sur un pivot; elle était belle comme achèvement structural et fonctionnel de cet ensemble qu’est le navire, mais elle n’est pas belle en elle-même et sans référence à un univers. C'est pourquoi la découverte de la beauté des objets techniques ne peut être laissée à la seule perception : il faut que la fonction de l’objet technique soit comprise et pensée ; autrement dit, il faut une éducation technique pour que la beauté des objets techniques puisse apparaître comme insertion des schèmes techniques dans un univers, aux points-clefs de cet univers.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 255


Ainsi, il y a dans la technique une présence de son contraire, à savoir de la pensée religieuse, apportant au technique le sens d’une certaine perfection, la beauté technique[...]
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 270


Il y a des techniciens et des prêtres, il y a des savants et des hommes d’action : la charge de magie originelle qui permet à ces hommes d’avoir quelque chose en commun et de trouver une manière d’échanger leurs idées réside dans l’intention esthétique. La catégorie du beau est, dans une pensée spécialisée, ce qui annonce que les exigences des pensées complémentaires sont remplies de manière implicite et immanente par l’accomplissement même de la pensée spécialisée; l’impression de beauté ne peut guère surgir au début d’un effort, mais seulement à la fin, parce qu’il faut que cet effort soit d’abord allé dans son propre sens, et qu’il rencontre par surcroît l’accomplissement de ce qu’il ne visait pas et n’était pas; la beauté est gracieuse dans la mesure où elle est accomplissement de ce qu’on ne cherchait pas à accomplir, de ce pour quoi on ne faisait pas directement effort, et qui pourtant était obscurément ressenti comme" un besoin complémentaire, à travers une tendance vers la totalité. La tendance vers la totalité est principe de la recherche esthétique.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 271


L’introduction dans la culture de représentations adéquates aux objets techniques aurait pour conséquence de faire des points-clefs des réseaux techniques des termes de référence réels pour l’ensemble des groupes humains, alors qu’ils ne sont actuellement que pour ceux qui les comprennent, c’est-à-dire pour les techniciens de chaque spécialité ; pour les autres hommes, ils n’ont qu’une valeur pratique, et correspondent à des concepts très confus ; les ensembles techniques s’introduisent dans le monde comme s’ils n’avaient pas droit de cité naturel et humain, alors qu’une montagne, un promontoire, qui ont moins de puissance régulatrice concrète que certains ensembles techniques, sont connus de tous les hommes d’une région et font partie de la représentation du monde.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 301


Nés l’un et l’autre du devenir, exprimant l’un le passé défini qui sert de base et l’autre l’avenir possible qui sert de but, la pensée technique des ensembles et la pensée politico-sociale sont couplées par leurs conditions d’ origine et leurs points d’insertion dans le monde.
  • Du mode d'existence des objets techniques (1958), Gilbert Simondon, éd. Aubier, 2012, p. 314


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