Jacques Perret (écrivain)

écrivain français
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Jacques Perret, né le 8 septembre 1901 à Trappes dans les Yvelines et décédé le 10 décembre 1992 à Paris, est un écrivain français.

Il a mené une vie aventureuse, où se mêlent vie militaire, expéditions lointaines, journalisme et publications de romans.

Le vent dans les voiles, 1948 modifier

Caporal à Madagascar, sergent au Tonkin, deuxième classe au Dahomey, caporal au Sénégal, deuxième classe au Sahara, adjudant-chef à la Marne, lieutenant à Verdun, lieutenant à la Somme, Gaston Le Torch, le jour qu’il fut frappé par la limite d’âge, avait l’âme encore toute fraîche et le corps perclus de mâles expériences, avec deux trous de balles, trois éclats baladeurs, une rotule fêlée, un œil perdu, le pouce gauche coupé, six boutonnières d’armes blanches dans le gras des membres, une cavité au coin du front, comme une cabosse de chapeau melon, sans compter les innombrables horizons cueillis en divers bouges, cantines, souks et mauvais lieux, car, exemplaire soudard, il aimait le vin, la société des filles et le jeu, se montrait tatillon sur l’honneur, tenait ses promesses et craignait Dieu. Sur de tels garnements reposait, jadis, bon gré mal gré, la civilisation. Ils ne pèsent plus guère aujourd’hui sur le destin des peuples, mais il vaut mieux ne pas en perdre la graine, on ne sait jamais, quelque jour venant on pourrait le regretter.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 15, 16


Pourtant il notait ses trouvailles, et le crayon qu’il saisissait gauchement transcrivait avec application sur papier d’écolier d’interminables récits d’abordages, fines manœuvres, combats, évolutions d’escadres, ambassades exotiques, assauts, affaires, captures de galions lestés d’or, sacs de villes opulentes surprises au déclin du jour torride, rançons levées à l’esbrouffe dans la chambre parfumée des gouverneurs indolents, viols haletants au hasard des falbalas en panique, laborieux radoubs dans les criques insalubres, conseils des capitaines dans la buée du scorbut vibrante à l’orée des écoutilles, aiguades pimpantes, grand pavois de pendus, brûlots crépitants.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 19


Ce fut pour Mme Le Torch l’occasion de mesurer approximativement les progrès de ce qu’elle appelait encore la lubie. Elle sourit avec un rien d’inquiétude, et pensa que l’extrême limite se trouvait atteinte. Mais, le soir où, peu après, en embrassant la joue rugueuse de son mari elle y découvrît un gout de sel, Mme Le Torch se demanda s’il n’eût pas été préférable pour la paix du foyer que son mari sentît à plein nez l’absinthe ou la gourgandine.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 24


Et les mauvaises causes ont toujours besoin de circonstances, bien sûr, et dès qu’on parle de circonstances, je commence par me méfier, mais si on me met sous les yeux une belle petite lâcheté, une jolie foirade en couleurs comme celle-là, eh bien, je me soucie des circonstances comme de pets de lapins, parce qu’à partir du moment où on se laisse glisser dans les circonstances je dis qu’il n’y a plus d’honneur ni de société, et qu’on assassine sa mère avec des circonstances.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 30


Gaston pénétra dans le premier bistro venu. C’était un établissement d’assez mauvaise mine, du genre tape-à-l’œil et progressiste, un parvenu du coin tout faraud de son contreplaqué, de son métal brillant et bon marché, de son percolateur à l’italienne et de ses chaises tubulaires. Dès le seuil, il se sentit immergé dans le jus purpurin du néon qui tremblotait aux corniches. Derrière le comptoir, affreux comptoir en laitons rose, il y avait une glace où il vit arriver entre deux piles de soucoupes sa tête de purgatoire barbouillée d’ombres vertes ; il commanda son vin blanc en vitesse.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 50


Le soleil se diluait en reflets de nacre parmi les vapeurs immobiles d’un ciel sans présage. Saisie par le calme plat au moment que, pleine d’ardeur, elle poursuivait un gros vaisseau espagnol, la frégate La Douce flottait bêtement sur une mer mollasse et dérivait au seul gré d’un courant tiède et paresseux qui contribuait beaucoup au découragement de l’équipage frustré de sa proie.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 67


En attendant l’heure du casse-croûte des officiers, Gaston errait en diverses parties du navire et peu à peu discernait les signes d’une activité plus intelligente que méthodique, parmi toutes les apparences du désordre et de la désinvolture. Il semblait que, non seulement les bas officiers ni les maîtres n’eussent jamais besoin d’exhorter au travail, mais que les moindres matelots et les mousses s’appliquassent d’eux-mêmes à l’exacte besogne sans en attendre le commandement. Tel était le génie de La Douce que l’ivresse même ni les grandes crises de cafard ni les vagues de paresse n’arrivaient point à relâcher le minimum d’application requis par la frégate. Lié d’âme et de corps avec elle, chacun vaquait tout naturellement au service du navire, comme s’il eût pris soin de son propre salut.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 99


— J’arrive.
— Ne vous excusez pas. Le tout est d’arriver. Les âmes bien nées n’arrivent jamais trop tard : les événements se retiennent.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 103


La victoire, déclara M. de Bocambis, est vêtue de dentelle blanche à garniture de nacre, ses cheveux ondoient en boucles châtain clair, elle sent le cinnamome et la frangipane, son visage est celui de l’amour, et mon visage est dans ses yeux.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 117


— À la bonne heure ! dit Gaston tout émoustillé, s'il n'y a plus que des ennemis, on ne se trompera pas.
— Le soleil est toujours seul, dit M. Le Torch en levant son verre, et briller est une grosse affaire.
Tournant la tête vers le pavillon de lourd satin, emblème somptueux à peine réglementaire où miroitaient les fleurs de lis en nombre, les cinq hommes firent cul-sec à la santé du Roi, puis le père Élias descendit sur le pont afin d'y accueillir les confessions du dernier quart d'heure.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 118


C’était vraiment la clameur épique, redoutable appareil offensif qui terrorise l’ennemi, engendre l’exploit, et force l’accès de la postérité. Dans ce tumulte, le chœur espagnol se distinguait par un accent plus solennel peut-être et plus farouche aussi, mais, de toute évidence, ceux de La Douce, rompus à ces exercices, avaient pour eux le coffre, le registre, la virtuosité et la foi.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 117


— Je pensais que tout le monde était sur le pont.
— Vous voulez plaisanter ? C’est un temps à garder toute la toile si on voulait, le bateau ne fatigue pas, au contraire.
— Quoi au contraire ?
— Il prend un peu d’amusement.
— N’empêche qu’elle fait un peu eau la frégate, dit Gaston en désignant les hommes de pompe.
— Fait de l’eau ! fait de l’eau ! Bien sûr qu’elle fait l’eau. On ne peut pas l’empêcher de boire un coup, non ? Une frégate comme il faut ne refuse pas l’eau, Monsieur, c’est une politesse qu’en passant elle fait à la mer. Holà ho ! Parez à brasser le petit hunier, les gars !

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 172


— Je ne tiens pas compte des effets ; les effets ne me regardent pas.
— L’Histoire, pourtant…
— Le Roi seul et Dieu me jugeront, chacun dans son royaume et dans son temps.
— J’aime mieux vous dire tout de suite que l’Histoire ne retient pas le combat de La Douce et du Trono.
— C’est une bonne nouvelle. Je ne travaille pas pour les poètes de ce monde.
— Mais songez en revanche que l’Histoire peut ne retenir qu’un seul de vos gestes et l’illustrer dans toute sa noirceur apparente.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 200


Il se tenait debout, entre le novice attaché à la barre, et la silhouette plus claire du père Élias qui, simplement, avait l’air d’attendre, un air d’attendre admirable ; sa posture n’était pas celle de l’indifférence, ni de l’abandon, ni de la superbe, mais la posture extraordinairement placide et résolue d’un homme qui, ne sachant pas trop ce qu’il va quitter, sait fort bien, et de longue date, ce qui l’attend.

  • Le vent dans les voiles (1948), Jacques Perret, éd. éditions du Rocher, 2006  (ISBN 978-2-268-05827-6), p. 249


Rôle de plaisance, 1957 modifier

Le cinéma, le magazine et la radio ont répandu une espèce de facilité pathétique, et le sens du drame en est sottement vulgarisé. C'est peut-être un phénomène de démocratisation qui fait les héros à meilleur compte et les tempêtes promues sans frais.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 38


Détrompez-vous : les employés du Bureau des Longitudes ont un goût très vif pour l'indéterminé.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 59


Tout cela impliquait un certain nombre de corrections, mais le navigateur n'en est pas à une près. Naviguer, c'est corriger.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 61


Tel est le pouvoir exorbitant de la navigation à voile que plus nous inquiètent les mesures du monde et plus nous captive le sentiment d'y échapper.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 62


Dans notre civilisation, la demi-clef et le nœud plat ont rendu autant de services que le levier d'Archimède, et certainement plus, à cette heure, que la vapeur ou la soudure autogène.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 139


Je répète que si la technique nous dispense de faire le point, de sonder, de pomper, d'épisser, de calfater, de ramer, que sais-je encore, elle arrivera bien à nous offrir des ouragans climatisés, à régler le tribord amure sur œil électronique, à enregistrer les caps sur microsillage, à nous ôter enfin la barre des mains pour nous satisfaire d'une plaisance téléguidée. C'est alors qu'un esprit hardi réinventera la navigation à voile.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 144


Derrière cette planche de trois centimètres, il y a toute la mer qui bat, la mer informe et stupide, exaspérée contre le réchaud à alcool, les pipes, la lampe à pétrole, le tire-bouchon, tout notre petit bazar de vadrouilleur sentimental, tout le mirifique chargement d'une plaisance effrontée qui fait sa planque au milieu du chaos.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 252


La rose engourdie dans le sommeil magnétique avait sans doute le réveil pâteux. Les instructions cardinales se firent attendre.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 279


L'œil fixé sur le compas, je m'appliquais à tenir une route rigoureuse; quand un plan est douteux, les scrupules d'exécution rassurent.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 356


— Cinq éclats, vous dites ?

— Oui, cinq éclats. Les traces de Dieu sont partout dans le monde, mais il faut regarder pour les voir.
— De quoi ?
— C'est dans le livre au paragraphe des Casquets.

   L'Almanach du marin Breton est une publication bien-pensante. Il aide à naviguer chrétiennement, le doigt de Dieu est dans les phares, la Providence veille sur les marées et la bonne parole mugit dans les signaux de brume, avec un fort accent émerpé dont il serait imprudent de ne pas tenir compte pour corriger ses alignements.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 323


Mieux valait nous en tenir à l'explication traditionnelle : en mer, le jour éloigne les objets et la nuit les rapproche. Comme dit le matelot, on ne peut donc se fier ni au jour ni à la nuit et la côte n'est jamais à sa place.
  • Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1975, p. 363


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