John Steinbeck

écrivain américain

John Ernest Steinbeck III (27 février 1902 à Salinas - 20 décembre 1968 à New York) est un écrivain américain du milieu du XXe siècle.

John Steinbeck en 1966.

Et quand, sur la berge sablonneuse de la Salinas dormante, se défait, par un sacrifice atroce et magnifique, l'aventure de Lennie, l'innocent qui aima tant caresser les peaux des souris, les poils des chiots et les cheveux brillants des femmes, une admiration profonde et stupéfaite se lève pour l'auteur qui, en si peu de pages, avec des mots si simples et sans rien expliquer, a fait vivre loin, si profondément et si fort.

  • Des souris et des hommes (1937), John Steinbeck (trad. Maurice-Edgar Coindreau), éd. Gallimard, coll. « Folio », 2007  (ISBN 978-2-07-036037-6), p. 9


— Seulement, faudra pas t'attirer d'histoire, parce que, dans ce cas, j'te laisserai pas soigner les lapins.
Il lança sa boite vide dans les buissons.
— Non, j'm'attirerai pas d'histoire, George. J'dirai pas un mot.
— Très bien. Apporte ton ballot ici, près du feu. On sera bien ici pour dormir. Les yeux en l'air, et les feuilles. Ranime pas le feu. On va le laisser tomber.
Ils firent leur lit sur le sable, et, à mesure que les flammes baissaient, le cercle de lumière se rétrécissait. Les branches sinueuses disparurent, et il n'y eut plus qu'une lueur pâle pour révéler où se trouvaient les troncs des arbres. Lennie appela dans les ténèbres :
— George... tu dors ?
— Non. Qu'est-ce que tu veux ?
— Faudra avoir des lapins de couleur différente, George.
— Oui, bien sûr, dit George somnolent. On en aura des rouges, des verts et puis des bleus, Lennie. On en aura des millions.

  • Des souris et des hommes (1937), John Steinbeck (trad. Maurice-Edgar Coindreau), éd. Gallimard, coll. « Folio », 2007  (ISBN 978-2-07-036037-6), p. 46


— Allons, dit Lennie, comment que ça sera ? On aura une petite ferme.
— On aura une vache, dit George. Et on aura peut-être bien un cochon et des poulets... et, dans le champ... un carré de luzerne...
— Pour les lapins, hurla Lennie.
— Pour les lapins, répéta George.
— Et c'est moi qui soignerai les lapins.
— Et c'est toi qui soigneras les lapins.
Lennie gloussa de bonheur.
— Et on vivra comme des rentiers.
— Oui.

  • Des souris et des hommes (1937), John Steinbeck (trad. Maurice-Edgar Coindreau), éd. Gallimard, coll. « Folio », 2007  (ISBN 978-2-07-036037-6), p. 172, 173


Craignez le temps où l’Humanité refusera de souffrir, de mourir pour une idée, car cette seule qualité est le fondement de l’homme même, et cette qualité seule est l’homme, distinct dans tout l’univers.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XIV, p. 210


Comment vivre sans nos vies? Comment pourrons-nous savoir que c'est nous, sans notre passé?
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. IX, p. 126


On est bien dans un pays libre, tout de même. Eh bien tâchez d'en trouver, de la liberté. Comme dit l'autre, ta liberté dépend du fric que t'as pour la payer.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XII, p. 170


- Ça va, dit Tom, et toi, Grand-père, comment que tu te sens? - Plein de pisse et de vinaigre, répondit Grand-père.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. VIII, p. 113


Je ne prierai pas pour un vieux qu'est mort. Il a eu ce qui lui faut. Il a un ouvrage à faire, mais c'est tout préparé pour lui et il y a pas deux façons de le faire. Mais nous, on a aussi un ouvrage à faire et il y a mille manières de le faire, et nous ne savons pas laquelle employer. Et si devais prier, ce serait pour ceux qui ne savent pas de quel côté se tourner.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XIII, p. 202


Vous qui n'aimez pas les changements et craignez les révolutions, séparez ces deux hommes accroupis ; faites-les se haïr, se craindre, se soupçonner. Voilà le germe de ce que vous craignez. Voilà le zygote. Car le « J'ai perdu ma terre » a changé ; une cellule s'est partagée en deux et de ce partage naît la chose que vous haïssez : « Nous avons perdu notre terre ». C'est là qu'est le danger, car deux hommes ne sont pas si solitaires, si désemparés qu'un seul. Et de ce premier « nous » naît une chose encore plus redoutable : « J'ai encore un peu à manger » plus « Je n'ai rien ». Si ce problème se résout par « Nous avons assez à manger » la chose est en route, le mouvement a une direction.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XIV, p. 211


Comment faire peur à un homme quand son ventre crie famine, quand la faim tord les entrailles de ses petits ? Rien ne peut plus lui faire peur ― il a connu la pire des peurs.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XIX, p. 333


Prions Dieu qu'un jour les braves gens ne soient plus tous pauvres. Prions Dieu qu'un jour les gosses aient de quoi manger.

Et les Associations de Propriétaires savaient qu'un jour les prières cesseraient.

Et que ce serait la fin.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XIX, p. 336


― Je deviens mauvais, dit-il. Je sens que le péché recommence à me tracasser.

― Tu ne peux pas commettre de péchés, dit Pa, t'en as pas les moyens. T'es bien assis là où tu es, alors tiens-toi tranquille. Un péché revient au moins à deux dollars, et à nous tous nous ne les avons pas. ― Oui, mais j'ai des pensées de péché. ― Tu peux pécher en pensée, ça ne coûte rien. ― C'est tout aussi mal, dit l'oncle John.

― C'est bougrement plus économique, dit Pa.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XXVI, p. 506


Ça fait des jours et des nuits que je suis là caché tout seul. Devine un peu à quoi je pensais ? A Casy ! Il causait tout le temps. Ça me tracassait, je me rappelle. Mais là j'ai réfléchi à ce qu'il disait, et je me le suis rappelé... tout. Il disait qu'une fois il était allé dans le désert pour tâcher de trouver son âme, et qu'il avait découvert qu'il n'avait pas d'âme à lui tout seul. Il disait qu'il avait découvert que tout ce qu'il avait, c'était un petit bout d'une grande âme. Disait que le désert et la solitude, ça ne rimait à rien, à cause que ce petit bout d'âme c'était zéro s'il ne faisait pas partie du reste, s'il ne formait pas un tout. Drôle que j'aie souvenance de tout ça. J'me rendais même pas compte que je l'écoutais. Maintenant je sais qu'on ne peut arriver à rien tout seul.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XXVIII, p. 588


Je serai toujours là, partout, dans l'ombre. Partout où tu porteras les yeux. Partout où y aura une bagarre pour que les gens puissent avoir à manger, je serai là. Partout où y aura un flic en train de passer un type à tabac, je serai là. Si c'est comme Casy le sentait, eh ben dans les cris des gens qui se mettent en colère parce qu'ils n'ont rien dans le ventre, je serai là, et dans les rires des mioches qu'ont faim et qui savent que la soupe les attend, je serai là. Et quand les nôtres auront sur leurs tables ce qu'ils auront planté et récolté, quand ils habiteront dans les maisons qu'ils auront construites... eh ben, je serai là. Comprends-tu ?
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XXVIII, p. 590


Dans la grange pleine de chuchotements et de murmures, Rose de Saron resta un instant immobile. Puis elle se remit péniblement debout, serrant le châle autour de ses épaules. Lentement, elle gagna le coin de la grange et se tint plantée devant l'étranger, considérant la face ravagée, les grands yeux angoissés. Et lentement elle s'étendit près de lui. Il secoua faiblement la tête. Rose de Saron écarta le coin du châle, découvrant un sein. "Si, il le faut", dit-elle. Elle se pressa contre lui et attira sa tête vers elle. "Là ! là." Sa main glissa derrière le tête et la soutint. Ses doigts caressaient doucement les cheveux de l'homme. Elle leva les yeux, puis les baissa et regarda autour d'elle, dans l'ombre de la grange. Alors ses lèvres se rejoignirent dans un mystérieux sourire.
  • Les Raisins de la colère (1939), John Steinbeck (trad. Marcel Duhamel et M.-E. Coindreau), éd. Gallimard, 1947  (ISBN 978-2-07-026070-6), chap. XXX, p. 632


Première partie

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Chapitre VII

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   — La notion de temps passé est une chose étrange et parfois contradictoire. Il serait raisonnable de supposer que des années passées dans la routine ou que nul événement n'a égayées paraissent interminables. Il devrait en être ainsi, mais cela n'est pas. Ce sont les années mornes qui ne laissent pas de traces. Une période d'action où s'inscrivent les blessures du drame ou les craquelures de la joie, laissent une impression de temps dans la mémoire, car il faut du temps pour se remémorer ce qui a marqué cette période. Les événements servent de points de repère pour la mémoire. D'un point à l'autre, il y a du temps passé. De rien à rien, il n'y a qu'un espace vide.


Chapitre VIII

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   — Dans toutes ces tragédies de petite envergure, le temps agit comme un chiffon mouillé sur une aquarelle. Les traits s'émoussent, la douleur s'évanouit, les couleurs se mélangent et les lignes jadis distinctes ne forment plus qu'une masse grise.


Deuxième partie

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Chapitre XV

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   — Le péché est chose curieuse, observa Samuel. Si un homme devait se dépouiller de tout ce qu'il possède, je crois qu'il ferait en sorte de conserver quelques petits péchés pour son propre tourment. Ce sont les dernières choses que nous abandonnons.


Chapitre XVIII

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   — Il y a un meurtrier en chacun de nous, dit le shérif. Trouvez la détente et le coup partira.


Chapitre XXII

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— On ne peut pas faire un cheval de course d'un porc.
— Non, répondit Samuel, mais on peut en faire un porc de course.


Une vérité incroyable peut faire plus de mal qu'un mensonge.


Certaines gens croient que c'est insulter la splendeur de leur maladie que d'aller mieux.


   — Chaque enfant croit inventer le péché. Nous croyons que l'on nous enseigne la vertu et que le péché naît en nous.


Troisième partie

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Chapitre XXIV

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   — Prenez-vous plaisir à souffrir ? demanda Samuel. Vous voyez-vous grand et tragique?
   — Je ne sais pas.
   — Pensez-y. Peut-être jouez-vous un rôle sur une grande scène devant une salle vide.


J'ai remarqué qu'il n'y avait pas de pire insatisfaction que celle du riche. Gavez un homme, cousez d'or ses vêtements, installez-le dans un palais, et il mourra de désespoir.


Chapitre XXVI

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   Il doit y avoir dans le cerveau humain un crible caché qui tamise, laisse passer ou retient les pensées, et ceci bien souvent à l'insu de l'homme. Il n'est pas rare de s'endormir en proie à un malaise indéfinissable et de se réveiller le lendemain matin, frais et dispos, dans un monde clair, accueillant, débarrassé de ses impuretés par le travail de la nuit. La joie bouillonne dans le sang, la poitrine se gonfle, une ivresse électrique parcourt les nerfs, et pourtant rien depuis la veille n'a changé pour justifier cette exaltation.


Quatrième partie

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Chapitre XXXIV

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   Sous sa carapace de lâcheté, l'homme aspire à la bonté et veut être aimé. S'il prend le chemin du vice, c'est qu'il a cru prendre un raccourci qui le mènerait à l'amour. Lorsqu'un homme arrive au moment suprême, peu importe son talent, son pouvoir ou son génie, s'il meurt haï, sa vie est une faillite et sa mort une froide horreur. Il me semble que vous et moi, au moment de choisir entre deux voies, devons toujours penser à notre fin et vivre pour que notre mort ne fasse plaisir à personne.
   Nous n'avons qu'une histoire. Tous les romans, tous les poèmes, sont bâtis sur la lutte incessante que se livrent en nous-mêmes le bien et le mal. Le mal doit être constamment ressuscité, alors que le bien, alors que la vertu sont immortels. Le vice offre toujours un visage frais et jeune alors que la vertu est plus vénérable que tout au monde.


Chapitre XXXV

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[...] il n'y a rien de plus triste qu'une amitié qui ne tient plus que par la colle des timbres-poste. Quand on ne veut plus voir, entendre, ou toucher un homme, il vaut mieux rompre les amarres.


Chapitre XXXVIII

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On ne peut comprendre les gens que si on les sent en soi-même.


Chapitre XLIX

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La notion de seconde prend de plus en plus d'importance dans les activités humaines et bientôt ce sera un dixième de seconde, puis un centième, jusqu'au jour — je ne crois pas qu'il vienne — où l'homme dira : « Et puis, après tout, qu'est-ce qu'une heure dans la vie d'un homme ? » Mais cette préoccupation de la fraction de seconde n'est pas ridicule. Un fait qui se produit trop tard ou trop tôt peut dérégler le mécanisme moderne et les perturbations se propagent comme des ronds dans une flaque où l'on a jeté une pierre.


 
Signature

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