Ce livre raconte les tribulations du narrateur, hussard englué dans les guerillas de l’Espagne occupée par Napoléon.
Huit jours après […], la péninsule flambait de révolte. Autant d’habitants, autant de guerriers. On n’avait jamais vu ça nulle part. Jamais gîtes d’étapes aussi peu sûrs, jamais bivouacs plus harcelés à l’improviste, jamais une marche sans surprise.
Et pas une femme dans les villages.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 15
Pour eux, nous étions de sales mécréants. Leur clergé fulminait contre nous en nous traitant de pesteux intouchables, pourris d’avance, promis aux derniers châtiments de l’enfer.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 38
Quant aux vrais [mendiants], leurs pouilleux, enveloppés de débris de hardes, glaireux à la porte des églises, au pied des porches des maisons, dans les rencoignures, sur les places, agglomérés aux bons endroits, les aumônes redoublaient à leur adresse comme s’ils détenaient le secret du ciel à notre encontre.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 39
Nous remîmes nos dépêches à Tolède. Une ville frappante de caractère. Hautaine, défendue, rébarbative, creusée dans le roc, à pic au-dessus des eaux du Tage qui l’environnent sur trois côtés, en ayant même l’air de l’entailler, tellement ses ravins sont raides et durs.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 47
Comme ils se prenaient pour le peuple invincible par excellence, et comme ils l’étaient vraiment depuis des siècles, aucun revers ne les affectait. Ils étaient au-dessus de toi par principe et, au moindre appel, ils se regroupaient. Nous commencions par entrevoir que, pour avoir le dessus, il ne suffirait pas de tuer du monde, il faudrait abattre leur superbe. Et l’entreprise nous mènerait loin.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 49
Rien de si imbattable qu’une idée. Cela se refuse au garde-à-vous. C’est bien plus terrible que des hommes. Cela se nourrit de ses propres blessures.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 49
- Tous les chevaux peuvent se ramener.
- Il est trop chatouilleux à l’éperon.
- S’il est raminge c’est de ta faute. Il est sensible, il faut le conduire au chatouillé. Etdes s’il se brouille, c’est que tu le mêles.
- C’est un toquard, concluait le chef.
- Bah ! des âneries, disait Briseganache. Tu ne sais rien obtenir d’une bête de sang. Tu n’as pas d’action de la main, tu roules, tu vacilles, tu la rebutes. Veux-tu que je te dise : il n’a que deux défauts, il rase le tapis en galopant et il s’encapuchonne. Il faut un peu le scier du bridon. Redonne-le moi, je vais l’unir.
- Conversation entre deux hussards englués dans les guerillas de l’Espagne occupée par Napoléon.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 90
Le plus dur, ça n’a pas été de se battre, le plus dur a été d’abord la capitulation, au lever du jour, en juillet, tambour battant. Nous défilions entre deux haies de troupes ennemies que des milliers de gens menaçaient de rompre. Toute la population du pays, accourue de fureur, s’égosillait conte nous en brandissant des poignards, sinistres à voir luire en blanc d’acier dans leurs mains sèches, sales, noiraudes. Vous ne pouvez vous représenter la violence et les saillies de ces gens du Sud, ces physionomies de femmes boucannées, vêtues d’oripaux de couleurs criardes, ou plutôt à moitié nues, avec des plaies dans les bras, des poux dans les cheveux, des carapaces de crasse autour des jambes, et avec des pieds qui n’étaient plus que des tas de poussière. Ces bras frénétiques gesticulant, ces poings crispés, doigts crochus, bouches grandes ouvertes, bestiales et comme saignantes de haine, ces cous renversés, ces airs impudiques et sataniques !
Si vous les aviez entendues :
- Excréments de la chrétienté. Infâmes damnés. A mort les Français ! Que le feu du ciel vous extermine ! Que vos entrailles sèchent au soleil ! On vous arrachera les génitoires. On vous les fera manger dans le sang.
Et des chieries à pleine gueule.
- Après la bataille dite de Baylen (Bailén)
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 111-112
Toutes les maisons des environs ayant été abattues ou brûlées par eux pour faire le vide, ainsi que les murettes des jardins, les vignes et les oliviers déracinés sans regret par leurs propres propriétaires, tu t’amenais sur eux à découvert et la mort te venait tu ne savais d’où.
Leurs femmes les aidaient en première ligne. Elles portaient de l’eau et des victuailles, laissant aux gamins les sacs de cartouches que les moines fabriquaient sans débrider avec le salpêtre tiré des caves, tout en continuant de sonner les cloches, d’aider aux hospices et aux moulins, quand ce n’était pas à la batterie, crucifix en l’air, tel une masse d’arme.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 141
Le corps à corps fou furieux du combat de rues, femmes et enfants au premier rang, guet-apens à chaque maison, coup de feu à chaque trou, mines sous chaque porte, assommoir des démolitions qui s’écrasent sur votre figure, insoutenable présence des cadavres qui s’accumulent, hache, pique, boulet, mitraille à bout portant, ruelles bloquées, maisons percées à la sape, cris d’appel mensongers, mêlées de groupes de dix et de groupes de cent, guerre individuelle du blessé contre sa propre mort à travers cette accumulation de catastrophes, recommencèrent de nouveau pour durer sans arrêts pendant trois semaines.
Guerrillas 1808, Joseph Jolinon, éd. Charlot, 1942, p. 151
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