Laurent Gaudé

écrivain français

Laurent Gaudé, né le 6 juillet 1972 dans le 14e arrondissement de Paris, est un écrivain français, qui a obtenu le prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires avec La Mort du roi Tsongor en 2002, puis le prix Goncourt pour son roman Le Soleil des Scorta, en 2004.

Laurent Gaudé
Laurent Gaudé

La mort du roi Tsongor, 2002

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Souvenez-vous de cette nuit où tout aurait pu s'arrêter et priez pour que nous n'ayons jamais à regretter sa douceur de myrte.
  • La Mort du roi Tsongor (2002), Laurent Gaudé, éd. Magnard, 2017, p. 94


Il n'y a pas de gloire à mener les siens au trépas.
  • La Mort du roi Tsongor (2002), Laurent Gaudé, éd. Magnard, 2017, p. 139


Tous les guerriers purent voir le visage de celle pour qui ils mourraient depuis si longtemps. Elle était belle. Elle prit la parole, et le sable de la plaine se souvient encore de ses paroles.
  • La Mort du roi Tsongor (2002), Laurent Gaudé, éd. Magnard, 2017, p. 149


Samilia avait quitté Massaba. [...] Au début, c'est pour elle qu'ils avaient commencé la guerre. Mais dès le premier mort, dès le premier homme à venger, elle n'avait plus été l'enjeu des combats. Le sang appelait le sang et les prétendants avaient fini par l'oublier. Personne n'était à sa poursuite que le vent des collines.
  • La Mort du roi Tsongor (2002), Laurent Gaudé, éd. Magnard, 2017, p. 159


Le soleil des Scorta, 2004

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Luciano pénétra chez les Biscotti. Cela allait lui coûter la vie. Il le savait. Il savait que lorsqu'il sortirait de cette maison, les gens seraient à nouveau dans les rues, la vie aurait repris, avec ses lois et ses combats, et il devrait payer. Il savait qu'on le reconnaîtrait. Et qu'on le tuerait.


Durant un mois entier, don Giorgio refusa d'assurer les offices. Il n'y eut ni messe, ni communion, ni confession. « Le jour où il y aura des chrétiens dans ce patelin, je ferai mon devoir », disait-il.


Korni. C'est lui qui nous sauva de la misère qui nous rongeait la vie. Il est mort avant que nous arrivions en Angleterre. Il mourut une nuit où le roulis était doux. Au moment où il se sentit partir, il m'appela à ses côtés et me tendit un petit chiffon fermé d'une cordelette. Il prononça une phrase que je ne compris pas, puis renversant sa tête sur sa couche, les yeux ouverts, il se mit à prier, en latin. J'ai prié avec lui, jusqu'au moment où la mort lui a volé son dernier souffle.
Dans le chiffon, il y avait huit pièces d'or et un petit crucifix en argent. C'est cet argent qui nous a sauvés.


Qu'il s'agisse d'un commerce, d'un champ ou d'une barque, il existe un lien obscur entre l'homme et son outil, fait de respect et de haine. On en prend soin. On l'entoure de mille attentions et on l'insulte dans ses nuits. Il vous use. Il vous casse en deux. Il vous vole vos dimanches et votre vie de famille, mais pour rien au monde on ne s'en séparerait. Il en était ainsi du bureau de tabac et des Scorta. Ils le maudissaient et le vénéraient tout à la fois, comme on vénère qui vous fait manger et comme on maudit qui vous fait vieillir prématurément.


Nous l'aimons trop, cette terre. Elle n'offre rien, elle est plus pauvre que nous mais, lorsque le soleil la chauffe, aucun d'entre nous ne peut la quitter. Nous sommes nés du soleil, Elia. Sa chaleur, nous l'avons en nous. D'aussi loin que nos corps se souviennent, il était là, réchauffant nos peaux de nourrissons. Et nous ne cessons de le manger, de le croquer à pleines dents. Il est là, dans les fruits que nous mangeons. Les pêches. les olives. Les oranges. C'est son parfum. Avec l'huile que nous buvons, il coule dans nos gorges. Il est en nous. Nous sommes les mangeurs de soleil. Je savais que tu ne partirais pas.


Non, Peppe, dit-il à son frère, tu as raison. Qui peut se vanter d'avoir connu pareil bonheur ? Nous ne sommes pas si nombreux. Et pourquoi faudrait-il le mépriser ? Parce que nous mangeons ? Parce que ça sentait la friture et que nos chemises étaient mouchetées de sauce tomate ? Heureux celui qui a connu ces repas-là. Nous étions ensemble. Nous avons mangé, discuté, crié, ri et bu comme des hommes. Côte à côte. C'étaient des instants précieux, Peppe. Tu as raison. Et je donnerais cher pour en connaître à nouveau la saveur. Entendre à nouveau vos rires puissants dans l'odeur du laurier grillé.


J'ai ruiné mes frères. C'est moi, don Salvatore, c'est moi qui les ai empêchés d'avoir la vie à laquelle ils rêvaient. C'est moi qui les ai obligés à quitter l'Amérique où ils auraient fait fortune. C'est moi qui les ai attirés à nouveau vers ces terres du Sud qui n'offrent rien. Cette dette-là je n'avais pas le droit de l'oublier. Pas même pour mes enfants.
Domenico, Giuseppe et Raffaele, j'ai aimé ces hommes-là. Je suis une sœur, don Salvatore. Mais une sœur qui ne fut, pour ses frères, que le visage laid de la malchance.


Vous lui direz, don Salvatore, qu'il n'est pas absurde d'affirmer que sa grand-mère était la fille d'un vieux Polonais du nom de Korni. Vous lui direz que nous avons décidé d'être les Scorta et de nous serrer les uns contre les autres autour de ce nom pour nous tenir chaud.


Il ne parvenait pas à établir la liste exhaustive de tout ce qu'il tenait d'eux. Des paroles. Des gestes. Des valeurs aussi. Il s'en rendait compte maintenant qu'il était père et que sa grande fille le gourmandait parfois pour ses tournures de pensée qu'elle qualifiait d'archaïques. Le silence sur l'argent, la parole donnée. L'hospitalité. Et la rancune tenace. Tout cela venait de ses oncles. Il le savait.


Elia marqua un temps de silence. Il aimait, chez son curé, cette façon de ne pas tenter de simplifier les problèmes ou de leur donner un aspect positif. Beaucoup de gens d'Église ont ce défaut. Ils vendent à leurs ouailles le paradis, ce qui les poussent à des discours niais de réconfort bon marché. Don Salvatore, non. À croire que sa foi ne lui était d'aucun réconfort.
Je me demandais justement, reprit le curé, avant que tu n'arrives, Elia, qu'est devenu ce village. C'est le même problème. À une autre échelle. Dis-moi, qu'est devenu Montepuccio ?
— Un sac d'argent sur un tas de cailloux, dit amèrement Elia.
— Oui. l'argent les a rendus fous. Le désir d'en avoir. La peur d'en manquer. L'argent est leur seule obsession.
— Peut-être, ajouta Elia, mais il faut reconnaître que les Montepucciens ne crèvent plus de faim. Les enfants n'ont plus la malaria et toutes les maisons ont l'eau courante.
— Oui, dit don Salvatore. Nous nous sommes enrichis, mais qui mesurera un jour l'appauvrissement qui est allé de pair avec cette évolution ? La vie du village est pauvre. ces crétins ne s'en sont pas aperçus.

  • Le soleil des Scorta (2004), Laurent Gaudé, éd. le Figaro, 2022  (ISBN 978-2-8105-0957-7), p. 244, 245


Elia se signa. Embrassa la médaille de la Madone qu'il avait au cou et que sa mère lui avait offerte. Sa place était ici. Oui. Il n'y avait pas de doute à cela. Sa place était ici. Il ne pouvait en être autrement. Devant le tabac. Il repensa à l'éternité de ces gestes, de ces prières, de ces espoirs et y trouva un profond réconfort. Il avait été un homme, pensa-t-il. Juste un homme. Et tout était bien. Don Salvatore avait raison. Les hommes, comme les olives, sous le soleil de Montepuccio, étaient éternels.


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