Les Travailleurs de la mer

œuvre de Victor Hugo

Les Travailleurs de la mer est un roman de Victor Hugo écrit à Hauteville House durant l'exil du poète dans l'île anglo-normande de Guernesey et publié en 1866. Dans l'édition de 1883, Victor Hugo adjoint une présentation de 80 pages à son roman, une « ode à la mer » intitulée « L'Archipel de la Manche ».

Citations modifier

On contemplait la mer, on écoutait le vent, on se sentait gagner par l’assoupissement de l’extase. Quand les yeux sont remplis d’un excès de beauté et de lumière, c’est une volupté de les fermer. Tout à coup on se réveillait. Il était trop tard. La marée avait grossi peu à peu. L’eau enveloppait le rocher.
On était perdu. Redoutable blocus que celui-ci : la mer montante. La marée croît insensiblement d’abord, puis violemment. Arrivée aux rochers, la colère la prend, elle écume.


Or si jamais un rêve avait été impraticable et insensé, c’était celui-ci : sauver la machine échouée sur les Douvres. Envoyer travailler sur ces roches un navire et un équipage serait absurde ; il n’y fallait pas songer. C’était la saison des coups de mer ; à la première bourrasque les chaînes des ancres seraient sciées par les crêtes sous-marines des brisants, et le navire se fracasserait à l’écueil. Ce serait envoyer un deuxième naufrage au secours du premier. Dans l’espèce de trou du plateau supérieur où s’était abrité le naufragé légendaire mort de faim, il y avait à peine place pour un homme. Il faudrait donc que, pour sauver cette machine, un homme allât aux rochers Douvres, et qu’il y allât seul, seul dans cette mer, seul dans ce désert, seul à cinq lieues de la côte, seul dans cette épouvante, seul des semaines entières, seul devant le prévu et l’imprévu, sans ravitaillement dans les angoisses du dénûment, sans secours dans les incidents de la détresse, sans autre trace humaine que celle de l’ancien naufragé expiré de misère là, sans autre compagnon que ce mort. Et comment s’y prendrait-il d’ailleurs pour sauver cette machine ? Il faudrait qu’il fût non seulement matelot, mais forgeron. Et à travers quelles épreuves ! L’homme qui tenterait cela serait plus qu’un héros. Ce serait un fou.


Gilliatt monta sur la grande Douvre. […].

L’ouest était surprenant. Il en sortait une muraille. Une grande muraille de nuée, barrant de part en part l’étendue, montait lentement de l’horizon vers le zénith. Cette muraille, rectiligne, verticale, sans une crevasse dans sa hauteur, sans une déchirure à son arête, paraissait bâtie à l’équerre et tirée au cordeau. C’était du nuage ressemblant à du granit. […]. Cette muraille de l’air montait tout d’une pièce en silence. Pas une ondulation, pas un plissement, pas une saillie qui se déformât ou se déplaçât. Cette immobilité en mouvement était lugubre. Le soleil, blême derrière on ne sait quelle transparence malsaine, éclairait ce linéament d’apocalypse. La nuée envahissait déjà près de la moitié de l’espace. On eût dit l’effrayant talus de l’abîme.

C’était quelque chose comme le lever d’une montagne d’ombre entre la terre et le ciel. C’était en plein jour l’ascension de la nuit. […]. Le ciel, qui de bleu était devenu blanc, était de blanc devenu gris. […]. Pas un souffle, pas un flot, pas un bruit. […]. Les oiseaux s’étaient cachés. On sentait de la trahison dans l’infini. Le grossissement de toute cette ombre s’amplifiait insensiblement. La montagne mouvante de vapeurs qui se dirigeait vers les Douvres était un de ces nuages qu’on pourrait appeler les nuages de combat. Nuages louches. à travers ces entassements obscurs, on ne sait quel strabisme vous regarde. Cette approche était terrible.


Pour croire à la pieuvre, il faut l’avoir vue. Comparées à la pieuvre, les vieilles hydres font sourire. […]. Orphée, Homère et Hésiode n’ont pu faire que la Chimère ; Dieu a fait la pieuvre. Quand Dieu veut, il excelle dans l’exécrable. Le pourquoi de cette volonté est l’effroi du penseur religieux. Tous les idéals étant admis, si l’épouvante est un but, la pieuvre est un chef-d’œuvre.


La pieuvre n’a pas de masse musculaire, pas de cri menaçant, pas de cuirasse, pas de corne, pas de dard, pas de pince, pas de queue prenante ou contondante, pas d’ailerons tranchants, pas d’ailerons onglés, pas d’épines, pas d’épée, pas de décharge électrique, pas de virus, pas de venin, pas de griffes, pas de bec, pas de dents. La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée. Qu’est-ce donc que la pieuvre ? C’est la ventouse.


Gilliatt avait silencieusement accosté les Bravées, et avait amarré la panse à l’anneau de la durande sous la fenêtre de mess Lethierry. Puis il avait sauté par-dessus le bordage et pris terre. Gilliatt, laissant derrière lui la panse à quai, tourna la maison, longea une ruette, puis une autre, ne regarda même pas l’embranchement de sentier qui menait au bû de la rue, et au bout de quelques minutes, s’arrêta dans ce recoin de muraille où il y avait une mauve sauvage à fleurs roses en juin, du houx, du lierre et des orties. […]. Comme une bête rentrée au trou, glissant plutôt que marchant, il se blottit. Une fois assis, il ne fit plus un mouvement.


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