Marguerite Duras

écrivaine, dramaturge, scénariste et réalisatrice française

Marguerite Duras, pseudonyme de l'écrivaine et dramaturge française, née Marguerite, Germaine, Marie, Donnadieu, le 4 avril 1914 à Gia Dinh, près de Saïgon en Indochine. Morte le 3 mars 1996 à Paris. Son œuvre se distingue par la diversité de ses activités. Elle renouvela le genre romanesque et bouscula les conventions théâtrales et cinématographiques comme dialoguiste, scénariste et réalisatrice.

Marguerite Duras
Marguerite Duras
Que je vous dise encore. J'ai quinze ans et demi. C'est le passage d'un bac sur le Mékong. L'image dure pendant toute la traversée du fleuve. J'ai quinze ans et demi. Il n'y a pas de saisons dans ce pays là. Nous sommes dans une saison unique, chaude, monotone, nous sommes dans la longue zone chaude de la terre, pas de printemps, pas de renouveau.


Il a allumé une cigarette et il me l'a donnée. Et tout bas contre ma bouche, il m'a parlé. Je lui ai parlé moi aussi tout bas. Parce qu'il ne sait pas pour lui, je le dis pour lui, à sa place, parce qu'il ne sait pas qu'il porte en lui une élégance cardinale, je le dis pour lui.


Cette nuit là, perdue entre les nuits et les nuits, de cela elle était sure, la jeune fille l'avait justement passée sur le bateau, et elle avait été là quand cette chose s'était produite, cet éclatement de la musique de Chopin sous le ciel illuminé de brillances. Il n'y avait pas un souffle de vent et la musique s'était répandue partout dans le paquebot noir, comme une injonction du ciel dont on se savait pas à quoi elle avait trait, comme un ordre de Dieu dont on ignorait la teneur. Et la jeune fille s'était dressée comme pour aller se tuer, se jeter à son tour dans la mer et après elle avait pleuré parce qu'elle avait pensé à cet homme de Cholen et elle n'avait pas été sûre tout à coup de ne pas l'avoir aimé d'un amour qu'elle n'avait pas vu car il s'était perdu dans l'histoire comme l'eau dans le sable et qu'elle le retrouvait seulement maintenant à cet instant de la musique jetée à travers la mer.


Pendant dix-sept jours, l'aspect de cette merde resta la même. Elle était inhumaine. Elle le séparait de nous plus que la fièvre, plus que la maigreur, les doigts désonglés, les traces de coups des S.S. On lui donnait de la bouillie jaune d'or, bouillie pour nourrisson et elle ressortait de lui vert sombre comme de la vase de marécage.


La Vie matérielle, 1987

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Mon histoire, elle est pulvérisée chaque jour, à chaque seconde de chaque jour, par le présent de la vie, et je n'ai aucune possibilité d'apercevoir clairement ce qu'on appelle ainsi: sa vie.


Ce qui remplit le temps c'est vraiment de le perdre.


Emily L., 1987

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Ça avait commencé par la peur.

Nous étions allés à Quillebeuf, comme souvent cet été-là.

On était arrivés à l’heure habituelle, à la fin traîné le long du bastingage blanc qui borde les quais depuis l’église, l’entrée du port, jusqu’à sa sortie, le chemin abandonné qui devrait aller à la forêt de Brotonne.


Il me semble que c'est lorsque ce sera dans un livre que cela ne fera plus souffrir. Que ce ne sera plus rien. Que ce sera effacé. (...) écrire, c'est ça aussi, sans doute, c'est effacer. Remplacer.


C'est sans doute au cours de ces dix années passées à attendre la mort des parents que quelque chose était arrivé qui les avait décidés à passer le temps de l'amour dans le voyage sur la mer pour à la fois ne rien faire de cet amour et, cependant, le retenir.


Il ne cherche plus à entendre ce qu'on dit tout bas autour du bar, ça ne sert à rien. Qu'à souffrir.


C’était sur un cargo australien qui remontait vers la Corée que le jeune gardien avait vu Emily L. parmi une vingtaine de couples qui dansaient sur la plate-forme du pont supérieur. Elle dansait avec un officier de bord. Elle portait sa vieille robe blanche et bleue […] Il avait reconnu les longues jambes brûlées de soleil, le sourire naissant arrêté dans la douceur profonde, cette façon d’être, les yeux mi-clos, protégée dans sa solitude.


Je vous ai dit aussi qu’il fallait écrire sans correction, pas forcément vite, à toute allure, non, mais selon soi et selon le moment qu’on traverse, soi, à ce moment-là, jeter l’écriture au-dehors, la maltraiter presque, oui, la maltraiter, ne rien enlever de sa masse inutile, rien, la laisser entière avec le reste, ne rien assagir, ni vitesse ni lenteur, laisser tout dans l’état de l’apparition.


Entretiens

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Michel Drucker : Les hommes ont toujours eu besoin de réponses, même si un jour elles s'avèrent fausses, ou seulement provisoires. Alors en l'an 2000, où seront les réponses ?
Marguerite Duras : Eh bien il n'y aura plus que ça ! La demande sera telle que, il n'y aura plus que des réponses. Tous les textes seront des réponses, en somme. Je crois que l'homme sera, littéralement, noyé, dans l'information. Dans une information constante. Sur son corps. Sur son devenir corporel. Sur sa santé. Sur sa vie familiale. Sur son salaire. Sur son loisir. C'est pas loin du cauchemar. Il n'y aura plus personne pour lire. Ils verront de la télévision. On en dépose tout partout, dans la cuisine, dans les water-closets, dans le bureau, dans les rues. Où sera-t-on… Tandis que l'on regarde la télévision, où est-t-on… ? On n'est pas seul. On ne voyagera plus, ce ne sera plus la peine de voyager. Quand on peut faire le tour du monde en huit jours, en quinze jours, pourquoi le faire ?

  • Marguerite Duras, Les 7 chocs de l'an 2000, Roland Portiche, Antenne 2, 25 septembre 1985


 
Signature

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