Nadine Ribault

autrice française

Nadine Ribault, née à Paris le et morte à Condette le , est un écrivain français.

Les Sanctuaires de l'abîme - Chronique du désastre de Fukushima, 2012

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Les radiations de la centrale de Fukushima Daiichi se déversent jusqu’au fond de l’océan, imprègnent la terre et s’insinuent dans le corps des animaux et des hommes. Les morts retrouvés dans la zone évacuée sont à ce point irradiés qu’ils ne pourront être rendus à leurs familles, car ils contamineraient les vivants. Voici revenu le temps des sanctuaires de l’abîme, pour reprendre l’expression du poète Hölderlin, où nul ne veillera les défunts sous peine de succomber. Ce n’est plus seulement la mort qu’il faudra redouter, mais chacun des cadavres qu’elle aura touchés de son doigt empoisonné.


Ces Japonais-là ne font plus confiance à l’État, avec ses compromissions mafieuses, son incompétence notoire, ses malversations chroniques, ses tricheries, sa bureaucratie. Ils jouent un rôle essentiel dans la construction pratique d’une solidarité qu’ils considèrent comme un combat, mais la plupart d’entre eux œuvraient déjà dans l’ombre avant le désastre, agissant depuis des années sur la société japonaise. Ils s’attaquent autant aux « valeurs culturelles » - cultes du mariage, de la famille et du groupe, de la pureté, de la perfection, de la modération et de la discrétion, de la modestie, de l’humilité et du conformisme – qu’à l’obsession de la réussite et de l’argent, à la surconsommation, au nationalisme et au racisme, à la surveillance généralisée et au respect de la hiérarchie et de l’autorité.


Carnets

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Carnets des Cévennes – Les clochers de tourmente, Point d’Appui 1, 2012

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Le héros est un individu qui, marchant au bord de ses propres gouffres, inconnu à lui-même, défend la vie, l’amour et son individualité envers et contre tout.


Je suis pour un roman lyrique où l’on sente fièvre et ardeur, empêchement et lutte, individualité d’un seul contre pratiquement tous.


Les mots ne fixent pas. Ils embrasent.


Jeter les postes de télévision, les radios, les journaux, les magazines, à la poubelle, reprendre ses esprits, refuser, démissionner, se retirer, oublier la tristesse où nous plonge le système et la terrifiante soumission qu’il nous inocule. Je souffre de ce dont souffrent ceux qui ne peuvent pas. Mais la cordelette de la servitude à notre cou, il faut bel et bien la trancher d’un geste qui ne fait pas de quartier.


Carnets des Cornouailles – Cette pause sur le bord d’un abîme, Point d’Appui 2, 2012

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De plus en plus, « art » et « artiste » m’apparaissaient des mots à éviter, louches à souhait. J’en avais, un jour, conçu une image idéale, mais ridiculement fausse, puisque, désormais, ne peut se qualifier d’« artiste » que celui, et celui-là seulement, qui, délaissant la lutte pour abriter son compte en banque en Suisse, est « récompensé », pour prix de sa mollesse, de sa paresse et de sa couardise, en France ou dans ses ambassades, de bourses, de légions d’honneur, de titres de chevalier, ou mieux officier, ou encore mieux commandeur, dans l’ordre des arts et des lettres, et qui a donc su, avec tout le sens de la magouille crasse, du manque de courage, de franchise et de rage que ça suppose, transformer sa biographie en bulletin scolaire méritoire.


Les Cornouailles donnent le sentiment que tout y est réversible ; à croire que les pierres qui y sont plantées, portent encore en leur ventre renflé, les anciens sortilèges qu’y ont jetés fées et magiciens. Il est aisé d’y confondre son enfance avec celles de la Terre et de l’humanité et même s’il ne s’agit là que d’illusion d’optique, on le sait, on trouve cela réconfortant. Il est aisé et merveilleusement préférable que nous y revienne l’envoûtement qui nous prenait, parfois, quand nous étions enfants. Il est aisé d’y marcher parmi ce qui semble inchangé – inachevé.


Julien Gracq était un homme que personne n’aura véritablement connu - un mystérieux étranger et comme tout mystérieux étranger qui attend qu’on lui tende les bras, il a pensé qu’à faire de la magie, son sort serait plus supportable. Il a fait de la magie.


Les vagues d’émotion en même temps que les frissons d’angoisse que la nature est capable de lever en nous, c’est ce qui nous convainc que la nature nous est vitale. Tout est à consacrer. Tout est à déployer.


Carnets de Kyôto - Dans la forêt de la vérité, Point d’Appui 3, 2013

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Rien n’est, dans l’être humain, plus grand que la décision qu’il prend, un jour, envers et contre tout, d’obéir à un sentiment exalté, mais profondément inexplicable, qu’il éprouve, soudain, à la fois pour lui-même et pour le monde, à la fois contre lui-même et contre le monde, et c’est cette concordance subite qui se réalisant, le pousse à la décision du se-consacrer-à.


Les frontières, pensais-je en observant les singes de Mukawa, que nous établissons en paupières closes à nos pays défaits, de leurs ongles, un beau jour, pris des flammes de la rage, les singes y découperont des yeux ouverts sur leur faim personnelle, car, tant que l’énergie reste naturelle, rien de plus éternel, tant que l’animal est encore un animal, tant que l’homme est encore un homme, que, chez certains d’entre eux, la cruciale nécessité de ce qu’Herbert Marcuse appelait le « Grand Refus ».


Un autre monde attend l’homme auquel, sans l’ombre d’une hésitation, il tend déjà les bras, croyant naïvement que là, au moins, seront résolus ses problèmes, voire ses souffrances, et transformées ses peines en pannes techniques qu’il suffira de mener réparer au grand garage des certitudes relatives.


Carnets de la Côte d’Opale – L’infini arrive pieds nus sur cette terre, Point d’Appui 4, 2016

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Face à la mer, l’air me paraît toujours plus respirable. Depuis que j’avais écrit mes précédents carnets, les êtres d’exception qu’avaient été, à mes yeux, Leonora Carrington, Radovan Ivsic, Jorge Camacho, Jaime Semprun, Dorothea Tanning étaient morts, dans une indifférence presque totale. Il y avait eu l’accident nucléaire de Fukushima et le quotidien désastreux de ce monde. Yasukuni Uwabe, Tomoyuki Furusawa et Yasutoshi Masuda avaient été pendus, à Tôkyô, Hiroshima et Fukuoka. On avait établi des lois pour interdire aux hommes de tuer des hommes et quand un homme tuait un homme, avec un sens de la logique confondant, on le tuait et s’en lavait les mains. Dans la nuit, l’immonde frelon apocalyptique de l’extrémisme de droite rôdait, réunissant ses forces. L’Europe entière retournait à ses mensonges et à sa puanteur esclavagiste.


C’est un fait, nous désirons des paysages à caresser de nos dizaines de millions d’années-lumière, à mordre de nos dents de la mer endormie, comme nous désirons des corps à fouiller de nos doigts engourdis. C’est une nécessité inhérente à ce que nous sommes et au besoin que nous ressentons, à intervalles réguliers, de chanceler, puis de nous rétablir, de perdre le point d’appui, puis de s’en ressaisir. Ainsi, parfois, advient ce que nous prenons pour une correspondance exacte entre ce que nous voyons et ces images immortelles que nous portons en nous, éclairant de la sorte des régions de conscience obscurcies. C’est alors que survient l’illumination fulgurante d’un plaisir physique intense, troublant et, je crois, vital, une sorte d’évidence intérieure qui naît du sentiment de déjà-vu et de celui d’adéquation qui en découle.


Malgré que ce soit le lieu des mouvements indéfinis, j’ai trouvé là un point d’appui en forme de miroir sans lequel, telle une statue accoudée sur un étai qui la met d’aplomb et qu’on lui ôterait, je tomberais peut-être. Son anatomie est un lit à l’irréductible nostalgie que je ressens pour ce qui n’a jamais existé.


J’ai d’autant plus aimé ces lieux que je les ai sentis dangereux. La poésie, la nature et l’amour sont à jamais les abîmes les plus ardents où peut se jeter l’être. La Côte d’Opale est ce lieu qui m’a frappée d’évidence et qui, sans cesse, me demande : comment se fier aux apparences ? Un peu comme une bête qui jette son dévolu sur l’endroit où sera sa tanière, je l’ai élu pour qu’il fût le lieu des retours, des baumes, des repos, des boccages, des collines et des marécages, le lieu de l’écart, du construit, de l’écrit, une barque sans maître qui dérive dans l’effroi de la vie.


Carnets de la mer d’Okhotsk – L’éternité et les mortes saisons, Point d’Appui 5, 2018

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L’illusion qu’offrait ce paysage au promeneur de se trouver face à un visage de la nature que n’avait pas touché la main humaine lui attachait fatalement le cœur de ce promeneur qui, versant tout entier dans cette immense clairière mélancolique, s’en trouvait rassuré, pacifié, sustenté, émerveillé – remis de ses épreuves, pour passer à la suite. Pourtant, on vivait là une illusion puisque la banquise, et avec elle une certaine appréhension de l’absolu, disparaissait implacablement et que ces glaces dérivantes, un jour, ne dériveraient plus et que cette terre, sous ce froid de la destruction industrielle disparue, un jour, ne se « réveillerait » plus.


Quelle que fût la perdition, le sans-remède où elle était lancée, je restais attachée à la Terre. Je la cherchais. J’avais pensé ne pas être dans une fuite en avant et cependant, je poursuivais certains lieux spécifiques, certains îlots réconfortants où je pouvais me détourner du désastre, où ce dernier n’avait pas achevé ses ravages, où je ne voyais pas les tours de refroidissement et les enceintes de confinement que notre civilisation sème partout. Je persistais à lire la Terre tel le point d’appui de ma vie, l’axe qui me traversait de part en part et m’attachait à ses quelques aires de sauvagerie plus ou moins réelle qui subsistaient, pour les parcours nouveaux et surprenants, pour les rivages infinis, pour les falaises, pour la poésie de ses beautés les plus étonnantes, pour les êtres troublants qui, malgré leur désespoir aux angles cassants, ne fléchissaient pas et qui, vivant par l’esprit et par le cœur, mettaient au-dessus de tout l’absolu de la liberté, de l’amour et de la poésie.


Aussi faut-il vivre – dérivant, et depuis là, cheminant, chercher la vérité dans l’éternité des mortes saisons qui s’est installée, après que tout fut massacré. Il ne me soucie pas de m’adonner à l’harmonie dont je suis persuadée que, étant donné qu’elle ne peut plus exister durablement en quelque être humain que ce soit dans un monde à ce point étouffant et menaçant, celui qui cherche à les atteindre mène un combat perdu d’avance. Il faut savoir dériver au travers des obstacles qu’il n’est donné à personne de supprimer, mais qu’il est possible à chacun, dans sa révolte, d’affronter et de franchir.


Festina lente, 2000

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Pourtant, il ne serait venu à l’idée de personne de dire que tout s’était figé parce qu’au contraire, certaines vibrations faisaient qu’être et choses étaient parcourus d’émotions, va-et-vient intérieur, sensations bringuebalant de bas en haut et d’un bout à l’autre de chaque créature. Festina lente et la mer s’endormait.


Notre vieux monde sombre, assena Florentin. Autre chose en sortira mais je pense — contrairement à Clarisse qui pense que tout se fait en douceur, par étapes —, je crois qu’il y aura rupture et que celle-ci, pour un temps, nous perdra. Et nous chercherons alors longtemps ce que sont une émotion, un épiderme, la sensualité d’un corps, la séduction ou le plaisir.


Sur la mer, à l’écart — papier Lana, Japon, Chine — l’eau s’enroule autour des bouchots et nous passons, toute notre vie nous passons.


Le Vent et la Lumière, 2006

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La désolation était arrivée. Les chevaux avaient henni dans leurs stalles. La tempête s’était acharnée sur le paysage comme une chienne sur une pièce de bœuf. Et même si certains osent assurer qu’en pareil cas le vent s’arrête quand commence la pluie, il faut les détromper : ce jour-là, pluie et vent gémissaient ensemble et nul n’aurait su dire s’ils le faisaient de douleur, de combattre ou de jouissance.


Les Ardents, 2019

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L’hiver avait détérioré le château de Gisphild. Les hommes du hameau avaient donc été appelés, ainsi que ceux des villages environnants, pour en consolider les palissades. Soumis aux vents marins, l’humidité des longs automnes, aux gels d’hiver sans fin, à la moisissure qui en suçait les parois de bois, les pieux et les pentes, à l’enfer redoutable d’attaques régulières, le château menaçait de crouler, réduit à rien de plus, sur sa motte, qu’à la chair et aux os d’une femme solitaire qui, dans son donjon, retranchée, faisait régner à ce point sa loi qu’elle décidait de la vie de chacun et menait au-delà de l’épouvante ce qu’il est d’usage d’appeler le pouvoir.


Par sa simple absence menaçante, le tyran fouettait les croupes asservies bien mieux que s’il ne se fut dressé au-dessus d’elles. La lande, bordée de dunes, était la paroi dure contre laquelle allait frapper la mélodie du chevrier avant de revenir, plus féerique que jamais, transformée telle une tournoyante danseuse déshabillée, étoffe par étoffe, jusqu’à ce que, sous l’écorce, apparût le nerf de la guerre.


– Attends ! Je veux te parler, dit-il. Depuis que je t’ai vue, tu reviens si souvent dans ma mémoire. Tu m’as embrasé. J’ai perdu et mon coeur et ma voix.

Elle se tourna, le poignet pris dans sa poigne d’acier. Il l’attira à lui. – Que faut-il faire ? demanda-t-il. – Oh ! sire, murmura-t-elle, avouant son trouble. – Que faut-il faire ? – Rouler dans la vague, peut-être, répondit-elle en posant le front sur sa poitrine. Lâcher les chiens, les retenues, les méfiances. – Vérité invisible dont l’éclat pénètre le monde, murmura Bruny, serrant Abrielle dans ses bras.

– Je la célèbre avec toi, sire..


– Que crois-tu qu’elle soit à faire, là-bas, cette brute de Catin des Anges Déchus ? Elle poursuit. Elle a mis la pierre, les gravats, puis la terre, puis la pierre, puis les gravats et voilà, le hachis est fait, la motte est prête. Il reste le donjon à consolider, tu me suis, et les richesses à accroître, et la guerre à mener pour tuer, et tuer encore et faire encore plus de hachis.

Le chevalier l’observait. – C’est comme je te le dis ! Et, pendant ce temps-là, la bouche en cœur, la jeunesse lance les faucons, les chiens et minaude : « Comme il vous plaira, sire ». Isentraud a voulu mettre un caillou dans le trou du cul de son château, juste histoire de ricaner un peu, rien du tout, un ordre, à peine quelques mots suivis d’un silence. – C’est faux, s’insurgea Bruny. Sauf le respect que je te dois, il y aura contre-ordre, ça ne tardera plus. Baudime poussa le chat qui était revenu se frotter contre lui.

– Le contre-ordre, c’est encore et toujours un ordre, dit-il. Ah ! L’incertitude qui nous prend quand il s’agit d’agir. Le bourreau, lui, n’est jamais incertain. Il écrase la volonté. Il soumet pour l’éternité.


Nouvelles

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Un caillou à la mer, 1999

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La feuille s’empala sur la branche du chêne, l’un de ces vieux chênes de l’abbaye de Vaucelles, derrière l’abbaye, au-dessus de l’Escaut, d’une passion contrariée, d’un désespoir profond, d’un avenir trop noir peut-être, le vertige de vivre là depuis l’automne précédent - deux saisons soudain lui avaient paru longues – le vent du nord avait cessé trois jours auparavant puis il avait repris, s’enroulant autour des frênes et des hêtres comme une écharpe trop longue, soufflant autour de l’abbatiale, le long du mur d’enceinte et dans les cloîtres, il avait balayé violemment les brouillards du matin, là-bas, loin derrière les pont sur l’Escaut et le canal de Saint-Quentin, il avait mélangé les hémisphères – existe-t-il, le geste d’une feuille ? un tremblement ? une ondulation très légère ? – ou peut-être simplement, était-elle grise ce matin-là, s’interroger alors n’avait plus aucun sens…


Cœur anxieux, 2004

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Au loin, dans le hall des pas perdus, les gens se croisaient, filaient, s’arrêtaient, levaient la tête vers les panneaux afficheurs, se remettaient en mouvement vers le quai n° 5 ou n° 8, tiraient leur valise, un chien ou un enfant fatigué, trop tôt sorti du lit, tous, lèvres closes, donnant l’illusion, pris sous cette cloche de verre et de ferraille, d’appartenir à une masse bruyante comme si l’idée même de quantité s’associait à celle de halètement venu d’une peine incommensurable.


Matière première, 2013

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Elle se retrouva la tête sous ses mains à lui, posées sur son crâne comme pour la protéger de ses mauvaises pensées, elle se retrouva le visage écrasé contre son veston qui lui grattait la joue et dont il avait remonté le col parce qu’il s’apprêtait à repartir après avoir rêvé face à la nuit, comme chaque soir, de ce si bel amour qu’il avait du mal à y croire. Alors, changeant brusquement d’idée dans une éblouissante volte-face que lui procura le fait d’avoir la vie sauve, répondant à l’invite de la mer, des nuages et de la pluie, répondant à la provocation de cette eau qu’elle avait encore dans les cheveux jetée d’une cruche en pleine face, elle enserra de ses deux bras son torse à lui, le plaqua à son corps rebelle et le tenant de la sorte collé à elle, vite, bascula sur la lande cet unique et lourd ensemble à deux têtes, ce monstre succombant d’amour fou, ce tortueux serpent à chaleur de volcan, ce roc de chair à deux bandes, ce démon qui dévorant l’offrande, vibrant, tel un rouleau compresseur, s’enroba de boue.


Question de perspectives. Fin de journée dans la baie. Les couleurs s’apaisaient. Entailles, pics et failles s’arrondissaient. Les bords de la presqu'île se recourbaient. Rien de plus commun ni de plus ordinaire que ce qui lui arrivait et qui lui était arrivé d’autres fois : rencontrer une femme. Cependant la transformation qui avait donné à ce visage-ci un éclat inhabituel, une blancheur irréelle, relevait d’un mystère qui l’intriguait. C’était la magistrale orchestration de la beauté du monde qu’il touchait soudain d’aussi près. Il n’y avait plus qu’à laisser libre cours.


Poésie

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Dans la chambre des captures, 2014

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Dans la chambre où le cormoran tirera des v dans l’eau, des v de virages, de vie secrète, de voir, des v tout court, chaque soir, sans pitié, pèchera l’insensé et les mots de même dans les parcs de mes châteaux, au dernier rayon de lumière, dans le soir et l’abîme, le cormoran offrira à mes regards une grande aile noire où mordre à plein régime.


L’iris noir, 2015

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J’ai un iris noir cou-de-tortue-qui-bâille, noir de champ de coton dans l’ouragan, morsure-de-sang, de sorcière contre le ciel, de vieille Indienne qui dort dans le fauteuil à bascule, de Fils qui meurt sur le bateau dans le canal de Suez, noir tesson-de-bouteille, animalcule des pas perdus. J’ai un iris noir à venin, à piquants d’oursin, un scorpion dans le poing, à moitié mort sur le tapis, qui ne veut plus de rien et dort enfin, empli des lames successives des souvenirs carnavalesques qui s’y entassent et s’y entasseront jusqu’à la fin de mes jours telles des larmes d’amour. J’ai un iris noir qui, calice voyageur, vase triste, penché sur lui-même, à côté de moi-même, serrant contre lui mes atours, n’a pas fini de me montrer, de son doigt de satin, par le hublot, le beau bateau qui tranche en deux sa chair de velours où nagent les dauphins.


La mâle soif et l’entêté désir, 2017

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Dans le phare de vos désirs soudains, au-dessus de la mer, il y a la lumière et le vent de nos mouvements maximaux, l’ultime poésie des rires encagés, rivés à vos joujoux patriotisme.

Nous ne sommes patriotes que du phare où vous avez enclos mon corps.

J’écouterai longtemps l’écho de ces coups que vous frappez en bas à faire voler d’éclats la lumière et le vent dans mes bras.


Il se pourrait qu’un jour j’invoque la nuit que je pinçais des doigts quand je voulais la dévorer – c’est-à-dire, comprenez-moi, que je n’ai pas, agitant mon cœur nu, vu tomber ce qu’il se doit.

Tout est emprisonné, possédé par le mal de vivre.

Que la nuit nous soit belle – ou ne soit pas !


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