Peter L. Berger
sociologue américain
Peter L. Berger, né en 1929, à Vienne en Autriche, et mort en 2017 à Brookline (Massachusetts), était un sociologue, théologien et professeur américain d'originie autrichienne.
La construction sociale de la réalité (The Social Construction of Reality: A Treatise in the Sociology of Knowledge), 1966
modifierL'homme a des pulsions, bien sûr, mais ces pulsions sont hautement non-spécialisées et non-dirigées. Cela signifie que l'organisme humain est capable d'appliquer l'outillage donné par sa constitution à une très large gamme d'activités qui, de plus, varie constamment. Cette particularité de l'organisme humain est enracinée dans son développement ontogénétique. En fait, si on considère la question en termes de développement organique, on peut dire que la période fœtale, chez l'être humain s'étend à peu près jusqu'à un an après la naissance. Les développements importants de l'organisme qui, chez l'animal, sont achevés dans le corps de la mère, prennent place chez l'être humain après sa séparation de la matrice. À ce moment-là, cependant, l'enfant ne se trouve pas simplement dans le monde extérieur, mais entre en relation avec lui de nombreuses et complexes manières.
- La construction sociale de la réalité (1966), Peter L. Berger et Thomas Luckmann (trad. Pierre Taminiaux), éd. Armand Colin, coll. « Bibliothèque des classiques », 2012 (ISBN 978-2-200-28211-0), chap. 2. La société comme réalité objective, p. 103
En dépit des évidentes limites physiologiques de la gamme des différentes voies de la formation de l'homme, à l'intérieur de la double interrelation avec l'environnement, l'organisme humain manifeste une immense plasticité dans sa réponse aux forces de l'environnement s'exerçant sur lui. Ceci est particulièrement clair quand on observe la flexibilité de la constitution biologique de l'homme soumis à diverses déterminations socioculturelles. C'est un lieu commun ethnologique que de dire que les façons de devenir et d'être un homme sont aussi nombreuses que les cultures humaines. L'humanité est variable socio-culturellement. En d'autres termes, il n'existe pas de nature humaine au sens d'un substrat biologiquement fixé qui déterminerait la variabilité des formations socioculturelles. Il n'existe de nature humaine qu'au sens de constantes anthropologiques (par exemple, l'ouverture au monde et la plasticité de la structure instinctuelle) qui délimitent et permettent les formations socioculturelles de l'homme. Mais la forme spécifique dans laquelle cette humanité est moulée est déterminée par ces formes socioculturelles et relative à leurs nombreuses variations. Alors qu'il est possible de dire que l'homme possède une nature, il est plus significatif de dire que l'homme construit sa propre nature, ou plus simplement, que l'homme se produit lui-même.
- La construction sociale de la réalité (1966), Peter L. Berger et Thomas Luckmann (trad. Pierre Taminiaux), éd. Armand Colin, coll. « Bibliothèque des classiques », 2012 (ISBN 978-2-200-28211-0), chap. 2. La société comme réalité objective, p. 104
Les institutions, par le simple fait de leur existence, contrôlent la conduite humaine en établissant des modèles prédéfinis de conduite, en la canalisant ainsi dans une direction bien précise au détriment de beaucoup d'autres directions qui seraient théoriquement possibles. Il est important de souligner que cette fonction de contrôle est inhérente à l'institution en tant que telle, avant ou en dehors de tout mécanisme de sanction établi spécifiquement dans le but de soutenir une institution.
- La construction sociale de la réalité (1966), Peter L. Berger et Thomas Luckmann (trad. Pierre Taminiaux), éd. Armand Colin, coll. « Bibliothèque des classiques », 2012 (ISBN 978-2-200-28211-0), chap. 2. La société comme réalité objective, p. 113
La société pénètre également l'organisme de façon directe dans son fonctionnement, et particulièrement au niveau de la sexualité et de la nutrition. Bien que la sexualité et la nutrition soient enracinées toutes les deux dans des pulsions biologiques, ces pulsions sont extrêmement plastiques chez l'être humain. L'homme est poussé par sa constitution biologique à chercher la satisfaction sexuelle et la nourriture. Mais sa constitution biologique ne lui dit pas où il devrait chercher cette satisfaction sexuelle ni ce qu'il devrait manger. Laissé à lui-même, l'homme peut s'attacher sexuellement à n'importe quel objet et est parfaitement capable de manger des aliments qui le tueront. La sexualité et la nutrition sont canalisées dans des directions spécifiques socialement plutôt que biologiquement, une canalisation qui non seulement impose des limites à ces activités, mais affecte également directement les fonctions organiques. Ainsi, l'individu correctement socialisé est-il incapable de fonctionner sexuellement avec le « mauvais » objet sexuel et peut vomir quand il est confronté à la « mauvaise » nourriture. Comme nous l'avons vu, la canalisation sociale de l'activité constitue l'essence de l'institutionnalisation qui est le fondement de la construction sociale de la réalité. On peut dire alors que la réalité sociale détermine non seulement l'acitivité et la conscience, mais, à un degré considérable, le fonctionnement organique. Ainsi, des fonctions aussi intrinsèquement biologiques que l'orgasme et la digestion sont-elle socialement structurées.
- La construction sociale de la réalité (1966), Peter L. Berger et Thomas Luckmann (trad. Pierre Taminiaux), éd. Armand Colin, coll. « Bibliothèque des classiques », 2012 (ISBN 978-2-200-28211-0), chap. 3. La société comme réalité subjective, p. 282