« Michel Foucault » : différence entre les versions

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Clelie Mascaret (discussion | contributions)
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|section=Cours du 8 janvier 1975
|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=<poem>L'exclusion de la lèpre, c'était une pratique sociale qui comportait d'abord un partage rigoureux, une mise à distance, une règle de non-contact entre un individu (ou un groupe d'individus) et un autre. C'était, d'autre part, le rejet de ces individus dans un monde extérieur, confus, au-delà des murs de la ville, au-delà des limites de la communauté. Constitution, par conséquent, de deux masses étrangères l'une à l'autre. Et celle qui était rejetée, était rejetée au sens strict dans les ténèbres extérieures. Enfin, troisièmement, cette exclusion du lépreux impliquait la disqualification — peut-être pas exactement morale, mais en tout cas juridique et politique — des individus ainsi exclus et chassés. Ils entraient dans la mort, et vous savez que l'exclusion du lépreux s'accompagnait régulièrement d'une sorte de cérémonie funèbre, au cours de laquelle on déclarait morts (et, par conséquent, leurs biens transmissibles) les individus qui étaient déclarés lépreux, et qui allaient partir vers ce monde extérieur et étranger. Bref, c'était en effet des pratiques d'exclusion, des pratiques de rejet, des pratiques de «marginalisation», comme nous dirions maintenant. Or, c'est sous cette forme-là qu'on décrit, et je crois encore actuellement, la manière dont le pouvoir s'exerce sur les fous, sur les malades, sur les criminels, sur les déviants, sur les enfants, sur les pauvres.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1999
|page=40
|section=Cours du 15 janvier 1975
|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=<poem>Il me semble qu'en ce qui concerne le contrôle des individus, au fond, l'Occident n'a eu que deux grands modèles : l'un, c'est celui de l'exclusion du lépreux; l'autre, c'est le modèle de l'inclusion du pestiféré. Et je crois que la substitution de l'inclusion du pestiféré, comme modèle de contrôle, à l'exclusion du lépreux, est l'un des grands phénomènes qui se sont passés au XVIIIe siècle. Pour vous expliquer cela, je voudrais vous rappeler comment se faisait la mise en quarantaine d'une ville, au moment où la peste s'y déclarait. Bien entendu, on circonscrivait — et là on enfermait bien — un certain territoire: celui d'une ville, éventuellement celui d'une ville et de ses faubourgs, et ce territoire était constitué comme un territoire fermé. Mais, à cette analogie près, la pratique concernant la peste était fort différente de la pratique concernant la lèpre. Car ce territoire, ce n'était pas le territoire confus dans lequel on rejetait la population dont on devait se purifier. Ce territoire était l'objet d'une analyse fine et détaillée, d'un quadrillage minutieux.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1999
|page=41
|section=Cours du 15 janvier 1975
|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=<poem>La ville en état de peste — et là je vous cite toute une série de règlements, d'ailleurs absolument identiques les uns aux autres, qui ont été publiés depuis la fin du Moyen Âge jusqu'au début du XVIIIe siècle — était partagée en districts, les districts étaient partagés en quartiers, puis dans ces quartiers on isolait les rues, et il y avait dans chaque rue des surveillants, dans chaque quartier des inspecteurs, dans chaque district des responsables de district et dans la ville elle-même soit un gouverneur nommé à cet effet, soit encore les échevins qui avaient reçu, au moment de la peste, un supplément de pouvoir. Analyse, donc, du territoire dans ses éléments les plus fins ; organisation, à travers ce territoire ainsi analysé, d'un pouvoir continu, et continu dans deux sens. D'une part, à cause de cette pyramide, dont je vous parlais tout à l'heure. Depuis les sentinelles qui veillaient devant les portes des maisons, à l'extrémité des rues, jusqu'aux responsables des quartiers, responsables des districts et responsables de la ville, vous aviez là une sorte de grande pyramide de pouvoir dans laquelle aucune interruption ne devait avoir place. C'était un pouvoir qui était également continu dans son exercice, et pas simplement dans sa pyramide hiérarchique, puisque la surveillance devait être exercée sans interruption aucune. Les sentinelles devaient être toujours présentes à l'extrémité des rues, les inspecteurs des quartiers et des districts devaient, deux fois par jour, faire leur inspection, de telle manière que rien de ce qui se passait dans la ville ne pouvait échapper à leur regard. Et tout ce qui était ainsi observé devait être enregistré, de façon permanente, par cet espèce d'examen visuel et, également, par la retranscription de toutes les informations sur des grands registres.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1999
|page=41
|section=Cours du 15 janvier 1975
|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=<poem>Et tous les jours des inspecteurs devaient passer devant chaque maison, ils devaient s'y arrêter et faire l'appel. Chaque individu se voyait assigner une fenêtre à laquelle il devait apparaître, et lorsqu'on appelait son nom il devait se présenter à la fenêtre, étant entendu que, s'il ne se présentait pas, c'est qu'il était dans son lit; et s'il était dans son lit, c'est qu'il était malade; et s'il était malade, c'est qu'il était dangereux. Et, par conséquent, il fallait intervenir. C'est à ce moment-là que se faisait le tri des individus, entre ceux qui étaient malades et ceux qui ne l'étaient pas. Toutes ces informations ainsi constituées, deux fois par jour, par la visite — cette espèce de revue, de parade des vivants et des morts qu'assurait l'inspecteur —, toutes ces informations transcrites sur le registre étaient ensuite confrontées avec le registre central que les échevins détenaient à l'administration centrale de la ville.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1999
|page=42
|section=Cours du 15 janvier 1975
|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=<poem>Il ne s'agit pas d'une exclusion, il s'agit d'une quarantaine. Il ne s'agit pas de chasser, il s'agit au contraire d'établir, de fixer, de donner son lieu, d'assigner des places, de définir des présences, et des présences quadrillées. Non pas rejet, mais inclusion. Vous voyez qu'il ne s'agit pas non plus d'une sorte de partage massif entre deux types, deux groupes de population : celle qui est pure et celle qui est impure, celle qui a la lèpre et celle qui ne l'a pas. Il s'agit, au contraire, d'une série de différences fines et constamment observées entre les individus qui sont malades et ceux qui ne le sont pas. Individualisation, par conséquent, division et subdivision du pouvoir, qui arrive jusqu'à rejoindre le grain fin de l'individualité. Nous sommes très loin, par conséquent, du partage massif et grouillant, caractérisant l'exclusion du lépreux. Vous voyez également qu'il ne s'agit aucunement de cette espèce de mise à distance, de rupture de contact, de marginalisation. Il s'agit, au contraire, d'une observation proche et méticuleuse. Alors que la lèpre appelle la distance, la peste, elle, implique une sorte d'approximation de plus en plus fine du pouvoir par rapport aux individus, une observation de plus en plus constante, de plus en plus insistante. Il ne s'agit pas non plus d'une sorte de grand rite de purification comme dans la lèpre ; il s'agit, avec la peste, d'une tentative pour maximaliser la santé, la vie, la longévité, la force des individus.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1999
|page=43
|section=Cours du 15 janvier 1975
|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=<poem>La peste, c'est le moment où le quadrillage d'une population se fait jusqu'à son point extrême, où rien des communications dangereuses, des communautés confuses, des contacts interdits ne peut plus se produire. Le moment de la peste, c'est celui du quadrillage exhaustif d'une population par un pouvoir politique, dont les ramifications capillaires atteignent sans arrêt le grain des individus eux-mêmes, leur temps, leur habitat, leur localisation, leur corps.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1999
|page=44
|section=Cours du 15 janvier 1975
|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=<poem>La peste a pris la relève de la lèpre comme modèle de contrôle politique, et c'est là l'une des grandes inventions du XVIIIe siècle, ou en tout cas de l'âge classique et de la monarchie administrative.
Je dirais en gros ceci. C'est que, au fond, le remplacement du modèle de la lèpre par le modèle de la peste correspond à un processus historique très important que j'appellerai d'un mot: l'invention des technologies positives de pouvoir. La réaction à la lèpre est une réaction négative ; c'est une réaction de rejet, d'exclusion, etc. La réaction à la peste est une réaction positive ; c'est une réaction d'inclusion, d'observation, de formation de savoir, de multiplication des effets de pouvoir à partir du cumul de l'observation et du savoir. On est passé d'une technologie du pouvoir qui chasse, qui exclut, qui bannit, qui marginalise, qui réprime, à un pouvoir qui est enfin un pouvoir positif, un pouvoir qui fabrique, un pouvoir qui observe, un pouvoir qui sait et un pouvoir qui se multiplie à partir de ses propres effets.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1999
|page=44
|section=Cours du 15 janvier 1975
|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=<poem>[...] l'idée que le pouvoir pèse en quelque sorte de l'extérieur, massivement, selon une violence continue que certains (toujours les mêmes) exerceraient sur les autres (qui sont eux aussi toujours les mêmes), ceci est une espèce de conception du pouvoir qui est empruntée à quoi ? Au modèle, ou à la réalité historique, comme vous voudrez, d'une société esclavagiste. L'idée que le pouvoir — au lieu de permettre la circulation, les relèves, les combinaisons multiples d'éléments — a essentiellement pour fonction d'interdire, d'empêcher, d'isoler, me semble une conception du pouvoir qui se réfère à un modèle lui aussi historiquement dépassé, qui est le modèle de la société de caste. En faisant du pouvoir un mécanisme qui n'a pas pour fonction de produire, mais de prélever, d'imposer des transferts obligatoires de richesse, de priver par conséquent du fruit du travail; bref, l'idée que le pouvoir a essentiellement pour fonction de bloquer le processus de production et d'en faire bénéficier, dans une reconduction absolument identique des rapports de pouvoir, une certaine classe sociale, me semble se référer non pas du tout au fonctionnement réel du pouvoir à l'heure actuelle, mais au fonctionnement du pouvoir tel qu'on peut le supposer ou le reconstruire dans la société.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1999
|page=47
 
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