« Michel Foucault » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Clelie Mascaret (discussion | contributions)
Clelie Mascaret (discussion | contributions)
Ligne 415 :
|page=78
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Il n'y a pas de batailles dans la guerre primitive de Hobbes, il n'y a pas de sang, il n'y a pas de cadavres. Il y a des représentations, des manifestations, des signes, des expressions emphatiques, rusées, mensongères ; il y a des leurres, des volontés qui sont travesties en leur contraire, des inquiétudes qui sont camouflées en certitudes. On est sur le théâtre des représentations échangées, on est dans un rapport de peur qui est un rapport temporellement indéfini ; on n'est pas réellement dans la guerre. Ceci veut dire, finalement, que l'état de sauvagerie bestiale, où les individus vivants se dévoreraient les uns les autres, ne peut en aucun cas apparaître comme la caractérisation première de l'état de guerre selon Hobbes. Ce qui caractérise l'état de guerre, c'est une sorte de diplomatie infinie de rivalités qui sont naturellement égalitaires. On n'est pas dans «la guerre» ; on est dans ce que Hobbes appelle, précisément, «l'état de guerre». Il y a un texte où il dit : «La guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs ; mais dans un espace de temps — c'est l'état de guerre — où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée».</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=79
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Domination, direz-vous, et pas souveraineté. Eh bien non, dit Hobbes ; on est bien encore et toujours dans le rapport de souveraineté. Pourquoi ? Parce que, dès lors que les vaincus ont préféré la vie et l'obéissance, ils ont par la même reconstitué une souveraineté, ils ont fait de leurs vainqueurs leurs représentants, ils ont restauré un souverain à la place de celui que la guerre avait abattu. Ce n'est donc pas la défaite qui fonde une société de domination, d'esclavage, de servitude, d'une manière brutale et hors du droit, mais ce qui s'est passé dans cette défaite, après même la bataille, après même la défaite, et d'une certaine manière indépendamment d'elle : c'est quelque chose qui est la peur, la renonciation à la peur, la renonciation aux risques de la vie. C'est cela qui fait entrer dans l'ordre de la souveraineté et dans un régime juridique qui est celui du pouvoir absolu. La volonté de préférer sa vie à la mort : c'est cela qui va fonder la souveraineté, une souveraineté qui est aussi juridique et légitime que celle qui a été constituée sur le mode de l'institution et de l'accord mutuel.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=82
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Il faut et il suffit, pour qu'il y ait souveraineté, que soit effectivement présente une certaine volonté radicale qui fait qu'on veut vivre même lorsqu'on ne le peut pas sans la volonté d'un autre.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=83
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>La souveraineté se forme toujours par en dessous, par la volonté de ceux qui ont peur. De sorte que, malgré la coupure qui peut apparaître entre les deux grandes formes de république (celle d'institution née par rapport mutuel, et celle d'acquisition née de la bataille), entre l'une et l'autre apparaît une identité profonde de mécanismes. Qu'il s'agisse d'un accord, d'une bataille, d'un rapport parents/enfants, de toute façon l'on retrouve la même série : volonté, peur et souveraineté.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=83
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Il y a dans le ''Leviathan'' tout un front du discours qui consiste à dire : peu importe qu'on se soit battu ou pas, peu importe que vous ayez été vaincus ou non; de toute façon, c'est le même mécanisme qui joue pour vous les vaincus, le même que celui que l'on trouve à l'état de nature, dans la constitution de l'Etat, ou que l'on retrouve encore, tout naturellement, dans le rapport le plus tendre et le plus naturel qui soit, c'est-à-dire celui entre les parents et les enfants. Hobbes rend la guerre, le fait de la guerre, le rapport de force effectivement manifeste dans la bataille, indifférents à la constitution de la souveraineté. La constitution de la souveraineté ignore la guerre.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=83
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>D'un mot, ce que Hobbes veut éliminer c'est la conquête, ou encore l'utilisation, dans le discours historique et dans la pratique politique, de ce problème qui est celui de la conquête. L'invisible adversaire du Léviathan, c'est la conquête [...]. En ayant l'air de proclamer la guerre partout, dès le départ et encore à l'arrivée, le discours de Hobbes disait, en réalité, tout le contraire. Il disait que guerre ou pas guerre, défaite ou non, conquête ou accord, c'est la même chose : «Vous l'avez voulue, c'est vous, les sujets, qui avez constitué la souveraineté qui vous représente. Ne nous ennuyez donc plus avec vos ressassements historiques : au bout de la conquête (si vous voulez vraiment qu'il y ait eu une conquête), eh bien, vous trouverez encore le contrat, la volonté apeurée des sujets.» Le problème de la conquête se trouve donc ainsi dissous, en amont par cette notion de guerre de tous contre tous et en aval par la volonté, juridiquement valable même, de ces vaincus apeurés, le soir de la bataille. Donc je crois que Hobbes peut bien paraître scandaliser. En fait, il rassure : il tient toujours le discours du contrat et de la souveraineté, c'est-à-dire le discours de l'Etat.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=85
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Toutes les lois telles qu'elles fonctionnent en Angleterre — c'est un texte de John Warr, La Corruption et la Déficience des lois anglaises, qui dit cela — doivent être considérées «comme des tricks, des pièges, des méchancetés». Les lois sont des pièges : ce ne sont pas du tout des limites de pouvoir ; non pas des moyens de faire régner la justice, mais des moyens de faire servir les intérêts. Par conséquent, l'objectif premier de la révolution doit être la suppression de toutes les lois post-normandes, dans la mesure où, de manière directe ou indirecte, elles assurent le ''Norman yoke'', le joug normand. Les lois, disait Lilburne, sont faites par les conquérants.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=93
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Guillaume et ses successeurs, disait Lilburne, ont fait de leurs compagnons de brigandage, de pillage et de vol, des ducs, des barons et des lords. Par conséquent, le régime de la propriété est encore actuellement le régime guerrier de l'occupation, de la confiscation et du pillage. Tous les rapports de propriété — comme tout l'ensemble du système légal — doivent être reconsidérés, repris à la base. Les rapports de propriétés sont entièrement invalidés par le fait de la conquête.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=93
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Il y a eu trahison des riches, il y a eu trahison de l'Eglise. Et même ces éléments que les parlementaires faisaient valoir comme étant une limitation au droit normand — même la ''Grande Charte'', le Parlement, la pratique des tribunaux — tout cela, au fond, c'est encore et toujours le système normand et ses exactions qui jouent ; simplement avec l'aide d'une partie de la population, la plus favorisée et le plus riche, qui a trahi la cause saxonne et qui est passée du côté normand. En fait, tout ce qui est apparente concession n'a été que trahison et ruse de guerre. Par conséquent, loin de dire avec les parlementaires qu'il faut continuer les lois et empêcher que l'absolutisme royal ne prévale contre elles, les Niveleurs et les ''Diggers'' vont dire qu'il faut se libérer des lois par une guerre qui répondra à la guerre. Il faut mener la guerre civile jusqu'au bout, contre le pouvoir normand.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=93
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>C'était cela qu'il fallait éliminer ; et, d'une façon plus générale, et à plus longue échéance, ce qu'il fallait éliminer, c'était ce que j'appellerais l'«historicisme politique», c'est-à-dire cette espèce de discours que l'on voit se profiler à travers les discussions dont je vous ai parlé, qui se formule dans certaines des phases les plus radicales et qui consiste à dire : dès que l'on a affaire à des rapports de pouvoir, on n'est pas dans le droit et on n'est pas dans la souveraineté ; on est dans la domination, on est dans ce rapport historiquement indéfini, indéfiniment épais et multiple de domination. On ne sort pas de la domination, donc on ne sort pas de l'histoire. Le discours philosophico-juridique de Hobbes a été une manière de bloquer cet historicisme politique qui était donc le discours et le savoir effectivement actifs dans les luttes politiques du XVIIe siècle.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=96
|section=Cours du 4 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Quand le roi, pour connaître ses droits, interroge les greffiers et les jurisconsultes, quelle réponse peut-il obtenir sinon un savoir établi du point de vue du juge et du procureur que lui, le roi, a créé lui-même, et où, par conséquent, il n'est pas surprenant que le roi trouve, tout naturellement, les louanges de son propre pouvoir.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=114
|section=Cours du 11 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Il s'agit, dans cette histoire qui va s'opposer, dans sa forme même, au savoir du greffier et du juge, d'ouvrir les yeux du prince sur les usurpations dont il n'a pas eu conscience, et de lui restituer les forces, le souvenir des liens qu'il a eu sans doute intérêt à oublier lui-même et à faire oublier. Contre le savoir des greffiers, qui renvoie toujours d'une actualité à une autre, du pouvoir au pouvoir, du texte de la loi à la volonté du roi, et inversement, l'histoire sera l'arme de la noblesse trahie et humiliée ; une histoire dont la forme profondément anti-juridique sera, derrière l'écriture, le décryptage, la remémoration au-delà de toutes les désuétudes, et la dénonciation de ce que ce savoir cachait d'hostilité apparente. Voilà le premier grand adversaire de ce savoir historique que la noblesse veut lancer pour réoccuper le savoir du roi.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=115
|section=Cours du 11 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>L'autre grand adversaire, c'est le savoir non plus du juge ou du greffier, mais de l'intendant : non plus le greffe, mais le bureau [...]. Contre ce savoir des intendants et du bureau, la noblesse veut faire valoir une autre forme de connaissance : une histoire, cette fois, des richesses et non plus une histoire économique, c'est-à-dire une histoire des déplacements des richesses, des exactions, des vols, des tours de passe-passe, des détournements, des appauvrissements, des ruines. Une histoire, par conséquent, qui passe derrière le problème de la production des richesses, pour montrer par quelles ruines, dettes, accumulations abusives, s'est constitué, de fait, un certain état des richesses qui n'est, après tout, qu'un mélange des malhonnêtetés accomplies par le roi avec la bourgeoisie. Ce sera donc, contre l'analyse des richesses, une histoire de la manière dont les nobles se sont ruinés dans des guerres sans fin ; une histoire de la manière dont l'Eglise s'est fait donner par ruse des terres et des revenus; une histoire de la manière dont la bourgeoisie a endetté la noblesse ; une histoire de la manière dont le fisc royal a rogné les revenus des nobles, etc.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=115
|section=Cours du 11 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Ce quelque chose qui parle désormais dans l'histoire, qui prend la parole dans l'histoire, et dont on va parler dans l'histoire, c'est ce que le vocabulaire de l'époque désigne par le mot de «nation».</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=117
|section=Cours du 11 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Entre le savoir du prince et les connaissances de son administration, on a créé un ministère de l'histoire qui devait, entre le roi et son administration, établir, d'une façon contrôlée, la tradition ininterrompue de la monarchie.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=120
|section=Cours du 11 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Les Croisades, comme grand cheminement vers l'au-delà, sont pour Boulainvilliers l'expression, la manifestation de ce qui se passait lorsque cette noblesse a été entièrement tournée vers le monde de l'au-delà, cependant que dans l'en-deçà, c'est-à-dire sur leurs terres mêmes, au moment où ils étaient à Jérusalem, qu'est-ce qui se passait ? Le roi, l'Eglise, l'ancienne aristocratie gauloise manipulaient les lois en latin qui devaient les déposséder de leurs terres et de leurs droits.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=137
|section=Cours du 18 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Chez les Mèdes, chez les Perses, vous trouvez également une aristocratie et un peuple. Ce qui prouve à l'évidence qu'il y a eu, derrière cela, luttes, violences et guerres. Et d'ailleurs, chaque fois que l'on voit les différences entre aristocratie et peuple s'atténuer dans une société ou dans un Etat, on peut être sûr que l'Etat va entrer en décadence. La Grèce et Rome ont perdu leurs statuts, et ont même disparu comme Etats, dès lors que leur aristocratie est entrée en décadence. Donc, partout des inégalités, partout des violences fondant des inégalités, partout des guerres. Il n'y a pas de sociétés qui puissent tenir sans cette espèce de tension belliqueuse entre une aristocratie et une masse de peuple.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=138
|section=Cours du 18 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=<poem>Jusqu'au XVIIe siècle la guerre c'était bien, essentiellement, la guerre d'une masse contre une autre masse. Boulainvilliers, lui, fait pénétrer le rapport de guerre dans tout rapport social, va le subdiviser par mille canaux divers, et va faire apparaître la guerre comme une sorte d'état permanent entre des groupes, des fronts, des unités tactiques, en quelque sorte, qui se civilisent les uns avec les autres, s'opposent les uns les autres, ou au contraire s'allient les uns avec les autres. Il n'y a plus ces grandes masses stables et multiples, il va y avoir une guerre multiple, en un sens une guerre de tous contre tous.</poem>}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux
|auteur=Michel Foucault
|éditeur=Gallimard Le Seuil
|collection=Hautes Etudes
|année=1997
|page=144
|section=Cours du 18 février 1976
|ISBN=978-2-02-023169-5}}