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=== ''Les Anormaux'' — Cours au Collège de France, 1974-1975 ===
==== Cours du 8 janvier 1975 ====
{{citation|citation=Le grotesque, c'est l'un des procédés essentiels à la souveraineté arbitraire. Mais vous savez aussi que le grotesque, c'est un procédé inhérent à la bureaucratie appliquée. Que la machine administrative, avec ses effets de pouvoir incontournables, passe par le fonctionnaire médiocre, nul, imbécile, pelliculaire, ridicule, râpé, pauvre, impuissant, tout ça a été l'un des traits essentiels des grandes bureaucraties occidentales, depuis le XIXe siècle. Le grotesque administratif n'a pas simplement été l'espèce de perception visionnaire de l'administration qu'ont pu avoir Balzac, Dostoïevski, Courteline ou Kafka. Le grotesque administratif, c'est en effet une possibilité que s'est réellement donnée la bureaucratie. « Ubu rond de cuir » appartient au fonctionnement de l'administration moderne, comme il appartenait au fonctionnement du pouvoir impérial à Rome d'être entre les mains d'un histrion fou. Et ce que je dis de l'Empire romain, ce que je dis de la bureaucratie moderne, on pourrait dire de biens d'autres formes mécaniques de pouvoir. Le pouvoir se donnait cette image d'être issu de quelqu'un qui était théâtralement déguisé, dessiné comme un clown, comme un pitre.
Il me semble qu'il y a là, depuis la souveraineté infâme jusqu'à l'autorité ridicule, tous les degrés de ce que l'on pourrait appeler l'indignité du pouvoir.}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux |auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1999|page=13|section=Cours du 8 janvier 1975|ISBN=2-02-030798-7}}
 
==== Cours du 15 janvier 1975 ====
{{citation|citation=L'exclusion de la lèpre, c'était une pratique sociale qui comportait d'abord un partage rigoureux, une mise à distance, une règle de non-contact entre un individu (ou un groupe d'individus) et un autre. C'était, d'autre part, le rejet de ces individus dans un monde extérieur, confus, au-delà des murs de la ville, au-delà des limites de la communauté. Constitution, par conséquent, de deux masses étrangères l'une à l'autre. Et celle qui était rejetée, était rejetée au sens strict dans les ténèbres extérieures. Enfin, troisièmement, cette exclusion du lépreux impliquait la disqualification — peut-être pas exactement morale, mais en tout cas juridique et politique — des individus ainsi exclus et chassés. Ils entraient dans la mort, et vous savez que l'exclusion du lépreux s'accompagnait régulièrement d'une sorte de cérémonie funèbre, au cours de laquelle on déclarait morts (et, par conséquent, leurs biens transmissibles) les individus qui étaient déclarés lépreux, et qui allaient partir vers ce monde extérieur et étranger. Bref, c'était en effet des pratiques d'exclusion, des pratiques de rejet, des pratiques de « marginalisation », comme nous dirions maintenant. Or, c'est sous cette forme-là qu'on décrit, et je crois encore actuellement, la manière dont le pouvoir s'exerce sur les fous, sur les malades, sur les criminels, sur les déviants, sur les enfants, sur les pauvres.}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux |auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1999|page=40|section=Cours du 15 janvier 1975|ISBN=2-02-030798-7}}
 
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{{Réf Livre|titre=Les Anormaux|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1999|page=47|section=Cours du 15 janvier 1975 |ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=Ce que le XVIIIe siècle a mis en place par le système « discipline à effet de normalisation », par le système « discipline-normalisation », il me semble que c'est un pouvoir qui, en fait, n'est pas répressif, mais productif — la répression n'y figurant qu'à titre d'effet latéral et secondaire, par rapport à des mécanismes qui, eux, sont centraux par rapport à ce pouvoir, des mécanismes qui fabriquent, des mécanismes qui créent, des mécanismes qui produisent.}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1999|page=48|section=Cours du 15 janvier 1975 |ISBN=2-02-030798-7}}
 
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{{Réf Livre|titre=Les Anormaux|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1999|page=241|section=Cours du 5 mars 197|ISBN=2-02-030798-7}}
 
{{citation|citation=Bien sûr, ce n'est pas au même âge qu'on demande aux parents de s'occuper des enfants et de se dessaisir du corps des enfants. Mais on demande cependant un processus d'échange : « Gardez-nous vos enfants bien en vie et bien solides, corporellement bien sains, bien dociles et bien aptes, pour que nous puissions les faire passer dans une machine dont vous n'avez pas le contrôle, et qui sera le système d'éducation, d'instruction, de formation, de l'Etat. »}}
{{Réf Livre|titre=Les Anormaux|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1999|page=241|section=Cours du 5 mars 1975|ISBN=2-02-030798-7}}
 
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{{Réf Livre|titre=Surveiller et punir|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard|année=1975|page=34}}
 
=== ''« Il faut défendre la société »'' — Cours au Collège de France, 1976 ===
==== Cours du 14 janvier 1976 ====
{{citation|citation=Il n'y a pas d'exercice du pouvoir sans une certaine économie des discours de vérité fonctionnant dans, à partir de et à travers ce pouvoir. Nous sommes soumis par le pouvoir à la production de la vérité et nous ne pouvons exercer le pouvoir que par la production de la vérité.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=22|section=Cours du 14 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Pour marquer simplement non pas le mécanisme même de la relation entre pouvoir, droit et vérité, mais l'intensité du rapport et sa constance, disons ceci : nous sommes astreints à produire la vérité par le pouvoir qui exige cette vérité et qui en a besoin pour fonctionner ; nous avons à dire la vérité, nous sommes contraints, nous sommes condamnés à avouer la vérité ou à la trouver. Le pouvoir ne cesse de questionner, de nous questionner ; il ne cesse d'enquêter, d'enregistrer ; il institutionnalise la recherche de la vérité, il la professionnalise, il la récompense. Nous avons à produire la vérité comme, après tout, nous avons à produire des richesses, et nous avons à produire la vérité pour pouvoir produire des richesses. Et d'un autre côté, nous sommes également soumis à la vérité, en ce sens que la vérité fait loi ; c'est le discours vrai qui, pour une part au moins, décide ; il véhicule, il propulse lui-même des effets de pouvoir.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=22|section=Cours du 14 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=La bourgeoisie ne s'intéresse pas aux fous ; la bourgeoisie ne s'intéresse pas à la sexualité de l'enfant, mais au système de pouvoir qui contrôle la sexualité de l'enfant. La bourgeoisie se moque totalement des délinquants, de leur punition ou de leur réinsertion, qui n'a économiquement pas beaucoup d'intérêt. En revanche, de l'ensemble des mécanismes par lesquels le délinquant est contrôlé, suivi, puni, réformé, il se dégage, pour la bourgeoisie, un intérêt qui fonctionne à l'intérieur du système économico-politique général.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=30|section=Cours du 14 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=La théorie de la souveraineté est liée à une forme de pouvoir qui s'exerce sur la terre et les produits de la terre, beaucoup plus que sur les corps et sur ce qu'ils font.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=32|section=Cours du 14 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=La théorie de la souveraineté est, si vous voulez, ce qui permet de fonder le pouvoir absolu dans la dépense absolue du pouvoir, et non pas de calculer le pouvoir avec le minimum de dépense et le maximum d'efficacité.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=32|section=Cours du 14 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Je veux dire, plus précisément, ceci : je crois que la normalisation, les normalisations disciplinaires, viennent buter de plus en plus contre le système juridique de la souveraineté ; de plus en plus nettement apparaît l'incompatibilité des unes et de l'autre ; de plus en plus est nécessaire une sorte de discours arbitre, une sorte de pouvoir et de savoir que sa sacralisation scientifique rendrait neutre.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société» »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seui|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=35|section=Cours du 14 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
==== Cours du 21 janvier 1976 ====
{{citation|citation=C'est la guerre qui est le moteur des institutions et de l'ordre : la paix, dans le moindre de ses rouages, fait sourdement la guerre. Autrement dit, il faut déchiffrer la guerre sous la paix : la guerre, c'est le chiffre même de la paix. Nous sommes donc en guerre les uns contre les autres ; un front de bataille traverse la société tout entière, continûment et en permanence, et c'est ce front de bataille qui place chacun de nous dans un camp ou dans un autre. Il n'y a pas de sujet neutre. On est forcément l'adversaire de quelqu'un.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=43|section=Cours du 21 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=C'est l'appartenance à un camp — la position décentrée — qui va permettre de déchiffrer la vérité, de dénoncer les illusions et les erreurs par lesquelles on vous fait croire — les adversaires vous font croire — que l'on est dans un monde ordonné et pacifié. « Plus je me décentre, plus je vois la vérité ; plus j'accentue le rapport de force, plus je me bats, plus effectivement la vérité va se déployer devant moi, et dans cette perspective de combat, de la survie ou de la victoire. »}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=45|section=Cours du 21 janvier 1976 |ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Ou la vérité donne la force, ou la vérité déséquilibre, accentue les dissymétries et fait pencher finalement la victoire d'un côté plutôt que de l'autre : la vérité est un plus de force, tout comme elle ne se déploie qu'à partir d'un rapport de force.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société » |auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=46|section=Cours du 21 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Un entrecroisement de corps, de passions et de hasards : c'est cela qui, dans ce discours, va constituer la trame permanente de l'histoire et des sociétés. Et c'est simplement au-dessus de cette trame de corps, de hasards et de passions, de cette masse et de ce grouillement sombre et parfois sanglant, que va se bâtir quelque chose de fragile et de superficiel, une rationalité croissante, celle des calculs, des stratégies, des ruses ; celle des procédés techniques pour maintenir la victoire, pour faire taire, apparemment, la guerre, pour conserver ou renverser les rapports de force. C'est une rationalité donc qui, à mesure qu'on monte et qu'elle se développe, va être au fond de plus en plus abstraite, de plus en plus liée à la fragilité et à l'illusion, de plus en plus liée aussi à la ruse et à la méchanceté de ceux qui, ayant pour l'instant la victoire, et étant favorisés dans le rapport de domination, ont tout intérêt à ne plus les remettre en jeu.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société » |auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=47|section=Cours du 21 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
==== Cours du 28 janvier 1976 ====
{{citation|citation=Jupiter, dieu hautement représentatif du pouvoir, dieu par excellence de la première fonction et du premier ordre dans la tripartition indo-européenne, c'est à la fois le dieu aux liens et le dieu aux foudres. Eh bien, je crois que l'histoire, telle qu'elle fonctionne encore au Moyen Âge, avec ses recherches d'antiquité, ses chroniques au jour le jour, ses recueils d'exemples mis en circulation, c'est encore et toujours cette représentation du pouvoir, qui n'en est pas simplement l'image, mais aussi la procédure de revigoration. L'histoire, c'est le discours du pouvoir, le discours des obligations par lesquelles le pouvoir soumet ; c'est aussi le discours de l'éclat par lequel le pouvoir fascine, terrorise, immobilise. Bref, liant et immobilisant, le pouvoir est fondateur et garant de l'ordre ; et l'histoire est précisément le discours par lequel ces deux fonctions qui assurent l'ordre vont être intensifiées et rendues plus efficaces. D'une façon générale, on peut donc dire que l'histoire, jusque tard encore dans notre société, a été une histoire de la souveraineté, une histoire qui se déploie dans la dimension et dans la fonction de la souveraineté. C'est une histoire « jupitérienne ».}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=60|section=Cours du 28 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=[L'histoire de la lutte des races] fait apparaître que la lumière — ce fameux éblouissement du pouvoir — n'est pas quelque chose qui pétrifie, solidifie, immobilise le corps social tout entier, et par conséquent le maintient dans l'ordre, mais est, en fait, une lumière qui partage, qui éclaire d'un côté, mais laisse dans l'ombre, ou rejette dans la nuit, une autre partie du corps social.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=61|section=Cours du 28 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Dans l'histoire de type romain, la mémoire avait essentiellement à assurer le non-oubli — c'est-à-dire le maintien de la loi et la majoration perpétuelle de l'éclat du pouvoir à mesure qu'il dure. Au contraire, la nouvelle histoire qui apparaît va avoir à déterrer quelque chose qui a été caché, et qui a été caché non seulement parce que négligé, mais aussi parce que soigneusement, délibérément, méchamment, travesti et masqué. Au fond, ce que la nouvelle histoire veut montrer, c'est que le pouvoir, les puissants, les rois, les lois, ont caché qu'ils étaient nés dans le hasard et dans l'injustice des batailles.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société » |auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=63|section=Cours du 28 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Ils essaient, ces rois injustes et partiels, de se faire valoir pour tous et au nom de tous ; ils veulent bien que l'on parle de leurs victoires, mais ils ne veulent pas que l'on sache que leurs victoires étaient la défaite des autres, c'était « notre défaite ». Donc, le rôle de l'histoire sera de montrer que les lois trompent, que les rois se masquent, que le pouvoir fait illusion et que les historiens mentent. Ce ne sera dons pas une histoire de la continuité, mais une histoire du déchiffrement, de la détection du secret, du retournement de la ruse, de la réappropriation d'un savoir détourné et enfoui. Ce sera le déchiffrement d'une vérité scellée.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=63|section=Cours du 28 janvier 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
==== Cours du 4 février 1976 ====
{{citation|citation=La guerre, c'est l'effet immédiat d'une non-différence ou, en tout cas, de différences insuffisantes. En fait, dit Hobbes, s'il y avait eu de grandes différences, si effectivement entre les hommes il y avait des écarts qui se voient et se manifestent, qui sont très clairement irréversibles, il est bien évident que la guerre se trouverait par là même bloquée immédiatement. S'il y avait des différences naturelles marquées, visibles, massives, de deux choses l'une : ou bien il y aurait effectivement affrontement entre le fort et le faible — mais cet affrontement et cette guerre réelle se solderaient aussitôt par la victoire du fort sur le faible, victoire qui serait définitive à cause même de la force du fort ; ou bien il n'y aurait pas affrontement réel, ce qui veut dire, tout simplement, que le faible, sachant, percevant, constatant sa propre faiblesse, renoncerait avant même l'affrontement. De sorte que — dit Hobbes — s'il y avait des différences naturelles marquées, il n'y aurait pas de guerre ; car, ou bien le rapport de force serait fixé d'entrée de jeu par une guerre initiale qui exclurait qu'elle continue, ou bien, au contraire, ce rapport de force resterait virtuel par la timidité même des faibles. Donc, s'il y avait différence, il n'y aurait pas de guerre. La différence pacifie. En revanche, dans l'état de non-différence, de différence insuffisante — dans cet état où on peut dire qu'il y a des différences, mais rampantes, fuyantes, minuscules, instables, sans ordre et sans distinction ; dans cette anarchie des petites différences qui caractérise l'état de nature — qu'est-ce qui se passe ? Même celui qui est un petit peu plus faible que les autres, qu'un autre, il est tout de même suffisamment proche du plus fort pour se percevoir assez fort pour n'avoir pas à céder. Donc, le faible ne renonce jamais. Quant au fort, qui est simplement un tout petit peu plus fort que les autres, il n'est jamais assez fort pour n'être pas inquiet et, par conséquent, pour n'avoir pas à se tenir sur ses gardes. L'indifférenciation naturelle crée donc des incertitudes, des risques, des hasards et, par conséquent, la volonté, de part et d'autre, de s'affronter ; c'est l'aléatoire dans le rapport primitif des forces qui crée cet état de guerre.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=78|section=Cours du 4 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Il n'y a pas de batailles dans la guerre primitive de Hobbes, il n'y a pas de sang, il n'y a pas de cadavres. Il y a des représentations, des manifestations, des signes, des expressions emphatiques, rusées, mensongères ; il y a des leurres, des volontés qui sont travesties en leur contraire, des inquiétudes qui sont camouflées en certitudes. On est sur le théâtre des représentations échangées, on est dans un rapport de peur qui est un rapport temporellement indéfini ; on n'est pas réellement dans la guerre. Ceci veut dire, finalement, que l'état de sauvagerie bestiale, où les individus vivants se dévoreraient les uns les autres, ne peut en aucun cas apparaître comme la caractérisation première de l'état de guerre selon Hobbes. Ce qui caractérise l'état de guerre, c'est une sorte de diplomatie infinie de rivalités qui sont naturellement égalitaires. On n'est pas dans « la guerre » ; on est dans ce que Hobbes appelle, précisément, « l'état de guerre ». Il y a un texte où il dit : « La guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs ; mais dans un espace de temps — c'est l'état de guerre — où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée ».}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=79|section=Cours du 4 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Domination, direz-vous, et pas souveraineté. Eh bien non, dit Hobbes ; on est bien encore et toujours dans le rapport de souveraineté. Pourquoi ? Parce que, dès lors que les vaincus ont préféré la vie et l'obéissance, ils ont par la même reconstitué une souveraineté, ils ont fait de leurs vainqueurs leurs représentants, ils ont restauré un souverain à la place de celui que la guerre avait abattu. Ce n'est donc pas la défaite qui fonde une société de domination, d'esclavage, de servitude, d'une manière brutale et hors du droit, mais ce qui s'est passé dans cette défaite, après même la bataille, après même la défaite, et d'une certaine manière indépendamment d'elle : c'est quelque chose qui est la peur, la renonciation à la peur, la renonciation aux risques de la vie. C'est cela qui fait entrer dans l'ordre de la souveraineté et dans un régime juridique qui est celui du pouvoir absolu. La volonté de préférer sa vie à la mort : c'est cela qui va fonder la souveraineté, une souveraineté qui est aussi juridique et légitime que celle qui a été constituée sur le mode de l'institution et de l'accord mutuel.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=82|section=Cours du 4 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Il faut et il suffit, pour qu'il y ait souveraineté, que soit effectivement présente une certaine volonté radicale qui fait qu'on veut vivre même lorsqu'on ne le peut pas sans la volonté d'un autre.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=83|section=Cours du 4 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=La souveraineté se forme toujours par en dessous, par la volonté de ceux qui ont peur. De sorte que, malgré la coupure qui peut apparaître entre les deux grandes formes de république (celle d'institution née par rapport mutuel, et celle d'acquisition née de la bataille), entre l'une et l'autre apparaît une identité profonde de mécanismes. Qu'il s'agisse d'un accord, d'une bataille, d'un rapport parents/enfants, de toute façon l'on retrouve la même série : volonté, peur et souveraineté.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=83|section=Cours du 4 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Il y a dans le ''Leviathan'' tout un front du discours qui consiste à dire : peu importe qu'on se soit battu ou pas, peu importe que vous ayez été vaincus ou non ; de toute façon, c'est le même mécanisme qui joue pour vous les vaincus, le même que celui que l'on trouve à l'état de nature, dans la constitution de l'Etat, ou que l'on retrouve encore, tout naturellement, dans le rapport le plus tendre et le plus naturel qui soit, c'est-à-dire celui entre les parents et les enfants. Hobbes rend la guerre, le fait de la guerre, le rapport de force effectivement manifeste dans la bataille, indifférents à la constitution de la souveraineté. La constitution de la souveraineté ignore la guerre.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=83|section=Cours du 4 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=D'un mot, ce que Hobbes veut éliminer c'est la conquête, ou encore l'utilisation, dans le discours historique et dans la pratique politique, de ce problème qui est celui de la conquête. L'invisible adversaire du Léviathan, c'est la conquête [...]. En ayant l'air de proclamer la guerre partout, dès le départ et encore à l'arrivée, le discours de Hobbes disait, en réalité, tout le contraire. Il disait que guerre ou pas guerre, défaite ou non, conquête ou accord, c'est la même chose : « Vous l'avez voulue, c'est vous, les sujets, qui avez constitué la souveraineté qui vous représente. Ne nous ennuyez donc plus avec vos ressassements historiques : au bout de la conquête (si vous voulez vraiment qu'il y ait eu une conquête), eh bien, vous trouverez encore le contrat, la volonté apeurée des sujets. » Le problème de la conquête se trouve donc ainsi dissous, en amont par cette notion de guerre de tous contre tous et en aval par la volonté, juridiquement valable même, de ces vaincus apeurés, le soir de la bataille. Donc je crois que Hobbes peut bien paraître scandaliser. En fait, il rassure : il tient toujours le discours du contrat et de la souveraineté, c'est-à-dire le discours de l'Etat.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=85|section=Cours du 4 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=C'était cela qu'il fallait éliminer ; et, d'une façon plus générale, et à plus longue échéance, ce qu'il fallait éliminer, c'était ce que j'appellerais l'« historicisme politique », c'est-à-dire cette espèce de discours que l'on voit se profiler à travers les discussions dont je vous ai parlé, qui se formule dans certaines des phases les plus radicales et qui consiste à dire : dès que l'on a affaire à des rapports de pouvoir, on n'est pas dans le droit et on n'est pas dans la souveraineté ; on est dans la domination, on est dans ce rapport historiquement indéfini, indéfiniment épais et multiple de domination. On ne sort pas de la domination, donc on ne sort pas de l'histoire. Le discours philosophico-juridique de Hobbes a été une manière de bloquer cet historicisme politique qui était donc le discours et le savoir effectivement actifs dans les luttes politiques du XVIIe siècle.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=96|section=Cours du 4 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
==== Cours du 11 février 1976 ====
{{citation|citation=Quand le roi, pour connaître ses droits, interroge les greffiers et les jurisconsultes, quelle réponse peut-il obtenir sinon un savoir établi du point de vue du juge et du procureur que lui, le roi, a créé lui-même, et où, par conséquent, il n'est pas surprenant que le roi trouve, tout naturellement, les louanges de son propre pouvoir.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=114|section=Cours du 11 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Il s'agit, dans cette histoire qui va s'opposer, dans sa forme même, au savoir du greffier et du juge, d'ouvrir les yeux du prince sur les usurpations dont il n'a pas eu conscience, et de lui restituer les forces, le souvenir des liens qu'il a eu sans doute intérêt à oublier lui-même et à faire oublier. Contre le savoir des greffiers, qui renvoie toujours d'une actualité à une autre, du pouvoir au pouvoir, du texte de la loi à la volonté du roi, et inversement, l'histoire sera l'arme de la noblesse trahie et humiliée ; une histoire dont la forme profondément anti-juridique sera, derrière l'écriture, le décryptage, la remémoration au-delà de toutes les désuétudes, et la dénonciation de ce que ce savoir cachait d'hostilité apparente. Voilà le premier grand adversaire de ce savoir historique que la noblesse veut lancer pour réoccuper le savoir du roi.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=115|section=Cours du 11 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=L'autre grand adversaire, c'est le savoir non plus du juge ou du greffier, mais de l'intendant : non plus le greffe, mais le bureau [...]. Contre ce savoir des intendants et du bureau, la noblesse veut faire valoir une autre forme de connaissance : une histoire, cette fois, des richesses et non plus une histoire économique, c'est-à-dire une histoire des déplacements des richesses, des exactions, des vols, des tours de passe-passe, des détournements, des appauvrissements, des ruines. Une histoire, par conséquent, qui passe derrière le problème de la production des richesses, pour montrer par quelles ruines, dettes, accumulations abusives, s'est constitué, de fait, un certain état des richesses qui n'est, après tout, qu'un mélange des malhonnêtetés accomplies par le roi avec la bourgeoisie. Ce sera donc, contre l'analyse des richesses, une histoire de la manière dont les nobles se sont ruinés dans des guerres sans fin ; une histoire de la manière dont l'Eglise s'est fait donner par ruse des terres et des revenus; une histoire de la manière dont la bourgeoisie a endetté la noblesse ; une histoire de la manière dont le fisc royal a rogné les revenus des nobles, etc.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la sociétésociét é»|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=115|section=Cours du 11 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Ce quelque chose qui parle désormais dans l'histoire, qui prend la parole dans l'histoire, et dont on va parler dans l'histoire, c'est ce que le vocabulaire de l'époque désigne par le mot de « nation ».}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=117|section=Cours du 11 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Entre le savoir du prince et les connaissances de son administration, on a créé un ministère de l'histoire qui devait, entre le roi et son administration, établir, d'une façon contrôlée, la tradition ininterrompue de la monarchie.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=120|section=Cours du 11 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
==== Cours du 18 février 1976====
{{citation|citation=Les Croisades, comme grand cheminement vers l'au-delà, sont pour Boulainvilliers l'expression, la manifestation de ce qui se passait lorsque cette noblesse a été entièrement tournée vers le monde de l'au-delà, cependant que dans l'en-deçà, c'est-à-dire sur leurs terres mêmes, au moment où ils étaient à Jérusalem, qu'est-ce qui se passait ? Le roi, l'Eglise, l'ancienne aristocratie gauloise manipulaient les lois en latin qui devaient les déposséder de leurs terres et de leurs droits.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=137|section=Cours du 18 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Chez les Mèdes, chez les Perses, vous trouvez également une aristocratie et un peuple. Ce qui prouve à l'évidence qu'il y a eu, derrière cela, luttes, violences et guerres. Et d'ailleurs, chaque fois que l'on voit les différences entre aristocratie et peuple s'atténuer dans une société ou dans un Etat, on peut être sûr que l'Etat va entrer en décadence. La Grèce et Rome ont perdu leurs statuts, et ont même disparu comme Etats, dès lors que leur aristocratie est entrée en décadence. Donc, partout des inégalités, partout des violences fondant des inégalités, partout des guerres. Il n'y a pas de sociétés qui puissent tenir sans cette espèce de tension belliqueuse entre une aristocratie et une masse de peuple.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=138|section=Cours du 18 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
{{citation|citation=Jusqu'au XVIIe siècle la guerre c'était bien, essentiellement, la guerre d'une masse contre une autre masse. Boulainvilliers, lui, fait pénétrer le rapport de guerre dans tout rapport social, va le subdiviser par mille canaux divers, et va faire apparaître la guerre comme une sorte d'état permanent entre des groupes, des fronts, des unités tactiques, en quelque sorte, qui se civilisent les uns avec les autres, s'opposent les uns les autres, ou au contraire s'allient les uns avec les autres. Il n'y a plus ces grandes masses stables et multiples, il va y avoir une guerre multiple, en un sens une guerre de tous contre tous.}}
{{Réf Livre|titre=« Il faut défendre la société »|auteur=Michel Foucault|éditeur=Gallimard Le Seuil|collection=Hautes Etudes|année=1997|page=144|section=Cours du 18 février 1976|ISBN=978-2-02-023169-5}}
 
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