« François-René de Chateaubriand » : différence entre les versions

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{{citation|citation=<poem>Le dernier des purs dans un monde vendu, il restera la ''vox claman in deserto'', le prophète maigre et nu prêchant en vain une parousie que personne n'attend plus.
Reste qu'au-delà de l'insoumission instantanée, la seul manière efficace de renverser à son profit le rapport de force, l'arme absolue du (provisoirement) faible est évidemment l'écriture. Sa fonction restauratrice (c'est le cas de le dire) de justice et de vérité, mais aussi libératrice, s'affirme avec une force particulière lorsque l'imposture régnante paralyse le corps de ses antagonistes. L'écrivain retenu dans les chaînes — fussent-elles, comme ici, toutes métaphoriques — témoigne pour l'inaliénable souveraineté d'un principe spirituel. La Préfecture de police se voit ainsi, par la grâce de son hôte forcé, transfigurée en laboratoire de littérature en soi, elle est déjà littérature, et pas la meilleure : son arsenal de clefs, de grilles, ses échos glaçants de pas sur les dalles suintantes d'immenses corridors, renvoient au bric à brac du roman « gothique », de même que la nudité, la saleté de la cellule, son « meuble infâme », ses graffiti [...] répondent aux canons d'un ''topos'' misérabiliste qui ne manque jamais d'être exploité par les feuilletons populaires, les « chansons dévergondées » braillées par les compagnons d'infortune, répondent aux canons d'un ''topos'' misérabiliste qui ne manque jamais d'être exploité par les feuilletons populaires, au cours d'un épisode d'embastillement rigoureusement incontournable et non moins convenu. Or tout se passe comme si, très vite, Chateaubriand se débarrassait de ce décor bon marché pour s'évader intérieurement, grâce à la poésie, vers des régions sublimes, inaccessibles aux cerbères qui l'ont sous bonne garde. Son premier soin, à peine bouclé, est de se nettoyer le corps (et l'âme) de toute cette souillure primaire en faisant le ménage avec une bonne humeur inattendue, et l'étrange sentiment d'un regain de jeunesse : après avoir procédé à ses ablutions et rangé ses petites affaires, Chateaubriand n'a plus l'impression d'être dans un bouge, mais « dans la cabine d'un vaisseau » ; le voilà en partance pour une traversée immobile, sur l'océan du souvenir et du songe ; le rite lustral lui a redonné ses vingt ans : il saute sur la table comme un jeune homme pour regarder par son hublot (hélas, aucune vue: on n'est pas à la tour Farnèse) ; il se retrouve magiquement revenu en arrière, démuni comme dans son galetas londonien, lorsque flottaient dans sa tête les premiers rêves de René. Et aussitôt, pour estampiller l'authenticité de cette expérience régénératrice, il reçoit la récompense réservée aux poètes pauvres : la visite rayonnante de la Muse, qui vient tout inspirée embrasser son favori. Lorsque la vie débarrasse de l'inessentiel par lequel elle se laisse trop souvent encombrer, elle redonne toutes ses chances à la création : si quelqu'un a jamais été persuadé qu'en art « qui perd gagne », c'est bien Chateaubriand.</poem>}}
{{Réf Article|titre=Les prisons du poète|auteur=Philippe Berthier|publication=Chateaubriand — Revue Littéraire Europe|numéro=775-776|page=70|date=Novembre-décembre 1993|ISSN=0014-2751}}