« Amos Oz » : différence entre les versions

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{{Citation|De là nous nous étions silencieusement dirigés vers le nord, la rue Saint-Georges, contournant le quartier orthodoxe de Mea Shearim, pénétrant dans un univers de cyprès, d'enceintes, de grilles, de corniches, de murs de pierre, le monde de l'autre Jérusalem que je connaissais à peine, éthiopienne, arabe, pèlerine, ottomane, missionnaire, allemande, grecque, intrigante, arménienne, américaine, monastique, italienne, russe, avec ses pinèdes touffues, inquiétante mais attirante avec ses cloches et ses enchantements ailés, défendus à cause de leur altérité, une ville voilée, dissimulant de dangereux secrets, regorgeant de croix, de tours, de mosquées, de mystères, altière et silencieuse, aux rues hantées par les sombres silhouettes des prêtres de religions étrangères dans leurs robes et leurs soutanes noires, ecclésiastiques, religieuses, cadis, muezzins, notables, fidèles, pèlerins, femmes voilées et moines encapuchonnés.}}
{{Réf Livre|titre=Une histoire d'amour et de ténèbres|auteur=Amos Oz|éditeur=Gallimard|collection=Folio 4265|traducteur=Sylvie Cohen|année=2004|page=528}}
 
{{Citation|Les pires conflits entre les individus ou entre les peuples opposent souvent des opprimés. C'est une idée romanesque largement répandue que d'imaginer que les persécutés se serrent les coudes et agissent comme un seul homme pour combattre le tyran despotique. En réalité, deux enfants martyrs ne sont pas forcément solidaires et leur destin commun ne les rapproche pas nécessairement. Souvent, ils ne se considèrent pas comme compagnons d'infortune, mais chacun voit en l'autre l'image terrifiante de leur bourreau commun.</br>
Il en va probablement ainsi entre les Arabes et les Juifs, depuis un siècle.</br>
L'Europe a brimé les Arabes, elle les a humiliés, asservis par l'impérialisme et le colonialisme, elle les a exploités, maltraités,et c'est encore l'Europe qui a persécuté, opprimé les Juifs et qui a autorisé, voire aidé les Allemands à les traquer aux quatre coins du monde et à les exterminer presque tous. Or les Arabes ne nous prennent pas pour une poignée de survivants à moitié hystériques, mais pour le fier rejeton de l'Europe colonialiste, sophistiquée et exploiteuse, revenue en douce au Proche-Orient - cette fois sous le masque du sionisme - pour recommencer à les exploiter, les expulser et les spolier. Nous, nous ne les prenons pas pour des victimes semblables à nous, des frères d'infortune, mais pour des cosaques fomenteurs de pogroms, des antisémites avides de sang, des nazis masqués : comme si nos persécuteurs européens ressurgissaient ici, en Terre d'Israël, avec moustache et keffieh, nos assassins de toujours, obsédés par l'idée de nous couper la gorge, juste pour le plaisir.}}
{{Réf Livre|titre=Une histoire d'amour et de ténèbres|auteur=Amos Oz|éditeur=Gallimard|collection=Folio 4265|traducteur=Sylvie Cohen|année=2004|page=564-565}}
 
{{Citation|Les femmes ne participaient guère à la discussion. A l'époque, il était d'usage de complimenter une femme qui savait "merveilleusement écouter", réussir un gâteau ou créer une ambiance chaleureuse, mais pas parce qu'elle entretenait la conversation.}}
{{Réf Livre|titre=Une histoire d'amour et de ténèbres|auteur=Amos Oz|éditeur=Gallimard|collection=Folio 4265|traducteur=Sylvie Cohen|année=2004|page=644}}
 
{{Citation|«"Le sang versé succède au sang versé", intervint M. Abramski en citant le prophète Osée, voilà pourquoi le pays est en deuil." Le reste du peuple d'Israël est venu rétablir le royaume de David et de Salomon et poser les fondations du Troisième Temple, et nous sommes tombés entre les mains moites de trésoriers de kibboutz bouffis et de peu de foi et autres politicards rougeauds au cœur incirconcis, «dont le monde est aussi restreint que celui d'une fourmi.»}}
{{Réf Livre|titre=Une histoire d'amour et de ténèbres|auteur=Amos Oz|éditeur=Gallimard|collection=Folio 4265|traducteur=Sylvie Cohen|année=2004|page=646}}
 
{{Citation|A ce point, mes yeux se refermèrent et il devint urgent de couper court à l'histoire et d'aller espionner une autre table. Ou bien la serveuse qui boitait et avait de profonds yeux noirs. Voilà, apparemment, comment a débuté ma vocation d'écrivain : au café, en attendant une glace ou un épi de maïs.}}
{{Réf Livre|titre=Une histoire d'amour et de ténèbres|auteur=Amos Oz|éditeur=Gallimard|collection=Folio 4265|traducteur=Sylvie Cohen|année=2004|page=677}}
 
{{Citation|Je demandai à Éphraïm si, pendant la guerre d'Indépendance ou les émeutes des années trente, il lui était arriver de tirer ou tuer un de ces assassins.</br>
Je ne distinguais pas son visage dans le noir, mais je décelai une pointe d'ironie sédicieuse, une curieuse tristesse sardonique dans sa voix quand il répondit, après un bref moment de réflexion :</br>
- Des assassins ? Mais qu'aurais-tu voulu qu'ils fassent ? De leur point de vue, nous sommes des extraterrestres qui avons envahi leur pays et le grignotons petit à petit, et tout en leur assurant que nous sommes venus leur apporter des bienfaits, les guérir de la teigne ou du trachome, et les affranchir de l'arriération, l'ignorance et la féodalité, nous usurpons sournoisement leur terre. ''Ey bien,'' qu'est-ce que tu croyais ? Qu'ils allaient nous remercier ? Qu'ils nous accueilleraient en fanfare ? Qu'ils nous remettraient respectueusement les clés du pays sous prétexte que nos ancêtres y vivaient autrefois ? En quoi est-ce extraordinaire qu'ils aient pris les armes contre nous ? Et maintenant que nous les avons battus à plate-couture et que des centaines de milliers d'eux vivent dans des camps, penses-tu vraiment qu'ils vont se réjouir avec nous et nous souhaiter bonne chance ?</br>
J'étais sidéré.}}
{{Réf Livre|titre=Une histoire d'amour et de ténèbres|auteur=Amos Oz|éditeur=Gallimard|collection=Folio 4265|traducteur=Sylvie Cohen|année=2004|page=703-704}}
 
{{Citation|- ''Ey bien,'' tu as peut-être oublié qu'en 48 ils ont essayé de nous tuer tous ? En 48 il y a eu une guerre terrible, et ils se sont débrouillés pour que ce soit eux ou nous, et on a gagné et on le leur a pris. Il n'y a pas de quoi être fier ! Mais si c'étaient eux qui avaient gagné en 48, il y aurait encore moins de quoi être fier : ils n'auraient pas laissé un seul Juif vivant. Et d'ailleurs, il n'y a pas un seul Juif qui vive dans leur territoire aujourd'hui. La question est là : c'est parce que nous leur avons pris ce que nous leur avons pris en 48 que nous avons ce que nous avons aujourd'hui. Et c'est parce que nous avons quelque chose maintenant que nous ne devons rien leur prendre de plus. C'est tout. Voilà la différence entre M. Begin et moi : si nous leur en prenons plus un jour, maintenant que nous avons quelque chose, nous commettrons un très grave péché.}}
{{Réf Livre|titre=Une histoire d'amour et de ténèbres|auteur=Amos Oz|éditeur=Gallimard|collection=Folio 4265|traducteur=Sylvie Cohen|année=2004|page=705}}
 
''(p.706-719 : Amos Oz est reçu chez Ben Gourion)''
{{Citation|Un homme arpentait fiévreusement cette pièce spartiate, les mains derrière le dos, les yeux baissés, la tête projetée en avant, comme prête à charger. L'homme ressemblait à Ben Gourion comme deux gouttes d'eau, mais ce ne pouvait pas être lui : dès le jardin d'enfant, tout le monde en Israël savait de quoi il avait l'air et aurait pu le reconnaître les yeux fermés. Mais comme il n'y avait pas encore la télévision, il me paraissait évident que le Père de la Nation était un géant dont la tête atteignait les nuages, tandis que cet imposteur était coutaud et rondouillard - on aurait dit une femme enceinte - de moins d'un mètre soixante.</br>
J'étais stupéfait. Presque vexé.</br>
Pourtant, pendant les deux ou trois minutes de silence qui me parurent une éternité, le dos toujours contre la porte, je dévisageais ce curieux petit bonhomme magnétique, puissamment charpenté, tenant à la fois du patriarche montagnard coriace et du vieux nain énergique, faisant nerveusement les cent pas, les mains croisées dans le dos, sa grosse tête ne avant comme s'il se préparait à enfoncer une muraille d'un coup de bélier, perdu dans ses pensées, très loin, ne prenant même pas la peine de signaler qu'il savait que quelqu'un, quelque chose, un infime grain de poussière, avait atterri dans son bureau. David Ben Gourion avait soixant-quinze ans à cette époque, et moi, une vingtaine d'années.}}
{{Réf Livre|titre=Une histoire d'amour et de ténèbres|auteur=Amos Oz|éditeur=Gallimard|collection=Folio 4265|traducteur=Sylvie Cohen|année=2004|page=711}}