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Au-delà des frontières
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|ISBN=978-2-02-132917-9
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== ''Au-delà des frontières'', 2019 ==
{{citation|
Les deux hommes montent à bord séparément — les employés du Protocole s'affairent pour leur éviter la rencontre. Deux ex-présidents ! D'assez petite taille, il mobilise un reste d'aplomb dans un comique effort de solennité, de grandeur… <br />
Tom se rappelle vaguement leurs mandatures. Le premier a été abandonné par son épouse, le second — au lieu de vaquer aux affaires de l'État — filait chaque nuit, sur un scooter, rejoindre sa maîtresse… On peine à imaginer ce batifolage élyséen, vu l'horreur de ce qui est survenu, depuis. Éclatement de l'Europe, guerres civiles, ensauvagement du monde.
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{{Réf Livre
|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Grasset
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|ISBN=978-2-246-81857-1
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{{citation|
— Il a besoin de croire que le monde peut encore être sauvé ! <br />
Gabriel émet un rire sourd. <br />
« Ce monde, le mérite-t-il vraiment ? La dernière tentative avait été lancée par les diggers. Transcender le magma humain qui prolifère, dévore la nature, multiplie les guerres, se refait selon le même scénario : baffrer, tuer, jouir, se reproduire, polluer, mourir. Les diggers proposait une rupture. Une Alternaissance… <br />
— Les hommes ne cherchent pas une rupture, Gabriel ! Ils veulent juste consommer plus, placer leur progéniture plus près de la mangeoire et mourir plus tard ! <br />
— Les diggers leur proposait plus que ces « plus ». Ils leur offraient tout ! Venez voir la machine à produire ce tout… »
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{{Réf Livre
|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andreï Makine
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|ISBN=978-2-246-81857-1
|page=67
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{{citation|
Jamais auparavant nous n'avons autant senti l'épaisseur de la masse humaine prête à nous sauter la gorge pour défendre "ses acquis". Osmonde presse son index aux lèvres. « Tsss ! Laissez-les dormir, vos braves contemporains. Ils n'ont que ce jeu-là à jouer. Pendant quelques milliers de jours. » Il se lève, nous salue et lance de sa voix grommelante : « Votre combat est le reflet de leur sommeil. En les dénonçant, vous vivez leur cauchemar en miroir. Il vous emprisonne. Sciez les barreaux ! Lynden vous aidera… » <br />
Je suis alors frappé par cette évidence : racisme et antiracisme, passéisme et révolution, laïcisme et fanatisme, cosmopolitisme et populisme sont deux moitiés d'une même scène où s'affrontent les acteurs, incapables de quitter ce théâtre. Or la vérité de l'homme est en dehors des tréteaux !
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{{Réf Livre
|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andreï Makine
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|année=2019
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|ISBN=978-2-246-81857-1
|page=135,136
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{{citation|
Nous avons passé la nuit sous le toit d'un vieux baraquement de baleiniers, en écoutant la pluie dans le feuillage d'eucalyptus. Rien ne subsistait de notre passé, de notre soif d'avaler le maximum d'existence. Et ce qui restait me surprenait par son infinie simplicité — la beauté de ce visage féminin vieilli, les reflets du feu sur ses paupières, sa main qui, dans le sommeil, était tendue vers la nuit, comme pour montrer une voie… Je n'avais besoin de rien d'autre.
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{{Réf Livre
|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Grasset
|année=2019
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|ISBN=978-2-246-81857-1
|page=142,143
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{{citation|
Je lui raconte tout. La passion exaltée de Vivien pour cette jeune femme, la découverte du pot aux roses télévisuel… La menace qui pèse sur les « hussards ». Et le suicide. <br />
Un soupir rend ses paroles presque mélodieuses : « Pauvre fille… elle avait aussi son Meccano à construire… » <br />
Et soudain, comme frappée d'une divination, elle s'exclame : « En fait, c'est elle qui n'a pas eu la chance de lire ''Alternaissance''. Ce livre aurait pu la sauver ! »
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|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andreï Makine
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|page=166
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{{citation|
Quand je voyais Vivien, il pestait contre les médias (et j'en faisais partie), traitant les journalistes de « chiens de garde du système ». Il croyait encore à la sincérité des convictions… La réalité est toute bête : un jeune qui choisit ce métier doit reformater son cerveau à la pensée autorisée. Et, plus tard, il a une famille à nourrir, une maîtresse, une résidence secondaire à payer… Donc obligé de mentir pour garder son temps d'antenne ou sa rubrique…
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{{Réf Livre
|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andreï Makine
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|ISBN=978-2-246-81857-1
|page=169
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{{citation|
Quel sera le sort de ce radieux '' Homo mixtus'' ? Je le vois d'ici : une petite voiture, une petite femme (ou homme) végane dans son lit (en compagnie d'un petit chien), deux rejetons, les oreilles bouchées par les écouteurs, des vacances sur une plage infestée d'algues vertes, journal télévisé — élections bonnet blanc blanc bonnet, exposition d'art contemporain, dose quotidienne d'antiracisme, championnat de foot, petite scène de ménage, divorce, déprimes, velléités intellectuelles, c'est-à-dire romans et films sur cette vie, un peu enjolivée… ''l'Homo mixtus'' vaincra, mais sur une planète moribonde. Le bon vieux Levi-Strauss l'a compris : « Je suis né dans un monde d'un milliard et demi d'habitants. Et je le quitte à l'heure où il en compte six. »
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|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andrei Makine
|éditeur=Grasset
|année=2019
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|ISBN=978-2-246-81857-1
|page=201, 202
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{{citation|
Le vent parcourt les rameaux de La haie — de petites feuilles rondes et dorées s'envolent, ponctuent les meubles posés dans l'herbe et la fourrure de la pelisse qui protège Gaia. Cet instant de lumière dit l'essentiel : un soleil d'hiver, un ciel aux légers nuages hauts, la brume irisée des champs et cette femme endormie, si inconnue, si proche. Les débris du passé, éparpillés dans l'herbe, approfondissent le temps d'une enfilade d'existences devinées. <br v/>
Gaia se relève, me sourit et, comme si quelqu'un pouvait nous entendre, murmure : « Ici, on est vraiment loin de tout… » <br />
Ces heures ensoleillées, devant Mo i Rana, marque le début de ce que les diggers appelaient « le franchissement ».
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|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andrei Makine
|éditeur=Grasset
|année=2019
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|ISBN=978-2-246-81857-1
|page=211
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{{citation|
Ce « résistant à l'absurde » est le personnage clef de la modernité : à la mi-hauteur de l'échelle sociale, entre les éboueurs agrippés à leur benne et l'élite planant sur ses strato-cumulus. Sans son endurance stoïque, le monde s'écroulerait — les maris quitteraient leurs épouses-ados et partiraient vers les pays du Sud, vers des corps généreux et halés, loin de ce quatre-quatre rempli d'instruments de torture pour « le royaume de la glisse ». Or, ils assument, sourient, vieillissent. La fréquence des suicides, dans la classe moyenne, relativement nantie, est assez logique : des années passées à obtenir des tonnes de diplômes, une tension inhumaine au travail, la peur d'une obsolescence professionnelle programmée et, en compensation — cette voiture, pareille à un corbillard, et cette femme-ado à la voix glaçante : « Tu as encore oublié la doudoune de Léo… »
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{{Réf Livre
|titre=Au-delà des frontières
|auteur=Andrei Makine
|éditeur=Grasset
|année=2019
|année d'origine=
|ISBN=978-2-246-81857-1
|page=214, 215
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