« Andreï Makine » : différence entre les versions

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|ISBN=978-2-246-81857-1
|page=214, 215
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== ''L'ami arménien'', 2021 ==
{{citation|
« Il m’a appris à être celui que je n’étais pas. »<br />
Dans ma jeunesse, j’exprimais ainsi ce que la rencontre avec Vardan m’avait fait découvrir de mystérieux et de paradoxal derrière le manège du monde. 
|précisions=incipit
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{{Réf Livre
|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Grasset
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|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=11
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{{citation|
« Elle l’a emportée dans le désert, cette poupée… C’est grâce à la poupée qu’on a pu l’identifier… Sinon… »<br />
Je me retournai en entendant le chuchotement de Vardan qui venait de se réveiller. Presque aussitôt, repris par son mal, il s’étouffa, ne réussissant à expulser de ses poumons qu’un sifflement de mots :<br />
« Quant aux autres, ils n’ont même pas… même pas… »
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{{Réf Livre
|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Grasset
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|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=57
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{{citation|
Quant à moi, l’apparition de cette jeune femme vêtue de noir, puis son effacement à la croisée des ruelles, dans cet instant qu’elle rendait unique, devenait l’aveu de tout ce que je pouvais imaginer derrière l’expression « tomber amoureux », ou plutôt de tout ce qui dépassait, démesurément, définitivement, ces mots banals. Admiration, adoration, coup de foudre, émerveillement, tout cela, dans son abstraction livresque, n’avait aucun rapport avec ce que j’éprouvais. La seule empreinte de ses souliers laissée dans la poussière le long de la voie ferrée abandonnée – cette marque fine et délicatement imprimée – me déplaçait dans un univers où chaque objet espérait recevoir un autre nom.
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{{Réf Livre
|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
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|année=2021
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|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=95
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{{citation|
Son regard semblait interroger ces visages et attendre une réponse. Enfin, il murmura, retrouvant sa voix ordinaire, calme et sans relief mais, cette fois, marquée d’une douleur d’autant plus perceptible :<br />
« Eux, ils n’ont eu aucun dieu pour les aider. Aucune divinité qui aurait poussé un cri. Non, personne. Comme si l’univers tout entier s’était tu. »<br />
Il baissa la tête et se mit à parler, ne changeant pas d’intonation, ne cherchant pas à m’impressionner. Pas un geste ne fit bouger ses mains croisées sur la poitrine. Son corps, figé, resta libre de toute posture.<br />
En parlant, Vardan ressemblait à un homme qui avançait dans l’obscurité en protégeant la flamme vacillante d’une bougie.
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{{Réf Livre
|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
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|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=115
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{{citation|
…Cinquante ans plus tard, j’ai la possibilité de le confirmer car ce visage, au milieu du ruissellement et des feuilles dorées, reste toujours d’une clarté très vivante parmi tout ce que j’ai vécu, depuis. La vraie identité de cet enfant, son unique véritable origine était cette journée d’automne, lente et ensoleillée, à l’écart des existences avides et hâtives des hommes.<br />
Pour atteindre cette identité suprême, encore lui fallait-il la certitude solide d’avoir une patrie, un passé, une terre – oui, un royaume d’où ses rêves pouvaient s’élever vers l’instant de lumière qu’il vivait sans penser à la rubrique numéro cinq de son passeport.
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{{Réf Livre
|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
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|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=151
}}
 
{{citation|
Je me souviendrais de cette discussion quand l’éclatement de l’Empire soviétique provoquerait non pas une guerre mais des dizaines de guerres à travers le pays… Des milliers de morts, des millions de bannis. L’image des tablées qui réunissaient, autour de Saven, tant de gens variés me reviendrait donc – non pas un rappel nostalgique d’un paradis perdu et d’un amour universel (aimables chimères !) mais une certitude que tous ces déchirements sanglants étaient évitables. Il suffisait peut-être de se réunir, par une journée de septembre, sous une horloge solaire qui, par ses heures lentes, aurait suspendu la fièvre, toujours fausse et excessivement bavarde, de la prétendue « grande » Histoire.
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|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Grasset
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|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=154
}}
 
{{citation|
Je devinais que le seul mystère digne d’être sondé se cachait dans notre capacité à résister à ce flot d’inepties qui nous entraînait loin du passé où nous avions égaré l’essentiel de nous-mêmes.
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{{Réf Livre
|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Grasset
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|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=196
}}
 
{{citation|
Quant aux incessants prêches humanistes, cette religion de l’homme se prenant pour Dieu, je me rappelais que Chamiran n’avait jamais professé un quelconque crédo de philanthrope. Dans une bourgade caucasienne dévastée par un conflit ethnique, elle prit dans ses bras un enfant né d’un viol et en fit son fils. Le père de l’enfant était azéri, donc l’ennemi ! Or, Chamiran transforma la mort en nouvelle vie et la haine, en amour.<br />
Elle transmit à Vardan ce qui faisait défaut à cet enfant dès sa naissance : une présence maternelle, le rêve d’un pays natal – une Arménie riche d’un passé dont il allait être si fier et surtout, la chance de ne pas se sentir un simple accident dans le flux désordonné du temps.
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{{Réf Livre
|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Grasset
|année=2021
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|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=209
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{{citation|
Pendant de longues années, je garderais l’idée que la beauté de cette scène d’intimité n’était qu’une humble aumône dont la vie mutilée de Vardan le gratifiait avant de se rompre. Une belle esquisse d’amour, une fulgurante prémisse, un discret avant-goût de la connaissance charnelle à laquelle il ne pourrait jamais accéder.<br />
À présent, je suis convaincu que cet instant de contemplation n’était rien d’autre que l’amour même, dans son expression la plus terrestre, la plus tragiquement brève et, pourtant, absolue.
Non, il n’y avait rien d’autre à connaître, rien de plus beau à désirer. Uniquement cette femme aux yeux fermés et cet homme qui voyait les flocons se poser sur les paupières closes de celle qu’il aimait. Rien d’autre.
Ces deux amants dans leur éternel royaume d’Arménie.
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{{Réf Livre
|titre=L'ami arménien
|auteur=Andreï Makine
|éditeur=Grasset
|année=2021
|année d'origine=
|ISBN=978-2-246-82657-6
|page=214
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