« Hélie de Saint Marc » : différence entre les versions

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== ''Les sentinelles du soir'' ==
{{citation|
{{citation|Je me répétais : « Si on doit un jour ne plus comprendre comment un homme a pu donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse, ce sera fini de tout un monde, peut-être de toute une civilisation. »
Je me répétais : « Si on doit un jour ne plus comprendre comment un homme a pu donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse, ce sera fini de tout un monde, peut-être de toute une civilisation. »
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
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{{citation|
{{citation|Ces question s'aiguisent avec le temps, surtout certains soirs, quand la vitalité et parfois le courage diminuent. La tentation du découragement plane, comme un aigle qui tourne autour de sa proie, en cercles rapprochés. C'est alors que l'on se tourne vers cet enfant que l'on a été, débordant d'un appétit de vivre que rien ne semblait pouvoir rassasier, grave de la vérité de la vie. Surtout, pense-t-on en soi-même, faites que je ne le déçoive pas.
Une nouvelle fois, la vie m'accordait un sursis. Le philosophe William James a écrit : « Je ne sais si l'âme continuera après la mort, mais plus je vieillis, plus je crois à cette continuité. Parce que, plus je vieillis, plus je me sens prêt à vivre. »
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=27
}}
 
 
{{citation|
Ces question s'aiguisent avec le temps, surtout certains soirs, quand la vitalité et parfois le courage diminuent. La tentation du découragement plane, comme un aigle qui tourne autour de sa proie, en cercles rapprochés. C'est alors que l'on se tourne vers cet enfant que l'on a été, débordant d'un appétit de vivre que rien ne semblait pouvoir rassasier, grave de la vérité de la vie. Surtout, pense-t-on en soi-même, faites que je ne le déçoive pas.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
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{{citation|
{{citation|La souffrance était telle que je devais limiter mon champ de conscience et fractionner le temps. J'en étais arrivé, pour tenir un jour encore, à séparer ma propre vie en tranches de quelques minutes à peine. Atteindre encore l'autre rive, faire un pas, puis l'autre, marcher, une jambe projetée dans le vide à la recherche d'un peu de terre meuble, soulever mon squelette, ne pas penser, ne pas regarder, trouver encore la force au-delà de mes forces, chercher le visage de ma mère, ne pas pleurer, penser à tous le courage déjà accumulé, haïr les SS pour ce camarade qui m'a tendu la main et qu'ils ont jeté dans la fosse comme un chien, ne pas fermer les yeux, surtout ne pas glisser, forer encore, percer le mur, oublier les aboiements, chercher un appui, vouloir une seconde accrocher le regard du Kapo. Mais non, ne pas quémander un geste de grâce, ne rien lâcher, déjà une minute de gagnée... Maintenant atteindre l'autre minute. Et tout recommencer.
La souffrance était telle que je devais limiter mon champ de conscience et fractionner le temps. J'en étais arrivé, pour tenir un jour encore, à séparer ma propre vie en tranches de quelques minutes à peine. Atteindre encore l'autre rive, faire un pas, puis l'autre, marcher, une jambe projetée dans le vide à la recherche d'un peu de terre meuble, soulever mon squelette, ne pas penser, ne pas regarder, trouver encore la force au-delà de mes forces, chercher le visage de ma mère, ne pas pleurer, penser à tous le courage déjà accumulé, haïr les SS pour ce camarade qui m'a tendu la main et qu'ils ont jeté dans la fosse comme un chien, ne pas fermer les yeux, surtout ne pas glisser, forer encore, percer le mur, oublier les aboiements, chercher un appui, vouloir une seconde accrocher le regard du Kapo. Mais non, ne pas quémander un geste de grâce, ne rien lâcher, déjà une minute de gagnée... Maintenant atteindre l'autre minute. Et tout recommencer.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
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{{citation|
{{citation|En déportation, j'ai appris qu'il existe une limite au-delà de laquelle on trouve toujours des sentiments acides : le mensonge, la rage, l'abandon, l'égoïsme, la défiance. Nous portons chacun notre propre caricature. Il suffit souvent de quelques jours à peine pour que le masque tombe à terre. la statue intérieure se brise. On ne revient jamais de ces souffrances. <br />
En déportation, j'ai appris qu'il existe une limite au-delà de laquelle on trouve toujours des sentiments acides : le mensonge, la rage, l'abandon, l'égoïsme, la défiance. Nous portons chacun notre propre caricature. Il suffit souvent de quelques jours à peine pour que le masque tombe à terre. la statue intérieure se brise. On ne revient jamais de ces souffrances. <br />
Avant mon séjour dans les camps de concentration, je pensais que le pire venait d'ailleurs. J'ai trouvé le pire chez les autres et aussi en moi. Ce n'est pas l'abandon des siens qui est le plus dur à vivre, mais la déchéance de l'homme en soi. la conscience part en lambeaux. l'extrême humiliation transforme les hommes en coupables. c'est la tristesse des déportés.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
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{{citation|
{{citation|Grâce à cette résistance, je sais que je ne suis pas celui qui a été humilié, mais celui qui a dit « non » jusqu'au bout, que je ne suis pas seulement un numéro tatoué mais un homme qui a tendu toutes ses forces pour préserver cette minuscule loupiote de vie dans la nuit et qui a rencontré l'humanité là où elle semblait avoir disparu.
Grâce à cette résistance, je sais que je ne suis pas celui qui a été humilié, mais celui qui a dit « non » jusqu'au bout, que je ne suis pas seulement un numéro tatoué mais un homme qui a tendu toutes ses forces pour préserver cette minuscule loupiote de vie dans la nuit et qui a rencontré l'humanité là où elle semblait avoir disparu.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
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{{citation|
{{citation|Ce long compagnonnage avec le courage m'a été utile en prison et lorsque je suis tombé malade, à la fin des années soixante-dix. Les heures tombaient une à une dans le silence. Je m'avançais sur les rebords du vertige, lorsque la tentation de céder était trop forte. Je pensais alors à la nuit du tunnel et à mes frères de malheur, aux heures d'attente dans les carlingues avant de sauter, et à ma mère devant son ouvrage , avec son aiguille, point par point, dans la lumière pâle de l'hiver. Alors je marchais intérieurement, une respiration après l'autre, pour atteindre la terre ferme, ou l'angoisse lâchait prise. <br />
Ma passion pour la Légion est sans doute liée à la méfiance pour la comédie humaine que j'ai acquise dans les camps de concentration. La Légion pratique l'ascèse et le courage comme une vertu première.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=40
}}
 
{{citation|
Les soldats qui vous disent qu'ils n'ont jamais connu la peur vous mentent. Ou peut-être ont-ils traversé la guerre en zombies. C'est l'incandescence qui porte le soldat, et ce courage-là ressemble à un expérience mystique : pour que la lumière jaillisse, il faut bien qu'un peu de soi brûle et se consume. Teilhard de Chardin a écrit : « Tous les enchantements de l'Orient, toute la richesse spirituelle de Paris ne valent pas la boue de Douaumont. » Il avait compris l'humilité déchirante de la guerre.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=41
}}
 
{{citation|
Ce long compagnonnage avec le courage m'a été utile en prison et lorsque je suis tombé malade, à la fin des années soixante-dix. Les heures tombaient une à une dans le silence. Je m'avançais sur les rebords du vertige, lorsque la tentation de céder était trop forte. Je pensais alors à la nuit du tunnel et à mes frères de malheur, aux heures d'attente dans les carlingues avant de sauter, et à ma mère devant son ouvrage , avec son aiguille, point par point, dans la lumière pâle de l'hiver. Alors je marchais intérieurement, une respiration après l'autre, pour atteindre la terre ferme, ou l'angoisse lâchait prise. <br />
Ce courage-là me sera sans doute nécessaire en approchant de la mort. J'ai suffisamment vécu pour savoir que mes victoires passées ne me garantissent pas contre l'affolement final. Chacun rejoue sa vie jusqu'à la dernière seconde. C'est sans doute à ce moment-là qu'il me faudra retrouver, une dernière fois, le courage de ma mère, son sourire et son regard vert.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
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{{citation|
{{citation|J'ai attendu un moment, et je lui ai cité [[w:Maître Eckhart|'''maître Eckart''']], mon vieux compagnon de nuit blanche dans la prison de Tulle : « Ce ne sont pas nos gestes qui nous sanctifient, c'est nous qui sanctifions nos gestes. » Je crois que c'est là notre seule liberté.
Alors commençait l'attente de l'aube. [[Napoléon Ier|Bonaparte]] parlait de ses maréchaux qui rassemblaient leurs forces « deux heures après minuit, à l'heure du courage et de la peur ». À la charnière de la nuit, aucun regard ne vient en aide au soldat, il est seul.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=51
}}
 
{{citation|
Il était dit que Talung serait une simple parenthèse, dont la pureté ne pouvait pas durer. J'ai déjà raconté dans ''Les Champs de braises'' l'évacuation de Talung, cette colonne honteuse de camions qui s'enfuyaient dans la poussière, laissant derrière eux des centaines de villageois en pleurs, promis aux représailles du Vietminh ; Je n'y reviendrai pas. <br />
Mais, sachez-le, c'était un crime.
}}
{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=61
}}
 
{{citation|
J'ai attendu un moment, et je lui ai cité [[w:Maître Eckhart|maître Eckart]], mon vieux compagnon de nuit blanche dans la prison de Tulle : « Ce ne sont pas nos gestes qui nous sanctifient, c'est nous qui sanctifions nos gestes. » Je crois que c'est là notre seule liberté.
}}
{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
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|ISBN=2-912485-02-9
|page=93
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{{citation|
Au contact avec le vivant, rien se semble plus naturel que la mort. Il suffit d'imaginer une forêt où aucune plante ne s'assécherait et où la sève ferait croître indéfiniment les arbres pour se rendre compte de l'utilité de la mort. Si notre planète était peuplée de tous les hommes qui sont nés depuis la préhistoire, elle deviendrait invivable et l'image la plus juste de l'enfer.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=177
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{{citation|
Haïr la mort ou la cacher ne sert à rien. Je me méfie de ceux qui veulent vivre comme si l'instant présent pouvait se dilater de manière infinie. Ils se distraient de leur condition mortelle par toutes les ressources de l'illusion afin de repousser loin de leur conscience le dernier des rendez-vous. Celui-ci survient toujours trop tôt, sans qu'ils aient pu se préparer.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=177
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{{citation|
La mort est une réalité intrinsèque à la condition humaine. Depuis la première minute de notre existence, elle est aussi présente, palpable et indispensable que l'air que nous respirons. Des nourrissons de trois jours s'éteignent dans un souffle. Leur vie enferme la même énigme que celle d'un vieil homme qui part, entourés des siens. Depuis Buchenwald, j'ai connu beaucoup de jeunes vies fauchées par la guerre. Le mystère de leur passage m'habite toujours.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=177
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{{citation|
Vous cherchez ce qui est déjà en vous, Hélie. N'attendez pas d'embrasement final, où toutes les pièces du puzzle se mettront soudain en place comme par enchantement. Comme une toile tissée jour après jour, vous êtes la suite de vos actes. Avec vos camarades de déportation, vous avez supporté l'insupportable. Au combat, vous avez avancé sous le feu. Vous avez aimé. La foi, ce n'est rien d'autre : faire confiance, avancer dans la nuit, basculer dans l'instant suivant comme vous sautiez en parachute. Ce sont des choses très concrètes.
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{{Réf Livre
|titre=Les sentinelles du soir
|auteur=Hélie de Saint Marc
|éditeur=les arènes
|année=1999
|ISBN=2-912485-02-9
|page=190
}}