« Anne F. Garréta » : différence entre les versions

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Un jour que j'errais ainsi par les rues, […] je rencontrai susur le trottoir au pied d'un étal de poissonnerie une truite échouée. Elle n'était pas morte, s'efforçant par contractions saccadées et brusques secousses de tout son corps vers le caniveau. […] Toute sa pauvre chair s'asphyxiait, tendue obstinée pourtant encore par un instinct plus ancien qu'elle, dans la direction de la plus grande pente, celle du ruissellement des eaux. Quel souvenir d'azur profond enivrait dans ses affres la truite ? Quelle vision de fraîcheur et d'éblouissante lumière insistait dans son acharnement éperdu à rejoindre le caniveau ? Quel rêve de baptême la lavant des ordures du pavé, quel rêve de désaltérante amertume flottait encore dans les replis de ses branchies desséchées par l'air étouffant ? Mais chaque sursaut qu'elle refaisait sur le pavé lui restait inutile. Le caniveau où la mémoire atroce et mystérieuse l'appelait était une flaque d'eau stagnante et infecte qui ne s'écoulait pas même jusqu'à la bouche d'ombre par où rejoindre les canaux envasés de boues fécales de la Venise souterraine qui double par en dessous toutes les villes de l'Occident. Elle n'atteindrait jamais ce sombre fleuve d'enfer qui collecte et charrie dans sa grande pitié et putréfaction les poissons morts et les eaux usées pour les rendre à leur mer natale.
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{{Réf Livre|titre= La Décomposition