« Histoire de ma vie (Casanova) » : différence entre les versions

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Les '''Mémoires de [[Giacomo Casanova|Casanova]]''' (rédigés en 1789-1793, révisés en 1794-1798 jusqu’à sa mort, inachevés) sont son œuvre maîtresse, écrite en langue française. Mémoires du XVIII{{e}} siècle européen autant qu’autobiographie d’aventurier, ils déroulent le roman-fleuve de sa vie, d’une longueur trois fois celle du ''Seigneur des anneaux'' ou du ''Comte de Monte-Cristo''. Publiés à titre posthume, ils ont connus deux principales versions :
 
* En 1826-1838, sous le titre ''[[{{w:Mémoires de J. Casanova de Seingalt|Mémoires de J. Casanova de Seingalt]]}}'', une adaptation réécrite et censurée par [[{{w:|Jean Laforgue (Casanova)|Jean Laforgue]]}} (dite « édition Laforgue »), longtemps la seule, maintenant obsolète.
* En 1960-1962, sous leur titre d’origine '''''[[{{w:|Histoire de ma vie (Casanova)|Histoire de ma vie]]}}''''', la version intégrale conforme au manuscrit original (dite « édition Brockhaus-Plon », rééditée chez Laffont), maintenant la version de référence.
 
C’est cette dernière version qui a été préférée pour les citations ; celles-ci sont généralement suivies d’un court extrait les resituant dans leur contexte natif, et sont données dans l’ordre du texte.
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[[Image:Casanova ritratto.jpg|thumb|''Casanova à Venise'' (âgé de la vingtaine, époque du tome I<!--de 0 à 31 ans-->), portrait par son frère François Casanova (Francesco Casanova), vers 1750.]]
 
{{Citation|citation=Je commence par déclarer à mon lecteur que dans tout ce que j’ai fait de bon ou de mauvais dans toute ma vie, je suis sûr d’avoir mérité ou démérité, et que par conséquent je dois me croire libre. […]<!--p.11--> Pour ce qui me regarde, me reconnaissant toujours pour la cause principale de tous les malheurs qui me sont arrivés, je me suis vu avec plaisir en état d’être écolier de moi-même, et en devoir d’aimer mon précepteur.
| précisions=Il s’agit de la première et de la dernière phrase de la préface de l’auteur.
}}
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# {{Citation|citation=[J]’ai continuellement vécu dans l’erreur, n’ayant d’autre consolation que celle de savoir que j’y étais.
| langue = fr
| original = Malgré le fond de l’excellente morale, fruit nécessaire des divins principes enracinés dans mon cœur, je fus toute ma vie la victime de mes sens ; je me suis plu à m’égarer, et j’ai continuellement vécu dans l’erreur, n’ayant d’autre consolation que celle de savoir que j’y étais. […]<!--p.3--> Ce sont des folies de jeunesse. Vous verrez que j’en ris, et si vous êtes bon, vous en rirez avec moi.
| précisions=
}}
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}}
 
{{Citation|citation=J’ai écrit mon histoire, et personne ne peut y trouver à redire ; mais suis-je sage la donnant au public que je ne connais qu’à son grand désavantage ? Non. Je sais que je fais une folie ; mais ayant besoin de m’occuper, et de rire, pourquoi m’abstiendrais-je de la faire ? […]<!--p.9--> Si avant ma mort je deviens sage, et si je suis à temps, je brûlerai tout. Je n’en ai pas la force actuellement.
| langue = fr
| précisions= {{Romain|je brûlerai tout}} : sur ses velléités d’autodafé, cf. citation similaire du t. III, vol. 11, chap. VI, p. 723.
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{{Citation|citation=[J]e n’écris ni l’histoire d’un illustre, ni un roman. Digne ou indigne, ma vie est ma matière, ma matière est ma vie.
| langue = fr
| original = Un Ancien me dit en ton d’instituteur : ''Si tu n’as pas fait des choses dignes d’être écrites, écris-en du moins qui soient dignes d’être lues.'' C’est un précepte aussi beau qu’un diamant de première eau brillanté <!--p.4-->en Angleterre, mais il m’est incompétent, car je n’écris ni l’histoire d’un illustre, ni un roman. Digne ou indigne, ma vie est ma matière, ma matière est ma vie. L’ayant faite sans avoir jamais cru que l’envie de l’écrire me viendrait, elle peut avoir un caractère intéressant qu’elle n’aurait peut-être pas, si je l’avais faite avec l’intention de l’écrire dans mes vieux jours, et qui plus est de la publier.
| précisions=
}}
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# {{Citation|citation=Une connaissance qui coûte la vie coûte trop cher.
| langue = fr
| original = Je sais que j’ai existé, et en étant sûr parce que j’ai senti, je sais aussi que je n’existerai plus quand j’aurai fini de sentir. S’il m’arrive après ma mort de sentir encore, je ne douterai plus de rien ; mais je donnerai un démenti à tous ceux qui viendront me dire que je suis mort. […]<!--p.5--> Une philosophie consolante d’accord avec la religion prétend que la dépendance de l’âme, des sens,<!--virgule--> et des organes n’est que fortuite et passagère, et qu’elle sera libre et heureuse quand la mort du corps l’aura <!--sic, franchie-->franchie de leur pouvoir tyrannique. C’est fort beau,<!--virgule--> mais,<!--virgule--> religion à part, ce n’est pas sûr. Ne pouvant donc me trouver dans la certitude parfaite d’être immortel qu’après avoir cessé de vivre, on me pardonnera,<!--virgule--> si je ne suis pas pressé de parvenir à connaître cette vérité. Une connaissance qui coûte la vie coûte trop cher. En attendant, j’adore Dieu, me défendant toute action injuste, et abhorrant les hommes injustes, sans cependant leur faire du mal. Il me suffit de m’abstenir de leur faire du bien. Il ne faut pas nourrir les serpents.
| précisions= {{Romain|franchie de}} : ancienne forme pour “affranchie de”.
}}
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| langue = fr
| original = [J]e suis bien loin de me consoler espérant que quand mes m<!--pas de majuscule ici-->émoires paraîtront je ne serai plus. Je ne peux me figurer sans horreur de contracter quelque obligation avec la mort<!--pas de virgule--> que je déteste. Heureuse ou malheureuse, la vie est le seul trésor que l’homme possède, et ceux qui ne l’aiment pas n’en sont pas dignes. On lui préfère l’honneur, parce que l’infamie la flétrit. Si dans l’alternative on se tue, la philosophie doit se taire. Ô mort ! cruelle loi de la nature, que la raison doit réprouver, car elle n’est faite que pour la détruire. Cicéron dit qu’elle nous délivre des peines. Ce grand philosophe enregistre la dépense, et ne met pas en ligne de compte la recette. Je ne me souviens pas si, quand il écrivait ses ''Tusculanes'', sa Tulliole<!--e--> était morte. La mort est un monstre qui chasse du grand théâtre un spectateur attentif, avant qu’une pièce qui l’intéresse infiniment finisse. Cette seule raison doit suffire pour la détester.
| précisions= {{Romain|sa Tulliole<!--e-->}} : quelques mois après la mort de sa fille adorée Tulliola<!--a--> (diminutif de Tullia, francisé en Tulliole<!--e-->), Cicéron publie ''[[{{w:|Les Tusculanes|les Tusculanes]]}}'' qui traite de l’immortalité de l’âme, des moyens d’atteindre au bonheur, et du suicide comme libération. Sur la mort, cf. citation du t. III, vol. 12, chap. IX, p. 1049. Sur être digne de la vie, cf. citation du t. I, vol. 2, chap. X, p. 449-450.
}}
{{Réf Livre
Ligne 269 :
{{Citation|citation=Les vraies vertus n’étant qu’habitudes, j’ose dire que les vrais vertueux sont les heureux qui les exercent sans se donner la moindre peine.
| langue = fr
| original = Je n’ai pas écrit ces m<!--“m” ici-->émoires pour la jeunesse qui<!--pas de virgule--> pour se garantir des chutes a besoin de la passer dans l’ignorance ; mais pour ceux qui<!--pas de virgule--> à force d’avoir vécu sont devenus insusceptibles <!--p.10-->de séduction, et qui à force d’avoir demeuré dans le feu sont devenus Salamandres. Les vraies vertus n’étant qu’habitudes, j’ose dire que les vrais vertueux sont les heureux qui les exercent sans se donner la moindre peine. Ces gens-là n’ont point d’idée de l’intolérance. C’est pour eux que j’ai écrit.
| précisions= {{Romain|[[{{w:|Salamandre (créature fantastique)|Salamandre]]}}}} : animal mythique pouvant vivre dans le feu.
}}
{{Réf Livre
Ligne 324 :
# {{Citation|citation=[J]e sais que c’est à [ma raison] seule que je dois tout le bonheur dont je jouis quand je me trouve vis-à-vis de moi-même.
| langue = fr
| original = [Le jour de ses neuf ans, Casanova se réveille en bateau et s’étonne de voir “que les arbres marchent” ; <!--p.22-->sa mère le gronde que “C’est la barque qui marche, et non pas les arbres.”] Il se peut donc, lui dis-je, que le soleil ne marche pas non plus, et que ce soit nous qui roulons d’Occident en Orient. Ma bonne mère s’écrie à la bêtise, M. Grimani déplore mon imbécilité, et je reste consterné, affligé, et prêt à pleurer. [Heureusement M. Baffo] m’embrasse tendrement me disant : ''Tu as raison mon enfant. Le Soleil ne bouge pas, prends courage, raisonne toujours en conséquence, et laisse rire.'' Ma mère lui demande s’il est fou me donnant des leçons pareilles ; mais le philosophe, sans pas seulement lui répondre, poursuivit à m’ébaucher une théorie faite pour ma raison pure et simple. Ce fut le premier vrai plaisir que j’ai goûté dans ma vie. Sans M. Baffo, ce moment-là eût été suffisant pour avilir mon entendement : <!--ital-->''la lâcheté de la crédulité s’y serait introduite.''<!--/ital--> La bêtise des deux autres aurait à coup sûr émoussé en moi le tranchant d’une faculté par laquelle je ne sais pas si je suis allé bien loin ; mais je sais que c’est à elle seule que je dois tout le bonheur dont je jouis quand je me trouve vis-à-vis de moi-même.
| précisions= {{Romain|M. Baffo}} : le poète philosophe [[{{w:Giorgio Baffo|Giorgio Baffo]]}}.
}}
{{Réf Livre
Ligne 380 :
| langue = fr
| original = J’ai passé l’été en allant filer le parfait amour avec Angéla à l’école, où elle allait apprendre à broder. Son avarice à m’accorder des faveurs m’irritait ; et mon amour m’était déjà devenu un tourment. Avec un grand instinct j’avais besoin d’une fille dans le goût de Bettine qui aimât à assouvir le feu de l’amour sans l’éteindre. Mais je me suis bien vite défait de ce goût frivole. Ayant moi-même une espèce de virginité<!--pas de virgule--> j’avais la plus grande vénération pour celle d’une fille. Je la regardais comme le Palladium de Cécrops. Je ne voulais pas des femmes mariées. Quelle sottise ! J’étais assez dupe pour être jaloux de leurs maris. Angéla était négative au suprême degré sans cependant être coquette. […] Elle me disait qu’elle était prête à devenir ma femme, et elle croyait que je ne pouvais pas désirer davantage. Elle m’assommait quand à titre d’extrême faveur elle me disait que l’abstinence la faisait souffrir autant que moi.
| précisions= {{Romain|le Palladium de Cécrops}} : un [[{{w:|Palladium (mythologie)|Palladium]]}}, objet sacré qui protège une ville, comme celui de [[{{w:|Cécrops (autochtone)|Cécrops]]}}, fondateur mythique d’Athènes.
}}
{{Réf Livre
Ligne 394 :
{{Citation|citation=[Ses parents me disent qu’]elle n’a qu’un défaut. “— Quel est-il ? — Elle est trop jeune. — Charmant défaut.”
| langue = fr
| original = C’était une fille toute jeune, mais formée comme le sont les filles de ville qui ont dix-sept ans : elle n’en avait que quatorze. […]<!--p.71--> [Son père et sa mère] m’en font l’éloge : c’est leur enfant unique, chéri, la consolation de leur vieillesse. Lucie leur est obéissante ; elle craint D<small>IEU</small>, elle est saine comme un poisson ; elle n’a qu’un défaut. “— Quel est-il ? — Elle est trop jeune. — Charmant défaut.” Dans moins d’une heure je me trouve convaincu que je parlais à la probité, à la vérité, aux vertus sociales,<!--virgule--> et au vrai honneur.
| précisions=
}}
Ligne 474 :
 
{{Citation|citation=
[Casanova raccompagne en calèche une jeune mariée ; un orage éclate.] Les chevaux se cambrent, et ma pauvre dame est prise par des convulsions spasmodiques. Elle se jette sur moi, me serrant étroitement entre ses bras. Je m’incline pour ramasser le manteau qui était tombé à nos pieds, et en le ramassant je prends ses jupes avec. Dans le moment qu’elle veut les rabaisser, une nouvelle foudre éclate, et la frayeur l’empêche de se mouvoir. Voulant remettre le manteau sur elle, je me l’approche, et elle tombe positivement sur moi qui rapidement la place à califourchon. Sa position ne pouvant pas être plus heureuse, je ne perds pas de temps, je m’y adapte dans un instant faisant semblant d’arranger dans la ceinture de mes culottes ma montre. Comprenant que si elle ne m’en empêchait pas bien vite, elle ne pouvait plus se défendre, elle fait un effort, mais je lui dis que si elle ne fait pas semblant d’être évanouie, le postillon se tournerait et verrait tout. En disant ces paroles, je laisse qu’elle m’appelle impie tant qu’elle veut, je la serre au croupion, et je remporte la plus complète victoire que jamais habile gladiateur ait remportée. […] <!--p.99--> En badinant sur l’aventure, et en lui baisant les mains, je lui ai dit que j’étais sûr de l’avoir guérie de la peur du tonnerre, mais qu’elle ne révélerait jamais à personne le secret qui avait opéré la guérison. Elle me répondit qu’elle était pour le moins très sûre que jamais femme n’avait été guérie par un pareil remède.
| précisions=
}}
Ligne 561 :
| langue = fr
| original =
[Un jeune Casanova désargenté converse avec un marchand grec qui a cent quintaux de mercure en stock.] Je me souviens alors d’une amalgamation du mercure faite avec du plomb,<!--virgule--> et du bismuth. Le mercure croissait d’un quart. Je ne dis rien ; mais je pense que si ce Grec ne connaissait <!--p.160-->pas ce magistère, je pourrais en tirer de l’argent. Je sentais que j’avais besoin d’adresse. Je voyais que lui proposant la vente de mon secret de but en blanc, il la mépriserait ; je devais auparavant le surprendre par le miracle de l’augmentation, en rire, et le voir venir. <!--ital-->''La fourberie est vice : mais la ruse honnête n’est autre chose que la prudence de l’esprit. C’est une vertu.''<!--/ital--> Elle ressemble, il est vrai, à la friponnerie, mais il faut passer par là. Celui qui ne sait pas l’exercer est un sot. Cette prudence s’appelle en grec ''{{lang|grc-Latn|cerdaleophron}}'' [“renard-ruse”, littéralement]. ''{{lang|grc-Latn|Cerda}}'' veut dire renard.
| précisions=
}}
Ligne 648 :
| chapitre = II
| page = 254
}}
 
{{Citation|citation=
[Un médecin d’Orsara accueille Casanova.]<!--p.276--> “Vous êtes l’homme auquel j’ai les plus grandes obligations, et je dois croire que Dieu vous a envoyé dans cette ville une seconde fois pour que j’en contracte avec vous de plus grandes. […] Il y a vingt ans que je suis dans cette ville, où je vivais dans la misère, car il ne m’arrivait d’exercer mon métier que pour saigner, pour appliquer des ventouses, pour guérir quelque écorchure, ou pour mettre un pied à sa place dérangé par une entorse. Ce que je gagnais ne me suffisait pas pour vivre ; mais depuis l’année passée, je peux dire d’avoir changé d’état ; j’ai gagné beaucoup d’argent, je l’ai mis à profit, et c’est vous, Dieu vous bénisse, qui avez fait ma fortune. […] Vous avez communiqué une galanterie à la gouvernante de D. Jerome, qui l’a donnée à un ami, qui de bonne foi la partagea avec sa femme. Cette femme à son tour la donna à un libertin qui en fit si grand débit qu’en moins d’un mois j’ai vu sous mon magistère une cinquantaine de clients, et des nouveaux dans les mois suivants, que j’ai tous guéris, me faisant comme de raison bien payer. J’en ai encore quelques-uns ; mais dans un mois je n’aurai plus personne, car la maladie n’existe plus. Quand je vous ai vu je n’ai pu m’empêcher de me réjouir. J’ai vu dans vous un oiseau de bon augure. Puis-je me flatter que vous resterez ici quelques jours pour la renouveler ?” Après avoir bien ri, je l’ai vu s’attrister quand je lui ai dit que je <!--p.277-->me portais bien.
| précisions=
}}
{{Réf Livre
| référence = Histoire de ma vie (Casanova)/Robert Laffont
| tome = I
| volume = 2
| chapitre = IV
| page = 276-277
}}
 
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| langue = fr
| original = “— Songe, mon cher Jossouf, qu’il s’agit d’un mystère. — L’existence de ''Dieu'' en est un, et assez grand pour que les hommes n’osent rien y ajouter. D<small>IEU</small> ne peut être que simple, c’est ce D<small>IEU</small> que son prophète nous annonça. Conviens qu’on ne saurait rien ajouter à son essence sans détruire sa simplicité. Nous disons qu’il est un, voilà l’image du simple. Vous dites qu’il est un, et trois en même temps : c’est une définition contradictoire, absurde,<!--virgule--> et impie.” […] Allant chez moi je réfléchissais qu’il était bien possible que tout ce que Jossouf m’avait dit sur l’essence de D<small>IEU</small> fût vrai, car certainement ''l’être des êtres'' ne pouvait être en essence que le plus simple de tous les êtres ; mais qu’il était impossible qu’en conséquence d’une erreur de la religion chrétienne je pusse me laisser persuader à embrasser la turque, qui pouvait bien avoir de ''Dieu'' une idée très juste, mais qui me faisait rire, en ce qu’elle ne devait sa doctrine qu’au plus extravagant de tous les imposteurs.
| précisions= Dialogue sur le mystère de la Trinité entre Casanova et le philosophe islamite<!--sic, islamite, p. 290--> Jossouf Ali de Constantinople (maintenant Istanbul depuis 1453, en Turquie). Dans les dialogues philosophiques de cette époque, c’est généralement l’auteur qui s’exprime sous le couvert de son interlocuteur. Par ailleurs, les études casanovistes sont partagées sur la réalité de son voyage en Turquie ; les écrits de ce temps attribuaient souvent des vertus philosophiques à l’Orient sans le connaître, dans le but de critiquer l’Occident sans encourir la censure.
}}
{{Réf Livre
Ligne 668 ⟶ 680 :
# {{Citation|citation=Un jeune homme qui s’ennuie s’expose au malheur de devenir amoureux,<!--virgule--> et de se faire mépriser.
| langue = fr
| original = [La jeune M.Mme D. RF. à Casanova.]
<br/>— Que faites-vous de votre argent ? me dit-elle de but en blanc un jour après dîner que quelqu’un me versait une somme qu’on avait perdue sur la parole.
<br/>— Je le garde, madame, lui répondis-je, pour suppléer à mes futures pertes.
Ligne 691 ⟶ 703 :
| précisions= {{Romain|Malipiero}} : Alvise-Gasparo Malipiero (1664-1745), sénateur de Venise qui devint en 1740 le mentor de 76 ans du Casanova de 15 ans, ce dernier devenu son favori et dînant chaque soir avec lui au [[:en:Palazzo Malipiero]]. Sur les pleurs, cf. citation similaire au t. III, vol. 12, chap. IV/<!--slash-->V, p. 934. (Sur le rire, cf. une redite au t. III, vol. 12, chap IX, p. 1011.) Citation régulièrement attribuée à tort à Casanova qui ne fait que citer Malipiero et Voltaire, eux-même la tenant sans doute d’Horace<ref name="Horace-Malipiero"
>
« Pour faire pleurer<!--pas de virgule--> il faut pleurer » : ailleurs dans les Mémoires, Casanova montre Voltaire professant cette moitié du principe de Malipiero en 1760 (t. II, vol. 6, chap. IX, p. 391, et surtout chap. X, p. 408). Tous le tirent sans doute du fameux ''{{lang|la|Si vis me flere}}'' d’[[{{w:Horace|Horace]]}} (que Casanova ne mentionne étrangement pas à Voltaire, dans le même temps qu’il rappelle savoir Horace par cœur) : « {{lang|la|Si vis me flere, dolendum est primum ipsi tibi<!--pas de point-->}} » (Horace, ''Épître aux Pisons'' alias ''Art poétique'', v. 102-103), « Si vous voulez que je pleure, pleurez d’abord vous-même<!--pas de point--> » (trad. en prose de De Guerle, éd. Panckoucke, 1832).
</ref
>. On trouve souvent citées des versions de fantaisie, comme « ''Pour faire pleurer les gens, vous devez pleurer vous-mêmes. Si vous voulez les faire rire, vous devez garder un visage sérieux.'' » (origine douteuse, semble une retraduction en français de la traduction anglaise de l’édition Laforgue), ou parfois la version réécrite par Laforgue, « ''J’avais dans ce temps-là le grand talent de savoir faire rire et de garder mon sérieux. Je l’avais appris de M. Malipiero, mon premier maître dans l’art de bien vivre. “Quand on veut faire pleurer, m’avait dit cet habile homme, il faut pleurer soi-même ; mais, quand on veut faire rire, il faut savoir garder son sérieux.”'' » (''Mémoires de J. Casanova de Seingalt'', Casanova [arr. Laforgue], éd. Garnier, [1880], t. I, chap. XIV, p. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k314854/f463.table 440] en ligne).
Ligne 718 ⟶ 730 :
}}
 
# {{Citation|citation=<!--version courte-->Qu’est-ce donc que l’amour ! [U]ne maladie à laquelle l’homme est sujet à tout âge[.]}}
#* {{Citation|citation=<!--version longue-->Qu’est-ce donc que l’amour ! […] C’est une espèce de folie sur laquelle la philosophie n’a aucun pouvoir ; une maladie à laquelle l’homme est sujet à tout âge, et qui est incurable si elle frappe dans la vieillesse.}}
# {{Citation|citation=Amour indéfinissable ! […] Amertume dont rien n’est plus doux, douceur dont rien n’est plus amer.
| langue = fr
Ligne 734 ⟶ 746 :
 
# {{Citation|citation=Ce n’est pas seulement aux yeux d’un amant qu’une belle femme est cent fois plus attrayante lorsque le sommeil la quitte qu’après une toilette[.]}}
# {{Citation|citation=[P]lus une femme est belle plus elle est attachée à sa toilette. On veut toujours avoir davantage de<!--de--> ce qu’on a.
| langue = fr
| original =
Le lendemain<!--espace--> après m’être présenté à M. F., je suis allé m’asseoir chez la femme de chambre parce que Madame dormait encore. J’eus le plaisir de l’entendre rire quand elle sut que j’étais là. Elle me fit entrer pour me dire, sans me donner le temps de lui faire le moindre compliment, qu’elle était charmée de me voir en bonne santé, et que je devais aller souhaiter le bonjour à M. D. R. Ce n’est pas seulement aux yeux d’un amant qu’une belle femme est cent fois plus attrayante lorsque le sommeil la quitte qu’après une toilette, mais à ceux de tout le monde qui peut la voir dans ce moment-là. Mme F. Me disant de m’en aller inonda mon âme des rayons qui sortaient de sa divine figure avec la même rapidité que ceux du Soleil répandant la lumière dans l’univers. Malgré cela<!--espace--> plus une femme est belle plus elle est attachée à sa toilette. On veut toujours avoir davantage de<!--de--> ce qu’on a. Dans l’ordre que Mme F. m’a donné de la laisser, j’ai trouvé la certitude de mon bonheur imminent. Elle m’a renvoyé, me suis-je dit, parce qu’elle a prévu que restant seul avec elle, j’aurais sollicité un salaire ou pour le moins des arrhes qu’elle n’aurait pas su me refuser.
| précisions=
}}
Ligne 763 ⟶ 775 :
{{Citation|citation=Telle est la force d’un nom appellatif dans le plus sot de tous les mondes possibles. Ceux qui ont un nom malsonnant, ou qui présente une idée ridicule, doivent le quitter et s’en donner un autre, s’ils aspirent aux honneurs et aux fortunes dépendantes des sciences et des arts.
| langue = fr
| original = Cet homme qui dut sa fortune à ses vertus serait peut-être mort dans l’obscurité s’il avait gardé son ancien nom de Tognolo qui est positivement nom de paysan. […]<!--p.434--> L’air distingué, les sentiments, les lumières et les vertus de Fabris auraient fait rire s’il eût poursuivi à s’appeler Tognolo. Telle est la force d’un nom appellatif dans le plus sot de tous les mondes possibles. Ceux qui ont un nom malsonnant, ou qui présente une idée ridicule, doivent le quitter et s’en donner un autre, s’ils aspirent aux honneurs et aux fortunes dépendantes des sciences et des arts. Personne ne peut leur contester ce droit pourvu que le nom qu’ils se donneront n’appartienne pas à un autre. Je crois qu’ils doivent en être auteurs. L’alphabet est public, et chacun est le maître de s’en servir pour créer une parole et la faire devenir son propre nom ; Voltaire n’aurait pas pu aller à l’immortalité avec le nom d’Arouet. On lui aurait interdit l’entrée du temple lui fermant les portes au nez. Lui-même se serait avili s’entendant toujours appeler ''à rouer''. […] M. de Beauharnais aurait fait rire, s’il avait conservé le nom de ''Beauvit'' quand même l’auteur de son ancienne famille aurait dû à ce nom sa fortune. Les ''Bourbeux'' voulurent être appelés Bourbon […]
| précisions= {{Romain|Beauvit}} : “vit” signifiait “pénis”. {{Romain|le plus sot de tous les mondes possibles}} : fait pendant au refrain « Tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles. » de Pangloss dans le ''[[{{w:Candide|Candide]]}}'' de Voltaire (qui caricaturait la [[{{w:|Théodicée#L.27argument_ontologique|théodicée ontologique]]}} de [[{{w:|Gottfried Wilhelm von Leibniz|Leibniz]]}}). {{Romain|Je crois qu’ils doivent en être auteurs.}} : Casanova justifie obliquement le nom de Seingalt qu’il s’inventera (sans être ridicule, “Casanova” signifiait “maison neuve” en italien).
}}
{{Réf Livre
Ligne 771 ⟶ 783 :
| volume = 2
| chapitre = X
| page = 433- et 434
}}
 
Ligne 781 ⟶ 793 :
| précisions=
{{Romain|O.<!--point--> Neilan}} : O’Neilan, mort en 1757.
{{Romain|Charles de Ligne}} : fils du protecteur de Casanova, {{w|Charles-Joseph de Ligne}} (qui eut la primeur de ces Mémoires).
Sur être digne de la vie, cf. citation du t. I, vol. 1, Préface, p. 9.
}}
{{Réf Livre
Ligne 928 ⟶ 941 :
| langue = fr
| original = [Patu à Casanova.] Vous ne sauriez croire combien les Parisiens sont des bonnes gens. Vous êtes dans le seul pays du monde où l’esprit est le maître de faire sa fortune ou qu’il se montre en donnant du vrai, et pour lors celui qui lui fait accueil est l’esprit, ou qu’en imposant il donne du faux, et dans ce cas celui qui le récompense est la sottise ; elle est caractéristique dans la nation, et ce qui est étonnant c’est qu’elle est fille de l’esprit, de sorte que, ce n’est pas un paradoxe, la nation française serait plus sage si elle avait moins d’esprit.
| précisions= {{Romain|Patu}} : son ami [[{{w:Claude-Pierre Patu|Claude-Pierre Patu]]}} (1729-1757<!--pas 1758-->). {{Romain|ou qu’en imposant}} : ici, “ou qu’en faisant l’important”. Citation régulièrement attribuée à tort à Casanova, bien que dans les dialogues de cette époque il soit certes difficile de faire le départ entre ce que Patu a dit et ce que Casanova lui a fait dire.
}}
{{Réf Livre
Ligne 949 ⟶ 962 :
| chapitre = VIII
| page = 577
}}
 
{{Citation|citation=
[Le prince de Monaco <!--comme ‘mène la vache au taureau’-->mène Casanova à la duchesse de Rufec.] Je vois une femme de soixante ans, avec une figure couverte de rouge, un teint couperosé, maigre, laide et flétrie, assise indécemment sur un sopha<!--pha-->, qui à mon apparition s’écrie : “— ''Ah ! Voilà un beau garçon !'' Prince, tu es charmant. Viens t’asseoir ici mon garçon.” J’obéis, tout étonné, et je me sens d’abord rebuté par une puanteur de musc insoutenable. […] Le prince à peine parti, cette harpie me surprend avec deux lèvres baveuses qui m’offraient un baiser que j’aurais dû peut-être avaler ; mais au même instant elle allonge un bras décharné là où sa rage infernale attachait sa vilaine âme en me disant : “— ''Voyons si tu as un beau…'' — Ah ! Mon Dieu ! Madame la duchesse. — Tu te retires ? Quoi ! Tu fais l’enfant. — Oui, madame. Car… — Quoi ? — J’ai, je ne peux pas, je n’ose… — Qu’as-tu donc ? — J’ai la ch… <!--p.581-->— Ah ! le vilain cochon.” Elle se lève fâchée, et moi aussi, et je prends bien vite la porte […] et je vais narrer en mes propres termes la noire aventure à Coraline qui a beaucoup ri, mais qui en même temps tomba d’accord avec moi que le prince m’avait joué un tour sanglant. Elle loua la présence d’esprit avec laquelle je m’étais tiré de cette vilaine affaire ; mais elle ne m’a pas mis à même de la convaincre que j’en avais imposé à la duchesse.
| précisions=
{{Romain|la ch…}} : probablement la chaude-pisse, blennoragie (le synonyme “chtouille” est du XIX{{e}}).
}}
{{Réf Livre
| référence = Histoire de ma vie (Casanova)/Robert Laffont
| tome = I
| volume = 3
| chapitre = IX
| page = 580-581
}}
 
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[[Image:Jacques-Louis David 016.jpg|thumb|''Portrait de Madame Récamier'' ou ''Portrait de Juliette Récamier'', Jacques-Louis David, 1800.]]
 
{{Citation|citation=[M]on langage rempli d’italianismes me faisait souvent dire en compagnie ce que je ne voulais pas dire[.] [U]ne de mes écolières, me reçut un matin étant encore dans son lit, et me disant qu’elle n’avait pas envie de <!--p.592-->prendre leçon parce qu’elle avait pris médecine le soir. Je lui ai demandé si pendant la nuit elle avait bien ''déchargé''. […] “Une médecine purge, monsieur, et ne fait pas décharger, et que ce soit pour la dernière fois de votre vie que vous vous servirez de ce mot-là.”
| langue = fr
| original = À Paris j’allais toujours prendre des leçons chez le vieux Crébillon, mais malgré cela mon langage rempli d’italianismes me faisait souvent dire en compagnie ce que je ne voulais pas dire, et il sortait presque toujours de mes discours des plaisanteries très curieuses qu’on se narrait après ; mais mon jargon ne me préjudiciait pas par rapport à ce qu’on pouvait juger de mon esprit ; il me procurait au contraire des belles connaissances. Plusieurs femmes qui comptaient, me prièrent d’aller leur apprendre l’italien, pour se procurer le plaisir, disaient-elles, de m’instruire dans le français, et dans ce troc j’ai gagné plus qu’elles. Mme Preodot, qui était une de mes écolières, me reçut un matin étant encore dans son lit, et me disant qu’elle n’avait pas envie de <!--p.592-->prendre leçon parce qu’elle avait pris médecine le soir. Je lui ai demandé si pendant la nuit elle avait bien ''déchargé''. “— Que me demandez-vous donc ? Quelle curiosité ? Vous êtes insoutenable. — Parbleu madame : pourquoi prend-on une médecine si ce n’est pour décharger ? — Une médecine purge, monsieur, et ne fait pas décharger, et que ce soit pour la dernière fois de votre vie que vous vous servirez de ce mot-là.”
| précisions= {{Romain|le vieux Crébillon}} : le dramaturge [[{{w:|Prosper Jolyot de Crébillon|Crébillon père]]}}. {{Romain|décharger}} : avoir un orgasme.
}}
{{Réf Livre
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| original = [La Vésian va devenir figurante à l’Opéra. On lui explique que le poste n’est pas payé car tous les riches seigneurs veulent avoir une danseuse comme maîtresse entretenue. Casanova a noté que jouer les vertueuses le premier mois fait monter les enchères.]
<br/>— [Voilà donc le] métier que je vais faire. Je vais exercer la vertu pour trouver celui qui ne l’aime que pour la détruire.
<br/>— Voilà ce que c’est ; et croyez-moi que tout est dans ce goût-là dans la vie. Nous rapportons tout à nous-mêmes, et chacun est tyran. Voilà la raison que le meilleur des êtres est celui qui tolère. J’aime de vous voir en train de devenir philosophe. […] Or le philosophe est celui qui ne se refuse aucun plaisir qui ne produit pas des peines plus grandes, et qui sait s’en fabriquer.
<br/>— Comment fait-on pour le devenir.
<br/>— On pense.
<br/>— Pour combien de temps ?
<br/>— Pour toute la vie. […] mais on gagne ce qu’on peut, et on se procure toute la portion du bonheur,<!--virgule--> dont on est susceptible. […] Or le philosophe est celui qui ne se refuse aucun plaisir qui ne produit pas des peines plus grandes, et qui sait s’en fabriquer.
<br/>— Et vous dites que cela dépend de fouler aux pieds les préjugés. Qu’est-ce que préjugé, et comment fait-on pour les fouler aux pieds, et pour en avoir la force ?
<br/>— Vous me faites, ma chère amie, une question,<!--virgule--> dont la philosophie morale ne connaît pas la plus grande : aussi est-ce une leçon qui dure toute la vie. Mais je vous dirai en bref que préjugé s’appelle tout soi-disant devoir dont on ne trouve pas la raison en nature.
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}}
 
{{Citation|citation=Quel est l’homme auquel le besoin ne fasse faire des <!--p.638-->bassesses ?
| langue = fr
| original = Le roi Auguste, Électeur de Saxe, […] était un homme ennemi déclaré de l’économie, riant de ceux qui le volaient, et ne dépensant beaucoup que pour se procurer des sujets de rire. N’ayant pas assez d’esprit pour rire des sottises politiques des souverains, et des ridicules des hommes de toutes les espèces, il tenait à son service quatre bouffons qu’en allemand on appelle ''fous'', dont l’office était celui de le faire rire par des véritables scurrilités, par des cochonneries, par des impertinences. Ces messieurs fous obtenaient souvent de leur maître des grâces importantes en faveur de ceux pour lesquels ils s’intéressaient. Il arrivait de cela que très souvent ces fous se voyaient honorés et cultivés par des honnêtes gens qui avaient besoin de leur protection. Quel est l’homme auquel le besoin ne fasse faire des <!--p.638-->bassesses ? Agamemnon dans Homère dit à Ménélas qu’ils sont dans le cas de devoir en faire.
| précisions=
<!--PEUT-ÊTRE À EXPORTER ET DÉVELOPPER SUR WIKTIONARY-->{{Romain|scurrilité}} : « plaisanterie basse et de mauvais goût » (''Grand Larousse Illustré du XIX{{e}} siècle'', cité in t. II, p. 1061, n. 3), latinisme surtout utilisé en littérature religieuse, comme Thomas d’Aquin, ''Somme théologique''.
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{{Citation|citation=[La religieuse M.M. à Casanova.] [L]e plus grand des bonheurs est celui de vivre et de mourir tranquille, ce qu’on ne peut pas espérer ajoutant foi à ce que les prêtres nous disent. […] Je peux dire que je n’ai commencé à aimer Dieu que depuis que je me suis désabusée de l’idée que la religion m’en avait donnée.
| langue = fr
| original = [La religieuse M.M. à Casanova.] Je ne sais pas comment l’action de la créature puisse influer sur le <!--p.749-->créateur que ma raison ne peut concevoir qu’indépendant. Il me semble que si Dieu avait créé l’homme capable de l’offenser, l’homme aurait raison de faire tout ce qu’il lui aurait défendu, quand ce ne serait que pour lui apprendre à créer. Peut-on s’imaginer Dieu affligé en carême ? […] Je t’assure que quand je réfléchis à moi-même, je me trouve plus heureuse d’avoir trouvé [cet ami qui m’a donné des bons livres et] qui m’a éclairé l’esprit, que malheureuse d’avoir pris le voile, car le plus grand des bonheurs est celui de vivre et de mourir tranquille, ce qu’on ne peut pas espérer ajoutant foi à ce que les prêtres nous disent. […] J’aurais vu beaucoup moins<!--moins, sic--> rapidement la lumière, si j’avais été moins imbue d’erreurs. Ce qui séparait dans mon esprit le faux du vrai n’était qu’un rideau : la seule raison pouvait le tirer ; mais on m’avait appris à la mépriser. D’abord qu’on m’a démontré que je devais en faire le plus grand cas, je l’ai mise en activité : elle tira le rideau. L’évidence du vrai parut avec éclat, les sottises disparurent ; et je n’ai pas lieu de craindre qu’elles reparaissent, car je me fortifie tous les jours davantage. Je peux dire que je n’ai commencé à aimer Dieu que depuis que je me suis désabusée de l’idée que la religion m’en avait donnée.
| précisions= Dans les dialogues philosophiques de cette époque, c’est généralement l’auteur qui s’exprime sous le couvert de son interlocuteur.
}}
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{{Citation|citation=Très curieux de pouvoir à la fin me vanter d’avoir été témoin d’un miracle, et d’ailleurs très intéressant pour moi, car j’avais toujours les pieds gelés, je vais voir l’auguste morte, qui effectivement avait les pieds chauds, mais c’était en conséquence d’un poêle ardent qui était très près de Sa Majesté Impériale morte.
| langue = fr
| original = Ce confesseur qui était un jésuite me reçut on ne peut pas plus mal. Il me dit, par manière d’acquit, qu’à Munick<!--Munick, sic--> on me connaissait à fond. Je lui ai demandé d’un ton ferme s’il me donnait cet avis comme une bonne ou comme une mauvaise nouvelle, et il ne m’a pas répondu. Il m’a laissé là, et un prêtre me dit qu’il était allé pour vérifier un miracle dont tout Munick<!--Munick, sic--> parlait. <!--p.8-->“L’impératrice, me dit-il, veuve de Charles VII, dont le cadavre est encore dans la salle exposé à la vue du public, a les pieds chauds toute morte qu’elle est.” Il me dit que je pouvais aller voir ce prodige moi-même. Très curieux de pouvoir à la fin me vanter d’avoir été témoin d’un miracle, et d’ailleurs très intéressant pour moi, car j’avais toujours les pieds gelés, je vais voir l’auguste morte, qui effectivement avait les pieds chauds, mais c’était en conséquence d’un poêle ardent qui était très près de Sa Majesté Impériale morte.
| précisions= {{Romain|Munick}} : une ancienne graphie de Munich.
}}
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{{Citation|citation=J’ai trouvé cette femme folle amoureuse de mon ami qu’elle appela comte de Six coups, nom qu’il n’a plus perdu à Paris tant qu’il y resta. Elle l’avait reconnu pour seigneur de ce fief qui en France passe pour fabuleux, et elle voulait en devenir la dame.
| langue = fr
| original = J’ai trouvé cette femme folle amoureuse de mon ami qu’elle appela comte de Six coups, nom qu’il n’a plus perdu à Paris tant qu’il y resta. Elle l’avait reconnu pour seigneur de ce fief qui en France passe pour fabuleux, et elle voulait en devenir la dame. Après m’avoir conté ses <!--p.36-->prouesses nocturnes comme si j’avais été son plus ancien ami, elle me dit qu’elle voulait le loger […]. Elle l’attendait l’après dîner, et il lui tardait de le lui présenter. Après table, me parlant de nouveau de la valeur de mon compatriote, elle l’agaça, et lui ambitieux de me convaincre de sa bravoure, lui fit raison à ma présence.
| précisions=
}}
Ligne 1 241 ⟶ 1 263 :
| langue = fr
| original =
[Casanova voit “une grosse femme” et sa “nièce jolie à croquer” arriver chez la Lambertini, qui leur présente “son cousin Six coups”. Pendant que les autres jouent aux cartes, Casanova tient compagnie à la demoiselle “sortie du couvent que depuis un mois”.]<!--p.37--> Ce fut elle qui rompit le silence me demandant qui était ce beau monsieur qui ne savait pas parler.
<br/>— C’est un seigneur de mon pays qui à cause d’une affaire d’honneur en est sorti. Il parlera français quand il l’aura appris, et pour lors on ne se moquera plus de lui. Je suis fâché de l’avoir conduit ici, car en moins de vingt-quatre heures on me l’a gâté.
<br/>— De quelle façon ?
Ligne 1 258 ⟶ 1 280 :
| volume = 5
| chapitre = III
| page = 36-37
}}
 
Ligne 1 283 ⟶ 1 305 :
| volume = 5
| chapitre = III
| page = 38-4039
}}
 
Ligne 1 301 ⟶ 1 323 :
}}
 
{{Citation|citation=L<!--L majuscule, sic-->’homme qui aime sachant d’être aimé fait plus de cas du plaisir <!--p.58-->qu’il est sûr de faire à l’objet aimé que de celui que le même objet pourra lui faire dans la jouissance.
| langue = fr
| original = […] ; les femmes ont donc raison de se refuser à nos désirs. Mais si les désirs des deux sexes sont égaux<!--pas de virgule--> pourquoi n’arrive-t-il jamais qu’un homme se refuse à une femme qu’il aime, et qui le sollicite ? La raison ne peut être que celle-ci : L<!--L majuscule-->’homme qui aime sachant d’être aimé fait plus de cas du plaisir <!--p.58-->qu’il est sûr de faire à l’objet aimé que de celui que le même objet pourra lui faire dans la jouissance. Par cette raison il lui tarde de le contenter. La femme préoccupée par son propre intérêt doit faire plus de cas du plaisir qu’elle aura elle-même que de celui qu’elle donnera ; pour cette raison elle diffère tant qu’elle peut, puisque se rendant, elle a peur de perdre ce qui l’intéresse le plus : son propre plaisir. Ce sentiment est propre à la nature du sexe féminin, et il est uniquement la cause de la coquetterie que la raison pardonne aux femmes, et qu’elle ne saurait jamais pardonner à un homme. Aussi ne la voit-on dans l’homme que très rarement.
| précisions=
}}
Ligne 1 344 ⟶ 1 366 :
{{Citation|citation=[L’ex-ambassadeur Bernis à Casanova.] Les seuls espions avoués sont les ambassadeurs.
| langue = fr
| original = [L’ex-ambassadeur Bernis à Casanova chargé d’une mission secrète.] S’agissant, me dit-il, d’une commission secrète, je suis fâché de ne pas pouvoir vous donner un passeport ; mais vous pourrez en avoir un sous quelque prétexte du premier gentilhomme de la chambre d’année par le moyen de Silvia. Vous avez besoin d’avoir une très prudente conduite, et surtout de ne pas vous faire des affaires ''{{lang|la|in munere}}'', car vous savez, je crois, que s’il vous arrive quelque malheur, la réclamation à votre commettant ne vous servira de rien. On vous désavouera. Les seuls espions avoués sont les ambassadeurs. Vous aurez donc besoin d’une réserve et d’une circonspection supérieures à la leur.
| précisions= Citation souvent attribuée à tort à Casanova.
{{Romain|vous faire des affaires ''{{lang|la|in munere}}''}} : vous attirer des ennuis ''en service'', pendant votre mission.
Citation souvent attribuée à tort à Casanova.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 357 ⟶ 1 381 :
{{Citation|citation=J’étais parvenu à connaître parfaitement Mme d’Urfé, qui me croyait un vrai adepte sous le masque d’un homme sans conséquence ; mais elle se fortifia dans cette idée chimérique cinq ou six semaines après, lorsqu’elle me demanda si j’avais déchiffré le manuscrit où il y avait le procédé du grand œuvre. [Casanova dit que oui, elle ne le croit pas.] Je lui donne alors la parole, qui n’était d’aucune langue, et je la <!--p.96-->vois surprise. Elle me dit que c’était trop, car elle se croyait seule maîtresse de ce mot-là qu’elle conservait dans sa mémoire, et qu’elle n’avait jamais écrit. Je pouvais lui dire la vérité, que le calcul même qui m’avait servi à déchiffrer le manuscrit m’avait fait apprendre le mot, mais il me vint le caprice de lui dire qu’un Génie me l’avait révélé. Cette fausse confidence fut celle qui mit Mme d’Urfé dans mes fers. Je me suis rendu ce jour-là l’arbitre de son âme, et j’ai abusé de mon pouvoir. Toutes les fois que je m’en souviens, je m’en sens affligé et honteux, et j’en fais la pénitence actuellement dans l’obligation où je me suis mis de dire la vérité en écrivant mes Mémoires. [Casanova invoque son ange en faisant faire à Mme d’Urfé une pyramide de chiffres cabalistique qui produit à nouveau sa clef secrète.] Je l’ai quittée portant avec moi son âme, son cœur, son esprit et tout ce qui lui restait de bon sens.
| précisions=
{{Romain|Mme d’Urfé}} : la {{w|Marquise d’Urfé}} (1705-1775), vieille toquée d’occultisme qui financera longtemps Casanova, son sorcier et parfois son amant.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 370 ⟶ 1 394 :
| langue = fr
| original = J’ai connu à la Comédie un ministre de la Porte […] et j’ai cru de le voir mourir de rire à ma présence. […] Le parterre et les loges éclatent de rire, et moi aussi, mais non pas à mourir. En devoir d’expliquer la chose au Turc, le rire lui prit avec une telle force qu’on a dû le porter à son auberge, au prince d’Orange. N’en rire point du tout aurait indiqué bêtise, j’en conviens, mais il fallait avoir un esprit turc pour en rire à ce point-là. Ce fut cependant un grand philosophe grec qui mourut de rire voyant une vieille femme édentée manger des figues. Ceux qui rient beaucoup sont plus heureux que ceux qui rient peu, car la gaieté épanche la rate et fait faire du bon sang.
| précisions= {{Romain|la Porte}} : la [[{{w:Sublime Porte|Sublime Porte]]}}, le gouvernement ottoman. {{Romain|un grand philosophe grec}} : [[{{w:Chrysippe de Soli|Chrysippe de Soli]]}}. {{Romain|épanche la rate}} : croyance médicale depuis l’Antiquité (qui demeure dans les expressions « se dilater la rate » et « se payer une pinte de bon sang »).
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 383 ⟶ 1 407 :
| langue = fr
| original = [Mon protecteur l’illustre abbé de Bernis, qui fit tant pour Louis XV,] fut renvoyé de la cour pour avoir dit au roi, qui lui avait demandé là<!--pas de trait d’union--> dessus son avis, qu’il ne croyait pas que le prince de Soubise fût l’homme le plus propre à commander ses armées. D’abord que la Pompadour le sut du roi même, elle eut le pouvoir de le précipiter. Sa disgrâce déplut à tout le monde, mais on s’en consola par des couplets. Nation singulière qui devient insensible à tous les malheurs d’abord que des vers qu’on dit ou qu’on chante la font rire.
| précisions= {{Romain|de Bernis}} : l’abbé [[{{w:|François-Joachim de Pierre de Bernis|de Bernis]]}} avait été compagnon de débauche de Casanova à Venise.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 411 ⟶ 1 435 :
| langue = fr
| original = On aurait pu démontrer à <!--sic, Elvetius-->Elvetius que c’est faux que dans tout ce que nous faisons, notre propre intérêt soit notre premier mobile et le premier à être consulté. Elvetius n’admettait donc pas la vertu, c’est singulier. Il était lui-même très vertueux. C’est-il possible qu’il ne se soit jamais reconnu pour honnête homme ? Ce serait plaisant si ce qui lui ait fait publier son livre eût été un sentiment de modestie. A-t-il eu raison de se rendre méprisable pour éviter la tache d’orgueilleux ? La modestie n’est une vertu que quand elle est naturelle ; si elle est jouée, ou mise en exercice par précepte d’éducation<!--pas de virgule--> elle n’est qu’hypocrisie. Je n’ai connu un homme plus naturellement modeste que le célèbre d’Alembert.
| précisions= {{Romain|Elvetius}} : une ancienne graphie pour [[{{w:Claude-Adrien Helvétius|Claude-Adrien Helvétius]]}} (1715-1771), ici critiqué pour son traité ''De l’esprit''.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 427 ⟶ 1 451 :
{{Citation|citation=[L]es femmes n’ont <!--sic, n’ont autre-->autre âge que celui qu’elles montrent.
| langue = fr
| original = Lucie n’était pas devenue positivement laide, mais quelque chose de pire : dégoûtante. En dix-neuf ans qui s’étaient écoulés après que je l’avais vue à Pasean, toutes sortes de débauches devaient l’avoir rendue telle. […]<!--p.234--> Sa beauté étant disparue, sa seule ressource avait été celle de devenir maq.......<!--7points--> ; rien n’était plus dans l’ordre ; mais la pauvre Lucie n’était âgée que de trente-trois ans ; n’importe, elle en montrait cinquante, et les femmes n’ont <!--pas de “d’”, “autre”-->autre âge que celui qu’elles montrent.
| précisions= {{Romain|maq.......<!--7points-->}} : maquerelle.
}}
Ligne 1 479 ⟶ 1 503 :
{{Citation|citation=Nous n’aimons donc que l’artifice et le faux, et le vrai ne nous séduit plus lorsqu’un vain appareil n’en est pas l’avant-coureur.
| langue = fr
| original = Eh quoi ! me disais-je, cette servante est belle, ses yeux sont bien fendus, ses dents sont blanches, l’incarnat de son teint est le garant de <!--p.365-->sa santé, et elle ne me fait aucune sensation ? Je la vois toute nue, et elle ne me cause la moindre émotion ? Pourquoi ? Ce ne peut être que parce qu’elle n’a rien de ce que la coquetterie emprunte pour faire naître l’amour. Nous n’aimons donc que l’artifice et le faux, et le vrai ne nous séduit plus lorsqu’un vain appareil n’en est pas l’avant-coureur.
| précisions=
}}
Ligne 1 519 ⟶ 1 543 :
# {{Citation|citation=Savoir mal est pire qu’ignorer. [Montaigne] dit qu’il faut savoir bien.
| langue = fr
| original = L’idée que j’avais de Morat jusqu’à ce moment-là était magnifique. Sa réputation de sept siècles, trois grands sièges soutenus et repoussés ; je m’attendais à voir quelque chose, et je ne voyais rien. “— Morat, dis-je au médecin, a donc été rasé, détruit, car… — Point du tout, il est ce qu’il a toujours été.” <!--p.382-->L’homme sage qui veut s’instruire doit lire et voyager après pour rectifier sa science. Savoir mal est pire qu’ignorer. [Montaigne] dit qu’il faut savoir bien.
| précisions= {{Romain|Morat}} : Casanova visite en 1760 le site historique de [[{{w:Morat|Morat]]}} en Suisse. {{Romain|[Montaigne]}} : le texte publié porte « Montagne »<!--ici trop ambigu en début de courte phrase-->, une ancienne graphie de [[{{w:|Michel de Montaigne|Montaigne]]}}. Citation similaire : cf. t. II, vol. 7, chap. IX, p. 603. On trouve souvent citée la version réécrite par Laforgue, « ''Je jugeai que l’homme qui veut s’instruire doit lire d’abord, et puis voyager pour rectifier ce qu’il a appris.'' » (''Mémoires de J. Casanova de Seingalt'', Casanova [arr. Laforgue], éd. Garnier, [1880], t. IV, chap. XIII, p. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k314885/f424.table 419] en ligne).
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 532 ⟶ 1 556 :
{{Citation|citation=Plus je vieillis<!--pas de virgule--> plus je regrette mes papiers. C’est le vrai trésor qui m’attache à la vie,<!--virgule--> et qui me fait haïr la mort.
| langue = fr
| original = Quand j’ai pris congé, [Haller] m’a prié de lui écrire mon jugement sur le grand Voltaire, et ce fut le commencement de notre correspondance épistolaire en français. J’ai vingt-deux lettres de cet homme, dont la <!--p.387-->dernière est datée <!--pas de “de”-->six mois avant sa mort prématurée aussi. Plus je vieillis<!--pas de virgule--> plus je regrette mes papiers. C’est le vrai trésor qui m’attache à la vie,<!--virgule--> et qui me fait haïr la mort.
| précisions= {{Romain|Haller}} : [[{{w:Albrecht von Haller|Albrecht von Haller]]}}.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 546 ⟶ 1 570 :
| langue = fr
| original = [Haller] méprisait certainement les ignorants qui au lieu de se tenir dans les bornes que leur misère leur prescrit veulent parler de tout à tort et à travers, et tâchent même de mettre en dérision ceux qui savent quelque chose ; mais son mépris ne paraissait pas. Il savait trop bien que l’ignorant méprisé hait, et il ne voulait pas être haï.
| précisions= {{Romain|Haller}} : [[{{w:Albrecht von Haller|Albrecht von Haller]]}}.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 596 ⟶ 1 620 :
| langue = fr
| original =
Nous allâmes chez M. de Voltaire, qui sortait précisément dans ce <!--p.401-->moment-là de table. Il était environné de seigneurs et de dames ; ainsi ma présentation devint solennelle. Il s’en fallait bien que chez Voltaire cette solennité pût m’être favorable.<!--chap.X-->
<br/>— Voilà, lui dis-je, le plus heureux moment de ma vie. Je vois, à la fin, mon maître ; il y a vingt ans, monsieur, que je suis votre écolier.
<br/>— Honorez-moi encore d’autres vingt, et après promettez-moi de venir me porter mes gages.
Ligne 1 615 ⟶ 1 639 :
# {{Citation|citation=[J]e lis tant que je peux, et je me plais à étudier l’homme en voyageant.}}
# {{Citation|citation=[L’histoire] ment ; on n’est pas sûr des faits ; elle ennuie[.]}}
# {{Citation|citation=[L]’étude du <!--p.404-->monde en courant m’amuse. Horace [est] mon itinéraire[.]
| langue = fr
| original = [Casanova à Voltaire.]
<br/>— L’abbé Lazzarini m’a dit quand je commençais à apprendre à écrire qu’il préférait Tite-Live à Saluste.
<br/>— L’abbé Lazzarini, auteur de la tragédie ''{{lang|it|Ulisse il giovine}}'' ? Vous deviez être bien enfant, et je voudrais bien l’avoir connu ; mais j’ai bien connu l’abbé Conti qui avait été ami de Newton, et dont les quatre tragédies embrassent toute l’histoire romaine.
<br/>— Je l’ai aussi connu et admiré. Me trouvant en compagnie de ces grands hommes je me félicitais d’être jeune ; actuellement que je me trouve vis-à-vis de vous il me paraît d’être d’avant-hier, mais cela ne m’humilie pas. Je voudrais être le cadet de tout le genre humain.
<br/>— Vous seriez plus heureux qu’en en étant le doyen. Oserais-je vous demander à quelle espèce de littérature vous vous êtes adonné ?
<br/>— À aucune, mais cela viendra peut-être. En attendant je lis tant que je peux, et je me plais à étudier l’homme en voyageant.
<br/>— C’est le moyen de le connaître, mais le livre est trop grand. On y parvient plus facilement lisant l’histoire.
<br/>— Elle ment ; on n’est pas sûr des faits ; elle ennuie, et l’étude du <!--p.404-->monde en courant m’amuse. Horace, que je sais par cœur, est mon itinéraire, et je le trouve partout.
| précisions= {{Romain|Horace}} : le poète antique [[{{w:Horace|Horace]]}}.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 661 ⟶ 1 685 :
<br/>— Elle ne le dévore pas, elle est au contraire nécessaire à son existence.
<br/>— Aimant le genre humain<!--pas de virgule--> je voudrais le voir heureux comme moi, libre ; et la superstition ne peut pas se combiner avec la liberté. Où trouvez-vous que la servitude puisse faire le bonheur d’un peuple ?
<br/>— Vous voudriez donc voir la souveraineté dans le peuple ?<!--p.422-->
<br/>— Dieu m’en préserve. Il faut qu’un seul gouverne.
<br/>— La superstition est donc nécessaire, puisque sans elle le peuple n’obéira jamais au monarque.
Ligne 1 705 ⟶ 1 729 :
<br/>— Je n’en conviendrai pas si facilement. Les aristocrates mêmes membres du gouvernement ne le sont pas, puisqu’ils ne peuvent pas par exemple voyager sans permission.
<br/>— C’est une loi qu’ils se sont faite eux-même pour conserver leur souveraineté. Direz-vous qu’un bernois n’est pas libre parce qu’il est sujet aux lois somptuaires ? C’est lui-même qui est le législateur.
| précisions= {{Romain|lois somptuaires}} : les [[{{w:lois somptuaires|lois somptuaires]]}} punissaient l’excès de luxe.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 747 ⟶ 1 771 :
{{Citation|citation=Quel est d’ailleurs l’homme amoureux qui ne s’imagine que l’objet qu’il aime doit plaire à tout le monde ?
| langue = fr
| original = J’espérais de me voir prié de conduire moi-même à Paris [la belle Anne Roman] […]<!--p.484--> Le monarque devait en devenir amoureux à peine l’aurait-il vue ; je n’en doutais pas. Quel est d’ailleurs l’homme amoureux qui ne s’imagine que l’objet qu’il aime doit plaire à tout le monde ? Dans ce moment-là j’en étais jaloux ; mais me connaissant, je savais que je cesserais de l’être peu de temps après que j’aurais joui de mon trésor.
| précisions=
}}
Ligne 1 755 ⟶ 1 779 :
| volume = 7
| chapitre = II
| page = 483- et 484
}}
 
{{Citation|citation=[L’Astrodi à Casanova.] — Je me suis accommodée à son goût, me dit-elle, très facilement, ce que l’année passé à Paris j’aurais cru impossible, car j’imaginais que cela devait faire mal, mais je me trompais. — Quoi ! L’auditeur te traite en garçon ? — Oui. Ma sœur l’aurait adoré, car c’est sa passion. […]<!--p.507--> Est-ce que tu n’aimes pas cela, toi ? — Non, j’aime mieux ''ceci''.
| précisions=
}}
Ligne 1 766 ⟶ 1 790 :
| volume = 7
| chapitre = III
| page = 506- et 507
}}
 
# {{Citation|citation=[D]ans la vie<!--pas de virgule--> rien n’[est] réel que le présent[.]}}
# {{Citation|citation=[J’abhorre] les ténèbres du toujours affreux <!--p.525-->avenir, car il ne présente rien de certain que la mort[.]
| langue = fr
| original = Moyennant tous ces propos je me suis ménagé avec Rosalie la délicieuse nuit que nous avons passée ensemble. Nous dormîmes sept heures qui furent précédées,<!--virgule--> et suivies<!--pas de virgule--> de deux de caresses. Nous nous levâmes à midi, amis intimes. Rosalie me tutoyait, elle ne me parlait plus de reconnaissance, elle s’était accoutumée au bonheur, et elle riait avec dédain de ses misères passées. Elle courait à moi hors de propos, et dans l’enthousiasme elle m’appelait son enfant auteur de son bonheur, et elle me mangeait de baisers, elle faisait enfin mon bonheur ; et dans la vie rien n’étant réel que le présent, j’en jouissais, rejetant les images du passé, et abhorrant les ténèbres du toujours affreux <!--p.525-->avenir, car il ne présente rien de certain que la mort ''{{lang|la|ultima linea rerum}}'' [“terme de toute chose”].
| précisions= {{Romain|{{lang|la|ultima linea rerum}}}} : d’après ''{{lang|la|Mors ultima linea rerum est}}'', littéralement “La mort est la dernière ligne des choses”, donc “La mort est le terme de toute chose” (Horace, ''Épîtres'').
}}
Ligne 1 813 ⟶ 1 837 :
{{Citation|citation=L’amour foule aux pieds les préjugés qui l’entravent.
| langue = fr
| original = — Pourquoi ne pouvons-nous pas être amants étant libres ? — Je ne suis pas libre des préjugés dont vous ne faites aucun cas. […]<!--p.552--> Que deviendrais-je, si je me laissais aller aux sentiments que vous m’inspirez ? — Je m’y attendais, ma chère Véronique. Non. Les sentiments que je vous inspire ne sont pas ceux de l’amour. Ils seraient égaux aux miens. L’amour foule aux pieds les préjugés qui l’entravent.
| précisions=
}}
Ligne 1 821 ⟶ 1 845 :
| volume = 7
| chapitre = VI
| page = 551- et 552
}}
 
Ligne 1 853 ⟶ 1 877 :
| langue = fr
| original = Le lendemain, une lettre que j’ai reçue de Grenoble m’a bien intéressé. Valenglard m’écrivait que la Roman était partie pour Paris avec sa tante, après avoir été convaincues que si elles n’y allaient pas, ce que l’horoscope disait n’aurait jamais pu se vérifier. Elles n’y seraient donc jamais allées, si le caprice ne m’était venu de leur faire un horoscope extravagant, car quand même l’astrologie aurait été une science, je n’en savais rien. Mille événements nous trouvons dans la vraie histoire qui ne seraient jamais survenus, si on ne les avait pas prédits. C’est nous qui sommes les auteurs de notre soi-disant destin, et toutes les nécessités précédentes des Stoïciens sont chimériques ; le raisonnement qui prouve la force du destin ne semble fort que parce qu’il est sophistique.
| précisions= {{Romain|la Roman}} : la belle Anne Roman était une anonyme jeune fille qui n’aurait jamais quitté Grenoble ; Casanova lui combina un horoscope prédisant que ''si'' elle montait à Paris elle deviendrait la maîtresse de Louis XV et lui donnerait un fils ; elle y monta, devint la fameuse [[{{w:|Anne Couppier de Romans|Mademoiselle de Romans<!--sic, pluriel-->]]}}, et accoucha de l’abbé de Bourbon, le seul enfant illégitime reconnu par le roi (en réalité, Casanova connaissait bien les goûts du monarque et pendant son séjour à Paris l’avait déjà entiché de sa maîtresse [[{{w:|Marie-Louise O’Murphy|la O’Murphy]]}} en lui faisant parvenir son portrait ; comme il savait aussi que la tante d’Anne Roman avait une relation parisienne permettant de la faire présenter à Louis XV, Casanova escomptait qu’un tel horoscope soit le coup de pouce lui permettant de s’auto-réaliser).
Sur les prédictions engendrant l’événement, cf. citation du t. III, vol. 12, chap. VI, p. 959-960.
}}
{{Réf Livre
Ligne 1 906 ⟶ 1 931 :
<br/>— Aimer et jouir, jouir et aimer, tour à tour.
<br/>— Vous y êtes.
<br/>À cette conclusion elle ne put s’empêcher de rire, et le duc lui baisa <!--p.625-->la main.
| précisions=
Dans les dialogues philosophiques de cette époque, c’est généralement l’auteur qui s’exprime sous le couvert de son interlocuteur. Citations similaires : cf. t. II, vol. 8, chap. VIII, p. 861, et t. III, vol. 10, chap. IX, p. 486-487.
Ligne 1 922 ⟶ 1 947 :
{{Citation|citation=[L]’admiration ;<!--point-virgule--> si on n’en revient pas, elle devient adoration, puis amour invincible.
| langue = fr
| original = À cette conclusion elle ne put s’empêcher de rire, et le duc lui baisa <!--p.625-->la main. La duegna qui ne comprenait rien du français,<!--virgule--> écoutait l’opéra, mais moi ! J’était hors de moi-même. Celle qui parlait ainsi était une fille de dix-sept ans, jolie comme un cœur. […] D. Leonilda me plongea dans l’admiration ;<!--point-virgule--> si on n’en revient pas, elle devient adoration, puis amour invincible. L’opéra qui dura cinq heures parvint à sa fin sans que je m’aperçusse de sa longueur.
| précisions= {{Romain|duegna}} : la duègne, le chaperon.
}}
Ligne 1 976 ⟶ 2 001 :
}}
 
{{Citation|citation=Les républiques se tiennent superstitieusement attachées à leurs anciennes méthodes ; elles craignent que le moindre changement en tout genre ait, ou puisse avoir, une influence sur la constitution au préjudice de l’État. ''{{lang|la|Ne tangas Camerinam.}}'' [“Ne touchez point Camerina !”, Virgile, l’''Énéide'' ; oracle delphique aux habitants de Camerina, qui se repentirent de ne pas l’avoir suivi.]
| précisions=
}}
Ligne 2 050 ⟶ 2 075 :
| langue = fr
| original =
Quand la troupe se fut dépouillée de ses guenilles de théâtre et qu’elle fut costumée avec ses guenilles de tous les jours, la laide Bassi s’attacha à mon bras et m’emmena en disant que j’irais souper avec elle. Je me laissais conduire et bientôt nous arrivâmes dans une habitation telle que je me l’étais imaginée. C’était une immense chambre au rez-de-chaussée qui servait à la fois de cuisine, de salle à manger et de dortoir. […] Une seule chandelle<!--espace--> fichée dans le goulot d’une bouteille cassée,<!--virgule--> éclairait ce taudis, et comme on n’avait point de mouchettes, la laide Bassi y pourvoyait très adroitement au moyen du pouce et de l’index, et sans façon s’essuyait à la nappe après avoir jeté par terre le bout de la mèche. Un acteur, valet de la troupe, portant longues moustaches, car il ne jouait que les rôles d’assassins ou de voleur de grands chemins, servit un énorme plat de viande réchauffée qui nageait au milieu d’une quantité d’eau bourbeuse que l’on décorait du nom de sauce ; et la famille affamée se mit à y tremper du pain après l’avoir dépecé avec <!--p.723--> les doigts ou à belles dents, faute de couteau et de fourchette, mais tous étant à l’unisson, nul n’avait le droit de faire le dégoûté. Un grand pot de bière passait de convive en convive, et au milieu de cette misère, la gaieté se montrait sur tous les visages, ce qui me forçait à me demander ce que c’est que le bonheur.
| précisions= Texte Casanova/Laforgue<ref name="Casanova-Laforgue"/>.
Sur la gaieté dans la misère, cf. citation du t. III, vol. 11, chap. X, p. 822.
}}
{{Réf Livre
Ligne 2 060 ⟶ 2 086 :
| page = 722-723
}}
 
 
{{Citation|citation=L’alphabet est la propriété de tout le monde ; c’est incontestable. <!--p.729-->J’ai pris huit lettres, et je les ai combinées de façon à produire le mot Seingalt. Ce mot ainsi formé m’a plu et je l’ai adopté pour mon appellatif, avec la ferme persuasion que personne ne l’ayant porté avant moi, personne n’a le droit de me le contester, et bien moins encore de le porter sans mon consentement.
Ligne 2 076 ⟶ 2 101 :
}}
 
{{Citation|citation=Je n’ai jamais craint de <!--p.747-->croiser mon épée avec le premier venu, sans avoir pourtant jamais recherché le barbare plaisir de répandre le sang d’un homme[.]
| langue = fr
| original = [Casanova vient de soudoyer un officier pour faire muter dans une autre ville un soudard qui le voulait en duel.] Je n’ai jamais craint de <!--p.747-->croiser mon épée avec le premier venu, sans avoir pourtant jamais recherché le barbare plaisir de répandre le sang d’un homme ; mais cette fois j’éprouvais une extrême répugnance à me commettre avec un homme que je n’avais pas lieu de juger plus délicat que son ami d’Aché.
| précisions= Texte Casanova/Laforgue<ref name="Casanova-Laforgue"/>.
}}
Ligne 2 159 ⟶ 2 184 :
{{Citation|citation=[P]lus une jeune personne est innocente, plus elle ignore les voies et le but de la séduction. À son insu, l’attrait du plaisir l’attire, la curiosité s’en mêle, et l’occasion fait le reste.
| langue = fr
| original = Les pères et les mères croient le contraire, mais ils ont tort. Ils refusent ordinairement de confier leur fille à un jeune homme, soit pour un bal, soit pour une promenade ; mais ils cèdent, si la jeune personne a pour chaperon une de ses amies. Je le leur répète, ils ont tort, car si le jeune homme sait s’y prendre, leur fille est perdue. Une fausse honte les empêche l’une et l’autre d’opposer une résistance absolue à la séductionséduc<!--p.783-->tion, et dès que le premier pas est fait, la chute est inévitable et rapide. Que l’amie se laisse dérober la plus légère faveur pour n’avoir pas à en rougir, elle sera la première à pousser son amie à en accorder une plus grande, et si le séducteur est adroit, l’innocente aura fait, sans s’en douter, trop de chemin pour pouvoir reculer. D’ailleurs plus une jeune personne est innocente, plus elle ignore les voies et le but de la séduction. À son insu, l’attrait du plaisir l’attire, la curiosité s’en mêle, et l’occasion fait le reste.
| précisions= Texte Casanova/Laforgue<ref name="Casanova-Laforgue"/>.
}}
Ligne 2 256 ⟶ 2 281 :
{{Citation|citation=L’amour est le dieu de la nature ; mais qu’est-ce que la nature si son dieu est un enfant gâté ? Nous le connaissons,<!--virgule--> et malgré cela nous l’adorons.
| langue = fr
| original = [U]n abbé parent du comte […] lorgnait Clémentine, et j’étais bien décidé à ne vouloir ce bavard ni pour compagnon, ni pour rival. […] Clémentine m’avait altéré, et pour me bouleverser ainsi elle n’avait eu besoin que de sept heures. Me sentant tout à elle, il me paraissait de devoir mettre tout en œuvre pour la rendre toute à moi. Je ne doutais pas de la réussite, et dans ma prétention il y avait certainement de la fatuité ; mais il y avait aussi une modestie de raison, car pour parvenir à lui toucher le cœur, croyant d’avoir besoin d’aplanir toutes les difficultés, il me semblait que le moindre obstacle me ferait échouer. Or ce polisson tonsuré me semblait une guêpe que j’avais besoin d’écraser. La froide jalousie s’en mêlait aussi pour faire du tort à l’objet qui m’avait déjà enchanté ; je me figurais Clémentine, sinon <!--p.881-->amoureuse, du moins indulgente vis-à-vis de ce singe, et dans cette idée je me trouvais envahi par une sensation de vengeance qui devait tomber sur elle. L’amour est le dieu de la nature ; mais qu’est-ce que la nature si son dieu est un enfant gâté ? Nous le connaissons,<!--virgule--> et malgré cela nous l’adorons.
| précisions=
}}
Ligne 2 292 ⟶ 2 317 :
<br/>— Mais si quand j’aimerai je me trouve malheureuse, je connaîtrai alors que mon cœur vide était un bonheur.
<br/>— C’est vrai, mais il me semble impossible que vous puissiez être malheureuse en amour.
<br/>— Ce n’est que trop possible. Il s’agit d’un accord réciproque qui est bien difficile, et plus encore difficile qu’il soit durable.<!--p.884-->
<br/>— J’en conviens ; mais Dieu nous a fait naître pour que nous en courions les risques.
<br/>— Un homme peut en avoir besoin, et s’amuser à cela ; mais une fille a des lois différentes.
Ligne 2 307 ⟶ 2 332 :
[[Image:Orden vom Goldenen Sporn.jpg|thumb|Croix de l’ordre de l’Éperon d’or.]]
 
{{Citation|citation=L’ordre qu’on appelle de l’Éperon d’or était [décrié]<!--p.885--> ; mais étant une décoration magnifique, et qui en imposait aux sots, dont le nombre est immense, je la portais même en déshabillé.
| langue = fr
| original = [Un chanoine] me demanda quel était l’ordre de chevalerie qu’indiquait la croix que je portais en sautoir au cordon rouge. J’ai dû lui répondre, modestement glorieux, que c’était une marque de la bienveillance dont notre très<!--espace--> Saint-Père, le pape, m’honorait<!--pas de virgule--> qui de son propre mouvement m’avait fait chevalier de St-Jean de Latran et protonotaire apostolique. […] L’ordre qu’on appelle de l’Éperon d’or était si décrié qu’on m’ennuyait beaucoup <!--p.885-->quand on me demandait des nouvelles de ma croix. On m’aurait plu sans doute, si j’eusse pu répondre en deux mots : “''C’est la Toison''” ; mais après avoir répondu la vérité, l’amour-propre exigeait que je lui ajoutasse un commentaire, qui dans le fond était une glose justificative ; c’était une corvée ; ma croix enfin me gênait, c’était une vraie croix ; mais étant une décoration magnifique, et qui en imposait aux sots, dont le nombre est immense, je la portais même en déshabillé.
| précisions= {{Romain|L’ordre qu’on appelle de l’Éperon d’or}} : ''{{lang|la|Aureatae Militiae Equites}}'' de Saint-Jean-de-Latran, récompensait les catholiques distingués dans les sciences, les lettres, ou les armes, décerné par le pape et certains prélats. {{Romain|décrié}} : il était devenu notoire que l’ordre était vendu pour un ducat par certains prélats ; Casanova dit cependant avoir reçu le sien début 1761 directement du pape Clément XIII. {{Romain|la Toison}} : le prestigieux ordre de la Toison d’or, lui assez connu pour se passer de glose.
}}
{{Réf Livre
Ligne 2 320 ⟶ 2 345 :
}}
 
# {{Citation|citation=<!--version courte-->Il faut aimer [les femmes],<!--virgule--> et n’être pas curieux de leurs mystères[.]}}
#* {{Citation|citation=<!--version longue-->Pour ce qui regarde les femmes, [i]l faut les aimer,<!--virgule--> et n’être pas curieux de leurs mystères<!--pas de virgule--> d’autant plus que le plus souvent ce n’est [que pour] exciter la curiosité.
| langue = fr
| original = Pour ce qui regarde les femmes, le bon sens suffit pour que tout homme qui pense s’abstienne de demander ce que c’est qu’un médaillon masqué, ou une aigrette placée extraordinairement, ou un portrait en bracelet ou en bague. Il faut les aimer,<!--virgule--> et n’être pas curieux de leurs mystères<!--pas de virgule--> d’autant plus que le plus souvent ce n’est qu’un colifichet, un marmouset qu’elles ne portent que pour se faire regarder, et exciter la curiosité.
Ligne 2 336 ⟶ 2 361 :
{{Citation|citation=Le plus sûr à la fin, si on veut se faire aimer, c’est de n’interroger personne sur rien, pas même s’il a la monnaie d’un louis.
| langue = fr
| original = On est parvenu au monde, si on veut être poli, à ne pouvoir plus demander à quelqu’un le nom de sa patrie, car s’il est normand ou calabrais il doit, s’il vous le dit, vous demander excuse, ou, s’il est du pays de Vaux, vous dire qu’il est suisse. Vous ne demanderez pas non plus à un seigneur quelles sont ses armoiries, car s’il ignore le jargon <!--p.886-->héraldique, vous l’embarrasserez. Il faut s’abstenir de faire compliment à un homme sur ses beaux cheveux, car si c’est une perruque, il pourrait croire que vous vous moquez, ni louer à un homme ou à une femme leurs belles dents, car elles pourraient être postiches. […]On m’a trouvé impoli en France, il y a cinquante ans, parce que je demandais à des comtesses et à des marquises leur nom de baptême. Elles ne le savaient pas. Et un petit maître qui par malheur s’appelait Jean satisfit à mon impertinente curiosité ; mais en m’offrant un coup d’épée. Le comble de l’impolitesse à Londres c’est de demander à quelqu’un de quelle religion il est, et en Allemagne aussi […]. Le plus sûr à la fin, si on veut se faire aimer, c’est de n’interroger personne sur rien, pas même s’il a la monnaie d’un louis.
| précisions=
}}
Ligne 2 352 ⟶ 2 377 :
| langue = fr
| original = Les livres passaient le nombre de cent, tous poètes, historiens, géographes, physiciens,<!--virgule--> et quelques romans traduits de l’espagnol ou du français, car, trente ou quarante poèmes exceptés, nous n’avons pas en italien un seul bon roman en prose. Nous avons en revanche le chef-d’œuvre de l’esprit humain dans le <!--pas d’italique-->Roland Furieux qui n’est susceptible de traduction dans aucune langue. Si ce poème donc n’est fait que pour la langue italienne, il semble que la langue italienne ne soit faite que pour lui.
| précisions= {{Romain|le Roland Furieux}} : l’''[[{{w:Orlando furioso|Orlando furioso]]}}'' de l’Arioste. Sur la langue italienne, cf. citation du t. I, vol. 1, Préface, p. 10.
}}
{{Réf Livre
Ligne 2 375 ⟶ 2 400 :
{{Citation|citation=Le devoir d’un amant est d’obliger l’objet qu’il aime à se rendre, et l’amour ne saurait jamais le trouver insolent.
| langue = fr
| original = Je suis allé me coucher fort mécontent de moi-même. Je ne savais pas décider si j’avais fait trop,<!--virgule--> ou trop peu ; et soit l’un, soit l’autre, je me trouvais repenti. Clémentine me semblait faite pour être respectée autant qu’aimée, et je ne pouvais pas me figurer de pouvoir poursuivre à l’aimer sans la récompense que l’amour doit à l’amour. Si elle m’aimait, elle ne pouvait pas me la refuser ; mais c’était à moi à la solliciter, je devais même être pressant pour justifier sa défaite. Le devoir d’un amant est d’obliger l’objet qu’il aime à se rendre, et l’amour ne saurait jamais le trouver insolent. Clémentine donc ne pouvait m’opposer une résistance absolue que ne m’aimant pas ; je devais la mettre à l’épreuve ; d’autant plus que la trouvant invincible <!--p.899-->je me sentais sûr de guérir. Ce n’était pas douteux. Mais à peine décidé à employer ce moyen, j’y pensais,<!--virgule--> et je le trouvais abominable. L’idée de cesser d’aimer Clémentine m’empoisonnait. J’abhorrais cette guérison plus que la mort, car elle était digne d’être adorée. J’ai mal dormi.
| précisions=
}}
Ligne 2 393 ⟶ 2 418 :
{{Citation|citation=[U]n Français qui a fait le premier pas ne recule jamais et ne se laisse pas facilement démonter.
| langue = fr
| original = Un jeune officier tout pimpant, frisé à quatre épingles et sentant <!--p.29-->l’ambre, s’arrête devant notre chambre ouverte, et, payant d’effronterie, nous demande [à moi et mes belles] si nous lui permettions de joindre sa bonne humeur à la nôtre. Je lui réponds froidement qu’il nous faisait bien de l’honneur ; ce qui n’est dire ni oui ni non ; mais un Français qui a fait le premier pas ne recule jamais et ne se laisse pas facilement démonter.
| précisions=
}}
Ligne 2 408 ⟶ 2 433 :
{{Citation|citation=L’esclavage fait des monstres.
| langue = fr
| original = Nous vîmes, pesant nos raisons, que dans la réciprocité des sentiments amoureux de femme à homme, c’était à l’homme à lui accorder tous les avantages du sentiment, et à ménager toutes les idées qu’elle peut avoir, et qui ne peuvent que l’humilier à moins que l’homme n’ait l’esprit de les interpréter toutes favorablement pour elle. Une femme humiliée ne peut ni aimer,<!--virgule--> ni pardonner au cruel qui a dégradé son âme, y introduisant le sombre sentiment de l’humiliation. <!--p.32-->Il faut cependant dans ces vérités générales excepter l’âme d’une esclave femme ou homme. L’esclavage fait des monstres. Aussi je ne comprends pas comment des ilotes aient pu exister sur la terre sans avoir commis toutes sortes de scélératesses.
| précisions= {{Romain|des ilotes}} : les Ilotes ou [[{{w:Hilotes|Hilotes]]}} étaient les esclaves-serfs de Sparte. Casanova se souvient peut-être de l’esclave grecque du volume 1. Passage entièrement coupé par Laforgue.
}}
{{Réf Livre
Ligne 2 419 ⟶ 2 444 :
}}
 
{{Citation|citation=Le plus poli de tous les Français est si empressé de flatter la jolie femme que souvent il ne se soucie pas que le compliment qu’il lui fait <!--p.63-->soit aux dépens d’un tiers.
| langue = fr
| original = […] ; le même personnage qui m’avait reçu me demande, lui offrant son bras, si Madame était ma fille. Marcoline sourit et je répond qu’elle était ma cousine et que nous étions vénitiens. Le plus poli de tous les Français est si empressé de flatter la jolie femme que souvent il ne se soucie pas que le compliment qu’il lui fait <!--p.63-->soit aux dépens d’un tiers. Il ne pouvait pas en conscience supposer Marcoline ma fille, car malgré les vingt ans que j’avais <!--pas de “de”-->plus qu’elle, je n’en montrais que dix, aussi a-t-elle ri.
| précisions=
}}
Ligne 2 435 ⟶ 2 460 :
| langue = fr
| original =
En rentrant dans la chambre, les deux héroïnes me fêtèrent par des ris et par la belle démonstration de confiance que la nature leur enseigna qu’elles devaient me donner, en m’étalant toutes les deux d’accord et sans nulle jalousie les beautés dont elles m’avaient prodiguéprodi<!--p.73-->gué la jouissance ; moyen sûr dans le système de l’humanité de m’exciter à leur donner le bonjour de l’amour. Je m’en sentis tenté ; mais l’âge commençait où insensiblement je m’habituais à l’épargne. J’ai passé sur le lit un quart d’heure voluptueux à comparer toutes leurs richesses ; et souffrant en paix qu’elles m’appelassent avare, je leur ai dit de se lever. “— Nous devions partir, dis-je à Marcoline, à cinq heures du matin, et une heure va sonner bientôt. — Nous avons joui, me répondit-elle, et le temps qu’on emploie à la jouissance n’est jamais perdu. Les chevaux sont-ils là ? Nous prendrons du café, j’espère.”
| précisions=
Citation similaire : cf. t. I, vol. 2, chap. IV, p. 310. On trouve parfois des citations basées sur la version réécrite par Laforgue : « ''Nous avons joui, me dit Marcoline, et le temps que l’on consacre à la jouissance est toujours le mieux employé.'' » (''Mémoires de J. Casanova de Seingalt'', Casanova [arr. Laforgue], éd. Garnier, [1880], t. VI, chap. VIII, p. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31490q/f268.table 263] en ligne).
Ligne 2 447 ⟶ 2 472 :
}}
 
{{Citation|citation=Cent choses j’ai fait en ma vie toutes à regret, et toutes <!--p.96-->poussé par une occulte force, à laquelle je me plaisais à ne pas résister.
| langue = fr
| original = Mais Marcoline pleurait en riant et riait en pleurant. Mon unique consolation était celle de savoir que j’avais fait sa fortune, comme à plusieurs autres qui avaient vécu avec moi. Il me paraissait de devoir la laisser aller pour qu’elle laissât la place libre aux futures que le ciel m’avait destinées. Nous soupâmes tristement, et malgré l’amour, la nuit que nous passâmes ne fut pas gaie. […] Mais quelle nuit douloureuse que celle que j’ai passée avec cette fille ! Elle ne pouvait pas comprendre, et elle me le répétait toujours, comment je pouvais être ainsi le bourreau de moi-même ; et elle avait raison, car je ne le comprenais pas non plus. Cent choses j’ai fait en ma vie toutes à regret, et toutes <!--p.96-->poussé par une occulte force, à laquelle je me plaisais à ne pas résister.
| précisions=
}}
Ligne 2 475 ⟶ 2 500 :
[[Image:Vincent Willem van Gogh 002.jpg|thumb|''Au seuil de l’éternité'', Van Gogh, 1890.]]
 
{{Citation|citation=[L]a mort ne vient jamais quand le <!--p.97-->malheureux la désire.
| langue = fr
| original = [À la pointe du jour, j’aiCasanova prisprend congé de tout le monde.] La dernière fut Marcoline que j’ai embrassée pour la dernière fois,<!--virgule--> et que je n’ai revue heureuse qu’onze ans après. Après m’être détaché de sa portière<!--pas de virgule--> j’ai monté à cheval et je me suis tenu là à la contempler jusqu’au moment que le postillon toucha. Je suis parti alors ventre à terre espérant de faire expirer le cheval et de périr avec lui ; mais la mort ne vient jamais quand le <!--p.97-->malheureux la désire. J’ai fait dix-huit lieues en six heures, et d’abord que j’ai vu le malheureux lit, que<!--“que”, sic--> trente heures auparavant m’avait donné l’asile de l’amour, je m’y suis couché, <!--sic, “n’”-->n’espérant de trouver en songe ce que je ne pouvais plus posséder en réalité. J’ai cependant profondément dormi jusqu’à huit heures, et après avoir mangé avec un appétit dévorant tout ce que Clairmont m’apporta je me suis rendormi encore, et je me suis trouvé le lendemain en état de pouvoir souffrir la vie.
| précisions= {{Romain|jusqu’au moment que le postillon toucha}} : jusqu’au moment où le conducteur de la voiture de poste fouetta ses chevaux pour démarrer.
}}
Ligne 2 490 ⟶ 2 515 :
{{Citation|citation=On allègue un fait qu’on a deviné ; mais on ne parle pas de cent autres qu’on a prédits,<!--virgule--> et qui ne parurent pas.
| langue = fr
| original = Mme d’Urfé me reçut avec un cri de joie disant d’abord au petit d’Aranda de me donner le billet cacheté qu’elle lui avait remis le matin. Je le décachette,<!--virgule--> et je lis après la date du même jour : “''Mon Génie m’a dit ce matin à la pointe du jour que Galtinarde part de Fontainebleau et qu’il viendra aujourd’hui dîner avec moi.''” C’est un fait. Cent choses dans ce goût me sont arrivées dans ma vie, bonnes pour faire tourner la cervelle à d’autres. Elles m’ont étonné, mais, Dieu soit loué, elles ne m’ont pas forcé à déraisonner. On allègue un fait qu’on a deviné ; mais on ne parle pas de cent autres qu’on a prédits,<!--virgule--> et qui ne parurent pas. J’ai eu la folie de parier, il n’y a pas six mois, qu’une chienne accouchera le lendemain <!--p.108-->de cinq chiens tous femelles, et j’ai gagné. Tout le monde fut étonné, moi excepté.
| précisions=
| précisions= {{Romain|Mon Génie}} : Mme d’Urfé entendait des voix qu’elle attribuait à un Génie, un esprit. {{Romain|Galtinarde}} : Casanova avait dit à Mme d’Urfé que son nom d’initié Rose-Croix était « Paralisée Galtinarde ».
{{Romain|Mon Génie}} : {{w|Madame d’Urfé}} entendait des voix qu’elle attribuait à un Génie, un esprit.
| précisions= {{Romain|Mon Génie}} : Mme d’Urfé entendait des voix qu’elle attribuait à un Génie, un esprit. {{Romain|Galtinarde}} : Casanova avait dit à Mme d’Urfé que son nom d’initié Rose-Croix était « Paralisée Galtinarde ».
}}
{{Réf Livre
Ligne 2 503 ⟶ 2 530 :
{{Citation|citation=[P]our mettre la raison sur le chemin de la vérité<!--pas de virgule--> il [faut] commencer par la tromper.
| langue = fr
| original = <!--p.111-->[Mme du Rumain a perdu depuis trois mois sa voix de chant. Elle prie Casanova de demander un remède magique à l’oracle de son ange gardien.]<!--p.112--> J’étais sûr qu’un bon régime de vie lui remettrait les glottes dans leur état primitif ; mais un oracle n’est pas fait pour répéter ce que tout mauvais médecin sait dire. Dans ces réflexions, j’ai pris le parti de lui ordonner un culte au Soleil fait à une heure qui l’obligeât à observer un régime fait pour la guérir sans que j’eusse besoin de le lui ordonner. [L’oracle prescrit des rituels magiques comportant un culte à la Lune dans un bain de pied et un culte au Soleil levant après sept heures de sommeil, accompagnés de fumigations liturgiques.] L’attention de l’oracle à lui ordonner que la fenêtre fût fermée plut beaucoup à Madame, car il pouvait faire du vent qui l’aurait enrhumée. […]<!--p.123--> La veille de mon départ, j’ai soupé avec Mme du Rumain qui m’assura que sa voix commençait déjà à revenir ; une sage réflexion qu’elle fit me fit plaisir. Elle me dit que le régime que cette espèce de culte l’obligeait de faire pouvait y contribuer ; je lui ai dit de ne pas en douter. J’aimais à apprendre que pour mettre la raison sur le chemin de la vérité<!--pas de virgule--> il fallait commencer par la tromper. Les ténèbres durent précéder la lumière.
| précisions= Citation similaire : cf. t. I, vol. 1, Préface, p. 8. On trouve encore souvent citée la version réécrite par Laforgue, « ''Je voyais que souvent, pour mettre la raison sur la voie de la vérité, il faut commencer par la tromper :<!--deux-points--> les ténèbres ont nécessairement précédé la lumière.'' » (''Mémoires de J. Casanova de Seingalt'', Casanova [arr. Laforgue], éd. Garnier, [1880], t. VI, chap. X, p. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31490q/f342.table 337] en ligne).
}}
Ligne 2 511 ⟶ 2 538 :
| volume = 9
| chapitre = VI
| page = [111]<!--partie résumée-->, 112, et 123
}}
 
Ligne 2 545 ⟶ 2 572 :
| langue = fr
| original = [U]n homme vient s’asseoir près de moi pour profiter de la lumière qui était sur ma table,<!--virgule--> et lire une feuille. Je la vois imprimée en langue italienne. L’homme avec un crayon à la main effaçait des lettres,<!--virgule--> et y mettait la correction à la ligne. C’est un auteur, me suis-je dit. J’observe qu’il efface une lettre au mot ''{{lang|it|ancora}}'' et que mettant un ''hache'' à la ligne il prétend de faire imprimer {{lang|it|anchora}}. Je ne peux pas me tenir. Je lui dis que depuis quatre siècles on écrivait le mot ''{{lang|it|ancora}}'' sans hache. “— D’accord, mais je cite <!--sic, Bocace-->Bocace, et aux citations il faut être exact. — Vous avez raison, je vous demande excuse.”
| précisions= {{Romain|{{lang|it|ancora}}}} : “encore” en italien. {{Romain|Bocace}} : une ancienne graphie pour [[{{w:Boccace|Boccace]]}}.
}}
{{Réf Livre
Ligne 2 610 ⟶ 2 637 :
[[Image:Jan van Eyck 001.jpg|thumb|Portrait dit ''Le Mariage des Arnolfini'', ''Les Époux Arnolfini'', ou ''Arnolfini et sa femme'' (''{{lang|nl|Giovanni Arnolfini en zijn vrouw}}''), Jean de Bruges (Jan <!--grand V en français, mais petit v pour l’original flamand-->van Eyck), 1434.]]
 
# {{Citation|citation=<!--version courte-->[Le mariage] est le tombeau de l’amour.}}
#* {{Citation|citation=<!--version longue-->[L]e mariage est un sacrement que j’abhorre [p]arce que c’est le tombeau de l’amour.}}
# {{Citation|citation=[J]e n’aime pas trop [le respect], car il exclut l’amitié.
| langue = fr
Ligne 2 636 ⟶ 2 663 :
{{Citation|citation=Je suis jaloux du bonheur qu’il a de pouvoir obtenir [une nouvelle femme chaque jour].
| langue = fr
| original = [La Binetti à Casanova.] — C’est un homme abominable, me dit-elle, qui veut une nouvelle femme chaque jour. Comment trouves-tu cela ? <!--p.171-->— Je suis jaloux du bonheur qu’il a de pouvoir l’obtenir. — Il l’a parce que les femmes sont sottes. Il m’a attrapée parce qu’il m’a surprise chez toi. Sans cela il ne m’aurait jamais eue. Tu ris ? — Je ris, parce qu’il t’a eue ; tu l’as eu aussi, ainsi c’est égal. — Ce n’est pas égal, tu ne sais pas ce que tu dis.
| précisions= {{Romain|un homme abominable}} : la Binetti parle du libertin lord Pembroke (Pimbrock/Pembrok/Pembrock dans les Mémoires).
}}
Ligne 2 648 ⟶ 2 675 :
 
{{Citation|citation=
Sophie toute riante se cacha sous la couverture quand elle me vit paraître ; mais d’abord que je me suis jeté sur le lit près d’elle, et que j’ai commencé à la chatouiller, elle mit dehors son minois, que j’ai couvert de baisers, et je me suis servi des droits de père pour voir entièrement comme elle était faite partout, et pour applaudir à tout ce qu’elle avait, qui était encore très vert. Elle était très petite, mais faite à ravir. Pauline me vit lui faire toutes ces caresses sans me supposer l’ombre de malice, mais elle se trompait. Si elle n’avait pas été là<!--pas de virgule--> la <!--p.173-->charmante Sophie aurait dû éteindre d’une façon ou de l’autre le feu que ses petits charmes avaient allumé dans son papa.
| précisions=
{{Romain|Sophie}} : Sophie Pompeati, peut-être sa fille naturelle (affirmé par les Mémoires, contesté par des historiens) avec Thérèse Pompeati (Teresa Pompeati, née Imer, dite la Cornelis/Cornelys) ; dans cette scène de 1763, elle avait neuf ou dix ans (née en février 1753 ou début 1754). {{Romain|Pauline}} : la compagne de Casanova à cette époque. Sur l’inceste, cf. citation du t. III, vol. 10, chap. I, p. 310.
Ligne 2 663 ⟶ 2 690 :
| langue = fr
| original =
[Casanova et Pauline lisent l’Arioste.] Quand elle parvint à la stance qui dit : [ Elle jette ses beaux bras autour de mon cou, / Elle me serre doucement, elle me baise sur la bouche ; / Tu peux penser si alors l’amour envoie bien sa flèche / Et si elle m’atteint au beau milieu du cœur ] elle voulut une glose sur la phrase [baiser sur la bouche], et sur l’amour qui dans ce moment rendit raide la flèche de Ricciardetto. Lui faisant alors <!--p.194-->le commentaire de l’action, elle parut fâchée que par surprise je lui eusse fait toucher la flèche ; mais elle dut éclater de rire quand elle fut aux deux vers : [ Je le vois, je le sens et à peine me paraît-il vrai ; / Je me sens transformée en mâle de femme que je suis ] et aux deux autres de la stance suivante : [ Je lui parlai ainsi et je fis en sorte / Qu’elle trouve de sa main cette vérité exprimée ] Elle s’étonnait que Rome n’eût pas défendu ce poème, où il y avait tant de ''saletés'', mais elle se rétracta quand je l’ai convaincue que les seules choses qui méritent d’être appelées ''saletés'' sont celles qui dégoûtent.
| précisions= {{Romain|[vers ici traduits]}} : Arioste, ''Roland furieux'', chant XXV, str. 54 et 64-65 (en italien dans le texte).
}}
Ligne 2 676 ⟶ 2 703 :
[[Image:Head laughing girl Glyptothek Munich.jpg|thumb|Fragment dit ''Fille riant'', anonyme, copie romaine d’un original d’env. 150 av. J.-C.]]
 
{{Citation|citation=C’est <!--p.211-->un grand malheur pour une femme<!--“femme jolie”, sic--> jolie que le rire l’enlaidisse ; le rire qui souvent<!--“souvent a”, sic--> a la force d’embellir une laide.
| langue = fr
| original = Je l’examine, et en comparaison de Pauline elle me semble rien. Plus blanche parce qu’elle était blonde, moins grande, et sans le moindre air de noblesse, elle ne m’intéresse pas. Quand elle riait, toute sa beauté disparaissait. C’est <!--p.211-->un grand malheur pour une femme<!--“femme jolie”, sic--> jolie que le rire l’enlaidisse ; le rire qui souvent<!--“souvent a”, sic--> a la force d’embellir une laide.
| précisions= On trouve souvent citées à tort des variantes changeant l’ordre des mots, comme « C’est un grand malheur pour une jolie<!--ici “jolie femme”--> femme que le rire l’enlaidisse ; le rire qui a<!--ici “a souvent”--> souvent la force d’embellir une laide. ».
}}
Ligne 2 731 ⟶ 2 758 :
[[Image:Allisvanity.jpg|thumb|''Tout est vanité'' (''{{lang|en|All Is Vanity}}''), Charles Allan Gilbert, 1892.]]
 
# {{Citation|citation=Ce fut dans ce fatal jour au commencement de septembre <!--ital-->''1763''<!--/ital--> que j’ai commencé à mourir et que j’ai fini de vivre. J’avais trente-huit <!--p.222-->ans.}}
# {{Citation|citation=[La Charpillon] avait prémédité le dessein de me rendre malheureux même<!--même avant--> avant d’avoir appris à me connaître ; et elle me l’a dit.
| langue = fr
| original =
[La jeune et belle Charpillon vient d’expliquer à Casanova son projet de le rendre amoureux d’elle pour s’amuser à le tourmenter.] Comme elle a soutenu ce dialogue toujours riant, je l’ai pris comme il était naturel que je le prisse ; mais admirant dans elle une sorte d’esprit qui joint à ses charmes m’a d’abord convaincu qu’elle était effectivement maîtresse de se faire aimer de qui que ce soit. Ce fut le premier échantillon qu’elle m’en donna dans ce premier jour que j’eus le malheur de la connaître. Ce fut dans ce fatal jour au commencement de septembre <!--ital-->''1763''<!--/ital--> que j’ai commencé à mourir et que j’ai fini de vivre. J’avais trente-huit <!--p.222-->ans. […] La Charpillon [était] une beauté à laquelle il était difficile de trouver un défaut. […] Sa physionomie douce et ouverte indiquait une âme que la délicatesse des sentiments distinguait, et cet air de noblesse qui ordinairement dépend de la naissance. Dans ces deux seuls points la nature s’était plue à mentir sur sa figure. Elle aurait dû plutôt n’être vraie que là, et mentir dans tout le reste. Cette fille avait prémédité le dessein de me rendre malheureux même<!--même avant--> avant d’avoir appris à me connaître ; et elle me l’a dit.
| précisions=
{{Romain|La Charpillon}} : à Londres, « la harpie » qui mit le cœur de Casanova « en charpie » (Machen<!--Introduction-->, Lacassin<!--Préface-->).
Ligne 2 750 ⟶ 2 777 :
# {{Citation|citation=J’eus toujours dans mon âme un germe de superstition, dont certainement je ne me vante pas.
| langue = fr
| original = [Sans le savoir, son ami Egard<!--Egard, sic--> a détourné Casanova du suicide.] Ma crainte était fondée. N’ayant pas pu me mener à la mort, elle me donna une nouvelle vie. Quel prodigieux changement ! Me sentant devenu tranquille, j’ai arrêté avec plaisir ma vue sur les rayons de lumière qui me rendaient honteux ; mais ce sentiment de honte m’assurait que j’étais guéri. Quel contentement ! Ayant été plongé dans l’erreur, je ne pouvais la reconnaître qu’après en être sorti. Dans les ténèbres<!--pas de virgule--> on ne voit rien. J’étais si étonné de mon nouvel état, que ne voyant pas reparaître Egard, je commençais à croire que je ne le reverrais pas. Ce jeune homme, me disais-je, est mon Génie, qui prit sa ressemblance pour me rendre mon bon sens. Il est certain que je me serais affermi dans cette folle idée, si je ne l’avais pas vu reparaître une heure après m’avoir quitté. Le hasard aurait pu faire qu’Egard eût trouvé quelque fille qui l’aurait engagé à quitter ''Renelag-aus<!--Renelag-aus, sic-->'' avec elle. Je serais retourné à Londres tout seul, mais sûr de n’avoir pas été délivré par Egard. M’en serais-je désabusé, quand je l’aurais revu quelques jours après ? Je n’en sais rien. <!--p.263-->L’homme devient facilement fou. J’eus toujours dans mon âme un germe de superstition, dont certainement je ne me vante pas.
| précisions= {{Romain|Renelag-aus}} : Ranelagh House. Sur la folie, cf. citation du t. II, vol. 6, chap. X, p. 406. Sur sa superstition, cf. citation similaire du t. III, vol. 12, chap. VIII, p. 984.
}}
Ligne 2 765 ⟶ 2 792 :
| langue = fr
| original = [Casanova a été enjôlé et entôlé par la jeune Charpillon, dont il demeure cruellement amoureux. Il fait arrêter ses parentes commanditaires.] Le plaisir de la vengeance est grand, et ceux qui se le<!--le--> procurent sont heureux quand ils le<!--le--> savourent ; mais ils ne l’étaient pas quand ils le<!--le--> désiraient. L’homme heureux est l’ataraxe qui, ne sachant pas haïr, ne pense jamais à se venger. L’animosité avec laquelle j’ai fait arrêter ces trois femmes, et l’effroi avec lequel je suis sorti de leur maison d’abord que j’ai vu la fille, démontrent que je n’étais pas encore libre. Pour l’être tout à fait<!--pas de virgule--> j’avais besoin de l’oublier.
| précisions= {{Romain|l’ataraxe}} : celui qui a atteint l’[[{{w:ataraxie|ataraxie]]}}, la paix de l’âme.
}}
{{Réf Livre
Ligne 2 844 ⟶ 2 871 :
}}
 
{{Citation|citation=Une chose que j’ai vue [en Russie], et qui m’a frappé, fut la fonction de la bénédiction des eaux le jour de l’Épiphanie, faite sur la Néva couverte de cinq pieds de glace. On baptise les enfants par immersion, les plongeant dans la rivière par un trou fait dans la glace. Ce jour-là même, il est arrivé que le ''Pope'' qui immergeait laissa échapper de ses mains l’enfant qu’il plongeait : ''{{lang|ru-Latn|Drugoi}}'', a-t-il dit. C’est-à-dire : ''donnez-m’en un autre'' ; mais ce que j’ai trouvé admirable fut la joie du père et de la mère de l’enfant noyé qui certainement ne pouvait être allé qu’en paradis étant mort dans cet heureux moment.
| précisions=
{{Romain|la Néva}} : fleuve russe qui passe à Saint-Pétersbourg. {{Romain|{{lang|ru-Latn|Drugoi}}}} : “Un autre” ({{lang|ru|&#1044;&#1088;&#1091;&#1075;&#1086;&#1081;}}, prononcé drougoï) ; scène de janvier 1765 : la même histoire a été rapportée dans des ouvrages de 1762 et de 1777, puis attribuée à 1802 (avec la variante {{lang|ru|&#1044;&#1072;&#1074;&#1072;&#1081; &#1076;&#1088;&#1091;&#1075;&#1086;&#1081;}}, ''{{lang|ru-Latn|Davai drugoi}}''/''{{lang|ru-Latn|Davoi drugoi}}'', “Allez, un autre”) ; il n’est pas établi si leur source est une scène de 1765 réellement vue par Casanova ou si Casanova s’est inspiré d’une histoire réelle ou apocryphe, mais l’anecdote et ''{{lang|ru-Latn|Davoi drugoi}}'' sont devenus proverbiaux.
Ligne 2 873 ⟶ 2 900 :
{{Citation|citation=[O]n fait compliment en Russie à tous ceux qui souffrent des hémorroïdes.
| langue = fr
| original = On me croyait heureux, j’aimais à le paraître, et je ne l’étais pas. Depuis ma détention sous les <!--ici p minuscule-->plombs j’étais devenu sujet à des affections hémorroïdales internes qui m’incommodaient trois ou quatre fois par an, mais à Pétersbourg cela est devenu sérieux. [Casanova se confie à un médecin.]<!--p.416--> Il me dit, croyant de me consoler, que la fistule complète à l’anus était une maladie fort commune par toute la province où l’on buvait l’eau excellente de la Néva qui avait la faculté de purifier le corps en forçant les mauvaises humeurs à en sortir. Par cette raison on fait compliment en Russie à tous ceux qui souffrent des hémorroïdes. Cette fistule incomplète<!--pas de virgule--> m’obligeant à vivre observant un régime,<!--virgule--> me fut peut-être salutaire.
| précisions=
}}
Ligne 2 887 ⟶ 2 914 :
| langue = fr
| original = [Casanova est en Russie à Pétersbourg.] J’ai fait dans ces jours les voyages de Czarsko <!--sic xelo-->xelo, de Petrow, d’Orange-baum et de Cronstat ; il faut tout voir quand on va quelque part, et qu’on veut dire qu’on y est allé.
| précisions= {{Romain|de Czarsko <!--sic xelo-->xelo [''sic''], de Petrow, d’Orange-baum et de Cronstat}} : les villes de Tsarskoé-Sélo (devenue Detskoé-Sélo), Peterhof, Oranienbaum et Kronstadt étaient des sortes de dépendances de la capitale Saint-Pétersbourg ; ne pas y aller aurait été comme de visiter Paris sans aller au château de Versailles.
}}
{{Réf Livre
Ligne 2 951 ⟶ 2 978 :
{{Citation|citation=[M]a marotte était d’être aimé[.]
| langue = fr
| original = Dans ce système j’allais encore mon train, sans vouloir penser que je commençais à n’être plus jeune, et que le suffrage à vue, que j’avais tant possédé, commençait à me manquer. J’étais certain que pour peu que cette fille eût d’esprit, elle ne pouvait s’être déterminée à venir avec moi que disposée à se résigner <!--p.487-->à toute ma volonté avec une complaisance sans bornes ; mais cela ne me satisfaisait pas ; ma marotte était d’être aimé, et après Zaïre je ne m’étais plus trouvé entre les bras de l’amour, car la comédienne Valville n’avait été qu’une inclination passagère, et l’aventurière Potoska à Leopol n’avait été qu’une chasse de vol, récompense due à mon argent. Nulle galanterie à Varsovie.
| précisions= Citations similaires : cf. t. II, vol. 7, chap. X, p. 624-625, et vol. 8, chap. VIII, p. 861.
}}
Ligne 3 023 ⟶ 3 050 :
{{Citation|citation=La colère tue si l’homme ne parvient d’une façon ou de l’autre à s’en purger.
| langue = fr
| original = [Suite à la vengeance du voleur Pocchini, Casanova est expulsé de Vienne sur ordre du bourreau“bourreau impérialimpérial” Schrotemback.] Je suis parti tout seul, sans domestique, […], six jours après l’ordre que j’ai reçu de cet homme qui m’a attrapé, mourant avant que je trouve une bonne occasion de le tuer. Je suis arrivé à Lintz le surlendemain de mon départ, où je ne me suis arrêté toute la nuit que pour lui écrire une lettre, la plus féroce <!--sic, féroce que-->que toutes celles que je peux avoir écrites dans toute ma vie à des gens dont le despotisme m’a opprimé […]. Je suis allé à la poste moi-même pour en avoir quittance pour qu’il ne puisse pas dire qu’il ne l’a point reçue. Cette lettre était nécessaire à ma santé. La colère tue si l’homme ne parvient d’une façon ou de l’autre à s’en purger.
| précisions= {{Romain|la plus féroce <!--sic, féroce que-->que}} : ''sic'', italianisme. Citation similaire : cf. t. I, vol. 1, Préface, p. 6.
}}
Ligne 3 050 ⟶ 3 077 :
# {{Citation|citation=[L]a vérité [est] le seul Dieu que j’adore.
| langue = fr
| original = <!--p.520-->[Désargenté, Casanova a écrit au prince Charles de Courlande de lui envoyer de l’argent et y a joint “un procédé immanquable pour faire la pierre philosophale”. Le prince n’ayant pas brûlé la lettre comme recommandé, on la lui prit quand on le mit à la Bastille.]<!--p.521--> Vingt ans après, [quand on] démantela la Bastille [on] y trouva ma lettre,<!--virgule--> et on l’imprima avec plusieurs autres pièces curieuses qu’on a traduites après en allemand et en anglais. Les ignorants qui existent dans le pays où je vis actuellement, et qui comme de raison sont tous mes ennemis, car l’âne n’a jamais pu être ami du cheval, triomphèrent quand ils lurent ce chef d’accusation contre moi. Ils eurent la bêtise de me reprocher que j’étais auteur de cette lettre, et crurent de me confondre en me disant qu’on l’avait traduite en allemand à mon éternelle confusion. Les animaux Bohêmes qui me firent ce reproche restèrent étonnés,<!--virgule--> lorsque je leur ai répondu que ma lettre me faisait un honneur immortel et que, n’étant pas ânes, ils devraient l’admirer. Je ne sais pas, mon cher lecteur, si ma lettre a été altérée, mais puisqu’elle est devenue publique, permettez que je la registre dans ces <!--ici Majuscule-->Mémoires en l’honneur de la vérité,<!--virgule--> qui est le seul Dieu que j’adore. Je la copie de mon original que j’ai écrit à Augsbourg dans le mois de mai de l’année <!--ital-->''1767''<!--/ital--> ; nous sommes aujourd’hui au premier de l’an <!--ici pas d’ital-->1798.<!--extrait gardé pour dater la pensée de ce passage-->
| précisions=
{{Romain|la pierre philosophale}} : pierre alchimique qui change le plomb en or. {{Romain|Les animaux Bohêmes}} : Casanova était alors à Dux, en Bohême. On trouve parfois citée une variante incorrecte, « La vérité est le seul Dieu que j’aie jamais adoré. » ; elle provient de l’article « Casanova at Dux », également l’introduction de 1902 à la traduction Machen, ''{{lang|en|The memoirs of Jacques Casanova de Seingalt}}'', où Arthur Symons avait incorrectement tiré « {{lang|en|Truth is the only God I have ever adored}} » ({{lang|en|Book 1 (Venetian Years)}}, [http://etext.library.adelaide.edu.au/c/casanova/c33m/introduction1.html {{lang|en|“Casanova at Dux” by Arthur Symons}}] en ligne, IV) du texte réel « {{lang|en|[…] in homage to truth, the only god I adore.}} » ({{lang|en|Book 6 (Spanish Passions)}}, [http://etext.library.adelaide.edu.au/c/casanova/c33m/chapter122.html « {{lang|en|Chapter I}} »] en ligne), et a probablement passé en citation française via sa traduction (« Casanova à Dux », Paris, ''Le Mercure de France'', octobre 1903<!--listé in III:1250-->).
Ligne 3 059 ⟶ 3 086 :
| volume = 10
| chapitre = X
| page = 520-521
}}
 
Ligne 3 079 ⟶ 3 106 :
# {{Citation|citation=Les femmes furent toujours les maîtresses de monter comme de démonter mon esprit.
| langue = fr
| original = Cette femme me parut plus belle qu’elle ne l’était sept ans auparavant ; je me figure un renouvellement des anciens plaisirs, et après <!--p.535-->avoir passé une nuit inquiétée par des illusions, je m’habille en homme de cour et je vais chez le bourgmestre de bonne heure pour saisir le moment de parler à son épouse. Je la trouve, elle était seule, je débute par un transport, elle s’oppose avec douceur, mais sa mine me glace. Elle me dit en peu de paroles que le temps, excellent médecin, avait guéri son cœur d’une maladie qui mêlait à la douceur trop d’amertume, et qu’ainsi elle ne voulait plus s’exposer à la renouveler.
<br/>— Quoi ? Le confessionnal…
<br/>— Le confessionnal ne doit plus nous servir qu’à y aller pour nous repentir de nos fautes passées.
Ligne 3 101 ⟶ 3 128 :
{{Citation|citation=La passion du jeu est plus forte que celle de la galanterie[.]
| langue = fr
| original = La quantité de filles aventurières qui se trouve à Spa dans la saison des eaux est incroyable, elles y vont toutes croyant de faire <!--p.539-->fortune, et elles restent toutes attrapées. La circulation de l’argent y est étonnante, mais toute entre joueurs et marchands. Les traiteurs, les aubergistes, les marchands de vins,<!--virgule--> et les usuriers en absorbent une grande partie, et les filles ne se voient réduites qu’à des passades. La passion du jeu est plus forte que celle de la galanterie ; le joueur à Spa n’a pas le temps de s’arrêter à considérer le mérite d’une fille, ni le courage de lui faire des sacrifices.
| précisions=
}}
Ligne 3 115 ⟶ 3 142 :
| langue = fr
| original =
[Casanova, amoureux de Charlotte, l’a prise sous sa protection quand son amant l’a abandonnée enceinte.] En sortant de la rue de Monmorenci<!--Monmorenci, sic--> notre fiacre fut obligé de s’arrêter un quart d’heure pour laisser passer le convoi de l’enterrement de quelque riche défunt. Charlotte se mit un mouchoir devant les yeux et, appuyant sa belle tête sur mon épaule, me dit que c’était une bêtise, mais que malgré cela cette rencontre, dans l’état où elle était, lui tenait lieu d’un très mauvais augure. “Ne gâte pas ton esprit, ma charmante Charlotte, avec la moindre appréhension ; les augures ne sont que des vanités qui ne peuvent devenir quelque chose de réel qu’à l’aide de la superstition ; une femme qui accouche n’est pas malade, et jamais femme n’est morte en couches que par une autre maladie. […]” […] Le treize d’octobre Charlotte fut assaillie d’une fièvre chaude qui ne l’a plus quittée. [Le dix-sept d’octobre, accouchement d’un enfant, baptisé le lendemain et confié aux Enfants-Trouvés.]<!--p.557--> La fièvre qui ne l’a plus quittée malgré les soins du médecin Petit l’a fait expirer à ma présence le 26 du même mois à cinq heures du matin.
| précisions=
{{Romain|rue de Monmorenci}} : ''sic'', rue de Montmorency. {{Romain|aux Enfants-Trouvés}} : l’Hôpital des Enfants-Trouvés du Faubourg Saint-Antoine. {{Romain|Le treize d’octobre … le 26 du même mois}} : cet épisode a été confirmé en détail par Maynial via le registre des Enfants-Trouvés de l’Assistance Publique (cf. p. 555, n. 2) ; Casanova le raconte sans dissimuler les détails sinistres du 13 octobre et de la mort après 13 jours de fièvre, probablement pour réaffirmer ''a contrario'' qu’il n’y voit que coïncidences (cf. citation du t. III, vol. 9, chap. VI, p. 107-108) ; il ignorait que l’enfant est mort 13 jours après son baptême, ce qui aurait pu agiter son « germe de superstition » (cf. citation du t. III, vol. 9, chap. XII, p. 262-263). Citation similaire : cf. t. I, vol. 1, chap. I, p. 18.
Ligne 3 131 ⟶ 3 158 :
# {{Citation|citation=[L]a législation n’est nulle part philosophique.
| langue = fr
| original = Un commis me demande une prise de tabac. Je la lui donne : c’était du râpé. “Seigneur, ce tabac est maudit en Espagne.” Et en disant ces paroles, il jette tout mon tabac dans la boue et me rend ma tabatière vide. On n’est nulle part si rigoureux sur l’article du tabac comme en Espagne où cependant la contrebande triomphe plus qu’ailleurs. Les espions de la ferme du tabac, singulièrement protégée par le Roi, sont partout attentifs à découvrir ceux qui en ont d’étranger dans leurs tabatières, et quand ils en trouvent, ils leur font payer fort cher leur <!--p.571-->hardiesse. […] Le tabac d’Espagne est excellent quand il est pur, mais il est rare. […] Les Espagnols d’ailleurs préfèrent le tabac râpé au leur, comme plusieurs d’entre nous préfèrent l’espagnol. Ce qui plaît à l’homme est partout ce qui est défendu. Un moyen de faire faire leur devoir à certains esprits serait celui de leur défendre de s’en acquitter ; mais la législation n’est nulle part philosophique.
| précisions= {{Romain|du râpé}} : tabac à priser en poudre, non fabriqué en Espagne, et donc interdit par protectionnisme.
}}
Ligne 3 163 ⟶ 3 190 :
# {{Citation|citation=[L]’amour du père <!--sic, vers-->vers son fils est infiniment plus grand que celui du fils vers le père.
| langue = fr
| original = Cette mort [du duc de Medina Celi] m’a frappé. Tout son bien allait à un fils qu’il avait, et <!--p.590-->qui, comme de raison, était très avare. Mais ce fils avare avait un fils à son tour très prodigue. C’est ce que j’ai observé toujours et partout. Le fils de l’avare est prodigue, le fils du prodigue est avare. Il me semble naturel que les esprits du père et du fils soient entre eux dans une continuelle contradiction. Un auteur, homme d’esprit, cherche la raison pourquoi ordinairement le père aime son petit-fils beaucoup plus que son fils : il croit l’avoir trouvée dans la nature. Il est naturel, dit-il, que l’homme aime l’ennemi de son ennemi. Cette raison me semble féroce, donnée ainsi pour générale, car, en commençant par moi, j’ai trouvé que le fils aime son père. J’accorde cependant que l’amour du père <!--sic, vers-->vers son fils est infiniment plus grand que celui du fils vers le père.
| précisions=
Casanova renchérit sur l’adage « À père avare, fils prodigue. » (William Parkes, ''{{lang|en|The Curtaine<!--Curtaine-->-Drawer of the World}}'', 1612). Laforgue avait tronqué ce passage, entièrement remplacé par : « Cette mort me frappa, et mon lecteur me pardonnera d’avoir cru que, probablement, elle fut un malheur pour moi. Tout son bien passait à un fils unique très avare, qui, comme c’est assez l’ordinaire, avait un fils qui annonçait les meilleurs dispositions à la prodigalité. » (''Mémoires de J. Casanova de Seingalt'', Casanova [arr. Laforgue], éd. Garnier, [1880], t. VII, chap. XIV, p. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k314912/f405.table 400] en ligne).
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 177 ⟶ 3 204 :
{{Citation|citation=[I]l y a des situations dans lesquelles il est absolument impossible à l’homme d’user de douceur.
| langue = fr
| original = [Détenu en Espagne suite à une fausse dénonciation, Casanova risque les galères.] Dans mes lettres, il n’y avait point d’art. Elles respiraient le venin qui circulait dans mon âme. […] J’écrivais [au] ministre de grâce et de justice, que je ne voulais pas de sa grâce, mais seulement de sa justice. “Servez, Monseigneur, Dieu et votre maître le roi en empêchant [qu’on] assassine un Vénitien, qui n’a rien fait contre les lois, et qui n’est venu en Espagne que croyant de venir dans un pays habité par des honnêtes gens, et non pas par des assassins autorisés à l’être impunément par les charges qu’on leur donne. […]” [Dans la plus forte de mes quatre lettres, je disais au comte d’Aranda] que si on finissait l’assassinat par me tuer, je croirai avant que d’expirer que c’est par son ordre, puisque j’avais dit <!--p.607-->en vain à l’officier qui m’a arrêté que j’étais venu à Madrid avec une lettre d’une princesse, qui me recommandait à lui. [Son ami Manucci vient se charger des lettres.] [C]e jeune homme sans expérience me dit que le style fait pour obtenir était celui de la douceur. Il ne savait pas qu’il y a des situations dans lesquelles il est absolument impossible à l’homme d’user de douceur. <!--p.612, segment confirmant l’enjeu-->[Quand on le libère : ] “— La colère, Monsieur l’Alcade, m’a fait écrire la même chose à quatre ministres. [M]ais avouez que si je n’avais pas su écrire, vous m’auriez envoyé aux galères. — Hélas ! cela se peut.”
| précisions=
{{Romain|au comte d’Aranda}} : il était alors chef du gouvernement, presque aussi puissant que le roi d’Espagne. {{Romain|l’Alcade}} : le juge-maire de la circonscription.
Ligne 3 186 ⟶ 3 213 :
| volume = 11
| chapitre = I
| page = 606, -607, et 612
}}
 
Ligne 3 205 ⟶ 3 232 :
 
# {{Citation|citation=Charles III [est] mort fou, comme presque tous les rois doivent mourir[.]}}
# {{Citation|citation=<!--version courte-->[L]e chef d’œuvre [de l’Inquisition] était celui de tenir les chrétiens dans l’ignorance [et] de maintenir en force les abus[.]
#* <!--version longue-->[L]’Inquisition, dont le chef d’œuvre était celui de tenir les chrétiens dans l’ignorance, de maintenir en force les abus, la superstition,<!--virgule--> et les [pieux mensonges.]
| langue = fr
| original =
Charles III, qui est mort fou, comme presque tous les rois doivent mourir, avait fait des choses incroyables pour ceux qui le connaissaient, car il était faible [et] très déterminé à mourir cent fois plutôt que de souiller son âme avec le plus petit de tous les péchés mortels. Tout le monde voit qu’un homme pareil devait être entièrement l’esclave de son confesseur. […]<!--p.619--> Le même confesseur donc, qui aplanit tous les scrupules du roi qui s’opposaient à la grande opération de réduire à rien [l’ordre des Jésuites], fut aussi obligé de céder au Roi et de lui laisser faire, lorsque dans le même temps le comte d’Aranda lui fit voir qu’il devait mettre des bornes à la trop grande puissance de l’Inquisition, dont le chef d’œuvre était celui de tenir les chrétiens dans l’ignorance, de maintenir en force les abus, la superstition,<!--virgule--> et les ''{{lang|la|pia mendacia}}'' [“pieux mensonges”] ; la politique du confesseur dut le laisser faire.
| précisions=
{{Romain|Charles III, qui est mort fou}} : [[{{w:Charles III d’Espagne|Charles III d’Espagne]]}} (Carlos III) était mélancolique ou dépressif. {{Romain|réduire à rien [l’ordre des Jésuites]}} : texte « réduire à rien un ordre religieux » ; accusée de conspirations, la [[{{w:Compagnie de Jésus|Compagnie de Jésus]]}} venait d’être expulsée d’Espagne en 1767 (puis abolie par le pape en 1773 sur demande notamment de l’Espagne ; rétablie en 1814). Sur l’Inquisition, cf. t. III, vol. 11, chap. IV, p. 677.
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 222 ⟶ 3 248 :
 
# {{Citation|citation=[L]a religion, telle qu’elle est, s’oppose directement [au] bien de l’État[.]}}
# {{Citation|citation=[Un roi sage] ne doit aller <!--p.620-->à confesse qu’une fois par an, et n’entendre la voix de son confesseur que dans les paroles qu’il prononce pour l’absoudre[.]}}
# {{Citation|citation=[C]elui qui va à confesse doit savoir sa religion avant d’y aller.}}
# {{Citation|citation=Louis XIV aurait été le plus grand roi de la Terre […] s’il n’eût pas eu la faiblesse de bavarder avec ses confesseurs.
| langue = fr
| original =
[P]our le malheur du pauvre genre humain il est décidé qu’un roi dévot ne fera jamais que ce que son confesseur lui laissera faire, et il est évident que son plus grand intérêt ne peut jamais être le bien de l’État, puisque la religion, telle qu’elle est, s’y oppose directement. Si on me dira qu’il se peut qu’un roi sage ne fasse entrer pour rien les affaires d’État dans sa confession, j’en conviendrai ; mais je ne parle pas d’un roi sage, car s’il l’est, étant chrétien, il ne doit aller <!--p.620-->à confesse qu’une fois par an, et n’entendre la voix de son confesseur que dans les paroles qu’il prononce pour l’absoudre ; si ce roi a besoin de lui parler pour qu’il lui résoude<!--résoude, sic--> des doutes, il est sot ; doutes et scrupules sont la même chose ; celui qui va à confesse doit savoir sa religion avant d’y aller. Point de doutes, point de colloques avec le confesseur. Louis XIV aurait été le plus grand roi de la Terre, plus grand que Frédéric II, roi de Prusse, comme la France l’est de la Prusse, s’il n’eût pas eu la faiblesse de bavarder avec ses confesseurs.
| précisions=
}}
Ligne 3 244 ⟶ 3 270 :
| langue = fr
| original = [Mengs] était un homme ambitieux de gloire, grand travailleur, jaloux, et ennemi de tous les peintres ses contemporains,<!--virgule--> qui pouvaient prétendre à avoir un mérite égal au sien, et il avait tort, car quoique grand peintre pour ce qui regardait le coloris et le dessin, il ne possédait pas la première partie nécessaire à qualifier un grand peintre, l’invention. “Tout comme, lui dis-je un jour, tout grand poète doit être peintre, tout peintre doit être poète.” Et il prit ma sentence en mauvaise part, parce qu’il crut à tort que je ne l’avais prononcée que pour lui reprocher son défaut.
| précisions= {{Romain|Mengs}} : le peintre [[{{w:Raphaël Mengs|Raphaël Mengs]]}} (Anton Raphael<!--ael sans tréma en allemand--> Mengs).
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 282 ⟶ 3 308 :
[[Image:Jean Fouquet 005.jpg|thumb|''La Vierge et l’Enfant entourés d’anges'', volet droit du diptyque de Melun, Jean Fouquet, vers 1455.]]
 
{{Citation|citation=J’ai vu à Madrid, avant que d’aller à Aranjuez, l’image d’une Sainte Vierge qui avait l’Enfant Jésus à la mamelle. Son sein découvert, supérieurement peint, brûlait l’imagination. Cette image était le tableau du maître-autel dans une chapelle située à la carrera de S. Jeronimo. La chapelle était toute la journée remplie d’hommes dévots qui allaient <!--p.634-->adorer la mère de Dieu, dont la figure n’était peut-être intéressante qu’à cause de sa belle gorge ; les aumônes qu’on faisait à ce sanctuaire étaient si abondantes que, depuis un siècle et demi que ce tableau était là, on avait fait une grande quantité de lampes et de flambeaux d’argent et d’or, et une grosse rente pour l’entretien de ces meubles qui se nourrissent d’huile et de cire. À la porte de cette chapelle il y avait toujours une quantité d’équipages et un soldat avec la baïonnette au bout du fusil pour entretenir le bon ordre et empêcher les disputes entre les cochers, qui arrivaient et partaient à tout moment, car il n’y avait pas de seigneur roulant en voiture qui passant par devant ce saint lieu n’ordonnât à son cocher d’arrêter pour descendre et aller, quand ce n’aurait été qu’un moment, faire hommage à la déesse et contempler ''{{lang|la|beata ubera quae lactaverunt aeterni patris filium}}'' [“les bienheureuses mamelles qui ont allaité le Fils du Père Éternel”, d’après le Nouveau Testament, Luc].
| précisions=
}}
Ligne 3 295 ⟶ 3 321 :
{{Citation|citation=[J]e me demande si je voudrais renaître femme et, curiosité à part, je dis que non.
| langue = fr
| original = On voudrait savoir quel est celui des deux sexes qui ait <!--sic, ait plus-->plus de raison de s’intéresser à l’œuvre de chair par rapport au plaisir qu’il ressent à l’exercer. […]<!--p.651--> Ce que je peux affirmer est ceci : le plaisir que j’ai ressenti lorsque la femme que j’ai aimée m’a rendu heureux fut certainement grand, mais je sais que je n’en aurais pas voulu si pour me le procurer j’eusse dû m’exposer au risque de devenir enceint. La femme s’y expose après même qu’elle en a fait plusieurs fois l’expérience ; elle trouve donc que le plaisir vaut la peine. Après tout cet examen, je me demande si je voudrais renaître femme et, curiosité à part, je dis que non. J’ai assez d’autres plaisirs étant homme, que je ne pourrais pas avoir étant femme, qui me font préférer mon sexe à l’autre. Je conviens cependant que pour avoir le beau privilège de renaître, je me contenterais, et je signerais, principalement aujourd’hui, à renaître non seulement femme, mais brute de quelconque espèce ; bien entendu que je renaîtrais avec ma mémoire, car sans cela ce ne serait plus moi.
| précisions=
}}
Ligne 3 315 ⟶ 3 341 :
<br/>— Vous ne verrez que des ruines.
<br/>— Je les aime quand elles sont anciennes plus que les plus beaux édifices modernes. Voilà un écu ; nous irons à Valence demain.
| précisions= {{Romain|Sagonte}} : la cité de [[{{w:Sagonte|Sagonte]]}}, Sagunto en espagnol. {{Romain|Sagunthos}} : ''sic'', l’original de [[{{w:|Silius Italicus|Silius]]}} porte « Saguntos » (''Punica'', II, v. 446) ; cette erreur se trouvant aussi dans l’édition anglaise<!--''StoryHistory of My Life''-->, elle provient probablement de Casanova et non de l’éditeur.
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 330 ⟶ 3 356 :
| langue = fr
| original = J’ai vu les créneaux au haut des murs qui étaient en grande partie intacts ; c’était pourtant un monument de la seconde guerre punique. […] [Cette cité de Sagonte], dont on a détruit jusqu’au nom qu’on devait pourtant respecter, et qui est plus commode à la prononciation que Morvedro, qui, quoiqu’il vienne du latin (''{{lang|la|muri veteres}}'') ne me plaît pas ; mais le temps est un monstre indomptable et féroce qui veut dévorer tout : ''{{lang|la|mors etiam saxis nominibusque<!--nominibusque, voir note--> venit}}'' [“la mort vient aussi aux pierres et aux noms”, Ausone, ''Épigrammes'', 35a].
| précisions= {{Romain|Sagonte}} : la cité de [[{{w:Sagonte|Sagonte]]}}, Sagunto en espagnol. {{Romain|Morvedro}} : une graphie de Murviedro, ancien nom de Sagonte. {{Romain|{{lang|la|muri veteres}}}} : les murs anciens. {{Romain|{{lang|la|saxis nominibusque}}}} : il ne s’agit pas d’une erreur mais d’une variante attestée de ''{{lang|la|mors etiam saxis marmoribusque venit}}'' (“La mort vient aussi aux pierres et aux marbres”, [[{{w:Ausone|Ausone]]}}, ''Épigrammes'', 35b), Casanova citant ici la variante appropriée. On trouve encore citée la version réécrite par Laforgue, qui injectait en français les deux variantes de la citation d’Ausone : « ''Mais le temps est un monstre indomptable et féroce, qui, après avoir dévoré les marbres et les métaux, détruit, annihile jusqu’à la mémoire.'' » (''Mémoires de J. Casanova de Seingalt'', Casanova [arr. Laforgue], éd. Garnier, [1880], t. VII, chap. XVII, p. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k314912/f516.table 511] en ligne).
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 384 ⟶ 3 410 :
{{Citation|citation=Celui d’employer le faste est le seul moyen qu’ont les laids pour faire la guerre à la beauté.
| langue = fr
| original = Ma chambre n’étant séparée de celle de Son Éminence que par une très légère cloison, je l’ai entendue en soupant donner une forte réprimande à quelqu’un qui devait être son principal domestique et avoir la direction du voyage. [Le cardinal reproche à son domestique de ne pas dépenser encore plus.] “[A]yant un peu d’esprit, vous pourriez ordonner d’avance par des exprès des repas dans des lieux où après je ne m’arrêterais pas et qu’on payerait tout de même, et faire préparer à manger pour douze quand nous ne serions que six […]” <!--p.712-->C’est le caractère du grand seigneur espagnol ; mais le cardinal dans le fond avait raison. Je l’ai vu partir le lendemain. Quelle figure ! Non seulement il était petit, mal bâti, basané, mais sa physionomie était si laide et si basse que j’ai reconnu le véritable besoin qu’il avait de se faire respecter par la profusion et distinguer par des décorations, car sans cela on l’aurait pris pour garçon d’écurie. Tout homme qui a un dehors révoltant doit, s’il le peut et s’il a de l’esprit, faire tout pour détourner de l’examen de son individu les yeux qui le voient. Les ornements extérieurs sont un excellent remède contre ce mauvais présent de la nature. Celui d’employer le faste est le seul moyen qu’ont les laids pour faire la guerre à la beauté.
| précisions=
}}
Ligne 3 392 ⟶ 3 418 :
| volume = 11
| chapitre = VI
| page = 711- et 712
}}
 
Ligne 3 398 ⟶ 3 424 :
| langue = fr
| original = [Casanova rencontre Joseph Balsamo, qui sera « devenu dans dix ans d’ici Cagliostro »<!--p. 719-->.] Après ce discours il me fait voir des éventails faits par lui, dont on ne pouvait rien voir de plus beau. C’était à la plume, et il paraissaient gravés. Pour me convaincre il me montra un Reimbrand<!--Reimbrand, sic--> copié par lui, plus beau, s’il était possible, <!--italianisme, de-->de l’original. Malgré cela, cet homme qui certainement excellait dans son talent me jure qu’il ne lui suffisait pas pour vivre ; mais je ne lui crois pas. C’était un de ces génies fainéants, qui préfèrent la vie vagabonde à la laborieuse.
| précisions= {{Romain|Cagliostro}} : l’aventurier [[{{w:Joseph Balsamo|Joseph Balsamo]]}} (Giuseppe Balsamo), dit comte de Cagliostro. {{Romain|un Reimbrand<!--Reimbrand, sic-->}} : un Rembrandt. {{Romain|plus beau … <!--italianisme, de-->de l’original}} : italianisme pour “plus beau … que l’original”.
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 427 ⟶ 3 453 :
{{Citation|citation=Voilà les beaux moments de ma vie. Ces rencontres heureuses imprévues, inattendues, tout à fait fortuites, dues au pur hasard, et d’autant plus chères.
| langue = fr
| original = L’hôte, bien aise d’avoir entendu ce dialogue, me dit qu’ayant l’intention de passer à Lugan<!--Lugan, sic--> trois ou quatre mois<!--pas de virgule--> je pourrais faire la politesse de me présenter au Capitaine ou grand baillif<!--baillif, sic--> qui était comme le gouverneur, et qui avait toute l’autorité. C’était, me dit-il, un gentilhomme suisse très honnête et fort aimable ayant une jeune femme pleine d’esprit et belle comme le jour. “Oh ! pour cela je vous assure que j’irai demain matin.” <!--p.737-->Le lendemain vers midi j’y vais, on m’annonce, j’entre, et je vois M. de [R.] avec sa charmante femme et un petit garçon de cinq à six ans. Nous restons là immobiles à nous regarder. Voilà les beaux moments de ma vie. Ces rencontres heureuses imprévues, inattendues, tout à fait fortuites, dues au pur hasard, et d’autant plus chères. M. de R. fut le premier à rompre le silence, et à m’embrasser tendrement. Nous nous fîmes tous les deux bien vite toutes les excuses que nous nous croyons en devoir de nous faire en qualité de vieilles connaissances, car sans cela nous avions fait tous les deux notre devoir, moi n’ayant pas su son nom, et lui ayant cru que d’autres Italiens pouvaient s’appeler comme moi.
| précisions= {{Romain|Lugan}} : Lugano, en Suisse. {{Romain|M. de [R.]}} : Casanova ayant ici écrit puis rayé « M. de Rol<!--1L--> » (le baron de Roll<!--2L-->), l’éditeur a publié « M. de &#61;<!--égal--> » ; le couple est une vieille connaissance de Casanova, au sens biblique pour l’épouse.
}}
Ligne 3 444 ⟶ 3 470 :
| langue = fr
| original = [Casanova a assuré la marquise Chigi qu’il n’aura pas le malheur de laisser à Sienne un morceau de son cœur<!--assemblage de termes du dialogue résumé-->.]
<br/>— Est-ce possible que vous soyez dans le nombre des désespérés ?<!--p.760-->
<br/>— Oui, heureusement ; car je dois à ce désespoir toute ma tranquilité.
<br/>— Mais quel malheur, si vous vous trompez !
Ligne 3 476 ⟶ 3 502 :
# {{Citation|citation=[Trouver] du plaisir à voler le pauvre : c’est le caractère du riche.
| langue = fr
| original = [La langue florentine doit à son académie sa pureté et sa richesse], d’où vient que nous traitons les matières beaucoup plus éloquemment que les Français, ayant à notre choix une quantité de synonymes ; tandis que difficilement on en trouverait une douzaine dans la langue de Voltaire, qui riait de ceux entre ses compatriotes qui disaient qu’il n’était pas vrai que la langue française fût pauvre puisqu’elle avait tous les mots qui lui étaient nécessaires. Celui qui <!--p.764-->n’a que ce qui lui est nécessaire est pauvre ; et l’obstination de l’Académie <!--F-->Française à ne point vouloir adopter des mots étrangers ne démontre autre chose, sinon que l’orgueil va avec la pauvreté. Nous poursuivons à prendre des langues étrangères tous les mots qui nous plaisent ; nous aimons à devenir toujours plus riches ; nous trouvons même du plaisir à voler le pauvre : c’est le caractère du riche.
| précisions= Sur la langue française, cf. citation du t. I, vol. 1, Préface, p. 10.
}}
Ligne 3 536 ⟶ 3 562 :
| langue = fr
| original = Le duc [de Serra Capriola] était relégué [à Sor<!--1r, Sorento-->ento] avec [son épouse] depuis deux mois pour avoir paru à la promenade publique avec un équipage et des livrées trop magnifiques ; le ministre Tanucci avait fait sentir au Roi qu’il fallait punir ce seigneur qui, violant les lois somptuaires, avait donné un fort mauvais exemple ; et le Roi, qui n’avait pas encore appris à s’opposer à la volonté de Tanucci, avait exilé ce couple en lui donnant la plus délicieuse prison de tout son royaume ; mais pour que le plus délicieux endroit du monde déplaise, il suffit qu’on soit condamné à y habiter. Le duc et sa belle femme s’y ennuyaient à la mort.
| précisions= {{Romain|Sor<!--1r, Sorento-->ento}} : ''sic'', la ville de [[{{w:Sorrente|Sorr<!--2r, Sorrente-->ente]]}}, Sorr<!--2r, Sorrento-->ento en italien. Citation similaire : cf. t. III, vol. 10, chap. VIII, p. 478.
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 551 ⟶ 3 577 :
| langue = fr
| original = [À Naples], je n’ai pu me refuser à l’insistance que [le marquis de la] Petina me fit dans une lettre très bien écrite d’aller le voir dans les prisons de la Vicarie où il était. Je l’ai trouvé avec un jeune homme qui ayant sa même physionomie, j’ai d’abord reconnu pour son frère ; mais malgré la ressemblance frappante<!--pas de virgule--> l’aîné était laid et le cadet était joli. Entre la beauté et la laideur, il n’y a souvent qu’un point presque imperceptible.
| précisions= Rapprocher de la réponse du peintre Nat“Nat<!--1t-->ierier” ([[{{w:|Jean-Marc Nattier|Natt<!--2t-->ier]]}}) à Casanova, « combien est imperceptible la différence qui passe entre la beauté et la laideur » (t. II, vol. 6, chap. IX, p. 394)
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 565 ⟶ 3 591 :
| original = Au bas de l’escalier un officier de cette prison [de Naples] me dit qu’un prisonnier désirait de me parler. […] Je monte avec cet homme au second étage, et je vois dix-huit à vingt malheureux assis par terre, qui chantaient en chœur des chansons licencieuses. Dans les prisons et aux galères<!--pas de virgule--> la gaieté est la ressource de la misère et du désespoir ; la nature se procure ce soulagement par l’instinct qui la force à se conserver.
| précisions=
Sur la gaieté dans la misère, cf. citation du t. II, vol. 8, chap. II, p. 722-723.
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 576 ⟶ 3 603 :
{{Citation|citation=[T]out ce qui est vaste est plus fait pour éblouir que pour charmer l’âme.
| langue = fr
| original = [N]ous allâmes au jardin […] Les allées couvertes de ce joli paradis étaient plafonnées de vignes et de grosses grappes de raisin aussi épaisses que les feuilles <!--p.840-->qui les séparaient, et des arbres fruitiers formaient à droite et à gauche le péristyle qui les soutenaient. J’ai dit à ma chère Lucrèce qui jouissait de mon plaisir,<!--virgule--> que je ne m’étonnais pas que ce jardin me causât plus de sensations que les vignes de Tivoli et de Frascati, puisque tout ce qui est vaste est plus fait pour éblouir que pour charmer l’âme.
| précisions=
}}
Ligne 3 607 ⟶ 3 634 :
| langue = fr
| original = L’empoisonnement du pape Ganganelli fut le dernier essai que les jésuites, même après leur trépas, donnèrent au monde de leur pouvoir. La faute impardonnable qu’ils commirent fut celle de ne l’avoir pas fait mourir auparavant, car la véritable politique ne consiste qu’en prévoyance et précaution, et le plus misérable de tous les politiques est celui qui ignore qu’il n’y a rien au monde qu’en cas de doute la précaution ne doive sacrifier à la prévoyance.
| précisions= {{Romain|du pape Ganganelli}} : [[{{w:Clément XIV|Clément XIV]]}}, né Ganganelli, mort en 1774 peut-être empoisonné. {{Romain|les jésuites, même après leur trépas}} : la Compagnie de Jésus fut abolie par le pape en 1773, Casanova ne pouvant savoir qu’elle serait rétablie en 1814.
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 617 ⟶ 3 644 :
}}
 
# {{Citation|citation=L’amour ne permet pas à une fille, vertueuse tant qu’il vous <!--p.891-->plaira, de pousser [la vertu] si loin [qu’elle n’accorde jamais] la légère faveur d’un baiser.}}
# {{Citation|citation=L’exercice de la vertu ne coûte rien à une fille qui n’aime pas[.]
| langue = fr
| original = [Casanova à son protégé Menicuccio, au sujet de sa sœur Armelline.]
<br/>— [J]e veux tâcher de guérir de ma malheureuse passion. Votre sœur ne m’aime pas, et je n’en suis que trop convaincu. Je ne suis plus jeune, et je ne me sens pas disposé à devenir le martyr de la vertu. L’amour ne permet pas à une fille, vertueuse tant qu’il vous <!--p.891-->plaira, de la pousser si loin. Elle ne m’a jamais accordé la légère faveur d’un baiser.
<br/>— Je ne l’aurais pas cru, par exemple.
<br/>— Croyez-le. Je dois finir. Votre sœur est trop jeune, et elle ne sait pas à quoi elle s’expose en agissant ainsi vis-à-vis d’un homme amoureux, et de mon âge. Dites-lui tout cela sans vous mêler de lui donner des conseils.
Ligne 3 672 ⟶ 3 699 :
{{Citation|citation=[L]e bon sens est étranger à toute la théologie[.]
| langue = fr
| original = Dans ce temps-là, le Père Stratico […] vint à Rome pour se faire approuver ''Maestro''. C’est le doctorat des moines dominicains. J’ai eu le plaisir de me trouver présent à l’examen qu’il dut subir pour être approuvé théologien ubiquiste […] et mon <!--p.936-->lecteur sait, je pense, ce que c’est que la science théologique. Étant fort curieux de ce doctorat bouffon, dont Stratico même riait en secret, je suis allé le voir […] Ah ! que j’ai souffert ! […] Je trouvais qu’ils avaient tous tort, car ils étaient tous absurdes ; mais je les félicitais de ce qu’il ne m’était pas permis de parler. Sans être théologien, je me flattais que je les aurais écrasés tous avec le bon sens ; mais je me trompais : le bon sens est étranger à toute la théologie, et principalement à la spéculative ; et Stratico me le prouva théologiquement le même jour dans une maison où il me mena souper avec lui.
| précisions=
Texte inédit du<!--sic--> « chapitre<!--sic--> IV et V »<ref name="Chapitre-IV-V"/>. {{Romain|je me flattais que je les aurais écrasés tous avec le bon sens}} : cf. pour cela son grand texte inédit ''Le Philosophe et le Théologien'' (t. I, Annexes, p. 1108-1256)
Ligne 3 739 ⟶ 3 766 :
{{Citation|citation=Il est facile de tromper un Anglais ; mais très difficile que, se reconnaissant pour trompé, il en convienne.
| langue = fr
| original = Dans le commencement on laissa gagner au lord quelque centaines de sequins après souper où il se soûlait, en s’étonnant le lendemain de se trouver autant favorisé de la fortune et de l’amour […]. Mais il finit de s’émerveiller lorsqu’à la fin on lui fit faire la grande lessive. Zen lui gagna douze mille livres sterling, et Zanovich fut celui qui les prêta au jeune lord à trois ou quatre cents à la fois parce que milord avait promis à son gouverneur de ne pas jouer sur sa parole. Zanovich, heureux, gagnait à Zen tout ce que milord perdait, et de cette façon on planta l’Anglais lorsque Zanovich lui compta la somme qu’il lui avait prêtée. […] [Ce fut trois mois après à Bologne]<!--p.968--> que j’ai su de lui-même comment on lui avait tendu le piège, mais il ne m’a jamais dit qu’on l’avait triché. Il m’assura que c’était lui-même qui avait voulu quitter. Il est facile de tromper un Anglais ; mais très difficile que, se reconnaissant pour trompé, il en convienne.
| précisions=
}}
Ligne 3 767 ⟶ 3 794 :
{{Citation|citation=[M]algré [que cela puisse l’amener à faire le contraire] je ne m’abstiendrai jamais de donner un bon conseil à tout misérable que je verrai sur le bord du précipice.
| langue = fr
| original = [Le comte Medini] erra par toute l’Europe une douzaine d’années jusqu’à ce qu’enfin il est allé mourir dans les prisons de Londres, l’année <!--ital-->''1788''<!--/ital-->. <!--p.960-->Je lui avais toujours dit qu’il devait éviter l’Angleterre, car il devait être sûr qu’en y allant il y mourrait en prison. S’il y est allé pour donner un démenti au prophète, il a mal fait, car l’alternative était la cruelle de vérifier la prophétie. […] Le comte Tosio m’a dit, il y a huit ans, que Medini en prison à Londres lui avait dit qu’il ne serait jamais allé en Angleterre si je ne lui avais fait la cruelle prophétie. Cela peut être, mais malgré cela je ne m’abstiendrai jamais de donner un bon conseil à tout misérable que je verrai sur le bord du précipice. Avec cette même maxime, j’ai dit à Cagliostro à Venise, il y a vingt ans, lorsque l’ignorant fripon se faisait appeler comte Pellegrini, qu’il devait se garder de mettre les pieds à Rome. S’il m’avait cru il ne serait pas mort dans le fort S. Leo. Il m’est arrivé aussi qu’un sage me dise, il y a trente ans, que je devais me garder de l’Espagne ; et malgré cela j’y suis allé. Il s’en a<!--a--> fallu très peu que je n’y aie péri.
| précisions=
Sur les prédictions engendrant l’événement, cf. citation du t. II, vol. 7, chap. VIII, p. 591.
Sur les conseils en vain, cf. citation du t. III, vol. 12, chap. VII, p. 978.
}}
Ligne 3 781 ⟶ 3 809 :
{{Citation|citation=Celui qui attaque par des écrits comico-satiriques quelqu’un qui a de l’orgueil est presque toujours sûr de triompher, car les rieurs s’arrangent d’abord de son côté.
| langue = fr
| original = [Le marquis Albergati a gratuitement insulté Casanova.] J’ai un peu ri le lendemain quand, rentrant chez moi pour dîner, mon hôtesse me remit une carte où j’ai lu : ''Le Général Marquis <!--p.965-->Albergati''. […] Dans la coutume de la cour polonaise un chambellan avait le titre d’adjudant-général. Le marquis donc se disait général. Il avait raison, il était général, mais général quoi ? Ce mot adjectif mis sans le substantif n’était employé que pour tromper les lecteurs, car l’adjectif isolé devait paraître substantif à tous les non informés. Enchanté de pouvoir me venger relevant un ridicule de mon homme, j’ai écrit un dialogue en style plaisant, et je l’ai fait imprimer le lendemain. En ayant fait présent au libraire, il vendit tous les exemplaires en trois ou quatre jours pour un bayoque la pièce. <!--p.966, chap. VII-->Celui qui attaque par des écrits comico-satiriques quelqu’un qui a de l’orgueil est presque toujours sûr de triompher, car les rieurs s’arrangent d’abord de son côté. Je demandais dans mon dialogue si un maréchal de camp pouvait s’appeler maréchal tout court, et un lieutenant-colonel, colonel. Je demandais si un homme qui préférait à des titres de noblesse constatés par la naissance des titres d’honneur achetés argent comptant pouvait passer pour sage. Le marquis crut de devoir mépriser mon dialogue, et la chose fut finie ; mais toute la ville depuis ce temps-là ne l’appela jamais que M. le Général.
| précisions=
}}
Ligne 3 794 ⟶ 3 822 :
{{Citation|citation=L’ambition est beaucoup plus puissante que l’avarice.
| langue = fr
| original = [L]e fameux castrato Farinello<!--o--> […] qu’on appelait le chevalier D. Carlo Broschi avait pour ainsi dire régné <!--p.967-->en Espagne. […] Broschi pouvait avoir, quand je l’ai vu à Bologne, <!--ital-->''70''<!--/ital--> ans. Il était fort riche, et il se portait très bien, et malgré cela il était malheureux parce que n’ayant rien à faire il s’ennuyait, et il pleurait toutes les fois qu’il se souvenait de l’Espagne. L’ambition est beaucoup plus puissante que l’avarice.
| précisions= {{Romain|Farinello<!--o-->}} : mieux connu comme [[{{w:Farinelli|Farinelli]]}}. {{Romain|régné en Espagne}} : son influence sur le couple royal lui donna une influence politique inouïe 13 ans durant ; le roi suivant le chassa pour en finir avec le « farinellisme ».
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 811 ⟶ 3 839 :
| original = Le pauvre vieux Farinello<!--o--> devint amoureux de l’épouse de son neveu, et qui pis est jaloux, et encore qui pis est, odieux à sa nièce qui ne pouvait pas concevoir comment un vieux<!--vieux, sic--> animal de son espèce pouvait se flatter d’être préféré par elle à son mari qui était un homme comme tous les autres, et auquel seul elle devait sa tendresse par toutes les raisons divines et humains. Farinello<!--o-->, irrité contre la jeune femme, qui ne voulait avoir pour lui des complaisances qui n’étaient enfin que des misères, car elles ne pouvaient avoir aucune conséquence sérieuse, avait envoyé son neveu voyager, et il tenait sa nièce chez lui comme en prison, lui ayant pris les diamants qu’il lui avait donnés, et ne sortant jamais pour ne la perdre jamais de vue. Un châtré amoureux d’une femme qui le déteste devient un tigre.
| précisions=
{{Romain|Farinello<!--o-->}} : mieux connu comme [[{{w:Farinelli|Farinelli]]}}.
}}
{{Réf Livre
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{{Citation|citation=[E]n matière théologique<!--pas de virgule--> les seuls qui ont raison sont ceux auxquels Rome la fait, et elle ne la fait jamais qu’à ceux dont les sentences sont analogues aux abus qu’elle a fait devenir usages.
| langue = fr
| original = Ce qui me fit connaître de quelle espèce était la littérature, l’esprit et le jugement du marquis,<!--virgule--> fut la lecture de son traité sur l’aumône [qui avait été mis à l’Index], et encore plus son apologie. J’ai vu que tout ce qu’il avait dit devait avoir déplu à Rome, et qu’avec un jugement exquis il aurait dû le prévoir. Le marquis Mosca avait raison, mais en matière théologique<!--pas de virgule--> les seuls qui ont raison sont ceux auxquels Rome la fait, et elle ne la fait jamais qu’à ceux dont les sentences sont analogues aux abus qu’elle a fait devenir usages. […] Il niait absolument qu’on put escompter moyennant l’aumône la peine fixée aux péchés ; et il n’admettait absolument autre aumône méritoire que celle qu’on faisait suivant à la <!--p.984-->lettre le précepte de l’évangile : ''Ta <!--sic, ta droite-->droite ne doit pas savoir ce que ta <!--sic, ta gauche-->gauche fait''. Il prétendait enfin que celui qui faisait l’aumône péchait s’il ne la faisait dans le plus grand secret, parce qu’il était impossible sans cela que la vanité ne s’en mêlât.
| précisions= Sur les abus entérinés, cf. citation du t. I, vol. 1, chap. III, p. 53.
}}
Ligne 3 894 ⟶ 3 922 :
# {{Citation|citation=[J]e me suis plus souvent trouvé dans le cas de me féliciter d’avoir bafoué ma raison,<!--virgule--> que dans celui de l’avoir suivie. Mais tout cela ne m’a ni humilié, ni empêché de raisonner partout et toujours avec toute ma force.
| langue = fr
| original = Voulant aller à Trieste, j’aurais dû saisir l’occasion de traverser le golfe, [j’y aurais été] au bout de douze heures. J’aurais dû y aller, car outre que je n’avais rien à faire dans Ancône, j’allongeais le voyage de cent milles ; mais j’avais dit que j’allais à Ancône, et par cette seule raison je croyais de devoir y aller ; une bonne dose de superstition me fut toujours caractéristique, et il m’est évident aujourd’hui qu’elle influa sur toutes les vicissitudes de ma bizarre vie. Entendant parfaitement ce que c’était ce que Socrate appelait son démon, qui ne le poussait que rarement à quelque démarche décisive et l’empêchait de s’y déterminer fort souvent, j’ai facilement cru d’avoir le même Génie, puisqu’il lui plaisait de l’appeler Génie Démon. Sûr que ce Génie ne pouvait être que bon et ami de mon meilleur bien-être, je me rapportais à lui toutes les fois que je me trouvais sans une raison suffisante pour ne pas douter dans mon choix. Je faisais ce qu’il voulait sans lui en demander raison quand une voix secrète me disait de m’abstenir d’une démarche à laquelle je me sentais incliné. […]<!--p.985--> Dans ce système, je me suis plus souvent trouvé dans le cas de me féliciter d’avoir bafoué ma raison,<!--virgule--> que dans celui de l’avoir suivie. Mais tout cela ne m’a ni humilié, ni empêché de raisonner partout et toujours avec toute ma force.
| précisions=
Sur sa superstition, cf. citation similaire du t. III, vol. 9, chap. XII, p. 262-263.
Ligne 3 930 ⟶ 3 958 :
| langue = fr
| original =
C’était [à Ancône] que j’avais commencé à jouir grandement de la vie, et je m’étonnais qu’il y avait de cela presque trente ans, temps immense, et que malgré cela je me trouvais encore plus jeune que vieux. […] [T]ant je trouvais que j’étais parfaitement heureux alors, tant je devais convenir d’être devenu malheureux, car toute la belle perspective d’un plus heureux avenir ne se présentait plus à mon imagination. Je connaissais malgré moi, et je me sentais forcé à me l’avouer, que j’avais perdu tout mon temps, ce qui voulait dire que j’avais perdu ma vie ; les vingt ans que j’avais encore devant moi, et sur lesquels il me semblait de pouvoir compter, me paraissaient tristes. Ayant quarante-sept ans<!--pas de virgule--> je savais que j’étais dans l’âge méprisé par la fortune, et c’était tout dire pour m’attrister, puisque sans la faveur de l’aveugle déesse, personne au monde ne peut être heureux. […] Si telles étaient mes réflexions il y a vingt-six ans, on peut se figurer quelles doivent être celles qui m’obsèdent aujourd’hui quand je me trouve seul. Elles me tueraient si je ne m’ingéniais à tuer le temps cruel qui les enfante dans mon âme, heureusement ou malheureusement encore jeune. J’écris pour ne pas m’ennuyer, et je me réjouis, et je me félicite de ce que je m’en complais ; si je déraisonne, je ne m’en soucie pas, il me suffit d’être convaincu que je m’amuse : <!--p.988-->[ “J’aimerais mieux passer pour un écrivain insensé et sans art / Tant que mes défauts me plaisent ou m’échappent / Que d’être sage et de me chagriner.” (Horace, Épîtres) ]
| précisions=
{{Romain|Ayant quarante-sept ans … il y a vingt-six ans}} : Casanova a donc environ 73 ans (1798) quand il remanie cette page, et se trouve ainsi dans les derniers mois avant sa mort, après avoir pour l’essentiel passé les treize<!--1785-1798--> dernières années de sa vie enterré à Dux à s’occuper de ses textes puis de ses Mémoires « treize heures par jour, qui me passent comme treize minutes. » (lettre de Casanova à Opiz/Opitz, 10 janvier 1791, cf. t. III, p. 923, n. 1, et t. I, p. XVI, n. 6). Citation similaire sur la nature ennemie de la vieillesse, cf. la citation du t. I, vol. 1, chap. VI, p. 116.
Ligne 3 945 ⟶ 3 973 :
# {{Citation|citation=Venise aujourd’hui n’existe plus que par sa honte éternelle.
| langue = fr
| original = La République romaine ne devint maîtresse de tout le monde alors connu qu’en commençant par protéger tous les royaumes qu’elle s’est appropriés<!--priés-->. Ce n’est que par cette raison que tout souverain requis de protection n’hésite pas un seul moment à l’accorder ; c’est le premier pas pour devenir le tuteur, et de tuteur le père, puis le maître de son cher protégé, quand ce ne serait que pour avoir soin de son héritage. Ce fut par ce moyen-là que ma maîtresse la République de Venise devint maîtresse du royaume de Chypre, que le Grand Turc après lui <!--p.1010-->enleva pour devenir le maître du bon vin qu’on y fait, malgré que l’Alcoran devait le lui faire haïr. Venise aujourd’hui n’existe plus que par sa honte éternelle.
| précisions=
{{Romain|le Grand Turc}} : le sultan ottoman [[{{w:Selim II|Selim II]]}}, dit « Selim l’Ivrogne », avait conquis Chypre car ilaprès en aimaitavoir beaucoupdécouvert le vin. {{Romain|Alcoran}} : ancien nom français du Coran. {{Romain|Venise aujourd’hui n’existe plus}} : Bonaparte venait juste d’abolir en 1797 l’État de la [[{{w:République de Venise|République de Venise]]}}, qui devint une simple région d’Autriche puis d’Italie. {{Romain|La maladie qui règne en France actuellement}} : la démocratie, péjorative pour Casanova (cf. citation du t. III, vol. 9, chap. VII, p. 140, et le propos rapporté par le prince de Ligne au t. III, Annexes, p. 1164), et encore ne s’agissait-il alors que du [[{{w:suffrage censitaire|suffrage censitaire]]}} indirect (quand Casanova rédige cette digression, la France n’est plus sous la Terreur mais le terne [[{{w:Directoire|Directoire]]}}).
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 967 ⟶ 3 995 :
| original = [La] sottise, très souvent fille de la bonté et de l’indolence, commença à perdre la France à l’avènement au trône du trop malheureux Louis XVI. Tout roi détrôné doit avoir été sot, et tout roi sot doit être détrôné, car il n’y a point de nation au monde ayant un roi qui ne l’ait que par force. Par cette raison, un roi sot doit avoir un premier ministre homme d’esprit, et le rendre très puissant. Le roi de France périt à cause de sa sottise, et la France sera perdue à cause de la sottise de la nation féroce, folle, ignorante, étourdie par son propre esprit,<!--virgule--> et toujours fanatique. La maladie qui règne en France actuellement serait susceptible de guérison dans tout autre pays, mais en France elle doit la conduire au tombeau, et je n’ai pas assez d’esprit pour deviner ce qu’elle deviendra.
| précisions=
{{Romain|La maladie qui règne en France actuellement}} : la démocratie, péjorative pour Casanova (cf. citation du t. III, vol. 9, chap. VII, p. 140, et le propos rapporté par le prince de Ligne au t. III, Annexes, p. 1164), et encore ne s’agissait-il alors que du [[{{w:suffrage censitaire|suffrage censitaire]]}} indirect (quand Casanova rédige cette digression, la France n’est plus sous la Terreur mais le terne [[{{w:Directoire|Directoire]]}}).
}}
{{Réf Livre
Ligne 3 995 ⟶ 4 023 :
# {{Citation|citation=Les nègres sont d’une autre espèce, ce n’est pas douteux[.]
| langue = fr
| original = Une négresse qui servait la plus jolie de mes actrices, pour laquelle j’avais les plus grandes attentions, me dit quelque chose qu’on n’oublie pas facilement. “Je ne comprends pas, me dit-elle un jour, comment vous pouvez être tant amoureux de ma maîtresse tandis qu’elle est blanche comme le diable.” Je lui ai demandé si elle n’avait jamais aimé un blanc, et elle me répondit que oui, mais que c’était parce qu’elle n’avait jamais trouvé un nègre, auquel elle aurait certainement donné la préférence. Quelques mois après, cette Africaine, cédant à mes instances, m’accorda ses faveurs ; à cette occasion, j’ai connu la fausseté de la sentence qui dit <!--p.1034-->que <!--sic-->''{{lang|la|sublata lucerna nullum discrimen inter feminas}}''<!--/sic--> [“quand la lampe est éteinte, plus de différences entre les femmes”]. ''{{lang|la|Sublata lucerna}}'' on doit s’apercevoir si la belle est noire ou blanche. Les nègres sont d’une autre espèce, ce n’est pas douteux ; ce qu’ils ont de particulier est que la femme, si elle est instruite, elle est maîtresse de ne pas concevoir, et même de concevoir à son gré mâle ou femelle. Si mon lecteur ne le croit pas, il a raison, car selon notre nature la chose est incroyable ; mais il resterait persuadé comme moi si je lui en communiquais la théorie. [Fin de la digression.]
| précisions=
{{Romain|{{lang|la|sublata lucerna}}}} : d’après Érasme, ''Adages'', « {{lang|la|Lucerna sublata, nihil discriminis inter mulieres}} », traduit par “Quand la lampe est éteinte, toutes les femmes sont égales”. {{Romain|négresse … nègre}} : le terme n’avait à l’époque rien de péjoratif. {{Romain|sont d’une autre espèce}} : en contexte, « espèce » donnerait ici plutôt le sens « sont d’une autre sorte, sont différents » (plutôt qu’une notion d’espèce animale séparée) ; son propos reste cependant ambigu (à noter que Casanova avait le teint foncé, “olivâtre” ou “teint africain” ; cf. t. I, vol. 4, chap. V, p. 762, n. 1, etc.).
Ligne 4 024 ⟶ 4 052 :
 
{{Citation|citation=
[Casanova attend début 1774 à Trieste la grâce des Inquisiteurs de Venise, qui lui permettra de rentrer dans sa patrie quelques mois plus tard.] À l’âge que j’avais de quarante-neuf ans il me paraissait de ne devoir plus rien espérer de la fortune, amie exclusive de la jeunesse, et ennemie déclarée de l’âge mûr. Il me semblait qu’à Venise je ne pouvais que vivre heureux sans avoir besoin des faveurs de l’aveugle <!--1051-->déesse. […] Le premier objet qui m’intéressa à Trieste fut la seconde actrice de la troupe de comédiens qui y jouait. Je fus surpris d’y voir cette Irène, fille du soi-disant comte Rinaldi, dont mon lecteur doit se <!--p.1052-->souvenir. Je l’avais aimée à Milan, je l’avais négligée à Gênes à cause de son père, et je lui avais été utile à Avignon où je l’avais tirée d’embarras avec l’approbation de Marcoline. Onze ans s’étaient écoulés sans que j’eusse jamais su ce qu’elle était devenue. […]<!--p.1053--> Au commencement du carême elle partit avec toute la troupe, et trois ans après je l’ai vue à Padoue où j’ai fait avec sa fille une connaissance beaucoup plus tendre. [Fin du manuscrit inachevé.]
| précisions=
<!--début citation-->Ici finit cette histoire, telle qu’elle nous est venue de Dux ; et, après la disparition de Casanova, plus rien n’est dit dans le livre des jours anciens.<!--fin citation, d’après : « Ici finit cette histoire, telle qu’elle nous est venue du Sud ; et, après la disparition d’Étoile du Soir, plus rien n’est dit dans le livre des jours anciens. », J.R.R. Tolkien, ''Le Seigneur des anneaux'', t. III, dernière page (Appendice/Épilogue)-->
Ligne 4 033 ⟶ 4 061 :
| volume = 12
| chapitre = X
| page = 1050-1051, 1051-1052, et 1053
}}
 
Ligne 4 041 ⟶ 4 069 :
{{Interprojet|w=Histoire de ma vie (Casanova)}}
 
{{CLEFDETRI:Histoire de ma vie, Casanova, Giacomo}}
[[Catégorie:Mémoires]]<!--moitié Mémoires du XVIIIe + moitié Autobiographie-->
[[Catégorie:Autobiographie]]<!--moitié Mémoires du XVIIIe + moitié Autobiographie-->