« Roger Martin du Gard » : différence entre les versions

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{{citation|citation= « Tu crois vraiment qu'une nouvelle guerre couve dans les Balkans ? »
<p>Jacques regardait fixement son frère :
<p>«&thinsp;Est-ce possible qu'à Paris vous n'ayez pas encore la moindre notion de ce qui se passe depuis trois semaines&thinsp;? Tous ces présages qui s'accumulent&thinsp;!... Il ne s'agit plus d'une petite [[w:Guerres des Balkans|guerre dans les Balkans]]&thinsp;: c'est toute l'Europe, cette fois, qui va droit à une guerre&thinsp;! Et vous continuez à vivre, sans vous douter de rien&thinsp;?
<p>&mdash; Tzs, Tzs...», fit Antoine, sceptique.
<p>Pourquoi pensa-t-il soudain au gendarme qui était venu, un matin de cet hiver, à l'heure où il allait partir pour l'hôpital, changer l'ordre de mobilisation de son livret&thinsp;? Il se souvint qu'il n'avait même pas eu la curiosité de regarder quelle était sa nouvelle affectation. Après le départ du gendarme, il avait jeté le livret dans quelque tiroir &mdash; il ne savait même plus où...
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<p>&mdash; Des hommes&thinsp;?&thinsp;», fit-il, intrigué. «&thinsp;Quels hommes&thinsp;? Toi&thinsp;?...
<p>Jacques s'approcha du divan. Son irritation était tombée. Il regardait son frère de haut. Ses yeux rayonnaient de fierté, de confiance.
<p>&mdash; Sais-tu seulement qu'il y a, dans le monde, douze millions de travailleurs ''organisés''&thinsp;?&thinsp;», dit-il d'une voix lente, tandis que son front se couvrait de sueur. «&thinsp;Sais-tu que le [[w:Internationale ouvrière|mouvement socialiste international]] a derrière lui quinze ans de combats, d'efforts, de solidarité, de progression ininterrompue&thinsp;? Qu'il y a, aujourd'hui, d'importants groupes socialistes dans tous les parlements d'Europe&thinsp;? Que ces douze millions de partisans sont répartis sur plus de vingt pays différents&thinsp;? Plus de vingt partis socialistes, qui forment, d'un bout à l'autre du monde, une immense chaîne, une seule masse fraternelle&thinsp;?... Et que leur idée dominante, le noeud du pacte, c'est la haine du militarisme, la résolution acharnée de lutter contre la guerre, quelle qu'elle soit, d'où qu'elle vienne&thinsp;? &mdash; parce que la guerre, c'est toujours une manoeuvre capitaliste, dont le peuple...
<p>&mdash; Monsieur est servi&thinsp;», dit Léon en ouvrant la porte.
<p>Jacques, interrompu, s'épongea le front et regagna son fauteuil. Puis, dès que le domestique eut disparu, il murmura en guise de conclusion:
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==== Sur les grèves ouvrières et manifestations socialistes en Russie ====
{{Citation|citation= <nowiki>[...]</nowiki> Kniabrowski en profitait pour parler, sans desserrer les dents, par petites phrases hachées, avec une volubilité véhémente et sourde:
<p>«&thinsp;À [[w:Saint-Pétersbourg|Pétersboug]], lundi, cent quarante mille grévistes... Cent quarante mille... Dans plusieurs quartier, l'état de siège... Téléphones coupés, plus de [[w:Tramway|tramways]]... Cavalerie de la Garde... On a appelé quatre [[w:Régiment|régiments]] complets, avec mitrailleuses... Des régiments de cosaques, des détachements de...»
<p><nowiki>[...]</nowiki>
<p>«&thinsp;Mais la police, les généraux ne peuvent rien... <nowiki>[...]</nowiki> Émeutes après émeutes... le gouvernement avait distribué, pour [[w:Raymond Poincaré|Poincaré]], des drapeaux français&thinsp;: les femmes en ont fait des [[w:Drapeau rouge|drapeaux rouges]]. Charges à cheval, fusillades... J'ai vu une bataille dans le quartier Viborg... Terrible... Une autre, gare de Varsovie... Une autre, faubourg de Stagara-Derevnia <nowiki>[Staraïa-Derevnia&thinsp;?]</nowiki>... Une autre, en pleine nuit, dans les...»
<p><nowiki>[...]</nowiki>
<p>«&thinsp;Les grévistes n'ont pas d'armes... Des pavés, des bouteilles, des bidons de pétrole... Pour arrêter les charges ils foutent le feu aux maisons... J'ai vu brûler le pont Semsonievsky... Toute la nuit, partout, ça brûle... Des centaines de morts... Des centaines, des centaines d'arrestations... Tout le monde suspect... Nos journaux sont interdits depuis dimanche... Nos rédacteurs, en prison... C'est la révolution... Il était temps&thinsp;: sans révolution, ce serait la guerre... Ton Poincaré, il a fait du mal chez nous, beaucoup de mal...» }}
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==== ''L'Action française'' ====
{{Citation|citation= Seule, [[w:L'Action française (quotidien)|''L'Action française'']] manifestait ouvertement son inquiétude. L'occasion était belle d'accuser, plus violemment que jamais, la faiblesse spécifique du gouvernement républicain en matière de politique extérieure, et de flétrir l'antipatriotisme des partis de gauche. Les socialistes étaient particulièrement visés. Non content de répéter, comme chaque jour depuis des années, que [[w:Jean Jaurès|Jaurès]] était un traître à la solde de l'Allemagne, [[w:Charles Maurras|Charles Maurras]], exaspéré par les vibrants appels au pacifisme international que multipliait [[w:L'Humanité|''L'Humanité'']], semblait presque, aujourd'hui, désigner Jaurès au poignard libérateur de quelque [[w:Charlotte Corday|Charlotte Corday]]&thinsp;: ''Nous ne voudrions déterminer personne à l'assassinat politique,'' écrivait-il, avec une prudente audace. ''Mais que M. Jaurès soit pris de tremblement&thinsp;! Son article est capable de suggérer à quelque énergumène le désir de résoudre par la méthode expérimentale la question de savoir si rien ne serait changé à l'ordre invincible, dans le cas où le sort de [[w:Gaston Calmette|M. Calmette]] serait subi par M. Jean Jaurès.''}}
{{Réf Livre|titre=Les Thibault |auteur= Roger Martin du Gard |année d'origine= 1936 |éditeur= Gallimard |collection= Folio |année= 1980 |tome= III, ''L'été 1914'' |page= 269-270 |chapitre= XXVIII }}