Karl Polanyi

économiste austro-hongrois

Karl Polanyi (18861964), est un économiste hongrois, socialiste (mais non marxiste), connu pour sa critique radicale de la théorie économique libérale.

Karl Polanyi

La Grande Transformation (1944) modifier

Première partie : Le système international modifier

Chapitre 1 : La paix de Cent Ans modifier

Notre thèse est l'idée qu'un marché s'ajustant lui même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l'homme et sans transformer son milieu en désert.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 1, p. 22


Deuxième partie : Grandeur et décadence de l'économie de marché modifier

"Satanic mill" ou la fabrique du diable

Chapitre 4 : Sociétés et systèmes économiques modifier

L'homme agit, de manière, non pas à protéger son intérêt individuel à posséder des biens matériels, mais de manière à garantir sa position sociale, ses droits sociaux, ses avantages sociaux.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 4, p. 75


Chapitre 6 : Le marché autorégulateur et les marchandises fictives : travail, terre et monnaie modifier

Le point fondamental est le suivant : le travail, la terre et l'argent sont des éléments essentiels de l'industrie ; ils doivent eux aussi être organisés en marchés ; ces marchés forment en fait une partie absolument essentielle du système économique. Mais il est évident que travail, terre et monnaie ne sont pas des marchandises ; en ce qui les concerne, le postulat selon lequel tout ce qui est acheté et vendu doit avoir été produit pour la vente est carrément faux. En d'autres termes, si l'on s'en tient à la définition empirique de la marchandise, ce ne sont pas des marchandises. Le travail n'est que l'autre nom de l'activité économique qui accompagne la vie elle-même -- laquelle, de son côté, n'est pas produite pour la vente mais pour des raisons entièrement différentes --, et cette activité ne peut pas non plus être détachée du reste de la vie, être entreposée ou mobilisée ; la terre n'est que l'autre nom de la nature, qui n'est pas produite par l'homme ; enfin, la monnaie réelle est simplement un signe de pouvoir d'achat qui, en règle générale, n'est pas le moins du monde produit, mais est une création du mécanisme de la banque ou de la finance d'État. Aucun de ces trois éléments -- travail, terre, monnaie -- n'est produit pour la vente ; lorsqu'on les décrit comme des marchandises, c'est entièrement fictif.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 6, p. 107


Chapitre 9 : Paupérisme et utopie modifier

Ce projet [des Colleges of Industry, proposé en 1695 par John Bellers] ne repose pas sur les principes d'une Bourse du travail, mais sur ceux, tout différents, de l'échange de travail. La première est associée à l'idée habituelle de trouver un employeur pour le chômeur ; le second n'implique rien de moins que ceci : les travailleurs n'ont pas besoin d'employeur aussi longtemps qu'ils peuvent échanger directement leurs produits.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 9, p. 148


L'autoprotection de la société

Chapitre 12 : Naissance du crédo libéral modifier

De même que l'invention de machines qui économisent le travail, au rebours de ce qu'on attendait d'elles, n'a pas fait diminuer mais, en fait, augmenter les utilisations du travail de l'homme, l'introduction de marchés libres, loin de supprimer le besoin de commande, de régulation et d'intervention, ont énormément augmenté la portée de celles-ci. Les administrateurs ont dû constamment être sur leurs gardes pour assurer le libre fonctionnement du système. C'est ainsi que même ceux qui souhaitaient le plus ardemment libérer l'État de toute tâche inutile, et dont la philosophie tout entière exigeait la restriction des activités de l'État, n'ont pu qu'investir ce même État des pouvoirs, organes et instruments nouveaux nécessaires à l'établissement du laissez-faire.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 12, p. 191


Ce n'est pas l'exploitation économique, comme on le suppose souvent, mais la désintégration de l'environnement culturel de la victime qui est alors la cause de la dégradation. Le processus économique peut naturellement fournir le véhicule de la destruction et, presque invariablement, l'infériorité économique fera céder le plus faible, mais la cause immédiate de sa perte n'est pas pour autant économique ; elle se trouve dans la blessure mortelle infligée aux institutions dans lesquelles son existence sociale s'incarne. Le résultat en est qu'il ne se respecte plus lui-même, et qu'il perd ses critères moraux, qu'il s'agisse d'un peuple ou d'une classe, que le processus jaillisse de ce qu'on appelle un "conflit de culture" ou d'un changement de position d'une classe à l'intérieur des limites d'une société.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 12, p. 212


Chapitre 13 : Naissance du crédo libéral (suite) : intérêt de classe et changement social modifier

Rien n'obscurcit aussi efficacement notre vision de la société que le préjugé économiste.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 13, p. 214


Le marché du travail concurrentiel a frappé le porteur de la force de travail, à savoir l'homme. Le libre-échange international a menacé d'abord et surtout la plus importante des industries qui dépendent de la nature, c'est-à-dire l'agriculture. L'étalon-or a mis en danger les organisations de production dont le fonctionnement est subordonné au mouvement relatif des prix. Dans chacun de ces domaines, des marchés se sont développés, impliquant une menace latente pour la société dans certains aspects vitaux de son existence.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 13, p. 218


Chapitre 14 : Le marché et l'homme modifier

Séparer le travail des autres activités de la vie et le soumettre aux lois du marché, c'était anéantir toutes les formes organiques de l'existence et les remplacer par un type d'organisation différent, atomisé et individuel. Ce plan de destruction a été fort bien servir par l'application du principe de la liberté de contrat. Il revenait à dire en pratique que les organisations non contractuelles fondées sur la parenté, le voisinage, le métier, la religion, devaient être liquidées, puisqu'elles exigeaient l'allégeance de l'individu et limitaient ainsi sa liberté. Présenter ce principe comme un principe de non-ingérence, ainsi que les tenants de l'économie libérale avaient coutume de le faire, c'est exprimer purement et simplement un préjugé enraciné en faveur d'un type déterminé d'ingérence, à savoir, celle qui détruit les relations non contractuelles entre individus et les empêche de se reformer spontanément.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 14, p. 220


Chapitre 15 : Le marché et la nature modifier

Ce que nous appelons la terre est un élément de la nature qui est inextricablement entrelacé avec les institutions de l'homme. La plus étrange de toutes les entreprises de nos ancêtres a peut-être été de l'isoler et d'en former un marché. Traditionnellement, la main-d'œuvre et la terre ne sont pas séparées ; la main-d'œuvre fait partie de la vie, la terre demeure une partie de la nature, la vie et la nature forment un tout qui s'articule. La terre est ainsi liée aux organisations fondées sur la famille, le voisinage, le métier et la croyance -- avec la tribu et le temple, le village, la guilde et l'église. Le Grand Marché unique, d'autre part, est un dispositif de la vie économique qui comprend des marchés pour des facteurs de production. Puisque ces facteurs se trouvent être indiscernables des éléments qui constituent les relations humaines, l'homme et la nature, il est facile de voir que l'économie de marché implique une société dont les institutions sont subordonnées aux exigences du mécanisme du marché. Cette proposition est utopique aussi bien en ce qui concerne la terre qu'en ce qui concerne la main-d'œuvre. La fonction économique n'est que l'une des nombreuses fonctions vitales de la terre. Celle-ci donne sa stabilité à la vie de l'homme ; elle est le lieu qu'il habite ; elle est une condition de sa sécurité matérielle ; elle est le paysage et les saisons. Nous pourrions aussi bien imaginer l'homme venant au monde sans bras ni jambes que menant sa vie sans terre. Et pourtant, séparer la terre de l'homme et organiser la société de manière à satisfaire les exigences d'un marché de l'immobilier, cela a été une partie vitale de la conception utopique d'une économie de marché.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 15, p. 238


Chapitre 16 : Le marché et l'organisation de la production modifier

C'est la raison, facile à comprendre, pour laquelle un système de monnaie-marchandise, tel que le mécanisme de marché à tendance à le produire sans intervention extérieure, est incompatible avec la production industrielle. La monnaie-marchandise est simplement une marchandise qui se trouve fonctionner comme monnaie ; aussi, en principe, on ne saurait en augmenter la masse, sous peine de restreindre la masse des marchandises qui ne fonctionnent pas en tant que monnaie. En pratique courante, la monnaie-marchandise est de l'or ou de l'argent, dont on peut augmenter la masse en un court laps de temps, mais dans une faible mesure. Or une expansion de la production et du commerce qui n'est pas accompagnée d'une augmentation de la masse monétaire doit causer une chute des prix : c'est précisément le type de déflation désastreuse que nous avons à l'esprit.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 16, p. 255


Chapitre 18 : Tensions de rupture modifier

Le commerce mondial, c'était la vie sur la planète désormais organisée comme un marché autorégulateur comprenant le travail, la terre et la monnaie, avec l'étalon-or comme gardien de cet automate gargantuesque. Les nations et les peuples n'étaient que de simples marionnettes dans un spectacle dont ils n'étaient plus du tout les maîtres. Ils se protégeaient du chômage et de l'instabilité à l'aide de Banques centrales et de droits de douane, complétés par des lois sur l'immigration. Ces dispositifs étaient destinés à contrer les effets destructeurs du libre-échange et des monnaies fixes et, dans la mesure où ils remplirent cet objectif, ils intervinrent dans le jeu de ces mécanismes-là.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 18, p. 283


Troisième partie : La transformation en marche modifier

Chapitre 19 : Gouvernement populaire et économie de marché modifier

Conduite à son terme, cette idée signifie que la principale obligation du travail est d'être presque constamment en grève. Cette proposition est le comble de l'absurdité, néanmoins elle découle logiquement de la théorie du travail-marchandise. La source de ce désaccord entre la théorie et la pratique, c'est, naturellement, que le travail n'est pas vraiment une marchandise et que si on se retenait de fournir le travail simplement pour fixer son prix exact (tout comme on se retient de fournir toutes les autres marchandises dans des circonstances analogues), la société serait bientôt dissoute faute de moyens de subsistance. Chose remarquable, les économistes libéraux ne parlent que très rarement, et même ne parlent jamais de cet aspect des choses lorsqu'ils traitent de la grève.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 19, p. 298


Chapitre 20 : La liberté dans une société complexe modifier

Après un siècle d'"amélioration" aveugle, l'homme restaure son "habitation". Si l'on ne veut pas laisser l'industrialisme éteindre l'espèce humaine, il faut le subordonner aux exigences de la nature de l'homme. La véritable critique que l'on peut faire à la société de marché n'est pas qu'elle était fondée sur l'économique -- en un sens, toute société, quelle qu'elle soit, doit être fondée sur lui -- mais que son économie était fondée sur l'intérêt personnel. Une telle organisation de la vie économique est complètement non naturelle, ce qui est à comprendre dans le sens strictement empirique d'exceptionnelle.
  • La Grande Transformation (1944), Karl Polanyi (trad. Catherine Malamoud), éd. Gallimard, 1983  (ISBN 2-07-021332-3), chap. 21, p. 320


Vous pouvez également consulter les articles suivants sur les autres projets Wikimédia :