Pierre Hadot

philosophe, historien et philologue français, spécialiste de l'Antiquité

Pierre Hadot (né à Paris, le 21 février 1922, et mort à Orsay, le 24 avril 2010) est un philosophe, historien et philologue français, spécialiste de l'Antiquité, profond connaisseur de la période hellénistique et en particulier du néoplatonisme et de Plotin. Pierre Hadot est l’auteur d'une œuvre développée notamment autour de la notion d'exercice spirituel et de la philosophie comme manière de vivre.

Pierre Hadot à Paris en 1997.

Exercices spirituels et philosophie antique modifier

Pour eux [les stoïciens] la philosophie ne consiste pas dans l'enseignement d'une théorie abstraite, encore moins dans une exégèse de textes, mais dans un art de vivre, dans une attitude concrète, dans un style de vie déterminé, qui engage toute l'existence. L'acte philosophique ne se situe pas seulement dans l'ordre de la connaissance, mais dans l'ordre du « soi » et de l’être : c'est un progrès qui nous fait plus être, qui nous rend meilleur. C'est une conversion qui bouleverse toute la vie, qui change l’être de celui qui l'accomplit. Elle le fait passer d'un état de vie inauthentique, obscurci par l'inconscience, rongé par le souci, à un état de vie authentique, dans lequel l'homme atteint la conscience de soi, la vision exacte du monde, la paix et la liberté intérieures.
  • « préface d'Arnold I. Davidson », dans Exercices spirituels et philosophie antique, Pierre Hadot, éd. Albin Michel, 2002, p. 22-23


L’attention (prosochè) est l'attitude spirituelle fondamentale du stoïcien. C'est une vigilance et une présence d'esprit continuelles, une conscience de soi toujours éveillée, une tension constante de l'esprit. Grâce à elle, le philosophe sait et veut pleinement ce qu'il fait à chaque instant. Grâce à cette vigilance d'esprit, la règle de vie fondamentale, c'est-à-dire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, est toujours « sous la main » (procheiron).
  • Exercices spirituels et philosophie antique, Pierre Hadot, éd. Albin Michel, 2002, p. 26


Seul celui qui se libère et se purifie des passions - qui cachent la véritable réalité de l'âme -, peut comprendre que l'âme est immatérielle et immortelle. Ici, la connaissance est exercice spirituel.
  • Exercices spirituels et philosophie antique, Pierre Hadot, éd. Albin Michel, 2002, p. 59


Il est des vérités dont les générations humaines ne parviennent pas à épuiser le sens ; non qu’elles soient difficiles à comprendre, elles sont au contraire extrêmement simples, elles ont même souvent l’apparence de la banalité ; mais précisément, pour en comprendre le sens, il faut les vivre, il faut sans cesse en refaire l’expérience.
  • Exercices spirituels et philosophie antique, Pierre Hadot, éd. Albin Michel, 2002, p. 73


Plotin ou la simplicité du regard modifier

Comment faire le portrait spirituel de Plotin sans épouser ce mouvement de purification, par lequel le moi, se séparant de tout ce qui n'est pas vraiment lui-même, abandonnant le corps, la conscience sensible, les plaisirs, les peines, les désirs, les craintes, les expériences, les souffrances, toutes les particularités individuelles et contingentes, remonte à ce qui en lui est plus lui-même que lui ?
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 21


Comme le gnostique sans doute, Plotin sent au moment même où il est dans le corps, qu'il est toujours ce qu'il était avant d'être dans le corps. Son moi, son vrai moi, n'est pas de ce monde. Mais Plotin n'a pas à attendre la fin du monde sensible, pour que son moi, d'essence spirituelle, retourne dans le monde spirituel. Ce monde spirituel n'est pas un lieu supra-terrestre ou supra-cosmique dont les espaces célestes le sépareraient. Ce n'est pas non plus un état originel irrémédiablement perdu auquel seule la grâce divine pourrait le ramener. Non, ce monde spirituel n'est autre que le moi le plus profond. On peut l'atteindre immédiatement en rentrant en soi-même [...] Ce vrai moi, ce moi en Dieu, nous est intérieur.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 28, 31


[…]Chaque degré de la réalité ne peut s'expliquer sans le degré supérieur : l'unité du corps, sans l'unité de l'âme qui l'anime ; la vie de l'âme, sans la vie de l’Intellect supérieur qui contient le monde des Formes et des Idées platoniciennes et qui illumine l'âme et lui permet de penser ; la vie de l’Intellect lui-même, sans la simplicité féconde du Principe divin et absolu.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 31


[…]La conscience — et notre moi — se situe donc, comme un milieu ou un centre intermédiaire, entre deux zones d'ombre, qui se déploient au-dessus et au-dessous d'elle : la vie silencieuse et inconsciente de notre moi en Dieu, la vie silencieuse et inconsciente du corps.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 34


Ce n'est pas par haine et par dégoût du corps qu'il faudra se détacher des choses sensibles. Celles-ci ne sont pas mauvaise en elles-mêmes. Mais le souci qu'elles nous causent nous empêche de faire attention à la vie spirituelle dont nous vivons inconsciemment.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 37


La vie spirituelle dont vit sans cesse notre vrai moi constitue un niveau de tension et de concentration qui est supérieur au niveau propre à notre conscience. Même si nous nous haussons à ce niveau, nous ne pouvons nous y maintenir. Et lorsque nous l’atteignons, nous ne prenons pas conscience de notre moi supérieur, nous perdons plutôt conscience de notre moi inférieur.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 39


Si le monde spirituel est en nous, il est aussi en dehors de nous ; s'il suffit de savoir regarder en nous pour le découvrir, il suffit de savoir regarder hors de soi pour l'apercevoir derrière les apparences. À la métamorphose du regard intérieur répondra la métamorphose de la vision sensible.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 48


La simplicité de la vie échappe aux prises de la réflexion. Vivant dans le dédoublement, le calcul, le projet, la conscience humaine croit qu'on ne peut trouver qu’après avoir cherché, qu'on ne peut construire qu'en assemblant des pièces, qu'on ne peut obtenir une fin qu’en en prenant les moyens. Partout, elle introduit une médiation. La Vie, qui trouve sans chercher, qui invente le tout avant les parties, qui est en même temps fin et moyen, en un mot, qui est immédiate et simple, est donc insaisissable à la réflexion. Pour l'atteindre, comme pour atteindre notre moi pur, il faudra laisser la réflexion pour la contemplation.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 59


Pour Plotin, la connaissance est toujours expérience, plus encore, métamorphose intérieure.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 73-74


Dans le moindre amour, il y a le pressentiment de l'infini, de ce qui dépasse toute forme, c'est-à-dire du Bien absolu.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 75


Pour Plotin, si les choses n'étaient que ce qu'elles sont — dans leur nature, dans leur essence, dans leur structure —, elles ne seraient pas aimables. Autrement dit, l'amour est toujours supérieur à son objet, si haut soit-il. Son objet ne peut jamais l'expliquer ou le justifier. Il y a dans l'amour un « plus » ; il y a en lui quelque chose d’injustifié. Et ce qui, dans les choses, correspond à ce plus, c'est la grâce, c'est la Vie en son mystère le plus profond. Les Formes, les structures peuvent être justifiées. Mais la Vie, mais la grâce sont injustifiées. Elles sont « en plus » et c'est ce surplus gratuit qui est tout. Plotin y reconnaît « la trace du Bien ».
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 77-78


Si nous sommes remplis d'amour pour la beauté de l'Esprit et du monde des Formes, c'est parce que nous voyons chatoyer sur elle la lumière du Bien, qui lui donne la grâce : nous pressentons ainsi que si nous nous élevons vers la beauté, c'est finalement en vertu de l'élan infini qui nous porte vers le Bien.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 79


L'amour plotinien a toujours du mouvement pour aller plus loin. Dans sa quête infinie, il dépasserait le Bien s'il le pouvait. Et s'il s'arrête dans le Bien, c'est que celui-ci n'est pas un point final, mais l'absolu. Dès le départ, l'aimé était le Bien. Il le restera, dans l'expérience d'union.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 87


Si le moi peut ainsi coïncider avec le Bien, avec ce que Plotin, pour exprimer son absolue simplicité, appelle l'Un, c'est que le fond, la source dernière de la vie spirituelle, est une présence pure, simple, indécomposable [...] Dans l'extase mystique, l'âme, laissant toute forme et sa propre forme, s'identifie à cette réalité sans forme, cette présence pure qui est le centre d'elle-même comme de toute chose.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 92, 93


La spiritualité de Plotin est essentiellement lumineuse et sereine. C'est dans la paix et la douceur que l'âme plotinienne « retranche toutes choses » et qu'elle devient ainsi une pure capacité de réception, attendant d'être envahie par la présence du Bien qui est toujours déjà présent.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 107


Quand on a éprouvé que la vraie vie était là-haut, quand on a goûté, en un éclair fugitif, l'Union divine, comment peut-on revenir à la vie quotidienne, qui semble normale aux autres hommes mais qui, maintenant, pour celui qui a connu l'extase, apparaît comme un état anormal et violent ?
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 111-112


Il faut néanmoins apprendre à supporter la vie quotidienne, mieux encore, à l'illuminer par la clarté qui vient de la contemplation. Ce sera tout un travail de purification, de simplification, d'unification intérieures. Telle sera l'œuvre de la vertu. [...] Une contemplation qui ne rayonnerait pas dans la vie concrète, qui n'aboutirait pas à rendre l'homme semblable à Dieu par la vertu, nous resterait étrangère et n'aurait pas de sens pour nous.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 113


Par la pratique des vertus, l'âme peut s'élever à nouveau jusqu’à l'Esprit, c'est-à-dire jusqu’à une vie purement spirituelle. Arrivée à cette perfection, la vertu devient sagesse, elle devient un état stable, à partir duquel l'âme pourra être de nouveau disposée à l'Union divine.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 117


La vertu plotinienne consiste donc dans une attitude spirituelle extrêmement simple. En la considérant de l'extérieur, on peut sans doute y détailler des aspects différents, que l'on appellera prudence, justice, force ou tempérance. Mais, vue de l'Intérieur, elle n'est même pas un effort pour se séparer du corps, elle est seulement une attention continuelle au divin, un perpétuel exercice de la présence de Dieu. On peut parler, si l'on veut, d'une métamorphose du regard. En soi et autour de soi, au travers de toutes choses, la vertu plotinienne ne veut plus voir que la présence divine.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 122


Telle est la sagesse plotinienne. Sagesse mystique, qui n'a pas de sens pour celui qui n'a pas éprouvé l'union divine.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 124


Lorsqu'un certain degré de pureté intérieure est atteint, lorsque la contemplation est devenue continue, lorsque le regard a été purifié et qu'il est devenu comme lumineux, l'attention à l'Esprit n'exclut pas l'attention à autrui, au monde, au corps lui-même. C'est par une même disponibilité, une même attente amoureuse, que l'on est présent à la fois à l'Esprit et aux autres. Cette attention, c'est la douceur. Le regard, transformé, perçoit, brillant sur toute chose, la grâce qui manifeste Dieu.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 162


Si [l'expérience plotinienne] éveille un écho en nous, c'est qu'il y a dans la réalité humaine une possibilité latente de vie mystique.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 192


Sans doute est-ce nous mystifier nous-mêmes, que d'ignorer notre conditionnement matériel, psychologique ou sociologique. Mais il y a une mystification, tout aussi tragique, bien que plus subtile, à s'imaginer que la vie humaine se réduit à ses aspects analysables, mathématisables, quantifiables ou exprimables.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 192


Le Bien n'est pas un objet supérieur, qui se situerait au-dessus des autres objets ; il n'est pas un objet que l'on pourrait penser et dont on pourrait parler. Lorsque nous parlons de lui, c'est en fait de nous-mêmes que nous parlons, c'est-à-dire de notre relation à lui. Cela veut dire aussi que l'on ne peut pas vraiment coïncider avec lui, on ne peut que l’éprouver comme une pure Présence, qui nous envahit.
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 199


Ne peut on découvrir l'indicible, le mystérieux, le transcendant, l'Absolu peut-être, dans la richesse inépuisable du moment présent et dans la contemplation de la réalité la plus concrète, la plus banale, la plus quotidienne, la plus humble, la plus immédiate, et ne peut-on y pressentir la Présence toujours présente ? « Retranche toutes choses », disait Plotin. Mais, dans une vivante contradiction, ne faudrait-il pas dire aussi : « Accueille toutes choses » ?
  • Plotin ou la simplicité du regard, Pierre Hadot, éd. Gallimard, 1997, p. 200-1


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