Tchouang-tseu

philosophe chinois de l'Antiquité

Tchouang-tseu ou Zhuangzi (chinois traditionnel : 莊子 ; chinois simplifié : 庄子 ; pinyin : zhuāngzǐ ; EFEO : Tchouang-tseu ; litt. « Maître Zhuang »), de son vrai nom Zhuāng Zhōu (莊周 / 庄周, Tchouang Tcheou), est un philosophe, écrivain et poète chinois du IVe siècle av. J.-C.

Estampe représentant Tchouang-Tseu.

Zhuangzi (莊子), IVe siècle av. J.-C. modifier

Au commencement il y avait le néant, le néant n'avait pas de nom. De là se reproduisit l'un ; il y eut l'un sans avoir de forme matérielle. Les êtres en naquirent : c'est qu'on appelle sa vertu. Dans ce qui n'avait pas de forme, il y eut une distribution d'où s'ensuivit un mouvement perpétuel qui a pour nom destin. Au cours de ses transformations sont nés les êtres. À son achèvement, l'être créé possède un corps organisé.


Ne seriez-vous pas, dit le jardinier, un de ceux qui se servent de leur vaste savoir pour essayer de passer pour des saints, qui flattent le peuple pour le mieux dominer et veulent asseoir leur renommée en le plaignant sans cesse ?


L'homme que je viens de voir ne prend pour guide que sa propre volonté ; il n'agit que sous l'impulsion de son cœur. Si le monde entier le loue, il n'en est pas exalté ; si le monde entier le condamne, il n'en est pas abattu. En un mot, l'éloge et le blâme ne peuvent pas modifier sa conduite. Un tel homme possède sa vertu intacte. Quant à moi, je ne suis encore que de ceux que l'opinion des autres influence comme le vent agite les ondes.
Quand Tseu-kong eut regagné la principauté de Lou, il raconta son aventure à Confucius qui lui dit : « Cet homme interprète faussement l'art de vivre qu'on pratiquait au temps de l'indistinction primordiale. Il n'en connait qu'un des aspects. Il domine sa vie intérieure mais non le monde extérieur. Celui qui connaitrait son innocence, qui par le non-agir retrouverait sa simplicité première, embrasserait sa nature, garderait son âme originelle, et vivrait ainsi parmi les hommes, comment celui-là pourrait-il te surprendre ? L'art de vivre tel qu'on le pratiquait au temps de l'indistinction primordiale, comment serions-nous dignes de le reconnaître, toi et moi ? »


Ceux qui ne font qu'imiter les hommes et adopter leurs préjugés, et pourtant ne se reconnaissent pas comme appartenant à la masse, on peut dire qu'ils atteignent au comble de l'inconscience.


Qui reconnait son ignorance n'est pas un grand ignorant ; qui reconnait son égarement n'est pas un grand égaré. Un grand égaré ne prend jamais conscience de son égarement ; un grand ignorant ne prend jamais conscience de son ignorance.


Si de trois compagnons l'un d’eux se trompe sur le chemin à suivre, il est encore possible d'atteindre le but, car un seul s'est trompé. Si deux se trompent, comme ils sont en majorité, les trois se fatigueront à marcher sans atteindre leur but.


Si le bonheur implique encore la dépendance, on peut dire que la tourterelle en cage est heureuse. De même si celui dont les attirances et les dégoûts à l'égard des sons et des couleurs obstruent sa vie intérieure, qui porte le bonnet de fourrure ou le chapeau orné de plumes de martin-pêcheur, la tablette et la longue ceinture comme insigne de sa fonction, si celui dont l'âme est obstruée et le corps ligoté peut être considéré comme heureux, on peut en dire autant pour les criminels dont les bras et les doigts sont entrecroisés et pour le tigre et la panthère que l'on a enfermés dans un sac avant de les mettre en cage.


- Prendre à cœur le bonheur des hommes et les aimer tous également sans faire entre eux de distinction égoïste, telle est la substance de la bonté et de la justice.
- Ah ! dit Lao Tan, une telle doctrine me semble avoir été fabriquée après coup. L'amour universel comporte des détours, car l'altruisme est une forme de l'égoïsme.


Quand j'observe ce pour quoi aujourd'hui le vulgaire agit et ce dont il fait sa joie, je ne sais si cette joie est une vraie joie ou non. Ce dont tout le monde fait sa joie, ce vers quoi la plupart des hommes s'empressent tout droit comme s'ils ne pouvaient faire autrement, tout le monde l'appelle joie ; mais je ne sais s'il y a là joie ou non. Une telle joie existe-t-elle vraiment ou n'existe-t-elle pas ?
Dans le non-agir, selon moi réside la vraie joie. Mais tout le monde le considère comme la plus grande souffrance. Ainsi il est dit : « La joie suprême est sans joie ; la gloire suprême est sans gloire. »


« Que vous ne pleuriez pas la mort de celle qui fut la compagne de votre vie et qui éleva vos enfants, c'est déjà assez, mais que vous chantiez en battant l'écuelle, c'est trop fort !
- Du tout, dit Tchouang-tseu. Au moment de sa mort, je fus naturellement affecté un instant, mais réfléchissant sur le commencement, je découvris qu'à l'origine elle n'avait pas de vie, mais pas même de forme ; non seulement pas de forme, mais même pas de souffle. Quelque chose de fuyant et d'insaisissable se transforme en souffle, le souffle en forme, la forme en vie, et maintenant voici que la vie se transforme en mort. Tout cela ressemble à la succession des quatre saisons de l'année. En ce moment, ma femme est couchée tranquillement dans la grande Maison. Si je me lamentais en sanglotant bruyamment, cela signifierait que je ne comprends pas le cours du Destin. C'est pourquoi je m'abstiens.


L'oncle Difformité et l'oncle Indistinction contemplaient ensemble la tombe où repose le Souverain Jaune sur la colline d'Obscurité dans la région désertique du K'ouen-louen. Soudain tous deux constatèrent qu'un saule leur poussait au coude gauche.

- As-tu horreur de ce qui nous arrive ? demanda l'oncle Difformité après un moment de surprise désagréable.

- Pourquoi en aurais-je horreur ? répondit l'oncle Indistinction. La vie n'est qu'un emprunt ; c'est par emprunt qu'on naît. La vie n'est que poussière et ordure. La mort et la vie se succèdent comme le jour et la nuit. D'ailleurs, toi et moi nous sommes ici à contempler un exemple de transformation. Si la transformation me saisit, pourquoi en aurais-je horreur ?


« Et d'ailleurs, serais-tu seul à ignorer l'histoire suivante ? Jadis un oiseau de mer s'abattit au faubourg de la capitale de Lou. Le seigneur de Lou alla en personne quérir l'oiseau et le porta au temple des ancêtres, où il donna une fête en son honneur. On exécuta devant lui la symphonie du Kieou-chao ; on lui offrit le grand sacrifice. Cependant, l'oiseau, les yeux éblouis et l'air navré ne toucha pas aux viandes et ne goûta pas au vin. Au bout de trois jours il mourrut de fin et de soif. C'est que le seigneur l'avait traité comme il se serait traité lui-même et non comme on traite un oiseau. Pour traiter l'oiseau selon sa propre perspective, il fallait le faire percher dans une forêt profonde, le mettre en liberté sur des terrains marécageux et le laisser voguer sur les fleuves et les lacs. Il fallait lui donner pour nourriture des anguilles et de petits poissons, le laisser s'aligner avec les autres oiseaux de son espèce et s'arrêter à son gré. Entendre parler les hommes était déjà un supplice pour ce pauvre oiseau, comment eût-il supporté le tintamarre de la musique ?


Lie-tseu au cours d'un voyage prenait son repas au bord du chemin lorsque soudain il aperçut un vieux crâne au milieu de touffes d'herbe. Il arracha les herbes, pointa l'index vers le crâne et lui dit : « Seuls, toi et moi nous savons que tu n'es ni mort ni vivant. Es-tu vraiment malheureux ? Suis-je vraiment heureux ? »


Un prieur des sacrifices, en robe noire de cérémonie coupée droit, s'approchait de l'enclos des porcs et cherchait à convaincre les animaux en leur disant : « Pourquoi auriez-vous horreur de mourir ? Je vais vous engraisser durant trois mois en vue du sacrifice. Puis, je garderai, moi, l'abstinence pendant dix jours et jeûnerai durant trois jours. Alors je coucherai vos épaules et vos jambes sur un lit de roseaux blancs et les placerai sur une table à offrande sculptée. Êtes-vous d'accord ? » Si un homme songeait au bien des porcs, il préférerait les nourrir avec du son et des tourteaux et les laisser dans leur enclos. S'il songe à son bien propre, l'homme désire les honneurs de la voiture et du bonnet pendant sa vie, et lors de sa mort un cercueil décoré. Ce qu'il enlèverait aux porcs pour leur bien, il l'adopte pour son propre bien. Pourquoi en irait-il autrement pour lui que pour les porcs ?
  • Joie suprême et autres textes (IVe siècle av. J.-C.), Tchouang-tseu (trad. Liou Kia-hway), éd. Gallimard/Unesco, coll. « folio sagesses », 2018  (ISBN 978-2-07-279462-9), chap. Avoir une pleine compréhension de la vie, p. 74-75


Si au lieu de cultiver votre propre personne vous cherchez le bien des autres hommes, ne vous écartez-vous pas ainsi de votre tâche propre ?


- Qu'entendez-vous par vérité ? demanda Confucius.
- La vérité, répondit le visiteur, c'est la sincérité parfaite. Quiconque n'est pas sincère ne peut agir sur autrui. Qui se lamente de force, sa tristesse n'apitoie personne. Qui a une colère forcée, son regard sévère n'en impose pas. L'amour forcé a beau sourire, il n'adoucit rien. La vraie tristesse est muette, c'est elle qui apitoie. La vraie colère n'éclate pas, c'est elle qui en impose. Le vrai amour ne sourit pas, c'est lui qui adoucit. Seule la vérité intérieure fait agir l'âme à l'extérieur. C'est ce qui fait le prix de la vérité.


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