Wisława Szymborska

écrivaine polonaise, lauréat du prix Nobel

Wisława Szymborska (1923-2012) est une poétesse polonaise, lauréate du Prix Nobel de littérature de 1996. Membre du parti communiste suite à l'avènement de la République populaire de Pologne, elle s'éloigne de l'organisation dans les années 1950 pour, en 1966, s'en dissocier complètement. Bien qu'elle aille par la suite jusqu'à rejeter ses premiers poèmes (parce que trop empreints de réalisme socialiste), son œuvre subséquente n'en demeure pas moins fortement imprégnée du quotidien des gens ordinaires.

Wisława Szymborska à Cracovie
23 octobre 2009
(photographe : Mariusz Kubik)

Discours prononcé devant l'Académie Nobel (7 décembre 1996)

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Le poète contemporain est un être sceptique et méfiant, même, sinon surtout, à l'égard de lui-même. Il hésite à se déclarer poète, comme s'il en avait honte. À notre époque si tonitruante, il est beaucoup plus facile d'avouer ses défauts, s'ils sont spectaculaires et pittoresques, que ses qualités, plus profondément cachées celles-ci, et auxquelles, en outre, on ne croit guère soi-même...
  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, p. 7


[L]'inspiration n'est pas un privilège exclusif des poètes, ou des artistes en général. Il existe, il a toujours existé, il existera toujours d'autres hommes qu'elle fréquente. Ce sont ceux qui, en toute connaissance de cause, choisissent leur travail, et l'exercent avec amour et imagination. Certains sont médecins, d'autres enseignants ou jardiniers, que sais-je encore.
  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, p. 10-11


La plupart des habitants de cette planète travaillent pour gagner leur vie, travaillent par contrainte. Ils n'ont pas choisi leur travail par passion, ce sont les circonstances de la vie qui ont fait ce choix pour eux. Un travail qu'on n'aime pas, qui ennuie, qu'on estime uniquement parce que, même sous cette forme, il n'est déjà pas à la portée de tout le monde, constitue une des plus grandes détresses humaines.
  • (pl) Większość mieszkańców tej ziemi pracuje, żeby zdobyć środki utrzymania, pracuje, bo musi. To nie oni z własnej pasji wybierają sobie pracę, to okoliczności życia wybierają za nich. Praca nie lubiana, praca, która nudzi, ceniona tylko dlatego, że nawet w tej postaci nie dla wszystkich jest dostępna, to jedna z najcięższych ludzkich niedoli.
  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, p. 11


Je ne sais quelles gens (1997)

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Voilà les petites filles,
maigres, et sans certitude
que leurs taches de rousseur disparaîtront un jour,

n'attirant l'attention de personne,
elles marchent sur les paupières du monde […]

  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, Moment à Troie, p. 32


Ils n'étaient pas pareils, jadis,
l'eau et le feu, différends vifs,
dépouillements et folles dépenses,
ivres désirs, charges de chimères.
Enlacés, ils s'appropriaient et s'expropriaient,
si longtemps
qu'un jour entre leurs bras l'air seul a subsisté,
transparent, comme après le départ des éclairs.
[…]

  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, Noces d'or, p. 37


J'ai perdu quelques déesses entre le sud et le nord
ainsi que bon nombre de dieux entre l'est et l'ouest.
Quelques étoiles s'éteignirent pour moi, le ciel m'est
témoin.
[…]
Tout perdu, dispersé, semé aux quatre vents.
Je m'étonne moi-même du peu de moi qui reste :
seule et unique personne, provisoirement humaine,
qui cherche son parapluie perdu il y a une semaine.

  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, Discours au bureau des objets trouvés, p. 76


Amour heureux. Est-ce normal,
est-ce sérieux, est-ce bien utile —
que peut tirer le monde de deux personnes
qui ne voient pas le monde ?
[…]
Regardez-les, ces heureux :
s'ils témoignaient au moins d'un peu de retenue,
s'ils feignaient l'affliction pour consoler les autres !
Mais non — écoutez, comme ils rient ! Effrontément.
Quel langage ils emploient. Intelligible à peine.
Et toutes leurs mignardises, afféteries,
devoirs imaginaires de l'un envers l'autre,
cela frise le complot contre l'humanité !

Peut-on imaginer les fâcheuses conséquences
si leur exemple se laissait imiter ?
[…]
Des enfants merveilleux naissent sans son secours.
Tout seul, jamais il ne pourrait peupler la terre,
tant il est rare.

Que les gens ignorant ce qu'est l'amour heureux
prétendent qu'il n'y a pas d'amour heureux.

Il leur sera plus doux de vivre, et de mourir.

  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, Amour heureux, p. 83-84


Un bon conseil :
n'emmenez pas de railleurs dans le cosmos.

Quatorze planètes mortes,
quelques comètes, deux étoiles ;
avant qu'on n'atteigne la troisième,
ils auront perdu tout sens de l'humour.

Le cosmos est ce qu'il est,
autrement dit : parfait.
Les railleurs ne lui pardonneront jamais.

Rien ne saura les réjouir :
Temps — trop éternel,
Beauté — trop immaculée,
Gravité — comment la tourner en dérision.
Les autres resteront bouche bée,
eux, ce sera pour bâiller.
[…]

  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, Avertissement, p. 89


Nous sommes des enfants du siècle ;
le siècle est politique.
[…]
Que cela te plaise ou non,
tes gènes ont un passé politique,
ta peau a une couleur politique,
tes yeux un aspect politique.

Tout ce que tu dis reflète,
tout ce que tu tais exprime,
une position politique.
[…]

  • Je ne sais quelles gens, Wisława Szymborska (trad. Piotr Kaminski), éd. Fayard, coll. « Poésie », 1997, Enfants du siècle, p. 102


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