Albert Memmi

écrivain et essayiste franco-tunisien
Article en cours de rédaction
Cet article est inachevé. Son état est provisoire et sera modifié. Une version améliorée est en préparation.
  • Veuillez prendre son état actuel avec prudence : Le plan et le contenu peuvent être incomplets, ou en révision.
  • Pour participer à cette amélioration, il vous est recommandé de consulter la page de discussion au préalable.
Cette page est une ébauche. N'hésitez pas à la modifier en ajoutant des citations admissibles !

Albert Memmi, né le à Tunis et mort le à Paris, est un écrivain et essayiste franco-tunisien.

Albert Memmi en 1982.

Citations

modifier

La statue de sel

modifier
Gagner du temps, perdre du temps. Qu'ai-je encore à perdre? Un seul enjeu qu'il faut miser enfin. Peut-être ai-je perdu déjà.


Je veux m'en souvenir : ma vie connut des jours d'innocence où il me suffisait de fermer les yeux pour ne pas voir.


Je n'ai jamais pu me débarrasser de cet envoûtement magique du langage. Lorsqu'un camarade me dit : « Que tu crèves! » j'ai froid à la nuque et je pressens l'horreur de la mort. Lorsqu'on me dit : « Que la maladie te prenne! » je me sens défaillir déjà. Comme si, loin d'être un outil transparent, le langage participait directement des choses, en avait la densité.


Descendrais-je d'une tribu berbère que les Berbères ne me reconnaîtraient pas, car je suis juif et non musulman, citadin et non montagnard; porterais-je le nom exact du peintre que les Italiens ne m'accueilleraient pas, car je suis africain et non européen. Toujours je me retrouverai Alexandre Mordekhaï, Alexandre Benillouche, indigène dans un pays de colonisation, juif dans un univers antisémite, Africain dans un monde où triomphe l'Europe.


Comme une mère, une ville natale ne se remplace pas. Un homme voyage, s'étonne, se diversifie, devient un inconnu pour ses parents et même pour ses amis; mais au cœur il garde un noyau dur : son appartenance certaine à quelque village anonyme. Vaincu, aveugle, par l'imagination il se réfère à cette borne; ses mains, ses pieds en connaissent les contours, ses nerfs miraculeusement s'y accordent. Moi, je suis un bâtard de ma ville natale.


A cheval sur deux civilisations, j'allais me trouver également à cheval sur deux classes et à vouloir s'asseoir sur deux chaises, on n'est assis nulle part. C'est alors que je découvris un terrible et merveilleux secret qui, peut-être, me ferait supporter ma solitude. Pour m'alléger du poids du monde, je le mis sur le papier : je commençai à écrire. Je découvris l'extraordinaire jouissance de maîtriser toute existence en la recréant. Certes ce pouvoir me fut aussi funeste que sauveur : à décrire les êtres, ils me devenaient extérieurs, à contempler le monde je n'en faisais plus partie. Et comme on ne vit pas au spectacle, je ne vivais plus, j'écrivais. Solitude pacifiée mais de plus en plus solitude, car de plus en plus consciente et acceptée.


À la fin de mes études secondaires, je savais ce que je ne voulais pas être et confusément ce que je voulais. Je ne serais pas Alexandre Mordekhaï Benillouche, je sortirais de moi-même et irais vers les autres. Je n'étais ni juif, ni oriental, ni pauvre, je n'appartenais pas à ma famille ni à sa religion, j'étais neuf et transparent : j'étais à faire, je serais professeur de philosophie. Et, puisqu'il le fallait, je reconstruirais l'univers entier, à l'aide d'éléments simples et clairs, comme mes maîtres les philosophes, comme Poinsot.


– Ils ne nous aiment pas, disait-il, amer.
– Et toi, les aimes-tu ?
– Pourquoi aimerais-je des gens qui me détestent ?
– Il faut bien que quelqu'un commence !


Que la philosophie et les édifices rationnels sont futiles et vains comparés au concret sanglant du monde des hommes ! Les philosophes européens construisent les systèmes moraux les plus rigoureux et vertueux et les hommes politiques, élèves de ces mêmes professeurs, fomentent des assassinats comme moyen de gouvernement. Au prix de quelles luttes j'avais choisi l'Occident et refusé l'Orient en moi ! Je commençais à douter de ce qui me paraissait l'essence de l'Occident : sa philosophie. Je prêtais l'oreille aux arguments des nationalistes juifs lorsque la guerre revint occuper notre vie, remettant ces problèmes à plus tard.


Victime ou bourreau, l'époque l'exige. Je ne me sens pas assez victime, voilà pourquoi ma conscience reste torturée.


Je suis étonné de ne pas avoir peur; mais l'habitude dispense du courage et, en vérité, j'ai longtemps épié ma découverte : je meurs pour m'être retourné sur moi-même. Il est interdit de se voir et j'ai fini de me connaître. Comme la femme de Loth que Dieu changea en statue, puis-je encore vivre au-delà de mon regard ?


L’Homme dominé

modifier
L’Histoire nous l’a maintenant largement et durement enseigné : il existe un rythme de la révolte ; et c’est celui-ci : King, ou Baldwin, mais sûrement après, Malcolm X. […] La violence, c’est Malcolm X ; avec lui, c’est fini : Malcolm ne comprend plus et ne veut plus comprendre personne.
  • « Les chemins de la révolte », Albert Memmi, dans Nous, les Nègres. Entretiens avec Kenneth B. Clark : James Baldwin, Malcolm X, Martin Luther King (1963), Kenneth B. Clark [présentation et préface de Albert Memmi] (trad. André Chassigneux), éd. La découverte, 2008  (ISBN 9782707154392), chap. Présentation de l’édition de 1965, p. 8-9
  • L'homme dominé, Albert Memmi, éd. Gallimard, 2010  (ISBN 978-2-07-043984-3), partie Le noir, chap. Les chemins de la révolte, p. 15-16


King, Baldwin, Malcolm X, ne sont pas trois solutions historiques possibles au problème noir, entre lesquelles les Américains pourraient choisir. Il n’existe pas plusieurs visages d’opprimés, l’un, conciliant et de bonne compagnie ; l’autre, esthète, prêt au dialogue malgré tout, et qui espère encore avidement convaincre ; le troisième, désespéré, qui ne croit plus qu’au combat. Il n’y en a qu’un seul, qui bouge, qui se transforme lentement, de l’étonnement douloureux et encore plein d’espoir, à la haine et à la violence, et envies de meurtre et de destruction. King, Baldwin et Malcolm X jalonnent le même et implacable itinéraire de la révolte, dont il est rare que le ressort, une fois lâché, ne se détendra pas jusqu’au bout.
  • « Les chemins de la révolte », Albert Memmi, dans Nous, les Nègres. Entretiens avec Kenneth B. Clark : James Baldwin, Malcolm X, Martin Luther King (1963), Kenneth B. Clark [présentation et préface de Albert Memmi] (trad. André Chassigneux), éd. La découverte, 2008  (ISBN 9782707154392), chap. Présentation de l’édition de 1965, p. 10-11
  • L'homme dominé, Albert Memmi, éd. Gallimard, 2010  (ISBN 978-2-07-043984-3), partie Le noir, chap. Les chemins de la révolte, p. 17


Nous savions déjà que tous les opprimés se ressemblaient; le Colonisé, le Juif, le Pauvre, la Femme, par-delà leurs traits individuels et leurs histoires spécifiques, ont un air de parenté : tous, ils subissent un joug, qui laisse des traces analogues dans leurs âmes et imprime un gauchissement similaire dans leurs conduites. La même souffrance appelle souvent les mêmes gestes, les mêmes crispations intérieures ou les mêmes grimaces, les mêmes angoisses ou les mêmes révoltes.
  • L'homme dominé, Albert Memmi, éd. Gallimard, 2010  (ISBN 978-2-07-043984-3), partie Le noir, chap. Une révolte absolue, p. 29


Autres citations

modifier
Si la décolonisation est l'ensemble des processus qui doivent conduire un peuple colonisé de la dépendance à l'indépendance, sa définition présuppose une constante référence à la colonisation et à la relation coloniale. […] Au sens large, la décolonisation serait l'ensemble des réponses négatives d'un peuple colonisé à la condition qui lui est faite; en somme, un mouvement parallèle et synchrone à celui de la colonisation, qui toujours l'accompagne et le nie. Au sens étroit, on peut réserver le mot de décolonisation à la phase ultime du mouvement, lorsque l'ex-colonisé achève la liquidation de la relation coloniale et inaugure sa vie d'homme libre. On s'en tiendra ici à ce deuxième sens, sans oublier toutefois que le décolonisé est un homme en voie de décolonisation, qu'il continue à se définir, et à se conduire, par rapport à une condition dont les effets n'ont pas totalement disparu.
  • Portraits, Albert Memmi, éd. CNRS, 2015  (ISBN 978-2-271-07987-9), partie Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres, chap. Annexes, p. 419 (lire en ligne)


Citations sur

modifier

Albert Camus

modifier
Voir le recueil de citations : Albert Camus
 
Le seul fait d'avoir décrit avec tant de précision et d'émotion la condition déchirée d'un jeune juif s'élevant par l'intelligence et la volonté à la conscience de ce qu'il est, ou n'est pas, fait la preuve d'un choix plus profond. En écrivant sur la difficulté d'être juif, l'auteur finalement a choisi de l'être (et c'est tant mieux), remplaçant la conscience traditionnelle religieuse de ses pères par une conscience plus moderne, dramatique, intelligente, solidaire sans illusions. Cette conscience lui permet désormais de rester ce qu'il est et de prêter attention du même coup aux contradictions des autres, Français ou Arabes. D'une certaine manière, il ne refusera plus rien de lui-même ou d'autrui.
  • « Préface », Albert Camus, dans La statue de sel, Albert Memmi, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1972  (ISBN 2-07-036206-X), p. 10 (lire en ligne)


Voir aussi

modifier

Vous pouvez également consulter les articles suivants sur les autres projets Wikimédia :