Allégorie de la Caverne
allégorie exposée par Platon dans le Livre VII de La République
L’allégorie de la Caverne est exposée par Platon dans le Livre VII de la République.
Paul Valéry
modifierQu’est-ce que la fameuse caverne de Platon, si ce n’est déjà une chambre noire, la plus grande, je pense, que l’on ait jamais réalisée. S’il eût réduit à un très petit trou l’ouverture de son antre, et revêtu d’une couche sensible la paroi qui lui servait d’écran, Platon, en développant son fond de caverne, eût obtenu un gigantesque film ; et Dieu sait quelles conclusions étonnantes nous eût-il laissées sur la nature de notre connaissance et sur l’essence de nos idées…
- Paul Valéry, 7 janvier 1939, La Sorbonne, dans Discours du centenaire de la photographie paru dans Études photographiques, n° 10, paru en novembre 2001.
Allan Bloom
modifierCe que les étudiants retiennent le plus de leur rencontre avec la République, c’est l’histoire de l’homme enchaîné dans la caverne, qui brise ses chaînes puis remonte vers la lumière du soleil. C’est l’image du plus profond désir de tout étudiant sérieux, de ce désir de se libérer de la convention pour vivre conformément à la nature, et c’est là un aspect immuable de ce livre. Cette histoire n’a rien perdu de sa magie, mais elle rencontre un nouvel obstacle : car la signification de cette histoire, c’est que la vérité se substitue au mythe. On apprend aujourd’hui aux étudiants qu’une substitution de ce genre n’est pas possible, et qu’il n’y a rien derrière le mythe ou le « récit ». Les mythes des cultures les plus primitives, leur dit-on, ne sont pas différents en qualité des récits que nous offre la science la plus rigoureuse. Hommes et femmes doivent se plier au pouvoir du mythe plutôt que de vouloir s’en débarrasser, comme la philosophie avait, à tort, l’habitude de le croire.
- « Préface de l’auteur à la seconde édition » (1991), dans La Cité et son ombre (1968), Allan Bloom (trad. Étienne Helmer), éd. Le Félin, coll. « Les marches du temps », 2006 (ISBN 2-86645-637-8), p. 18-19
Les Lumières pensaient que l’on pouvaient éclairer la caverne et faire s’évanouir les ombres ; dans cette perspective, nous serions en mesure de vivre en pleine lumière. Or c’est ce que Socrate récuse. Le philosophe ne vient pas éclairer la caverne : il s’en échappe pour arriver à la lumière, et peut y guider quelques individus. Il ne peut servir que de guide, pas de porte-flambeau. Vouloir éclairer la caverne est un projet d’emblée voué à l’échec : car une part de l’homme a soif d’ombres. La lumière y serait donc affaiblie et détournée, et n’introduirait pas de véritable clarté dans la caverne. Quant à ceux qui seraient tentés de remonter à la lumière, ils en seraient dissuadés par le mythe, apparemment fondé en raison, selon lequel il n’y a pas d’autre lumière que celle qui scintille dans la caverne. Ainsi s’éteindrait dans la caverne la seule et unique source de libération et d’inspiration. Pour les Lumières, la caverne peut être transformée ; pour Socrate, elle doit être dépassée, ce qui n’est possible qu’à un petit nombre d’individus.
- La Cité et son ombre (1968), Allan Bloom (trad. Étienne Helmer), éd. Le Félin, coll. « Les marches du temps », 2006 (ISBN 2-86645-637-8), p. 152
Édifier une société communautaire et cosmopolite composée d’hommes égaux, c’est imposer à l’homme et à la cité une déformation bien plus affreuse que la barbarie. En faisant comme si l’histoire avait permis de surmonter la tension éternelle opposant le corps à l’âme, on aboutit à une société qui n’est satisfaisante ni pour le corps ni pour l’esprit. Une société de ce genre crée une caverne universelle qu’éclaire une lumière artificielle, car les hommes n’ont pas consenti les sacrifices nécessaires pour parvenir à un véritable cosmopolitisme ; en revanche, ils ont été dépossédés de tous les liens qui leur donnaient une certaine profondeur.
- La Cité et son ombre (1968), Allan Bloom (trad. Étienne Helmer), éd. Le Félin, coll. « Les marches du temps », 2006 (ISBN 2-86645-637-8), p. 163
Julia Annas
modifier La Caverne est le tableau le plus beau et le plus optimiste jamais tracé par Platon du pouvoir libérateur et éclairant de la philosophie. […] Rares sont les penseurs qui aient tracé, que ce soit dans la philosophie ou dans la littérature, un tableau plus saisissant ou plus émouvant de la pensée philosophique, comme délivrance de soi par rapport au conformisme indifférencié et comme lutte enrichissante pour l’accès à la vérité.
Ce tableau s’accompagne d’un autre terme nécessité par l’opposition, à savoir la description la plus sombre et la plus pessimiste qu’ait tracée Platon de l’état de ceux qui ne sont pas éclairés par la philosophie. Impuissants et passifs, ils sont manipulés par les autres. Bien pire, ils sont habitués à cet état et l’aiment, résistant à tout effort qui viserait à les en libérer. Leur satisfaction est une sorte de conscience aveugle de leur état ; ils ne peuvent pas même reconnaître la vérité de leur terrible condition, ou y réagir.
Ce tableau s’accompagne d’un autre terme nécessité par l’opposition, à savoir la description la plus sombre et la plus pessimiste qu’ait tracée Platon de l’état de ceux qui ne sont pas éclairés par la philosophie. Impuissants et passifs, ils sont manipulés par les autres. Bien pire, ils sont habitués à cet état et l’aiment, résistant à tout effort qui viserait à les en libérer. Leur satisfaction est une sorte de conscience aveugle de leur état ; ils ne peuvent pas même reconnaître la vérité de leur terrible condition, ou y réagir.
- Introduction à la République de Platon (1981), Julia Annas (trad. Béatrice Han), éd. Presses universitaires de France, coll. « Les grands livres de la philosophie », 1994 (ISBN 2-13-046681-8), chap. 9. La compréhension et le Bien : le Soleil, la Ligne et la Caverne, p. 319
Monique Dixsaut
modifierÀ partir de la description initiale d’une nature entravée par son ignorance, l’image de la Caverne ne présente que des passages et les affects qui les accompagnent : la douleur, le trouble, la révolte, l’éblouissement. Lorsqu’un des prisonniers est brusquement détaché et forcé de se lever, son état ne nous est pas décrit comme le stade calme de la croyance (pistis) : toute « science », même empirique, même si elle a son domaine à l’intérieur de la Caverne, implique le trouble, l’effort et la peine. Sans ce premier effort, la sortie ne serait pas possible, mais cet effort ne la rend nullement nécessaire. […] Pour éduquer, il faut forcer à sortir et ne pas lâcher avant. […] On ne peut forcer à sortir que celui qui est capable de sortir.
- Le Naturel philosophe. Essai sur les dialogues de Platon (1985), Monique Dixsaut, éd. Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie », 2016 (ISBN 978-2-7116-2614-4), chap. V. Le philosophe et son nom, p. 458-459
Steven Pinker
modifierPlaton disait que nous sommes des captifs dans une caverne, et que nous ne connaissons le monde extérieur que par les ombres qu’il projette sur ses parois. Le crâne est notre caverne, et les représentations mentales sont les ombres. L’information dans une représentation interne, c’est tout ce que nous pouvons savoir du monde extérieur.
- Comment fonctionne l’esprit (1997), Steven Pinker (trad. Marie-France Desjeux), éd. Odile Jacob, 2000 (ISBN 2-7381-0786-9), p. 94
Frédéric Beigbeder
modifierL’homme était entré dans la caverne de Platon. Le philosophe grec avait imaginé les hommes enchaînés dans une caverne, contemplant les ombres de la réalité sur les murs de leur cachot. La caverne de Platon existait désormais : simplement elle se nommait télévision. Sur notre écran cathodique, nous pouvions contempler une réalité « Canada Dry » : ça ressemblait à la réalité, mais ce n’était pas la réalité. On avait remplacé le Logos par des logos projetés sur les parois humides de notre grotte.
Il avait fallu deux mille ans pour en arriver là.
Il avait fallu deux mille ans pour en arriver là.
- 99 francs (2000), Frédéric Beigbeder, éd. Gallimard, coll. « Folio », 2005 (ISBN 2-07-031573-8), p. 64