Frédéric Beigbeder
Frédéric Beigbeder (né le 21 septembre 1965 à Neuilly-sur-Seine) est un écrivain et critique littéraire français.
- Citation choisie pour le 16 décembre 2010.
Aujourd'hui, je sais que rien ne changera, c'est impossible, il est trop tard. On ne peut pas lutter contre un adversaire omniprésent, virtuel et indolore. Contrairement à Pierre de Coubertain, je dirais qu'aujourd'hui l'essentiel, c'est de ne pas participer. Il faut foutre le camp comme Gauguin, Rimbaud ou Castaneda, voilà tout. Partir sur l'île déserte avec Angelica qui met de l'huile sur les seins de Juliana qui te pompe le dard. Cultiver son jardin de marijuana en espérant seulement qu'on sera mort avant la fin du monde. Les marques ont gagné la World War III contre les humains. La particularité de la Troisième Guerre mondiale, c'est que tout les pays l'ont perdue en même temps. Je vous annonce un scoop : David ne bat jamais Goliath. J'étais naïf. La candeur n'est pas une qualité requise dans cette corporation. Je me suis bien fait avoir. C'est, d'ailleurs, mon seul point commun avec vous.
- 99 francs (2000), Frédéric Beigbeder, éd. Gallimard, coll. « folio », 2005 (ISBN 2-07-031573-8), p. 36
L'homme était entré dans la caverne de Platon. Le philosophe grec avait imaginé les hommes enchaînés dans une caverne, contemplant les ombres de la réalité sur les murs de leur cachot. La caverne de Platon existait désormais : simplement elle se nommait télévision. Sur notre écran cathodique, nous pouvions contempler une réalité « Canada Dry » : ça ressemblait à la réalité, mais ce n'était pas la réalité. On avait remplacé le Logos par des logos projetés sur les parois humides de notre grotte.
Il avait fallu deux mille ans pour en arriver là.
- 99 francs (2000), Frédéric Beigbeder, éd. Gallimard, coll. « folio », 2005 (ISBN 2-07-031573-8), p. 64
La publicité est chargée de faire croire aux citoyens que la situation est normale quand elle ne l'est pas. Comme ces aboyeurs nocturnes du Moyen Âge, elle semble crier continuellement : « Dormez, braves gens, il est minuit, tout va bien, du pain du vin du Boursin, du beau, du bon, Dubonnet, vas-y, Wasa, Mini-Mir, mini-prix, mais il fait le maximum. » Dormez braves gens. « Tout le monde est malheureux dans le monde moderne », a prévenu Charles Péguy. C'est exact : les chômeurs sont malheureux de ne pas avoir de travail, et les travailleurs d'en avoir un. Dormez tranquilles, prenez votre Prozac. Et surtout ne posez pas de questions. Hier ist kein warum.
- 99 francs (2000), Frédéric Beigbeder, éd. Gallimard, coll. « folio », 2005 (ISBN 2-07-031573-8), p. 87
Tu consultes chaque matin quatre messageries : le répondeur téléphonique de ton domicile, celui de ton bureau, la boîte vocale de ton téléphone portable, et les e-mails de ton iMac. Seule ta boite aux lettres reste désespérément vide. Tu ne reçois plus de lettres d'amour. tu ne recevras plus jamais de feuilles de papier couvertes d'une calligraphie timide et imprégnées de larmes et parfumées par amour et pliées avec émotion avec l'adresse soigneusement recopiée sur l'enveloppe, comportant une apostrophe au facteur : « Ne te perds pas en route, ô facteur, porte cette missive importante à son destinataire tant désiré… » Les gens se tuent parce qu'ils ne reçoivent plus que des publicités par la poste.
- 99 francs (2000), Frédéric Beigbeder, éd. Gallimard, coll. « folio », 2005 (ISBN 2-07-031573-8), p. 88
Tous les gens qui critiquent la Société du Spectacle ont la télé chez eux. Tous les contempteurs de la Société de Consommation ont une Carte Visa. La situation est inextricable. Rien n'a changé depuis Pascal : l'homme continue de fuir son angoisse dans le divertissement. Simplement le divertissement est devenu si omniprésent qu'il a remplacé Dieu. Comment fuir le divertissement ? En affrontant l'angoisse.
- 99 francs (2000), Frédéric Beigbeder, éd. Gallimard, coll. « folio », 2005 (ISBN 2-07-031573-8), p. 152
Windows on the World, 2003
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Un roman français, 2009
modifierJe n'ai jamais écrit que les histoires d'un homme sans passé : les héros de mes livres sont les produits d'une époque d'immédiateté, paumés dans un présent déraciné — transparents habitants d'un monde où les émotions sont éphémères comme des papillons, où l'oubli protège de la douleur. Il est possible, j'en suis la preuve, de ne garder en mémoire que quelques bribes de son enfance, et encore la plupart sont fausses, ou façonnées à posteriori. Pareille amnésie est encouragée par notre société : même le futur antérieur est en voie de disparition grammaticale. Mon handicap sera bientôt banal ; mon cas va devenir une généralité.
– J'espère que vous vous trompez…
C'est l'histoire d'un garçon mélancolique parce qu'il a grandi dans un pays suicidé, élevé par des parents déprimés par l'échec de leur mariage.
C'est l'histoire de la mort de la grande bourgeoisie cultivée de province et de la disparition des valeurs de la vieille noblesse chevaleresque.
C'est l'histoire d'un pays qui a réussi à perdre deux guerres en faisant croire qu'il les avait gagnées, et ensuite à perdre son empire colonial en faisant comme si cela ne faisait rien à son importance.
C'est l'histoire d'une humanité nouvelle, ou comment des catholiques monarchistes sont devenus des capitalistes mondialisés.
Telle est la vie que j'ai vécue : un roman français.
- Premier bilan après l'apocalypse, Frédéric Beigbeder, éd. Grasset, 2011, p. 422