L’ouïe est, je crois, le sens le plus précieux du marin, tellement précieux que bien souvent, alors que je tenais la roue, le buste à moitié sorti de la cabine pour mieux voir à travers les embruns, j’ai retiré le capuchon de mon ciré afin de ne pas être gêné par les faux bruits du vent sifflant sur la tranche du capuchon... Tant pis pour l’eau froide qui s’infiltre le long du cou et descend sur les épaule et la poitrine. Il faut entendre avant tout, surtout la nuit, par nuit noire, lorsque la vue doit se mettre au repos, ou plutôt en veilleuse.
... le gouvernail automatique de
Marin-Marie faisant merveille. Car pour une merveille, c’en est une! Quelques secondes suffisent à le régler pour le cap désiré: il n’y a qu’un écrou papillon à desserrer pour orienter la girouette. Puis on le resserre: la manœuvre est terminée.
Et devant cette nouvelle révélation, je ne peux m’empêcher de penser à la stupidité de l’existence que je mène: car je comprends, plus que jamais, à quel point je suis l’esclave de mon bateau alors que je devrais être le maître de ma vie. Déjà, je me surprends à modifier mentalement les dimensions de mon futur bateau en acier inoxydable (ou en bois recouvert de fibres de verre, car il ne faut pas être trop exigeant!...) : il devra être aussi petit que possible, tout en étant le plus grand possible...!
Á mes yeux, le bateau dont je rêve sera à la fois un but en soi, et le moyen de trouver sans le chercher, l’endroit qui corresponde à mes goûts. Un endroit du monde où le mot «vivre» ne soit pas synonyme de «tous les coups sont permis», et où le dieu Argent, avec sa tribu de sous-fifres envahissants, se voie contraint de partager son fief avec d’autres dieux qui s’appellent Soleil, Nature, Paix, Vie simple.
Cher Adolfo, tu n'as pas idée de ce que signifie la perte d'un bateau, tu n'es pas passé par là... Imagine un bernard-l’hermite dont on aurait cassé la coquille sans lui faire de mal "à part ça", et qu'on regarderait se débattre contre le sort.
Cap Horn à la voile, Bernard Moitessier, éd. J'ai lu, 1995, p. 10
Il y a un monde entre "désirer" et "vouloir".
Cap Horn à la voile, Bernard Moitessier, éd. J'ai lu, 1995, p. 16
C'est doux et terrible à la fois, cette prise de possession entre un voilier et son skipper. Cela exige une grande paix autour de soi, et c'est pourquoi j'ai voulu rester seul avec Henry, qui sait écouter parler un bateau et participe avec moi à cette communion, sans prononcer un mot qui ne soit nécessaire aux manœuvres. Car il faut pouvoir écouter le silence, ce silence apparent du vent qui glisse dans les voiles, le murmurre de l'eau courant le long du bord avec son clapotis derrière le gouvernail, le silence peuplé par tous ces petits sons presque inaudibles émis par un bateau qui commence à vivre. Tout cela n'est perceptible que par une sorte d'état de grâce trouvé dans la solitude, ou en compagnie d'un équipier qui sait écouter le silence et en comprendre le sens caché.
Cap Horn à la voile, Bernard Moitessier, éd. J'ai lu, 1995, p. 55
Certes, après deux saisons d'école, notre bateau est paré de la quille à la pomme des mâts, comme on dit. Mais c'est une façon de parler car un voilier n'est jamais tout à fait prêt, ceux qui naviguent le savent. Ils savent aussi qu'à vouloir trop bien faire on ne fait plus rien en fin de compte, sinon continuer à polir ce qui est déjà poli... tout en perdant de vue l'essentiel: partir dans des conditions honnêtes, pas en maniaque de la perfection. Car on trouve toujours, en mer et pendant les premières escales, le temps de mettre calmement au point les derniers détails en suspens.
Cap Horn à la voile, Bernard Moitessier, éd. J'ai lu, 1995, p. 64
Mais je juge bon de lui rappeler le conseil d'un vieux Chinois qui m'avait pris en amitié lorsque j'étais jeune homme: "Mon petit, souviens-toi que l'argent se gagne en deux temps : premier temps, tu le fais rentrer; deuxième temps, tu l'empêches de sortir...".
Cap Horn à la voile, Bernard Moitessier, éd. J'ai lu, 1995, p. 78
Le destin bat les cartes mais c'est nous qui les jouerons.
La longue route, Bernard Moitessier, éd. Arthaud, 1971, p. 63
Je n'ai pas lu la Bible. C'était écrit trop petit.
La longue route, Bernard Moitessier, éd. Arthaud, 1971, p. 144
Tout ce que les hommes ont fait de beau et de bien, ils l'ont construit avec leur rêve...
La longue route, Bernard Moitessier, éd. Arthaud, 1971, p. 226
Dieu a créé la mer et il l'a peinte en bleu pour qu'on soit bien, dessus.
La longue route, Bernard Moitessier, éd. Arthaud, 1971, p. 228
Un jour,à force de fouiller l'atome, un savant expliquera peut être la joie et la paix de l'esprit par des formules mathématiques. Ce serait intéressant, mais sûrement trop compliqué pour moi. Et peut être risquerait-il aussi, avec son cerveau, d'abîmer quelque chose d'essentiel. Je préfère ce que dit
Romain Gary: "ce dont l'homme a le plus besoin c'est d'amitié".
La longue route, Bernard Moitessier, éd. Arthaud, 1971, p. 240
Mais le meilleur arrosage pour la terre, c'est d'abord la sueur de l'homme, elle vient loin devant toutes les pluies et tous les fleuves du monde.
Tamata et l'Alliance, Bernard Moitessier, éd. J'ai lu, 1996, p. 72
On l'offre toujours volontiers à Tamata. C'est le surnom qu'ils m'ont donné. En paumotu, Tamata veut dire "essayer" ou "pourquoi pas".
Tamata et l'Alliance, Bernard Moitessier, éd. J'ai lu, 1996, p. 340
C'était un vieux compte que je voulais régler avec "la
Marseillaise". Dans une lettre adressée au chef de l'État, j'ai donné mon opinion sur ce chant guerrier qui porte aux nues l'orgueil et la haine : "Le jour de gloire est arrivé ! L'étendard sanglant est levé ! Qu'un sang impur abreuve nos sillons !"
Deux siècles après la grande Révolution, c'est une nouvelle ère qu'il faut inventer, celle de la main généreuse tendue vers son prochain. Pour faire face aux défis du futur, notre monde inquiet a besoin de valeurs "morales" , pas de canons ni de gros drapeaux. Et qu'on n'ait pas encore changé les paroles de cette "Marseillaise", dégoulinante de sang, me fait honte pour une France qui se prétend le phare des autres peuples.