Il est ridicule de considérer que changer est bon en soi — et tout aussi ridicule de considérer que ne pas changer est en soi un impératif. Le débat public comme nos discernements personnels sont vides s'ils se contentent d'opposer le mouvement à la conservation. Rien n'est stupide comme l'injonction de « bouger », si ce n'est peut-être l'injonction « de ne pas bouger ».
Pour ne pas laisser nos vies à l'antagonisme de ces deux folies réciproques, il nous reste simplement à retrouver la sagesse de cette question : « Où vas-tu ? »


Ce qui est en jeu, ce n'est pas d'arrêter le mouvement ; c'est au contraire de sauver la possibilité d'un mouvement authentique. Pour qu'un changement effectif nous approche du meilleur, encore faut-il un point d'appui : « Donnez-moi, demandait Archimède, un point fixe et un levier, et je soulèverai la terre. » Si l'on nous refuse tout point fixe, nos leviers même les plus puissants ne nous serviront à rien… En affirmant que tout est mobile, on tue en fait le mouvement. Le progressisme a détruit l'idée de progrès en décrivant le changement comme nécessaire par principe. Il faut sauver de cette illusion absurde les progrès véritables dont nous avons besoin : et voilà comment nous pourrons remettre la main sur notre propre destin.


Qu'on ne me parle plus de cette maxime absurde : « Il faut du nouveau, il faut suivre son siècle, tout change, tout est changé. » Sophismes que tout cela ! Est-ce que la nature change, est-ce que la lumière et l'air changent, est-ce que les passions du cœur humain ont changé depuis Homère ?
  • « De l'étude de l'Antique et des maîtres », dans Pensées d'Ingres (1870), Jean-Auguste-Dominique Ingres, éd. De la Sirène, 1922, p. 119


Marcel Proust

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Nous n'arrivons pas à changer les choses suivant notre désir, mais peu à peu notre désir change.
  • « Albertine disparue », dans À la recherche du temps perdu, vol. 15, Marcel Proust, éd. Gallimard, 1946-1947, chap. 1 (« Le chagrin et l'oubli »), p. 47 (voir la fiche de référence de l'œuvre)