Marquis de Sade

homme de lettres, romancier, philosophe et homme politique français (1740-1814)

Donatien Alphonse François de Sade (2 juin 1740 à Paris2 décembre 1814 à Charenton-Saint-Maurice) est un écrivain français, philosophe, libertin, hédoniste et athée, plus connu sous le nom de marquis de Sade.

Portrait du marquis de Sade par Charles van Loo, 1760

Citations propres à l'auteur

modifier

Les Infortunes de la vertu, 1787

modifier
Le triomphe de la philosophie serait de jeter du jour sur l'obscurité des voies dont la providence se sert pour parvenir aux fins qu'elle se propose sur l'homme, et de tracer d'après cela quelque plan de conduite qui pût faire connaitre à ce malheureux individu bipède, perpétuellement balloté par les caprices de cet être qui, dit-on, le dirige aussi despotiquement, qui, dis-je, pût lui faire entendre la manière dont il faut qu'il interprète les décrets de cette providence sur lui, la route qu'il faut qu'il tienne pour prévenir les caprices bizarres de cette fatalité à laquelle on donne vingt noms différents, sans être encore parvenu à la définir.
  • Premier paragraphe du récit.


[…] le coupable nourrit au fond de son cœur un ver qui, le rongeant sans cesse, l'empêche de jouir de cette lueur de félicité qui l'environne et ne lui laisse au lieu d'elle que le souvenir déchirant des crimes qui la lui ont acquise.


M. Dubourg : […] cette vertu dont vous faites tant d'étalage, ne sert à rien dans le monde, vous aurez beau en faire parade, vous ne trouverez pas un verre d'eau dessus.


Le procès d'une infortunée qui n'a ni crédit, ni protection est promptement fait en France. On y croit la vertu incompatible avec la misère, et l'infortune dans nos tribunaux est une preuve complète contre l'accusé ; une injuste prévention y fait croire que celui qui a dû commettre le crime l'a commis effectivement, les sentiments s'y mesurent sur l'état dans lequel on vous trouve et sitôt que des titres ou de la fortune ne prouvent pas que vous devez être honnête, l'impossibilité que vous le soyez devient démontrée tout de suite suivant ces préjugés qui dégradent bien la magistrature française et qu'il serait bien temps que l'autorité souveraine détruisît comme ils méritent de l'être.


La prière est la plus douce consolation du malheureux, il devient plus fort quand il a prié.


C'est l'instant du réveil qui est le plus fatal pour les infortunés ; le calme des idées, l'oubli instantané de leurs maux, tout les rappelle au malheur avec plus de force, tout leur en rend alors le poids plus onéreux.


M. de Bressac : Ah! crois-le, Sophie, ce dieu que tu admets n'est que le fruit de l'ignorance d'un côté et de la tyrannie de l'autre ; quand le plus fort voulut enchaîner le plus faible, il lui persuada qu'un dieu sanctifiait les fers dont il l'accablait, et celui-ci abruti par sa misère crut indifféremment ce que l'autre voulut. Toutes les religions, nées de cette première fable, doivent être dévouées au mépris comme elle, il n'en est pas une seule qui ne porte l'emblème de l'imposture et de la stupidité ; je vois dans toutes des mystères qui font frémir la raison, des dogmes outrageant la nature et des cérémonies grotesques qui n'inspirent que la dérision.


O vous qui lirez cette histoire, puissiez-vous en tirer le même profit que cette femme mondaine et corrigée, puissiez-vous vous convaincre avec elle que le véritable bonheur n'est que dans le sein de la vertu et que si Dieu permet qu'elle soit persécutée sur la terre, c'est pour lui préparer dans le ciel une plus flatteuse récompense.
  • Dernier paragraphe du livre.


Idée sur le mode de la sanction des lois, 1792

modifier
Peuple, vous pouvez tout sans eux, eux seuls ne peuvent rien sans vous.
  • « Idée sur le mode de la sanction des lois » (1792), dans Écrits politiques, Donatien Alphonse François de Sade, éd. Jean-Jacques Pauvert, 1957, p. 20


La philosophie dans le boudoir, 1795

modifier
Dolmancé : [...] c'est pour nous sauver tous, assure l'imbécile [Jésus], qu'il a pris chair, quoique dieu, dans le sein d'une enfant des hommes; et les miracles éclatants qu'on va lui voir opérer, en convaincront bientôt l'univers! Dans un souper d'ivrognes, en effet, le fourbe change, à ce qu'on dit, l'eau en vin; dans un désert, il nourrit quelques scélérats avec des provisions cachées que ses sectateurs préparèrent; un de ses camarades fait le mort, notre imposteur le ressuscite; il se transporte sur une montagne, et là, seulement devant deux ou trois de ses amis, il fait un tour de passe-passe dont rougirait le plus mauvais bateleur de nos jours. Maudissant d'ailleurs avec enthousiasme tous ceux qui ne croient pas en lui, le coquin promet les cieux à tous les sots qui l'écouteront. Il n'écrit rien, vu son ignorance; parle fort peu, vu sa bêtise; fait encore moins, vu sa faiblesse, et, lassant à la fin les magistrats, impatientés de ses discours séditieux, quoique fort rares, le charlatan se fait mettre en croix, après avoir assuré les gredins qui le suivent que, chaque fois qu'ils l'invoqueront, il descendra vers eux pour s'en faire manger. On le supplicie, il se laisse faire. Monsieur son papa, ce Dieu sublime, dont il ose dire qu'il descend, ne lui donne pas le moindre secours, et voilà le coquin traité comme le dernier des scélérats, dont il était si digne d'être le chef.


Dorci, ou La bizarrerie du sort

modifier
De toutes les vertus que la nature nous a permis d'exercer sur la terre, la bienfaisance est incontestablement la plus douce. Est-il un plaisir plus touchant, en effet, que celui de soulager ses semblables ? et n'est-ce pas à l'instant où notre âme s'y livre qu'elle approche le plus des qualités suprêmes de l'Être qui nous a créés ?


Les 120 journées de Sodome

modifier
[...] si le crime n'a pas ce genre de délicatesse qu'on trouve dans la vertu, n'est-il pas toujours plus sublime, n'a-t-il pas sans cesse un caractère de grandeur et de sublimité qui l'emporte et l'emportera toujours sur les attraits monotomes et efféminés de la vertu ?


« Il y a tout plein de gens, disait le duc, qui ne se portent au mal que quand leur passion les y porte ; revenue de l'égarement, leur âme tranquille reprend paisiblement la route de la vertu, et passant ainsi leur vie de combats en erreurs et d'erreurs en remords, ils finissent sans qu'il puisse devenir possible de dire précisément quel rôle ils ont journé sur la terre. De tels êtres, continuait-il, doivent être malheureux : toujours flottants, toujours indécis, leur vie entière se passe à détester le matin ce qu'ils ont fait le soir. »


Rien n'encourage comme un premier crime impuni.


Le désordre de la nature porte avec lui une sorte de piquant qui agit sur le genre nerveux peut-être bien autant et avec plus de force que ses beautés les plus singulières. Il est d'ailleurs prouvé que c'est l'horreur, la vilenie, la chose affreuse qui plaît quand on bande : or, où se rencontre-t-elle mieux qu'en un objet vicié ? Certainement si c'est la chose sale qui plaît dans l'acte de la lubricité, plus cette chose est sale, plus elle doit plaire, et elle est sûrement bien plus sale dans l'objet vicié que dans l'objet intact ou parfait.


Ce n'est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c'est dans le désir, c'est à briser les freins qu'on oppose à ce désir.


[...] je lui fis comprendre combien sont vils les liens qui nous enchaînent aux auteurs de nos jours ; je lui démontrai qu'une mère, pour nous avoir porté dans son sein, au lieu de mériter de nous quelque reconnaissance, ne méritait que de la haine, puisque, pour son seul plaisir, et au risque de nous exposer à tous les malheurs qui pouvaient nous atteindre dans le monde, elle nous avait cependant mis au jour dans la seule intention de satisfaire sa brutale lubricité.


C'est une véritable maladie de l'âme que la dévotion ; on a beau faire, on ne s'en corrige point. Plus facile à s'imprégner dans l'âme des malheureux, parce qu'elle les console, parce qu'elle leur offre des chimères pour les consoler de leurs maux, il est plus difficile encore de l'extirper dans ces âmes-là que dans d'autres.


[...] quand une société entière commet les mêmes fautes, elle se les pardonne assez communément.


Il n'y a, poursuivit-il, rien de foncièrement bien et rien de foncièrement mal ; tout n'est que relatifs à nos mœurs, à nos opinions et à nos préjugés. Ce point établi, il est extrêmement possible qu'une chose parfaitement indifférente en elle-même soit pourtant indigne à vos yeux et très délicieuse aux miens, et dès qu'elle me plaît, d'après la difficulté de lui assigner une place, dès qu'elle m'amuse, ne serais-je pas un fou de m'en priver seulement parce que vous la blâmez ?


[...] la seule façon de servir la nature est de suivre aveuglément ses désirs, de quelque espèce qu'ils puissent être, parce que, pour la maintien de ses lois, le vice lui étant aussi nécessaire que la vertu, elle sait nous conseiller tour à tour ce qui devient pour l'instant nécessaires à ses vues.


D'autres auteurs le concernant

modifier

Aldous Huxley

modifier
Vivant comme il l'a fait à une époque révolutionnaire, le Marquis de Sade s'est tout naturellement servi de cette théorie des révolutions afin de rationaliser son genre particulier de démence. Robespierre avait effectué le genre de révolution le plus superficiel, la politique. Pénétrant un peu plus profondément, Babeuf avait tenté la révolution économique. Sade se considérait comme l'apôtre de la révolution véritablement révolutionnaire, au-delà de la simple politique et de l'économique — de la révolution des hommes, des femmes et des enfants individuels, dont le corps allait devenir désormais la propriété sexuelle commune de tous, et dont l'esprit devait être purgé de toutes les connaissances naturelles, de toutes les inhibitions laborieusement acquises de la civilisation traditionnelle. Il n'y a, bien entendu, aucun lien nécessaire ou inévitable entre le Sadisme et la révolution véritablement révolutionnaire. Sade était un fou, et le but plus ou moins conscient de sa révolution était le chaos et la destruction universelle.
  • « Préface nouvelle de l'auteur », Aldous Huxley (trad. Jules Castier) (1946), dans Le Meilleur des mondes (1932), Aldous Huxley, éd. Plon, coll. « Presses Pocket », 1977  (ISBN 2-266-02310-1), p. 12


Georges Bataille

modifier
Sade — ce qu'il a voulu dire — généralement fait horreur à ceux-là mêmes qui affectent de l'admirer et n'ont pas reconnu par eux-même ce fait angoissant : que le mouvement de l'amour, porté à l'extrême, est un mouvement de mort.
  • L'Érotisme, Georges Bataille, éd. Éditions de Minuit, coll. « Arguments », 1957, p. 48


Michel Foucault

modifier
L'autodestruction de la nature, qui est un thème fondamental chez Sade, cette autodestruction dans une sorte de monstruosité déchaînée, n'est jamais effectuée que par la présence d'un certain nombre d'individus qui détiennent un surpouvoir. Le surpouvoir du prince, du seigneur, du ministre, de l'argent, ou le surpouvoir du révolté.


Il n'y a pas de monstre chez Sade qui soit politiquement neutre et moyen : ou il vient de la lie du peuple et il a redressé l'échine contre la société établie, ou il est un prince, un ministre, un seigneur qui détient sur tous les pouvoirs sociaux un surpouvoir sans loi. De toute façon, le pouvoir, l'excès de pouvoir, l'abus de pouvoir, le despotisme est toujours, chez Sade, l'opérateur du libertinage. C'est ce surpouvoir qui transforme le simple libertinage en monstruosité.


Marc Fumaroli

modifier
Chez Schopenhauer, l'art — ou plutôt l'esthétique — est un « à rebours » de la Volonté [cosmique], comme chez Sade le crime est un « à rebours » de la morale qui voile les crimes de Dieu. Toute jouissance, esthétique chez l'un, criminelle chez l'autre, est une victoire sur une volonté divine et aveugle de vouer l'homme à la douleur.
  • « Préface », Marc Fumaroli (1977), dans À rebours, Joris-Karl Huysmans, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1977  (ISBN 2-07-036898-X), p. 38


Annie Le Brun

modifier

Nul doute que le projet exhaustif de répertorier toutes les perversions sexuelles en cent vingt journées, au bout desquelles « il y a eu trente immolés et seize qui s'en retournent à Paris », exige de sérieuses précautions. Mais autant les plus sévères mesures d'isolement paraissent inévitables dans pareil cas, autant l'inquiétante application de Sade à clore hermétiquement le château de Silling, à le couper définitivement du monde sans aucune possibilité de retour, annonce une démarche apparemment aussi étrangère à la logique libertine qu'à toutes les attitudes des innombrables personnages qui vont et viennent alors autour du même château imaginaire […].
En fait, c'est la réalité — et non le monde — que les plus libertins des libertins mettent tant de soin à quitter. Ici, il n'y a de clôture que déréalisante. Et comme l'architecture sadienne obéit toute entière à ce mécanisme d'un enfermement sans terme, le processus de déréalisation ne connaît pas de limite. À tel point que ce n'est plus seulement le réel mais le mode de penser le réel — dont la pensée libertine constitue d'ailleurs la plus audacieuse figure — que Sade incite à abandonner sans retour […].
Là commence la violence poétique en même temps qu'une critique sans merci de la pensée libertine.

  • Les châteaux de la subversion, Annie Le Brun, éd. Garnier Frères, coll. « Folio Essais », 1982  (ISBN 2-07-032341-2), partie I, Un rêve de pierre, p. 63


Sade décrit l'espace de ce qui ne devait pas, ne pouvait pas en avoir, comme s'il faisait apparaître sous le langage la texture organique de l'imaginaire. Car, à l'inverse de la trajectoire libertine qui décrit un lieu fermé et l'explore pour en prendre possession, la pensée de Sade se développe en structure cellulaire qui, par leurs tourbillons, dévoie la clôture vers la prolifération, la possession vers le manque, le nombre vers le vide. Le cérémonial de Sade est tout entier dans ce jeu tragique où l'indifférent devient à son insu fanatique, serait-ce fanatique de l'indifférence.
  • Les châteaux de la subversion, Annie Le Brun, éd. Garnier Frères, coll. « Folio Essais », 1982  (ISBN 2-07-032341-2), partie I, Un rêve de pierre, p. 66


[…] ce château que la pensée libertine ne cherche qu'à remplir d'expériences, de certitudes, cette forteresse que la protestation sociale ne cherche qu'à remplir d'ignominies pour justifier sa véhémence, cette ruine que le courant sentimental ne cherche qu'à remplir d'émotions, Sade le vide. Mais avec pour précaution initiale une magnificence d'idées, d'objets, de corps, comme pour rendre plus bouleversante cette annulation lyrique.
  • Les châteaux de la subversion, Annie Le Brun, éd. Garnier Frères, coll. « Folio Essais », 1982  (ISBN 2-07-032341-2), partie I, Un rêve de pierre, p. 75


Sade joue son existence à mettre en place une prestigieuse machine qui n'imite ni ne crée, qui ne reproduit ni ne produit, mais qui n'en fonctionne pas moins à un régime intensif.
  • Les châteaux de la subversion, Annie Le Brun, éd. Garnier Frères, coll. « Folio Essais », 1982  (ISBN 2-07-032341-2), partie I, Un rêve de pierre, p. 79


[…] la répétitivité obsédante de l'univers de Sade n'est que cette interrogation en ricochet, qui, faisant tournoyer les certitudes, laisse voir l'insondable vérité de l'illusion. L'obstruction de Sade à l'assurance des Lumières va alors jusqu'au refus de s'assurer les puissances du nombre : il les laisse libres, sans aucune utilité, sans aucun point d'application, libres de dévoyer le réel et c'est à partir de cet imaginaire numérique qu'il trouve l'audace de bâtir sur le terrain de la production le château de l'illusion.
Château fermé pour empêcher l'absorption des apparences dans une réalité fonctionnelle, château de proie pour ramener toute réalité dans la jungle de apparences et l'arracher à la loi de la valeur. La déréalisation va de pair avec la dévalorisation. Ce que Sade préserve là, c'est moins l'unique contre le nombre que la liberté imprescriptible du regard. Machine inactuelle, machine à fabriquer l'inactualité, ce jeu optique retire les êtres et les choses de la circulation des biens pour les confronter au néant au bord duquel tourne la ronde de leurs apparences.

  • Les châteaux de la subversion, Annie Le Brun, éd. Garnier Frères, coll. « Folio Essais », 1982  (ISBN 2-07-032341-2), partie I, Un rêve de pierre, p. 79


Quelque chose commence et finit dans le château de Sade. Ce qui finit, c'est l'assujettissement de l'objet à l'idée, mais en même temps l'asservissement de l'imaginaire à l'ordre du monde. Ce qui commence, c'est une suspicion infinie des apparences et à travers le plus dangereux jeu de miroirs la rencontre de la couleur noire.
  • Les châteaux de la subversion, Annie Le Brun, éd. Garnier Frères, coll. « Folio Essais », 1982  (ISBN 2-07-032341-2), partie I, Un rêve de pierre, p. 80


Gérard Pirlot et Jean-Louis Perdinielli

modifier
Même si Lacan n'a pas consacré de séminaire ou de texte à la « structure perverse », son œuvre a représenté une des sources de cette formule. Par « structure perverse », il faut concevoir un type de discours totalement distinct de celui de la névrose (hystérie ou obsessionnelle) et celui de la psychose (délirante principalement). Cette structure est intelligible à partir de l'Œdipe, pivot de la conception lacanienne du Sujet. La structure perverse est caractérisée par l'affirmation et la démonstration (cf. notamment les textes de Sade) par le sujet, que seule la loi impérative de son désir propre importe et qu'elle prime sur la loi du désir de l'autre.
  • Les Perversions sexuelles et narcissiques, Gérard Pirlot/Jean-Louis Pedinielli, éd. Armand Colin, coll. « 128 Psychologie », 2005  (ISBN 2-200-34042-7), partie II. Caractéristiques des perversions, chap. 2. Critères psychopathologiques, 2.2 Les conceptions post-freudiennes b) Structure perverse ?, p. 49


Articles connexes

modifier

(Hyponymiques)

Vous pouvez également consulter les articles suivants sur les autres projets Wikimédia :