Jean-Paul Picaper

journaliste français

Jean-Paul Picaper, né en 1938 à Pau, est un politologue, essayiste et journaliste français.

Jean-Paul Picaper

Opération Walkyrie

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C’est sur cet humus fétide que Hitler planta son drapeau à croix gammée. Comme l’a dit un célèbre adversaire du « Führer de tous les allemands » qui échappa de peu aux sicaires de la police nazie, Otto de Habsbourg, « les démons s’installent sur les autels abandonnés ». On peut aussi citer le poète allemand Novalis : « Où il n’y a pas de Dieux, les démons règnent. »


Il fallut du temps aux militaires allemands qui approchèrent Hitler pour saisir qu’ils avaient affaire à un « autre » que celui auquel ils avaient prêté serment d’obéissance. Quand Stauffenberg et Tresckow dirent que le serment prêté à Hitler par les soldats était caduc parce que lui-même l’avait rompu mille fois, ils faisaient également allusion au renversement des valeurs auquel procédait le nazisme : ce qui était bien hier était mal aujourd’hui, ce qui était mal hier était bien aujourd’hui.


Le plus émouvant des mouvements de résistance fut sans doute celui de la Rose blanche (Die weisse Rose), à Munich, qui, de juin 1942 à février 1943, appela à la résistance contre la guerre et les nazis su six tracts successifs tirés à des milliers d’exemplaires sur une machine à ronéotyper. Cinq étudiants étaient membres du groupe, Hans et Sophie Scholl, Willi Graf, Christian Probst et Alexander Schmorell, ainsi que leur professeur de philosophie, Kurt Huber.


Ainsi, peu à peu, à partir de 1938, mais surtout à partir de 1942, des individus qui avaient d’abord été séduits par le national-socialisme s’en détournèrent. Et, comme le montre l’exemple de Sophie Scholl, la religion devint un motif de plus en plus décisif dans la résistance au national-socialisme.


Hitler avait toujours méprisé les généraux. Parmi eux, beaucoup venaient de la noblesse, qu’il savait plutôt imperméable à ses idées. En 1938, interrogé sur la liquidation des généraux soviétiques par Staline, il répondit :
« Je n’aurais aucun scrupule à balayer dix mille officiers s’ils s’opposaient à ma volonté. Que sont dix mille hommes dans une nation de 80 millions d’habitants ? Je n’ai pas besoin d’hommes intelligents. Je veux des hommes capables de brutalité. »


Le 28 juillet 1944, Karl Haushofer fut arrêté et déporté à Dachau. Albrecht Haushofer, qui avait trempé dans les plans d'attentat, se réfugia dans une cabane dans les Alpes, puis avec sa mère dans une ferme proche de Partenkirchen, où trois agents de la Gestapo vinrent l'arrêter le 7 décembre 1944. Il a dit dans ses poèmes toute sa tristesse et ses regrets que lui et son père n'aient pas compris immédiatement la nocivité du régime nazi et n'aient lutté d'emblée, plus énergiquement contre Hitler:

J'ai averti — pas assez fort ni clairement !
Et aujourd'hui, je sais que j'étais coupable.
De son père, il a écrit :
Il n'a pas vu le souffle du mal.
Il a laissé s'envoler le démon du monde.


Ces familles de l’immédiat après-guerre ont eu un problème : elles sont restées confinées dans l’isolement et la solitude qui avaient été les leurs sous le national-socialisme. Car, dans les années qui ont suivi 1945, les enfants des conjurés ont été traités « d’enfants de traitre ». Il est significatif que les veuves et les orphelins – à la différence des veuves et des orphelins de criminels nazis – n’aient perçu de retraites qu’à partir du milieu des années 1950.


À cette époque, j'aurais été bien incapable d'être aussi visionnaire. Il est toujours facile de dire après coup : « Mais c'était pourtant prévisible ! » Avant que les choses ne vous tombent dessus, on ne peut pas dire comment elles évolueront. En ce temps, la politique ne faisait guerre d'offre séduisante : d'un côté les communistes, de l'autre les nationaux-socialistes. les autres n'étaient pas aussi attirants. Le centre catholique et les nationaux allemands ? Je préfère ne pas en parler ! ce n'étaient pas des partis qui fascinaient les gens.

  • propos de Franz Ludwig comte Stauffenberg, fils d'un des acteurs de l'opération Walkyrie


Le dénominateur commun de la foi chrétienne était aussi très important chez les conjurés. Les femmes du Cercle de Kreisau, comme Freya von Moltke, Annedore Leber, Rosemarie Reichwein ou Marion comtesse Yorck, étaient aussi relativement bien informées. Ma grand-mère également, la femme de Henning von Tresckow. Elle était la conseillère politique de son mari et était en même temps la meilleure amie de Margarete von Oven, qui travaillait comme secrétaire du corps d’armée du centre et était impliquée dans cette affaire.

  • propos de Felicitas von Aretin (petite fille de von Tresckow)


« Peut-être le temps viendra-t-il, écrivait dans sa prison Peter York von Wartemburg à sa mère, dans la nuit précédent son exécution, où l'on se fera une meilleure idée de notre attitude, où nous ne serons pas considérés comme des gredins, mais comme des patriotes et des sauveteurs. » Il fallait que l'attentat ait lieu et que ce « geste décisif », selon le mot de Henning von Tresckow, sauve l'Allemagne du naufrage moral. Il l'a dit : « La valeur morale d'un homme commence là où celui-ci est prêt à sacrifier sa vie pour ses convictions. »


Que reste-t-il du legs des conjurés, de leur message avant leur mort en martyrs ? Quand on lit leurs dernières lettres avant l'exécution, surtout les dernières, on sent qu'ils cherchent à se donner du courage et qu'ils espèrent un jugement clément de Dieu, de leurs proches et de la postérité. Ce courage est ce que l'on appellerait dans notre vocabulaire politique d'aujourd'hui « le courage civique ». C'est ce qui restera après eux. Selon moi, le principal enseignement de la Résistance est que le moyen de lutter contre un État de non-droit est de ne pas ne laisser arriver au pouvoir.


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