Lucien Sève
philosophe et militant politique français
Lucien Sève, né le à Chambéry et mort le , est un philosophe français.
Commencer par les fins : la nouvelle question communiste, 2000
modifierVous pouvez sans nul doute tirer des conclusions passablement écrasantes sur ce qu'a été le “monde communiste”, pour accepter très provisoirement cette formulation déjà mystificatrice en elle-même, comme on verra ; mais que de là vous vous croyiez autorisés à juger et condamner implicitement en bloc des réalités aussi diverses que le rôle du PCF dans le Front populaire ou le contenu de pensée des Cahiers de la prison de Gramsci, le combat anti-apartheid des communistes sud-africains ou la figure du Che, le printemps de Prague ou l'actuel effort de refondation communiste engagé dans bien des pays, et cent autres choses du même ordre qui constituent tout aussi bien « le communisme », je dis tranquillement que cela, non, vous ne le pouvez pas. Un peu plus, même : s'efforcer à criminaliser de façon générique une implication militante dans l'histoire qui, en des pays capitalistes comme le nôtre, a consisté pour sa plus grande part tout au long du siècle — et consiste toujours aujourd'hui — à combattre avec abnégation des politiques humainement scandaleuses et plus d'une fois criminelles elles-mêmes, voilà qui n'est pas à mes yeux un sujet de fierté.
- Commencer par les fins : la nouvelle question communiste, Lucien Sève, éd. La Dispute, 2000 (ISBN 2-84303-035-8), chap. Préliminaire (Une formule piège : « le communisme »), p. 15-16
Commencer par les fins : voilà le bon départ d'un communisme de notre temps. Pourquoi, c'est-à-dire pour quoi travailler, aller à l'école, aller voter… ? Toute désaliénation de la politique commence par l'écoute vraie de ces lancinantes questions de sens, et par le sens des réponses qu'elle se montrera capable de tisser avec les questionneurs.
- Commencer par les fins : la nouvelle question communiste, Lucien Sève, éd. la Dispute, 2000 (ISBN 2-84303-035-8), chap. II (Quel communisme après « le communisme » ?), p. 99
Penser avec Marx aujourd'hui
modifierTome 2, « L'Homme ? », 2008
modifierSur Lev Vygotski
modifier« le concept fertile de zone prochaine de développement suffirait à faire de Vygotski un grand pédagogue.
Il définit tout un style en la matière. Ainsi fonde-t-il dès les années trente une critique décisive de l'usage courant des tests d'aptitude. Ce qui est vraiment à mettre en cause dans « la mesure de l'intelligence », c'est pour lui qu'au meilleur des cas elle évalue les capacités actuelles d'un enfant en ignorant ses potentiels de développement.
Faute aussi bien qu'erreur : erreur, parce qu'à situer deux enfants au même niveau de performance actuel on oublie combien il peuvent différer sous l'angle de leur développement potentiel; faute parce que ce n'est justement pas tant l'actuel que le potentiel qui doit déterminer les pratiques éducatives. (Pensée et Langage, p.356).- Penser avec Marx aujourd'hui, Lucien Sève, éd. la Dispute, 2008, t. II - « L'Homme ? », p. 343
Une bonne pédagogie ne peut certes ignorer « le problème des fonctions venues à maturité », mais se régler sur le présent au détriment du futur, elle ferait comme ce « jardinier stupide » qui apprécieraient l'état de son verger « aux seuls fruits déjà mûrs » (Pensée et Langage, p.357).
À se régler au contraire sur ce qui peut mûrir on ne sacrifie aucunement à l'utopie, dès lors que, comme l'avait déjà vu Vygotski en 1925, « l'homme est plein à chaque minute de possibilité ». (Conscience, inconscience, émotion, p.76)
Discerner sans cesse le possible dans le réel : telle est l'acuité de vue qu'est en droit d'exiger d'un éducateur.- Penser avec Marx aujourd'hui, Lucien Sève, éd. la Dispute, 2008, t. II - « L'Homme ? », p. 343
On devine à cela ce qu'est la point de vue de Vygotski sur ce qu'il est coutume d'appeler « dons ». [...] Il n'en rejette pas moins sans réserves le fatalisme inhérent à l'idéologie des dons.
[...] Le développement culturel [...] « nivelle jusqu'à un certain point » la différence des capacités élémentaires dans un domaine donné. Ce qui n'empêche - tout est tujours dialectique - qu'en poussant bien plus loin les capacité il élargisse énormément en même temps l'éventail de leur diversité : 'tout', par-delà d'éventuelles difficultés de départ, peuvent parvenir à calculer bien ou chanter juste, mais 'quelques-uns' deviendront de forts mathématiciens ou de grand musiciens.
- Penser avec Marx aujourd'hui, Lucien Sève, éd. la Dispute, 2008, t. II - « L'Homme ? », p. 344
L'épanouissement des TALENTS singulier à l'intérieur du plein développement de tous : telle est la perspective pédagogique vygotskienne. MAIS en matière de pédagogie non plus les processus du développement culturel ne constituent pas la « dernière instance » : sous la dynamique - ou l'inertie - des apprentissages demandeurs de « croissances en dedans » il y a des moteurs - affects et émotion [Wallon], pulsions et besoins [Freud], intérêts et mobiles [Decroly], selon les termes de Pensée et langage (p494).
Face à l'adulte qui enseigne, l'enfant ou l'adolescent n'est pas un système cognitif fonctionnant dans l'abstrait mais une personnalité concrète dont les activités font pour lui 'sens', ou non.
- Penser avec Marx aujourd'hui, Lucien Sève, éd. la Dispute, 2008, t. II - « L'Homme ? », p. 344
Croire à l'inégalité des « dons », c'est se contenter d'une école dite de « l'égalité des chances » résignée à l'échec « naturel » d'un grand nombre d'enfants de milieux populaires;
[Or,]
savoir que tous sont capables, c'est se battre pour une école bien plus ambitieusement démocratique de la « réussite pour tous », selon le juste mot d'ordre du GFEN (Groupe français d'Éducation Nouvelle).- Penser avec Marx aujourd'hui, Lucien Sève, éd. la Dispute, 2008, t. II - « L'Homme ? », p. 520
Tome 3, « La philosophie ? », 2014
modifierMésuser la dialectique peut être catastrophique, la mépriser coûte aussi très cher.
- Penser avec Marx aujourd'hui, Lucien Sève, éd. la Dispute, 2014, t. III - « La philosophie ? », p. 514