Sappho

poétesse lyrique grecque de l'Antiquité

Sappho est une poétesse grecque de l'Antiquité qui a vécu aux VIIe et VIe siècles av. J.-C. à Mytilène, sur l'île de Lesbos. De nombreux fragments de ses poèmes nous sont parvenus.

Sapho à Leucade de Gustave Moreau
Sapho à Leucade de Gustave Moreau

L'égal des dieux modifier

Il m'éblouit, il goûte le bonheur des dieux cet homme qui devant toi prend place et près de toi écoute, captivé, la douceur de ta voix.

Ah ! ce désir d'aimer qui passe dans ton rire. Et c'est bien pour cela qu'un spasme étreint mon cœur dans ma poitrine. Car si je te regarde, même un instant, je ne puis plus parler.

Mais d'abord ma langue est brisée, un feu subtil soudain a couru en frisson sous ma peau, mes yeux ne me laissent plus voir, un sifflement tournoie dans mes oreilles.

Une sueur glacée couvre mon corps, et je tremble, tout entière possédée, et je suis plus verte que l'herbe. Me voici presque morte, je crois.

Mais il faut tout risquer... puisque...

  • (grc)
  • Fragment 31, l'un des poèmes les plus connus de Sappho. La fin est perdue.
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, p. 38-39


Autres fragments modifier

Une troupe de cavaliers, disent-ils, ou de soldats à pied,
une escadre, rien n'est plus beau
sur la terre bleu et sombre. Mais, moi, je dis :
c'est celui-là ou celle que l'on aime d'amour.

  • (grc)
  • Fragment 16 (extrait).
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 16, p. 30-31, vers 1-4


Quand nous restons face à face et que je te regarde
dans cette lumière où tu apparais, pas même Hermione
n'est aussi belle, Hélène aux cheveux d'or c'est toi,
elle est ta ressemblance, il n'y a rien d'étrange à le dire ...

  • (grc)
  • Fragment 23 (extrait).
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 23, p. 36-37


Filles splendides, ma pensée envers vous
ne peut pas changer.

  • (grc)
  • Fragment 41.
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 41, p. 40-41


                     Éros a ébranlé mon
âme comme le vent dans la montagne quand il s'abat sur les chênes.

  • (grc)
  • Fragment 47.
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 47, p. 42-43


Beauté ne demeure que le temps d'un regard.
Mais vertu aussitôt sera beauté demain.

  • (grc)
  • Fragment 50.
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 50, p. 100-101


Je ne sais vers quoi courir : doubles sont mes projets.

  • (grc)
  • Fragment 51.
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 51, p. 100-101


Douce mère, ah ! je ne puis plus tisser ma trame.
Le désir d'un garçon m'a domptée, par le vouloir de la svelte Aphrodite.

  • (grc)
  • Fragment 102.
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 102, p. 112-113


Puisses-tu dormir sur le sein de la douce amie qui te ressemble ! ...

  • (grc)
  • Fragment 126.
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 126, p. 66-67


Oui, quelqu'un plus tard se souviendra de nous.

  • (grc)
  • Fragment 147.
  • (grc) Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 147, p. 70-71


Lorsque la colère se répand dans ta poitrine, garde ta langue d’aboyer vainement.

  • (grc)
  • Fragment 158.
  • (grc) Sapho : Traduction nouvelle avec le texte grec, Sappho (trad. Renée Vivien), éd. Alphonse Lemerre, 1903, p. 89 (texte intégral sur Wikisource)


Citations rapportées modifier

Rien n’est plus beau, dit l’un, qu’une imposante armée ;

L’autre : rien n’est plus beau qu’une escadre en plein vent.

Rien n’est plus beau pour moi que le cœur de l’aimée.
Chacune fait son choix et risque en le suivant
Des enfants, des parents, un nom, des biens quittés ;
Hélène pour Pâris fit brûler des cités.[…]
Qui est beau l’est tant qu’il est sous le regard
Qui est bon aussi l’est maintenant,
Et le sera plus tard.
  • Histoire de la beauté, Girolamo de Michele et Umberto Eco (sous la direction de), éd. Flammarion, 2004  (ISBN 9782080687111), chap. L’idéal esthétique en Grèce, p. 47


Citations sur Sappho modifier

Werner Jaeger modifier

Chez les Grecs, aucun poème d'amour masculin n'approche la profondeur spirituelle du lyrisme de Sapphô. Car pour les hommes de l'Hellade, l'esprit et les sens étaient bien distincts et formaient les deux pôles de l'être, de sorte qu'il fallut longtemps avant qu'ils n'en viennent à croire que la passion amoureuse puisse grandir au point d'envahir leur nature spirituelle et influencer leur existence tout entière.
  • Paideia : la formation de l'homme grec (1934), Werner Jaeger (trad. André et Simonne Devyver), éd. Gallimard, coll. « Tel », 1988  (ISBN 978-2-07-071231-1), t. I, partie I : La Grèce archaïque, chap. VII – La poésie ionienne et éolienne : l'individu se donne une personnalité, p. 171


Le secret du grand art de Sapphô est qu'elle rend compte de son expérience intime avec la candeur naïve d'une chanson populaire, et pourtant avec ce ton direct et sensuel de l'émotion personnelle. Existe-t-il dans l'art européen pareille réussite avant Goethe ? […] il ne faut pas attribuer au simple hasard le fait que seule une femme ait pu faire preuve d'une telle profondeur d'âme, et que cette profondeur soit uniquement due à la force que lui donne son amour. Comme héraut de la passion amoureuse, Sapphô entre dans le royaume de la poésie, jusqu'ici propriété exclusive des hommes.
  • Paideia : la formation de l'homme grec (1934), Werner Jaeger (trad. André et Simonne Devyver), éd. Gallimard, coll. « Tel », 1988  (ISBN 978-2-07-071231-1), t. I, partie I : La Grèce archaïque, chap. VII – La poésie ionienne et éolienne : l'individu se donne une personnalité, p. 172


Marie-Jo Bonnet, Les relations amoureuses entre les femmes du XVIe au XXe siècle, 1981 modifier

C'est au cours de la Renaissance, au moment même où l'homme découvre son individualité et se représente au centre du monde, qu'il nomme la lesbienne d'un mot qui lui dénie sa dimension d'individu. Sappho est une tribade, écrit-on alors. Une tribade est une femme qui « contrefait » l'homme, autrement dit un monstre. « Tribade » vient du grec tribein, qui signifie « frotter, s'entrefrotter ». La peur de perdre son pouvoir d'homme sur l'individu femme éclate ainsi au cœur même de la dénomination retenue. Elles se frottent, elles ne se pénètrent pas (avec un pénis). La menace que fait peser toute liberté de femme sur la pureté de la lignée spermatique se trouve ainsi conjurée.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1981), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, Introduction, p. 12


L'amour entre femmes renvoie à une conscience identitaire basée sur un retour, non pas à la mère, comme le prône la psychanalyse, mais aux valeurs fondées sur l'individualité, dont Sappho a constitué un point d'incarnation historiquement décisif.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1981), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, Introduction, p. 18


Au lieu de mettre en scène le suicide, Madeleine de Scudéry s'en détourne complètement et préfère envoyer Sappho loin de la ville, au « Pays des Sauromates », territoire des Amazones d'après Hérodote d'Halicarnasse dans ce « coin du monde où l'on [peut] dire que les femmes sont maîtresses d'elles-mêmes ». Ce qui est perdu du côté de l'amour, du plaisir du corps, se retrouve du côté de l'individualité féminine et des valeurs d'affirmation de soi personnifiées par les Amazones.

Paru durant la Fronde et dédié à la duchesse de Longueville, Artamène ou le Grand Cyrus est symptomatique de la perte de pouvoir politique infligé aux femmes par la monarchie.

Sa fin marque pourtant l'espoir de la conquête possible d'un territoire propre, forteresse de l'âme, terre de liberté où le génie féminin, sous la double protection des Amazones et de l'amour de soi reconquis, se retire.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1981), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 1. Te nommer corps lesbien (XVIe-XVIIe siècle), chap. III Le pays des Sauromates : Sappho chez les Amazones, Introduction, p. 76


Contrairement aux figures de la Vestale ou de Cornalie, qui exaltent le foyer et la maternité, celle de Sappho raconte l'histoire de la femme de génie, rejetée par des hommes incultes, jeunes et beaux, qui meurt parce qu'elle a abdiqué les pouvoirs de l'esprit.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1981), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. II Les mystères de Lesbos, Introduction, p. 214


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