Marie-Jo Bonnet

spécialiste française de l'histoire des femmes, de l'histoire de l'art et du lesbianisme

Marie-Jo Bonnet, née Marie-Josèphe Bonnet à Deauville (Calvados) en 1949, est une historienne française, universitaire spécialiste de l'histoire des femmes, de l'histoire de l'art et de l'homosexualité féminine.

Marie-Jo Bonnet (2015).

Citations sur l'auteur

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De la lutte féministe, Marie-Jo Bonnet affiche tous les galons : fondatrice des Gouines rouges, groupuscule lesbien, et militante historique du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), elle a été de tous les combats, depuis mai 68. Sauf un, le dernier : dans Adieu les rebelles, paru en 2013, elle affirmait son opposition au mariage pour tous, ainsi qu’à la PMA et la GPA. Si l'époque a changé, hérissant au pinacle les rebelles d’hier, Marie-Jo est restée la même, étalon de la transgression dans un monde où celle-ci est devenue la norme. Dans Simone de Beauvoir et les femmes, elle déboulonne une statue devant laquelle les féministes se prosternent sans recul critique depuis 65 ans, date de la parution du Deuxième sexe. Un livre, selon Marie-Jo Bonnet « prétendument féministe », et même « misogyne », qui dresse un portrait effroyable de la condition féminine.

  • « Beauvoir, Foucault : briser les idoles de notre temps », Eugénie Bastié, Revue Limite, 4 novembre, p. <url> (lire en ligne)


Une page surprend au milieu du récit. Bonnet y oppose deux femmes. Deux Simone. Beauvoir et Weil. Elles avaient le même âge, venaient à peu près du même milieu, se sont croisées, à La Sorbonne (où Weil arriva première à la licence de philosophie, juste devant... Beauvoir). Mais note Marie-Jo Bonnet, « Simone Weil a parcouru le chemin inverse du sien en se convertissant au christianisme... elles n’ont pas le même rapport à la société. L’une veut s’y affirmer femme singulière dans la société des hommes, l’autre travaille à redonner de la valeur à ceux qui sont au bas de l’échelle sociale ». Le souci de l’éternité, voilà « la différence avec une Simone de Beauvoir qui se définit comme une intellectuelle, et la lucide Simone Weil qui entreprend un « effort de pensée » pour construire une échelle de valeurs appuyée sur l’éternité ».

  • « Beauvoir, Foucault : briser les idoles de notre temps », Eugénie Bastié, Revue Limite, 4 novembre, p. <url> (lire en ligne)


Citations propres à l'auteur

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Les Relations amoureuses entre les femmes du XVIe au XXe siècle, 1981

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Pour la lesbienne, l'amour est un risque et une conquête, non une pulsion. C'est un acte gratuit, conscient de ne déboucher sur rien socialement.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, Introduction, p. 12


C'est au cours de la Renaissance, au moment même où l'homme découvre son individualité et se représente au centre du monde, qu'il nomme la lesbienne d'un mot qui lui dénie sa dimension d'individu. Sappho est une tribade, écrit-on alors. Une tribade est une femme qui « contrefait » l'homme, autrement dit un monstre. « Tribade » vient du grec tribein, qui signifie « frotter, s'entrefrotter ». La peur de perdre son pouvoir d'homme sur l'individu femme éclate ainsi au cœur même de la dénomination retenue. Elles se frottent, elles ne se pénètrent pas (avec un pénis). La menace que fait peser toute liberté de femme sur la pureté de la lignée spermatique se trouve ainsi conjurée.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, Introduction, p. 12


En ne donnant pas leur ventre à la reproduction, elles s'isolent socialement. S'isolant, elles peuvent démonter le jeu sexuel et social qui se joue quotidiennement sur la scène patriarcale et voir les potentialités de renouvellement d'une civilisation en pleine mutation.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, Introduction, p. 18


L'amour entre femmes renvoie à une conscience identitaire basée sur un retour, non pas à la mère, comme le prône la psychanalyse, mais aux valeurs fondées sur l'individualité, dont Sappho a constitué un point d'incarnation historiquement décisif.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, Introduction, p. 18


Qui dit héroïsme, dit force de caractère, audace, décision, sens de l'action, conflit de devoirs (le cœur et la famille), bref, exaltation de l'individualité.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 1. Te nommer corps lesbien (XVIe-XVIIe siècle), chap. III Le pays des Sauromates : Sappho chez les Amazones, Introduction, p. 72


Au lieu de mettre en scène le suicide, Madeleine de Scudéry s'en détourne complètement et préfère envoyer Sappho loin de la ville, au « Pays des Sauromates », territoire des Amazones d'après Hérodote d'Halicarnasse dans ce « coin du monde où l'on [peut] dire que les femmes sont maîtresses d'elles-mêmes ». Ce qui est perdu du côté de l'amour, du plaisir du corps, se retrouve du côté de l'individualité féminine et des valeurs d'affirmation de soi personnifiées par les Amazones.

Paru durant la Fronde et dédié à la duchesse de Longueville, Artamène ou le Grand Cyrus est symptomatique de la perte de pouvoir politique infligé aux femmes par la monarchie.

Sa fin marque pourtant l'espoir de la conquête possible d'un territoire propre, forteresse de l'âme, terre de liberté où le génie féminin, sous la double protection des Amazones et de l'amour de soi reconquis, se retire.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 1. Te nommer corps lesbien (XVIe-XVIIe siècle), chap. III Le pays des Sauromates : Sappho chez les Amazones, Introduction, p. 76


Au XVIIe siècle, un verrou religieux va sauter sous la double pression de la philosophie des Lumières et du libertinage.
Chassée par l'âge classique, la sexualité revient en force reconquérir ses droits. Droit au plaisir pour les libertins, mais aussi pour les philosophes qui attaquent l'idéologie religieuse sur son point faible : sa morale sexuelle.

  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. I Lumières... sur la passion du semblable, Introduction, p. 93


Le démon de l'expérimentation s'empare de toute une société « éclairée », cherche une nouvelle façon de vivre, vérifie ce qu'on lui dit, explore, découvre de nouveaux horizons, rêve tout haut et pense que le salut ne vient plus de dieu, mais de l'Histoire, c'est-à-dire de la capacité de l'Homme à établir sur terre le bonheur commun.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. I Lumières... sur la passion du semblable, Introduction, p. 93


Nous avons vu dans La Religieuse comment Suzanne observe les signes de la jouissance sur le corps de la supérieure et à quel point le corps de la femme acquiert une réalité sensible. En posant la distinction entre êtres semblables et différents, et non plus entre procréation et plaisir, Diderot effectue à présent une rupture épistémologique très importante puisque, un siècle avant les psychiatres, il formule les deux notions qui ordonnent l'univers mental de la sexualité contemporaine : l'homosexualité et l'hétérosexualité.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. I Lumières... sur la passion du semblable, Introduction, p. 137


L' homoïos, l'amour du semblable, réapparaît [...] au moment même où la monarchie absolue est attaquée dans ses fondements religieux. C'est une vraie révolution de la représentation de l'être, de son corps et de la sexualité qui s'opère ici, avec la possibilité au moins théorique de redonner à la femme une place égale à celle de l'homme. Le porteur de pénis n'est plus le détenteur du sens. C'est le couple « hétérosexuel » qui compte ; plus exactement, le sens se déplace de la personne à l'acte et la nouvelle norme se dépersonnalise en étant projetée sur le rapport humain. Théoriquement, donc, l'homme et la femme ont autant d'importance dans ce rapport, ce que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen reconnaîtra sur le plan politique. Mais au XIXe siècle cette égalité potentielle entre les individus des deux sexes sera proprement inconcevable pour les médecins, ces nouveaux défenseurs du patriarcat qui s'empresseront de rediviser le monde du plaisir en deux catégories : les « normaux » et les « pervers ».
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. I Lumières... sur la passion du semblable, Introduction, p. 137


Condorcet se situe dans le même courant [que Diderot] pour plaider en faveur de l'accès des femmes au droit de cité au nom de la sensibilité, qualité commune aux deux sexes : « Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu'ils sont des êtres sensibles, susceptibles d'acquérir des idées nouvelles et de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes ayant les mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. » La sensibilité est donc une valeur essentielle aux Lumières en ce qu'elle permet de définir un terrain de rencontre et d'identité commune aux deux sexes. En se réclamant de la déesse Raison, les révolutionnaires de 1793 rompirent avec cet héritage. Remplaçant la sensibilité par le sentiment, ils réinscriront la différence des sexes dans la nature et la domination du citoyen sur la citoyenne dans la sphère du droit privé.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. I Lumières... sur la passion du semblable, Introduction, p. 138


Signe des temps, La Correspondance littéraire, philosophique et critique, rédigée notamment par Grimm, Meister et Diderot, n'est pas la dernière à prêter l'oreille aux bruits qui courent sur Lesbos et à compter au nombre des événements dignes d'intéresser ses abonnés les petites nouvelles de ce que tout le monde appelle, avec une délectation non dissimulée, la chronique scandaleuse.
[...] Commencée en 1752 par Raynal, ce journal secret était écrit à la main et envoyé chaque mois à une quinzaine de riches abonnés européens qui avaient promis le secret absolu.
Continué par Grimm, Diderot, Meister et Mme d'Epinay, qui fournissait de nombreux articles « qu'elle permettait à Meister d'arranger à sa manière », il existera jusqu'à la Révolution. Il était généralement rédigé chez Mme d'Epinay, dans son domaine de la Chevrette, situé dans la grande banlieue de Paris.

  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. II Les mystères de Lesbos, Introduction, p. 139


Pour Mirabeau, le mot vient « du grec anandros, au féminin anandré. Pour un homme : sans virilité, pour une femme : sans époux ». Le chapitre VI d' Erotika Biblion est d'ailleurs intitulé « L'Anandryne ou les vestiges de l'androgynat primitif d'Adam et notamment le saphisme». Pour L'Espion anglais, le mot « veut dire en français anti-homme », ce qui change radicalement la perspective, car la femme non mariée, dans la culture latine, est précisément la vierge, celle qui n'appartient pas à l'homme, ou, pour parler comme Georges Devereux, une « femme sexuellement active mais non assujettie à un homme. Une telle femme indomptée (admêtis) était jadis appelée parthénos, mot qui n'acquit que bien plus tard la signification de vierge ». Le sens d'anti-homme, en revanche, se situe bien dans la tradition française du discours sur les tribades. Alors que Mirabeau exprime un point de vue intellectuel, nourri de solides lectures, L'Espion anglais paraît mieux informé sur les mœurs de son temps. Il appuie ses observations sur la rumeur publique et les parsème de références savantes qui lui donnent ce faux air d'autorité qui plaît tant à ses lecteurs, montrant que ce n'est pas tant le regard sur les tribades qui change avec le libertinage, que le modèle référentiel. Elles ne sont plus représentées par deux, trompant les hommes sur ce qui leur manque, mais assemblées en « collège », « sérail », « loge », « secte », célébrant un culte collectif à la jouissance féminine dans le reflet exact du mode de vie « éclairée ». À partir des années 1750, en effet, la vie sociale prédomine sur l'intimité. La cour de Versailles, qui donnait sous Louis XIV le ton à la vie culturelle, est éclipsée par les nombreuses microsociétés réunies autour de L'Encyclopédie ou dans les salons, les académies, les cafés, les théâtres et au Palais-Royal. Le couple, même hétérosexuel, est démodé. La vie amoureuse se confond avec la vie de Société.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. II Les mystères de Lesbos, Introduction, p. 163


La relative tolérance dont bénéficia Françoise Raucourt malgré ses liens avec la contre-révolution montre bien que ce ne sont pas tant les « vices des tribades » qui firent peur aux Républicains que l'apparition des femmes comme collectif librement constitué.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. II Les mystères de Lesbos, Introduction, p. 210


La nouveauté du siècle des Lumières n'est pas tant dans l'existence d'une Françoise Raucourt vivant ouvertement sa passion pour les femmes que dans l'apparition des tribades comme groupe identitaire où chacune est reconnue à travers ses relations à d'autres femmes et non plus en référence à l'homme.
Le groupe des anandrynes est l'expression dans la fiction de cette naissance d'une conscience de groupe qui plonge ses racines dans la culture des salons. Le portrait que dressent les secrétaires de Voltaire de la Marquise de Châtelet donne une image assez juste de ce mode de vie « éclairé » qui relie l'individu au groupe : « Mme la Marquise du Châtelet passait une grande partie de la matinée au milieu de ses livres et de ses écritures, et elle ne voulait pas y être interrompue. Mais au sortir de l'étude, il semblait que ce n'était plus la même femme : son air sérieux faisait place à la gaieté, et elle se livrait avec la plus grande ardeur à tous les plaisirs de la société. »

  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. II Les mystères de Lesbos, Introduction, p. 211


Si le Jacobin a fait de la femme la vestale d'un nouveau culte païen au patriarcat, fonction qui sera légalisée en 1804 par le Code civil napoléonien, n'est-ce pas en réaction à l'apparition d'une nouvelle conscience identitaire des femmes, incarnée politiquement par Olympe de Gouges qui signe, avec sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, son acte de naissance historique ? Les Républicains y ont vu une menace pour la Révolution.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. II Les mystères de Lesbos, Introduction, p. 212


Contrairement aux figures de la Vestale ou de Cornalie, qui exaltent le foyer et la maternité, celle de Sappho raconte l'histoire de la femme de génie, rejetée par des hommes incultes, jeunes et beaux, qui meurt parce qu'elle a abdiqué les pouvoirs de l'esprit.
  • Les Relations amoureuses entre les femmes (1995), Marie-Jo Bonnet, éd. Odile Jacob, coll. « Poches », 1981, partie 2. Des mystères de la nature à ceux de Lesbos (XVIIIe siècle), chap. II Les mystères de Lesbos, Introduction, p. 214


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