« Andreï Makine » : différence entre les versions

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m →‎Le testament français, 1995 : typo, ISBN, orthographe
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== ''Le testament français'', 1995==
{{Citation
|citation=Encore enfant, je devinais que ce sourire très singulier représentait pour chaque femme une étrange petite victoire. Oui, une éphémère revanche sur les espoirs déçus, sur la grossièreté des hommes, sur la rareté des choses belles et vraies dans ce monde. Si j'avais su le dire, à l'époque, j'aurais appelé cette façon de sourire « féminité »... Mais ma langue était alors trop concrète. Je me contentais d'examiner, dans nos albums de photos, les visages féminins et de retrouver ce reflet de beauté sur certains d'entre eux.<br />
Car ces femmes savaient que pour être belles, il fallait, quelques secondes avant que le flash ne les aveugle, prononcer ces mystérieuses syllabes françaises dont peu connaissaient le sens : « pe-tite-pomme...pomme… » Comme par enchantement, la bouche, au lieu de s'étirer dans une béatitude enjouée ou de se crisper dans un rictus anxieux, formait ce gracieux arrondi. Le visage tout entier en demeurait transfiguré.
|précisions=[[w:Incipit|Incipit]] du roman
}}
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|année=1995
|page=13
|ISBN=2-071527152-1936-9
}}
 
{{Citation
|citation=Ce corps était celui d'un homme qu'elle ne connaissait pas. Un corps criblé de cicatrices, de balafres — tantôt profondes, aux bords charnus, comme d'énormes lèvres voraces, tantôt à la surface lisse, luisante, comme la trace d'un escargot. Dans l'une des omoplates, une cavité était creusée — Charlotte savait quel genre de petits éclats griffus faisait ça. Les traces roses des points de suture entouraient une épaule, se perdant dans la poitrine...poitrine…<br />
A travers ses larmes, elle regarda la pièce comme pour la première fois : une fenêtre au ras du sol, ce bouquet d'aneth venant déjà d'une autre époque de sa vie, un sac de soldat sur le tabouret près de l'entrée, des grosses bottes couvertes de poussière rousse. Et sous une ampoule nue et terne, au milieu de cette pièce à moitié enfouie dans la terre — ce corps méconnaissable, on eût dit déchiré par les rouages d'une machine. Des mots étonnés se formèrent en elle, à son insu : « Moi, Charlotte Lemonnier, je suis là, dans cette isba ensevelie sous l'herbe des steppes, avec cet homme, ce soldat au corps lacéré de blessures, le père des mes enfants, l'homme que j'aime tant...tant… Moi Charlotte Lemonnier...Lemonnier… »
}}
{{Réf Livre
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|année=1995
|page=136
|ISBN=2-071527152-1936-9
}}
 
{{Citation
|citation=C'est avec cet égoïsme infatué de la jeunesse que je lui demandai sur un ton un peu hilare :<br />
— Mais toi, tu pourrais aussi partir à l'étranger ! En France, par exemple...exemple… Ça te tenterait, hein ?<br />
L'expression de ses traits ne changea pas. Elle baissa simplement les yeux. J'entendis la mélodie sifflante de la bouilloire, le tintement des cristaux de neige contre la vitre noire.<br />
— Tu sais, me dit-elle enfin avec un sourire fatigué, quand en 1922 j'allai en Sibérie, la moitié, ou peut-être le tiers de ce voyage, je l'ai fait à pied. C'était comme d'ici à Paris. Tu vois, je n'aurais même pas besoin de vos avions...avions…<br />
Elle sourit de nouveau, me regardant dans les yeux. Mais malgré cette intonation enjouée, je devinai dans sa voix un accent profond d'amertume. Confus, je pris une cigarette, je sortis sur le balcon...balcon…<br />
C'est là, au-dessus de l'obscurité glaçéeglacée de la steppe, que je crus enfin comprendre ce que la France était pour elle.
}}
{{Réf Livre
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|année=1995
|page=262
|ISBN=2-071527152-1936-9
}}