Tu évoques la langue et le point du vue : à ce propos, j’ai l’impression que le travail sur l’écriture change à chaque livre.
X. M. : Tout le temps. Pour Kafka à Paris, j’ai lu des auteurs français du début du XXe siècle pour saisir la langue — Léon Frapié, George Duhamel, René Fallet, Pierre Mac Orlan, Jean-Paul Clébert et d’autres —, pour retrouver une langue libre. J’avais fait des banques de mots pour la nourriture, le quotidien, etc. En tant qu’éditeur, je me suis rendu compte que beaucoup d’auteurs français écrivent en traduction américaine, parce qu’ils lisent énormément de textes traduits de l’anglo-saxon. Ils n’ont plus de rapport direct à la langue et à son travail. À l’époque de La Vénus anatomique, j’avais lu toute l’œuvre de Julien Offray de La Mettrie pour écrire son pseudo-journal. Pour l’écriture, je crée autant de fichiers qu’il y a de chapitres. Cela me permet de faire ressurgir des détails anodins et d’y faire écho. Je fais des allers-retours incessants d’un fichier à l’autre avant d’entamer la phase de rédaction proprement dite.
« « Le faux renforce le réel ». Rencontre avec Xavier Mauméjean », Xavier Mauméjean (propos recueillis par Nicolas Tellop),
Carbone, 15 septembre 2017 (
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Sans vouloir faire dans la théorie, ce qui me motive dans l’écriture, c’est la distinction entre le vrai et le réel. L’opposition vrai-fiction ne m’intéresse pas parce qu’elle ne me semble pas opérante. Le vrai, c’est ce qui est objectivement admis selon des critères scientifiques ; le réel excède largement le vrai. Un mensonge ou une illusion sont réels. Le réel est beaucoup plus vaste que le vrai. En travaillant là-dessus, j’utilise la fiction pour faire advenir des éléments de réel qui seraient au-delà du vrai. D’où l’importance de blinder le récit en vrai, de façon à pouvoir élargir au réel. Le vrai rend la chose plausible et permet de dégager la part de fiction qui apparaît comme réelle.
« « Le faux renforce le réel ». Rencontre avec Xavier Mauméjean », Xavier Mauméjean (propos recueillis par Les Histoires sans Fin),
Carbone, 15 septembre 2017 (propos recueillis par Nicolas Tellop) (
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Cette question ramène aux distinctions entre homme et auteur. Le créateur de Winnie l’ourson,
A. A. Milne, était un père tortionnaire alors que son œuvre est un bijou. Quand il a reçu la critique du
Times de
Winnie l’ourson, l’auteur s’était emballé et avait écrit que Milne avait su parler au cœur des enfants mais aussi des adultes. Milne avait ajouté : « Et de mon banquier. » En fait, il s’est réapproprié l’univers de son fils, Christopher. L’épouse de Milne, avec qui il formait un couple fusionnel, est devenue jalouse de Winnie. Son mari s’était rapproché de leur fils, non pas par affection, seulement pour l’écouter et prendre des notes… D’ailleurs, Tigrou n’a pas vraiment été offert à Christopher mais acheté dans le but d’observer ce que le petit garçon fera de lui. En 1927, Milne a gravé un disque, une galette à pressage personnel, qu’il a passé le 24 décembre au soir, en présence de sa femme et de leur fils. La voix de l’écrivain disait : « Je suis la personne la plus importante de la maison. Christopher n’existe pas, il est le fruit de mon imagination. » Je rapporte souvent cette anecdote parce qu’elle en finit une fois pour toutes avec la confusion très française entre l’homme et l’œuvre. On a l’impression que c’est une autoroute qui mène de l’un à l’autre, c’est à se demander pourquoi il n’existe pas plus de génies : il arrive quelque chose à quelqu’un, il écrit un grand roman… Non, ce n’est pas uniquement la vie qui fait l’œuvre, c’est le talent, l’imagination et quantité d’autres éléments. Je n’ai pas de discours intime, cela ne m’intéresse pas.
« « Le faux renforce le réel ». Rencontre avec Xavier Mauméjean », Xavier Mauméjean (propos recueillis par Nicolas Tellop),
Carbone, 15 septembre 2017 (
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C’est vraiment le thème qui m’intéresse, à un moment. Une fois le roman écrit, c’est fini, je passe à autre chose. Je n’ai pas vraiment d’obsession. Sauf peut-être la foire, parce qu’elle revient tout le temps. Mon premier livre l’évoque déjà : Ganesha est basé sur la vie de Joseph Merrick, l’Elephant Man. Il s’agit là d’un univers qui m’intéresse par-dessus tout. Il n’y a pas de hasard : la foire est un riche système de symboles qui mélange le vrai, le faux, l’artifice, l’illusion, la violence, le sexe, la marginalité, la pure joie naïve des enfants…
« « Le faux renforce le réel ». Rencontre avec Xavier Mauméjean », Xavier Mauméjean (propos recueillis par Nicolas Tellop),
Carbone, 15 septembre 2017 (
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