Création littéraire

activité de narration au moyen de la littérature

L'écriture littéraire désigne la manière par laquelle certains écrits se situent dans la société et l'histoire.

J'ai toujours été un bûcheur, un type qui s'angoisse et se débat à chaque phrase, et même les meilleurs jours je ne fais que me traîner, ramper à plate perdu dans le désert. Le moindre mot est pour moi entouré d'arpents de silence et lorsque j'ai enfin réussi à le tracer sur la page, il a l'air de se trouver là comme un mirage, une particule de doute scintillant dans le sable. [...]. Un mur me sépare de mes propres pensées, je me sens coincé dans un no man's land entre sentiment et articulation, […]. Pour moi [les choses et les mots] ne cessent de se séparer, de voler en éclats dans toutes les directions. Je passe presque tout mon temps à ramasser les fragments et à les recoller ensemble.
  • Dans la bouche du narrateur, en contraste avec ce qu'il pense (en bien) d'un ami lui aussi écrivain.
  • Leviathan, Paul Auster (trad. Christine Le Bœuf), éd. Le livre de Poche, 1993, p. 73


L'écriture est précisément cet acte qui unit dans le même travail ce qui ne pourrait être saisi ensemble dans le seul espace plat de la représentation.
  • L'empire des signes (1970), Roland Barthes, éd. Flammarion, coll. « Champs », 1980, p. 22


[...] le trait excluant ici la rature ou la reprise (puisque le caractère est tracé alla prima), aucune invention de la gomme ou de ses substituts (la gomme, objet emblématique du signifié que l'on voudrait bien effacer ou dont, tout au moins, on voudrait bien alléger, amincir la plénitude ; mais en face de chez nous, du côté de l'Orient, pourquoi des gommes, puisque le miroir est vide ?).
  • L'empire des signes (1970), Roland Barthes, éd. Flammarion, coll. « Champs », 1980, p. 116


Nicolas Bouvier

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J'ai traversé une période de désespoir dans l'écriture parce que finalement, c'est un projet .très immodeste de vouloir rendre compte des choses. Il y a une telle disproportion entre cette ambition et les moyens dont on dispose qu'il faut payer de sa personne jusqu'au moment où le sol se dérobe. On ne peut rendre compte du monde sur un mode mondain et distant. Ce n'est pas possible. On ne peut pas écrire un bon livre sans se saigner presque à mort.
  • L’auteur, lors d’un entretien
  • Œuvres, Nicolas Bouvier, éd. Gallimard, 2004  (ISBN 9 782070 770946), partie Routes et déroutes, p. 1300


Il m'en coûtait aussi de me battre pour trouver le mot juste, pour faire la poste entre les mots et les choses. Ma conception du travail du conteur ou de l'écrivain est très peu démiurgique. Je crois que chaque chose a son mot. Quand je dis : «faire la poste entre les mots et les choses», c'est comme réunir deux partenaires qui ignoreraient leur adresse respective. L'écrivain va chercher le mot juste pour une chose ou la chose juste pour un mot, et ces couples peuvent aussi bien être séparés par des années-lumière que tout à fait voisins en s'ignorant complètement. Il y a toutes sortes de postes (…)Mais quand vous avez procédé à ces présentations de fiançailles et qu'elles sont réussies, le lecteur se dit: c'est ça, j'aurais pu y penser.
  • L’auteur, lors d’un entretien
  • Œuvres, Nicolas Bouvier, éd. Gallimard, 2004  (ISBN 9 782070 770946), partie Routes et déroutes, p. 1301


J'écris : 1° pour posséder.
Posséder la vérité des choses apparue à mes sens et à ma raison. En exprimant cette vérité, je la fais mienne, mes vues sont le lien qui la rassemble. Dans Aristote cela se nomme imitation. Il faut en concevoir l'essentiel. Imiter c'est recréer l'objet, partant s'en emparer autant qu'il se puisse concevoir. C'est un plaisir incomparable, un attrait souverain, auquel deux causes ont part : l'intelligence de l'objet, son rendu ; l'une est lumière, l'autre puissance ; la seconde trouvant dans la première son guide, la première trouvant dans la seconde son épreuve et son complément. Corot disait : Oh ! la belle vache ; je vais la peindre. Crac ! la voilà.
2° pour persuader.
Le vrai des choses entré dans l'intelligence, l'objet fait esprit, devient communicable. Nécessairement il tend à se communiquer. L'universel de la pensée qui l'informe est comme un ressort qui pousse à l'infini. Tous les hommes sont appelés à jouir de ce que je possède. Nouvelle épreuve des lumières qui président à l'imitation, nouvel exercice de la puissance qu'elle suppose. Persuader dérive de posséder. Il en est la suite nécessaire ; il procède du même attrait. Ceux qui les séparent, qui dépeignent le plaisir d'écrire comme indépendant de l'approbation, prennent un trait d'orgueil ou de dépit pour l'essence des choses.
Tel est le goût d'écrire, tel en est le démon. Des deux causes que je viens de dire, dans un sens général, on peut nommer la première poésie, la seconde aura nom éloquence. L'une donne naissance à l'art en soi, la seconde en répand l'effet.

  • « Notre enquête — Pourquoi écrivez-vous ? », Louis Dimier, Littérature, nº 11, Décembre 1920, p. 22


J'avais dans la tête un drame bien intime, bien sombre, bien terrible, que je voulais faire passer de ma tête sur le papier [...].
Mais je remarquai une chose : c'est que, pour le travail profond et assidu, il faut les chambres étroites, les murailles rapprochées, et le jour éteint par des rideaux de couleur sombre.


— Savez-vous ce qui me gâte l'écriture ? Ce sont les corrections, les ratures, les maquillages qu'on y fait.
— Croyez-vous donc qu'on ne se corrige pas, dans la vie ? demanda Julius allumé.
— Vous ne m'entendez pas : Dans la vie, on se corrige, à ce qu'on dit, on s'améliore ; on ne peut corriger ce qu'on a fait. C'est ce droit de retouche qui fait de l'écriture une chose si grise et si... (il n'acheva pas). Oui ; c'est là ce qui me paraît si beau dans la vie ; c'est qu'il faut peindre dans le frais. La rature y est défendue.


Cécile Guilbert

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Après tout, si aucune activité n'est plus individualisée, asociale et « séparée » que l'écriture ou la lecture, c'est précisément en quoi celles-ci communiquent : par cette nervure intime d'un échange proprement érotique s'instaurant entre un auteur et un lecteur dont désirs et solitudes dialoguent, s'infusent, rêvassent à travers du langage chargé de sens tandis que des délices de sensations et d'émotions s'échangent entre eux dans le silence. D'ailleurs, un grand écrivain est toujours un grand lecteur, et l'excellent lecteur est aussi rare que lui. La seule différence, c'est que si le style suppose une singularité d'expression unique prohibant par définition l'enseignement de normes et canons sous peine de déchoir dans cette contradiction vivante qu'indique le vocable d'« art officiel », lire s'apprend. Mieux encore : l'art littéraire est ce miroir d'excellence par lequel le lecteur peut devenir une sorte d'artiste lui-même en tant que recréateur de l'œuvre.
  • Cécile Guilbert préfaçant la réédition de 2010 des cours de littérature européenne de Vladimir Nabokov, professés entre 1941 et 1958 dans plusieurs universités américaines et réunis sous le titre Littératures.
  • Littératures (1980), Vladimir Nabokov, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, Préface de Cécile Guilbert — Les ruses du professeur Nabokov, p. XXII


Quand on écrit avec facilité, on croit toujours avoir plus de talent qu’on n’en a. Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle et une difficulté acquise.


Quand un ouvrage sent la lime, c’est qu’il n’est pas assez poli ; s’il sent l’huile, c’est qu’on a trop peu veillé.


L’art de bien dire ce qu’on pense est différent de la faculté de penser : celle-ci peut être très-grande en profondeur, en hauteur, en étendue, et l’autre ne pas exister. Le talent de bien exprimer n’est pas celui de concevoir.


Stephen King

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Écrire est magique, écrire est l'eau de la vie au même titre que n'importe quel art. L'eau est gratuite. Alors, buvez. Buvez, buvez à satiété.
  • Écriture : Mémoires d'un métier, Stephen King (trad. William Olivier Desmond), éd. Le Livre de Poche, 2003  (ISBN 2-253-15145-9), p. 321


A la question « Pourquoi écrivez vous ? », la plus belle réponse à mes yeux est celle que fit Pa Kin : « Parce que la belle vie est trop courte. » J'avais trouvé cela merveilleux, car écrire, c'est vivre d'autres vies, ajouter des vies à la belle vie, qui n'est plus si courte que ça...
  • « Le Clézio : « Je suis un indigné de l'Afrique » », Interview par Valérie Marin la Meslée, Le Point, nº 2041, 27 Octobre 2011, p. 101


George Lecomte

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Pourquoi j'écris ? Pour essayer de voir plus clair en moi et pour regarder avec plus de passion attentive les spectacles de beauté. Par besoin de formuler pour soi-même mes émotions et de combattre pour mes idées, par amour des mots vivants clairs et colorés de la langue francaise, par goût de l'action libre.
  • « Notre enquête — Pourquoi écrivez-vous ? », George Lecomte, Littérature, nº 10, Décembre 1919, p. 23


Pas de plaisir d'écrire si, sachant d'avance ce que l'on a à dire et n'ayant pas à inventer la manière de le dire, on procède à coup sûr.


H. R. Lenormand

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J'écris, comme tout écrivain, pour affirmer des tendances intimes refoulées dans la vie réelle. Je crois que l'œuvre d'art pourrait être définie une compensation du réel. Nos instincts révolutionnaires et sexuels, nos instincts de domination et de connaissance ne peuvent se satisfaire pleinement au cours de la vie. Leur refoulement produit une sublimation qui donne naissance à l'œuvre d'imagination. Celle-ci n'est donc que l'épanouissement de vélléités contrariées. Elle peut, dans les cas de refoulement excessifs, aboutir à une contradiction complète et magnifique de l'existence effective de l'écrivain.
Les atrocités sans frein des ouvrages du Marquis de Sade peuvent s'expliquer par le fait qu'il écrivit surtout en prison. L'outrance de ses inventions me ferait plutôt croire à la non-réalisation de ses tendances érotiques. C'est une revanche du rêve sur la réalité.
En ce qui me concerne, il n'y a pas lieu de douter que certaines de mes pièces, Poussière, les Possédés, Terres chaudes, entre autres, sont une tentative de compensations d'instincts révolutionnaires entravés et de désirs de voyages incomplètement satisfaits.

  • « Notre enquête — Pourquoi écrivez-vous ? », H. R. Lenormand, Littérature, nº 11, Décembre 1920, p. 24


L'art d'écrire est un art très futile s'il n'implique pas avant tout l'art de voir le monde comme un potentiel de fiction. Le matériau de ce monde peut être bien réel (pour autant qu'il y ait une réalité), mais n'existe aucunement en tant qu'intégralité acceptée comme telle : c'est un chaos, et à ce chaos l'auteur dit : « Va ! » et le monde vacille et entre en fusion. Et voilà que se recombinent non seulement ses éléments visibles et superficiels, mais ses atomes mêmes. L'écrivain est le premier homme à en dresser la carte et à donner des noms aux objets naturels qu'il contient. Ces baies-là sont comestibles. Cette créature mouchetée qui a bondi sur mon chemin peut être domestiquée. Ce lac entre les arbres s'appellera le lac d'Opale, ou, plus artistiquement, le lac Lavasse. Cette brume est une montagne et cette montagne doit être conquise. Le grand artiste gravit une pente vierge et, arrivé au sommet, au détour d'une corniche battue par les vents, qui croyez-vous qu'il rencontre ? Le lecteur haletant et heureux. Tous deux tombent spontanément dans les bras l'un de l'autre et demeurent unis à jamais si le livre vit à jamais.
  • Littératures (1980), Vladimir Nabokov (trad. Hélène Pasquier), éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010, partie Littératures I, Bons lecteurs et bons écrivains, p. 36


De tout ce qui est écrit, je ne lis que ce que quelqu'un écrit avec son sang. Ecris avec ton sang : et tu verras que le sang est esprit.
Il n'est guère facile de comprendre le sang d'autrui : je hais les oisifs qui lisent [...].

  • Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche (trad. Georges-Arthur Goldschmidt), éd. Le Livre de Poche, coll. « Les Classiques de Poche », 1972  (ISBN 978-2-253-00675-6), partie I, chap. « Lire et écrire », p. 55


Orhan Pamuk

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Pour moi, être écrivain, c'est découvrir patiemment, au fil des années, la seconde personne, cachée, qui vit en nous, et un monde qui sécrète notre seconde vie : l'écriture m'évoque en premier lieu, non pas les romans, la poésie, la tradition littéraire, mais l'homme qui, enfermé dans une chambre, se replie sur lui-même, seul avec les mots, et jette, ce faisant, les fondations d'un nouveau monde.
  • Orhan Pamuk, 7 décembre 2006, à Stockholm, dans Le Monde.


Pour moi le secret du métier d'écrivain réside non pas dans une inspiration d'origine inconnue mais dans l'obstination et la patience.
  • Orhan Pamuk, 7 décembre 2006, à Stockholm, dans Le Monde.


J'écris parce que je ne peux supporter la réalité qu'en la modifiant.
  • Orhan Pamuk, 7 décembre 2006, à Stockholm, dans Le Monde.


J'écris non pas pour raconter des histoires, mais pour construire des histoires.
  • Orhan Pamuk, 7 décembre 2006, à Stockholm, dans Le Monde.


J'écris parce que je n'arrive pas à être heureux, quoi que je fasse. J'écris pour être heureux.
  • Orhan Pamuk, 7 décembre 2006, à Stockholm, dans Le Monde.


Roger Peyrefitte

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On ne sait pas assez par quels efforts, par quelle attention incessante, on arrive à une limpidité d'écriture, qui paraît aller de soi.
  • Propos secrets, Roger Peyrefitte, éd. Albin Michel, 1977  (ISBN 2 226 00502 1), p. 339


Le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux d'un traducteur.
  • Le temps retrouvé, Marcel Proust, éd. Pléiade, 1957, t. III, p. 895


Nicolas Schöffer

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Écrire, c'est se révéler, ou encore révéler les images renvoyées par nos propres miroirs découvrant à la fois nos trésors cachés – c'est-à-dire nous-même – et les reflets de notre environnement tels que nous les captons.
  • La Théorie des miroirs, Nicolas Schöffer, éd. Belfond, 1982  (ISBN 2-7144-1466-4), p. 123


Pour quoi faire, écrire ? Pour séduire ? C'est ça ? Pour séduire les inconnus, comme si les connus ne te suffisaient pas ? Pour t'imaginer rassembler la quintessence du monde en quelques pages ? Quelle quintessence à la fin ? Quelle émotion du monde ? Quoi dire ? Même l'histoire de la vieille musaraigne n'est pas intéressante à dire. Écrire, c'est rater.


L'écriture est la peinture de la voix.
  • (Voir la parenté de cette citation avec celle de Brébeuf).
  • « Dictionnaire philosophique » (1764), dans Œuvres complètes, Voltaire, éd. Elibron Classics, 2004, t. 26, article « Orthographe », p. 109