Georges Perec

écrivain français

Georges Perec est un écrivain et verbicruciste français né en 1936 à Paris et décédé en 1982 à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Membre de l'Oulipo à partir de 1967, ses œuvres sont fondées sur l'utilisation de contraintes formelles littéraires ou mathématiques qui marquent son style.

Citations

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Les Choses (1965)

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L'œil, d'abord, glisserait sur la moquette grise d'un long couloir, haut et étroit.
  • Incipit.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), p. 7


Il leur semblerait parfois qu'une vie entière pourrait harmonieusement s'écouler entre ces murs couverts de livres, entre ces objets si parfaitement domestiqués qu'ils auraient fini par les croire de tout temps créés à leur unique usage, entre ces choses belles et simples, douces, lumineuses.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 1, p. 12


Ils auraient aimé être riches. Ils croyaient qu'ils auraient su l'être. Ils auraient su s'habiller, regarder, sourire comme des gens riches. Ils auraient eu le tact, la discrétion nécessaires. Ils auraient oublié leur richesse, auraient su ne pas l'étaler. Ils ne s'en seraient pas glorifiés. Ils l'auraient respirée. Leurs plaisirs auraient été intenses. Ils auraient aimé marcher, flâner, choisir, apprécier. Ils auraient aimé vivre. Leur vie aurait été un art de vivre.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 2, p. 13


Pour ce jeune couple, qui n'était pas riche, mais qui désirait l'être, simplement parce qu'il n'était pas pauvre, il n'existait pas de situation plus inconfortable.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 2, p. 13


Ils se consolèrent de leur mieux, se félicitant de l'excellence du quartier, de la proximité de la rue Mouffetard et du Jardin des Plantes, du calme de la rue, du cachet de leurs plafonds bas, et de la splendeur des arbres et de la cour tout au long des saisons ; mais, à l'intérieur, tout commençait à crouler sous l'amoncellement des objets, des meubles, des livres, des assiettes, des paperasses, des bouteilles vides. Une guerre d'usure commençait dont ils ne sortiraient jamais vainqueurs.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 2, p. 15


Mais ils avaient beau reculer les limites de leurs deux pièces, abattre des murs, susciter des couloirs, des placards, des dégagements, imaginer des penderies modèles, annexer en rêve les appartements voisins, ils finissaient toujours par se retrouver dans ce qui était leur lot, leur seul lot : trente cinq mètres carrés.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 2, p. 15-16


La bibliothèque serait de chêne clair ou ne serait pas. Elle n'était pas.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 2, p. 16


Ils s'enthousiasmaient pour une valise — ces valises minuscules, extraordinairement plates, en cuir noir légèrement grenu, que l'on voit en vitrine dans les magasins de la Madeleine, et qui semblent concentrer en elles tous les plaisirs supposés des voyages-éclair, à New York ou à Londres.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 2, p. 18


Ils traversaient Paris pour aller voir un fauteuil qu'on leur avait dit parfait.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 2, p. 18


Il leur arrivait d'avoir peur. Mais, le plus souvent, ils n'étaient qu'impatients : ils se sentaient prêts ; ils étaient disponibles : ils attendaient de vivre, ils attendaient l'argent.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 2, p. 20


Ils auraient aimé, certes, comme tout le monde, se consacrer à quelque chose, sentir en eux un besoin puissant, qu'ils auraient appelé vocation, une ambition qui les aurait soulevés, une passion qui les aurait comblés. Hélas, ils n'en connaissaient qu'une : celle du mieux-vivre, et elle les épuisait.
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Librairie générale française, coll. « Livre de poche », 1980  (ISBN 2-277-11259-3), chap. 3, p. 21


Ils avaient une forte prévention contre le cinéma dit sérieux, qui leur faisait trouver plus belles encore les œuvres que ce qualificatif ne suffisait pas à rendre vaines (mais tout de même, disaient-ils, et ils avaient raison, Marienbad, quelle merde ! )
  • Les Choses (1965), Georges Perec, éd. Julliard, coll. « Pocket Jeunesse », 1990  (ISBN 2-266-15266-1), partie 1, chap. 4, p. 60


Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966)

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C'était un mec, il s'appelait Karamanlis, ou quelque chose comme ça : Karawo? Karawash? Karacouvé? Enfin bref, Karatruc. En tout cas, un nom pas banal, un nom qui vous disait quelque chose, qu'on n'oubliait pas facilement. Ç'aurait pu être un abstrait arménien de l'École de Paris, un catcheur bulgare, une grosse légume de Macédoine, enfin un type de ces coins-là, un Balkanique, un Yoghourtophage, un Slavophile, un Turc.
  • Les premières phrases du roman.
  • Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966), Georges Perec, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1982  (ISBN 2070374130), p. 11


Alors commençait la dure journée du militaire labeur, avec les rapports, les appels, les rappels, la purée de pois figée, la bière tiède, les quarts de pinard, les corvées, les temps morts, les exercices de style, les boîtes de conserves rouillées que des galoches expertes envoyaient valdinguer sur les pelouses pelées, les cigarettes, les mégots, les clopes.
  • Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966), Georges Perec, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1982  (ISBN 2070374130), p. 14


Mais il advint en ces temps-là que, pour des raisons dont nous demeurâmes ignorants desquelles jusqu'au bout, Karamel ne partit pas.
  • Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966), Georges Perec, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1982  (ISBN 2070374130), p. 34


Défaillir à ce moment se sentit le brave Karadigme. Et quand son nom, que cinq générations et demie de Karadigme avaient porté sans même s'en rendre compte et lui avaient livré pieds et poings liés, tomba de la bouche en cul de poule du lieutenant Lariflette, qui d'ailleurs l'estropia (le nom seulement, hélas, et pas la personne : subtil distinguo dont je me fais fort de tirer illico presto maints développements divertissants et vertigineux; mais l'heure est grave et je dois poursuivre : Ah ! Littérature! Quels tourments, quelle tortures ton sacro-saint amour de la continuité ne nous impose-t-il pas !)...
  • Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966), Georges Perec, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1982  (ISBN 2070374130), p. 40


Donc les Algéropètes ramassèrent leur barda, empilèrent leur fourbi, retapèrent leurs frusques, recousèrent leurs chaussettes, cirèrent leurs godillots, graissèrent leurs fusils, touchèrent leurs rations de bouillon Kub, de café en poudre, de sel de quinine, de poudre vermifuge, achetèrent des boutons, du fil, du dentifrice, les œuvres de Camus (Albert), des stylos à bille, de l'ambre solaire, des boxers-shorts, des babouches.
  • Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966), Georges Perec, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1982  (ISBN 2070374130), p. 47


Un homme qui dort, 1967

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C'est un jour comme celui-ci, un peu plus tard, un peu plus tôt, que tu découvres sans surprise que quelque chose ne va pas, que, pour parler sans précautions, tu ne sais pas vivre, que tu ne sauras jamais.


Quelque chose se cassait, quelque chose s’est cassé. Tu ne te sens plus — comment dire ? — soutenu : quelque chose qui, te semblait-il, te semble-t-il, t'a jusqu'alors réconforté, t'a tenu chaud au cœur, le sentiment de ton existence, de ton importance presque, l'impression d’adhérer, de baigner dans le monde, se met à te faire défaut.


Tu as tout à apprendre, tout ce qui ne s'apprend pas : la solitude, l'indifférence, la patience, le silence.


La Vie mode d'emploi (1978)

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Au départ, l'art du puzzle semble un art bref, un art mince, tout entier contenu dans un maigre enseignement de la Gestalt-theorie : l'objet visé — qu'il s'agisse d'un acte perceptif, d'un apprentissage, d'un système physiologique ou, dans le cas qui nous occupe, d'un puzzle de bois — n'est pas une somme d'éléments qu'il faudrait d'abord isoler et analyser, mais un ensemble, c'est-à-dire une forme, une structure : l'élément ne préexiste pas à l'ensemble, il n'est ni plus immédiat ni plus ancien, ce ne sont pas les éléments qui déterminent l'ensemble, mais l'ensemble qui détermine les éléments : la connaissance du tout et de ses lois, de l'ensemble et de sa structure, ne saurait être déduite de la connaissance séparée des parties qui le composent : cela veut dire qu'on peut regarder une pièce d'un puzzle pendant trois jours et croire tout savoir de sa configuration et de sa couleur sans avoir le moins du monde avancé : seule compte la possibilité de relier cette pièce à d'autres pièces, et en ce sens il y a quelque chose de commun entre l'art du puzzle et l'art du go ; seules les pièces rassemblées prendront un caractère lisible, prendront un sens : considérée isolément une pièce d'un puzzle ne veut rien dire ; elle est seulement question impossible, défi opaque ; mais à peine a-t-on réussi, au terme de plusieurs minutes d'essais et d'erreurs, ou en une demi-seconde prodigieusement inspirée, à la connecter à l'une de ses voisines, que la pièce disparaît, cesse d'exister en tant que pièce : l'intense difficulté qui a précédé ce rapprochement, et que le mot puzzle — énigme — désigne si bien en anglais, non seulement n'a plus de raison d'être, mais semble n'en avoir jamais eu, tant elle est devenue évidence : les deux pièces miraculeusement réunies n'en font plus qu'une, à son tour source d'erreur, d'hésitation, de désarroi et d'attente.
  • Première phrase du livre.
  • La Vie mode d'emploi (1978), Georges Perec, éd. Hachette, 1998  (ISBN 2-253-02390-6), chap. Préambule, p. 17-18


Oui, cela pourrait commencer ainsi, comme ça, d'une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l'immeuble se répercute, lointaine et régulière.
  • La Vie mode d'emploi (1978), Georges Perec, éd. Hachette, 1998  (ISBN 2-253-02390-6), chap. I. Dans l'escalier, 1, p. 21


Les habitants d'un même immeuble vivent à quelques centimètres les uns des autres, une simple cloison les sépare, ils se partagent les mêmes espaces répétés le long des étages, ils font les mêmes gestes en même temps, ouvrir le robinet, tirer la chasse d'eau, allumer la lumière, mettre la table, quelques dizaines d'existences simultanées qui se répètent d'étage en étage, et d'immeuble en immeuble, ou de rue en rue.
  • La Vie mode d'emploi (1978), Georges Perec, éd. Hachette, 1998  (ISBN 2-253-02390-6), chap. I. Dans l'escalier, 1, p. 21


Penser/Classer (1985)

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Une bibliothèque que l'on ne range pas se dérange : c'est l'exemple que l'on m'a donné pour tenter de me faire comprendre ce qu'était l'entropie et je l'ai plusieurs fois vérifié expérimentalement. Le désordre d'une bibliothèque n'est pas en soi une chose grave; il est de l'ordre du « dans quel tiroir ai-je mis mes chaussettes ? » : on croit toujours que l'on saura d'instinct où l'on a mis tel ou tel livre; et même si on ne le sait pas, il ne sera jamais difficile de parcourir rapidement tous les rayons.
  • « Notes brèves sur l'art et la manière de ranger ses livres », dans Penser/Classer, Georges Perec, éd. Hachette, 1985  (ISBN 2-01-011554-6), p. 38 (lire en ligne)


Comme les bibliothécaires borgésiens de Babel qui cherchent le livre qui leur donnera la clé de tous les autres, nous oscillons entre l'illusion de l'achevé et le vertige de l'insaisissable. Au nom de l'achevé, nous voulons croire qu'un ordre unique existe qui nous permettrait d'accéder d'emblée au savoir ; au nom de l'insaisissable, nous voulons penser que l'ordre et le désordre sont deux mêmes mots désignant le hasard.
  • « Notes brèves sur l'art et la manière de ranger ses livres », dans Penser/Classer, Georges Perec, éd. Hachette, 1985  (ISBN 2-01-011554-6), p. 42 (lire en ligne)


Un certain art de la lecture - et pas seulement la lecture d'un texte, mais ce que l'on appelle la lecture d'un tableau, ou la lecture d'une ville - pourrait consister à lire de côté, à porter sur le texte un regard oblique (mais déjà, il ne s'agit plus de la lecture à son niveau physiologique : comment pourrait-on apprendre aux muscles extra-oculaires à « lire autrement » ?
  • « Lire : esquisse socio-physiologique », dans Penser/Classer, Georges Perec, éd. Points, coll. « Essais », 2015  (ISBN 9782757851326), p. 117


Peut-être est-ce là répondre à la question qui m'était posée avant de l'avoir posée. Peut-être est-ce éviter de la poser pour n'avoir pas à y répondre. Peut-être est-ce user et abuser de cette vieille figure rhétorique que l'on appelle l'excuse où, au lieu d'affronter le problème à résoudre, on se contente de répondre aux questions par d'autres questions, se réfugiant chaque fois derrière une plus ou moins feinte incompétence. Peut-être est-ce aussi désigner la question comme justement sans réponse, c'est-à-dire renvoyer la pensée à l'impensé qui la fonde, le classé à l'inclassable (l'innommable, l'indicible) qu'il s'acharne à dissimuler…


Penser/classer
Que signifie la barre de fraction ? Que me demande-t-on, au juste ? Si je pense avant de classer ? Si je classe avant de penser ? Comment je classe ce que je pense ? Comment je pense quand je veux classer ?


Toutes les utopies sont déprimantes, parce qu'elle ne laissent pas de place au hasard, à la différence, au « divers ». Tout a été mis en ordre et l'ordre règne.
Derrière toute utopie, il y a toujours un grand dessein taxinomique : une place pour chaque chose et chaque chose à sa place.
  • « Penser/Classer », dans Penser/Classer, Georges Perec, éd. Points, coll. « Essais », 2015  (ISBN 9782757851326), p. 155


Petits textes oulipiens

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What a man !

Smart à falzar d'alpaga nacarat, frac à rabats, brassard à la Franz Hals, chapka d'astrakan à glands à la Cranach, bas blancs, gants blancs, grand crachat d'apparat à strass, raglan afghan à falbalas, Andras MacAdam, mâchant d'agaçants partagas, ayant à dada l'art d'Allan Ladd, cavala dans la pampa.

Passant par là, pas par hasard, marchant à grands pas, bras ballants, Armand d'Artagnan, crack pas bancal, as à la San A., l'agrafa.

  • Monovocalisme en A
  • « What a man », Georges Perec, dans Atlas de littérature potentielle, Oulipo, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1981, p. 214-215


La dent de sagesse de Verlaine
  • « Génitifs », Georges Perec, dans Atlas de littérature potentielle, Oulipo, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1981, p. 258


Mort aux vaches et au champ d'honneur

Attention à la marche ou crève

  • « Génitifs », Georges Perec, dans Atlas de littérature potentielle, Oulipo, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1981, p. 259


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