Jorge Luis Borges

écrivain argentin de prose et de poésie

Jorge Luis Borges (24 août 1899, Buenos Aires - 14 juin 1986, Genève) est un écrivain et poète argentin, lauréat du Prix Cervantes en 1979.

Jorge Luis Borges (1968).
Voir le recueil de citations : Fictions
Vers 1944, un chercheur du journal The American (de Nashville, Tennessee) exhuma d'une bibliothèque de Memphis les quarante volumes de la Première Encyclopédie de Tlön. […] Le fait est que la presse internationale divulgua à l'infini la « découverte ». Manuels, anthologies, résumés, versions littérales, réimpressions autorisées et réimpressions faites par les écumeurs des lettres de la Grande Œuvre des Hommes inondèrent et continuent a inonder la terre. Presque immédiatement, la réalité céda sur plus d'un point. Certes, elle ne demandait qu'à céder. Il y a dix ans il suffisait de n'importe quelle symétrie ayant l'apparence d'ordre — le matérialisme dialectique, l'antisémitisme, le nazisme — pour ébaubir les hommes. Comment ne pas se soumettre à Tlön, à la minutieuse et vaste évidence d'une planète ordonnée ? […] Le contact et la fréquentation de Tlön ont désintégré ce monde. Enchantée par sa rigueur, l'humanité oublie et oublie de nouveau qu'il s'agit d'une rigueur de joueurs d'échecs, non d'anges.


Avec soulagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit qu'il était lui aussi une apparence, qu'un autre était en train de le rêver.
  • « Fictions » (1940), dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Paul Verdevoye revue par Jean-Pierre Bernès), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. I, chap. Les ruines circulaires, p. 480


L'univers (que d'autres nomment la Bibliothèque) se compose d'un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales, avec au centre de vastes puits d'aération bordés par des ballustrades très basses.
  • « Fictions » (1941), dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Nestor Ibarra revue par Jean-Pierre Bernès), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. I, chap. La Bibliothèque de Babel, p. 491


Je compris alors que sa lâcheté était irrémédiable. Je le priai gauchement de se soigner et je pris congé. Cet homme apeuré me faisait honte comme si c’était moi le lâche et non Vincent Moon. Ce que fait un homme, c’est comme si tous les hommes le faisaient. Il n’est donc pas injuste qu’une désobéissance dans un jardin ait pu contaminer l’humanité ; il n’est donc pas injuste que le crucifiement d’un seul juif ait suffi à la sauver. Schopenhauer a peut-être raison : je suis les autres, n’importe quel homme est tous les hommes. Shakespeare est en quelque sorte le misérable John Vincent Moon.
  • Fictions, Jorge Luis Borges (trad. Paul Verdevoye et Ibarra), éd. Gallimard, coll. « Folio n°614 », 1957, chap. La forme de l'épée (1942), p. 141


À l'impression d'antiquité inouïe, d'autres s'ajoutèrent, celle de l'indéfinissable, celle de l'atroce, celle du complet non-sens. J'étais passé par un labyrinthe, mais la très nette Cité des Immortels me fit frémir d'épouvante et de dégoût… Un labyrinthe est une chose faite à dessein pour confondre les hommes ; son architecture, prodigue en symétries, est orientée à cette intention. Dans les palais que j'explorai imparfaitement, l'architecture était privée d'intention.

  • L'Aleph (1949), Jorge Luis Borges, éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 1995  (ISBN 2-07-029666-0), chap. L'immortel, p. 23


« Argos, criai-je, Argos. »
Alors avec étonnement, comme s'il découvrait une chose perdue et oubliée depuis longtemps, Argos bégaya ces mots : « Argos, chien d'Ulysse. » Puis, toujours sans me regarder : « Ce chien couché sur le fumier. »
Nous accueillons facilement la réalité, peut-être parce que nous soupçonnons que rien n'est réel. Je lui demandai ce qu'il savait de l'Odyssée. L'usage du grec lui était pénible ; je dus répéter ma question.
« Très peu, dit-il, moins que le premier rhapsode. Il y a déjà mille cent ans que je l'ai inventée. »

  • L'Aleph (1949), Jorge Luis Borges, éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 1995  (ISBN 2-07-029666-0), chap. L'immortel, p. 27, 28


Il n'y a pas de mérites moraux ou intellectuels. Homère composa L'Odyssée ; aussitôt accordé un délai infini avec des circonstances et des changements infinis, l'impossible était de ne pas composer, au moins une fois, L' Odyssée. Personne n'est quelqu'un, un seul homme immortel est tous les hommes. Comme Corneille Agrippa, je suis dieu, je suis héros, je suis philosophe, je suis démon et je suis monde, ce qui est une manière fatigante de dire que je ne suis pas.

  • L'Aleph (1949), Jorge Luis Borges, éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 1995  (ISBN 2-07-029666-0), chap. L'immortel, p. 30, 31


La mort (ou son allusion) rend les hommes précieux et pathétiques. Ils émeuvent par leur condition de fantômes ; chaque acte qu'ils accomplissent peut être le dernier ; aucun visage qui ne soit à l'instant de se dissiper comme un visage de songe. Tout, chez les mortels, a la valeur de l'irrécupérable et de l'aléatoire. Chez les Immortels, en revanche, chaque acte (et chaque pensée) est l'écho de ceux qui l'anticipèrent dans le passé ou le fidèle présage de ceux qui, dans l'avenir, le répéteront jusqu'au vertige. Rien qui n'apparaisse pas perdu entre d'infatigables miroirs. Rien ne peut arriver une seule fois, rien n'est précieusement précaire. L'élégiaque, le grave, le cérémoniel ne comptent pas pour les Immortels.

  • L'Aleph (1949), Jorge Luis Borges, éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 1995  (ISBN 2-07-029666-0), chap. L'immortel, p. 32


À Alexandrie, il fut avancé que seul est incapable d'une faute, qui déjà l'a commise et s'en est déjà repenti. Ajoutons que, pour s'affranchir d'une erreur, il est bon de l'avoir professée. Zuhair, dans une mu'allaka, dit qu'au cours de quatre-vingts ans de douleur et de gloire, il a vu souvent le destin renverser soudain les hommes comme le ferait un chameau aveugle; Abdalmalik entend que cette figure ne peut plus nous émerveiller. À cette observation, on peut opposer beaucoup de choses. La première, que si le but d'un poème était de nous étonner, sa durée ne se mesurerait pas en siècles, mais en jours et en heures, peut-être en minutes. La seconde, qu'un grand poète est moins celui qui invente que celui qui découvre.
  • « La Quête d’Averroès », dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Roger Caillois (revue par Jean Pierre Bernès)), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010  (ISBN 978-2-07-012815-0), t. I, partie L’Aleph, p. 621


Je compris, à la dernière page, que mon récit était un symbole de l'homme que je fus pendant que je l'écrivais et que, pour rédiger ce conte, je devais devenir cet homme et que, pour devenir cet homme, je devais écrire ce conte, et ainsi de suite à l'infini. (« Averroès » disparaît à l'instant où je cesse de croire en lui.)
  • « La Quête d’Averroès », dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Roger Caillois (revue par Jean Pierre Bernès)), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010  (ISBN 978-2-07-012815-0), t. I, partie L’Aleph, p. 623


En premier lieu, cette maison est un labyrinthe. En second lieu, elle était gardée par un lion et par un esclave. En troisième lieu, un trésor secret disparut. En quatrième lieu, l'assassin était mort quand le crime se produisit. En cinquième lieu…
Agacé, Unwin l'arrêta.
« Ne multiplie pas les mystères, dit-il. Ils doivent être simples. Rappelle-toi la lettre volée de Poe et la chambre close de Zangwill.
– Ou complexes, répliqua Dunraven ; rappelle-toi l'univers. »
  • « Aben Hakam el Bokhari mort dans son labyrinthe », dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Roger Caillois (revue par Jean Pierre Bernès)), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010  (ISBN 978-2-07-012815-0), t. I, partie L’Aleph, p. 636


Dans son agonie, il balbutia quelques mots que je ne pus comprendre. Je le regardai ; il était mort, mais, craignant qu'il ne se lève, j'ordonnai à l'esclave de lui écraser le visage avec une grosse pierre. Ensuite, nous errâmes sous le ciel et, un jour, nous aperçûmes la mer. Des navires de haut-bord la sillonnaient. Je pensai qu'un mort ne pouvait pas se mouvoir sur les eaux. Je décidai de chercher d'autres terres. La première nuit de ma navigation, je rêvai que je tuais Said. Tout se répéta. Mais, cette fois, je compris ses paroles. Il disait : 'De même que maintenant tu m'effaces, je t'effacerai où que tu sois.' Je jurai de rendre vaine cette menace. Je me promis de me cacher au centre d'un labyrinthe, où son fantôme se perdrait.
  • « Aben Hakam el Bokhari mort dans son labyrinthe », dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Roger Caillois (revue par Jean Pierre Bernès)), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010  (ISBN 978-2-07-012815-0), t. I, partie L’Aleph, p. 638


Il n'est pas nécessaire de construire un labyrinthe quand l'univers déjà en est un.
  • « Aben Hakam el Bokhari mort dans son labyrinthe », dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Roger Caillois (revue par Jean Pierre Bernès)), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010  (ISBN 978-2-07-012815-0), t. I, partie L’Aleph, p. 641


Il l'attacha au dos d'un chameau rapide et l'emmena en plein désert. Ils chevauchèrent trois jours et il lui dit: « Ô Roi du Temps, Substance et Chiffre du siècle ! En Babylonie, tu as voulu me perdre dans un labyrinthe de bronze aux innombrables escaliers, murs et portes. Maintenant, le Tout Puissant a voulu que je montre le mien, où il n'y a ni escaliers à gravir, ni portes à forcer, ni murs qui empêchent de passer. » Puis il le détacha et l'abandonna au cœur du désert, où il mourut de faim et de soif. La gloire soit à Celui qui ne meurt pas !
  • « Les Deux Rois et les Deux Labyrinthes », dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Roger Caillois (revue par Jean Pierre Bernès)), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010  (ISBN 978-2-07-012815-0), t. I, partie L’Aleph, p. 644


Rechercher ses précurseurs, ce n'est pas se livrer à une misérable tâche de caractère juridique ou policier ; c'est sonder les mouvements, les tâtonnements, les aventures, les intuitions et les prémonitions de l'esprit humain.
  • « Neuf essais sur Dante » (1957), dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Françoise Rosset revue par Jean-Pierre Bernès), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, t. II, chap. Dante et les visionnaires anglo-saxons, p. 850


Être amoureux, c'est se créer une religion dont le dieu est faillible.
  • « Neuf essais sur Dante » (1948), dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Françoise Rosset revue par Jean-Pierre Bernès), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, t. II, chap. La Rencontre en rêve, p. 858


Le fait c’est que chaque écrivain crée ses précurseurs. Son labeur modifie notre conception du passé, comme il modifiera le futur.
  • (es) El hecho es que cada escritor crea sus precursores. Su labor modifica nuestra concepción del pasado, como ha de modificar el futuro.
  • (es) Obras completas, Jorge Luis Borges (trad. Wikiquote), éd. Émece, 1996  (ISBN 9500409488), p. 89


Poésie

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Dieu pousse le joueur et le joueur la pièce.
Quel dieu derrière Dieu, débute cette trame
De poussière et de temps, de rêve et d'agonies ?

  • « L'Auteur » (1959), dans Œuvres complètes, Jorge Luis Borges (trad. Jean-Pierre Bernès), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, t. II, chap. Échecs II , p. 32


Conversations à Buenos Aires, 1996

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BORGES : Quand on rêve, la pensée prend des formes dramatiques. C’est ce que disait Dryden. La nuit, lorsque nous rêvons, nous sommes l’acteur, l’auteur, le spectateur et le théâtre. Nous sommes tout.
  • Conversations à Buenos Aires, Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato, animées par Orlando Barone (trad. Michel Bibard), éd. Éditions du Rocher, coll. « Bibliothèques 10/18 », 2001, p. 95


BORGES, dans un murmure : Déjeuners, thés, dîners quotidiens, petits déjeuners… sans un plat de rêve à la carte, ce serait insupportable, non ?
  • Conversations à Buenos Aires, Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato, animées par Orlando Barone (trad. Michel Bibard), éd. Éditions du Rocher, coll. « Bibliothèques 10/18 », 2001, p. 135


BORGES : Le seul qui existe, c’est le rêveur.
  • Conversations à Buenos Aires, Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato, animées par Orlando Barone (trad. Michel Bibard), éd. Éditions du Rocher, coll. « Bibliothèques 10/18 », 2001, p. 137


BORGES : Je me rappelle un rêve, il y a quelques nuits de cela. J’avais trouvé un livre anglais du XVIIè siècle et je me disais que c’était épatant d’avoir dégotté cette édition, mais après j’ai pensé que, si j’étais en train de rêver, je n’allais pas le retrouver le lendemain. Alors, me suis-je dit, je vais le mettre en lieu sûr, et je l’ai mis dans le tiroir de la bibliothèque. Comme cela je pourrais le retrouver à mon réveil.
SABATO, avec une légère ironie : Un rêve typiquement borgésien.
  • Conversations à Buenos Aires, Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato, animées par Orlando Barone (trad. Michel Bibard), éd. Éditions du Rocher, coll. « Bibliothèques 10/18 », 2001, p. 173


Prendre un livre dans une bibliothèque et le remettre, c'est fatiguer les rayonnages.
  • Le mystère Henri Pick, David Foenkinos, éd. Gallimard, coll. « folio », 2017, p. 16


Pourtant, à son insu peut-être, du roman épistolaire du XVIIIe siècle, James découvre le point de vue, le fait que la fable est narrée à travers un observateur, lequel peut être faillible – et l'est le plus souvent. Cet observateur définit les autres, mais –, sans s'en rendre compte, c'est lui-même qu'il définit.
  • Les Amis des amis, Henry James, éd. Éditions du Panama, coll. « La Bibliothèque de Babel », 2006, p. 9


Cette idée de frontières et de nations me paraît absurde. La seule chose qui peut nous sauver est d’être des citoyens du monde.


Je ne parle pas de vengeances ni de pardons, l'oubli est la seule vengeance et le seul pardon.
  • Borges, el memorioso: conversaciones de Jorge Luis Borges con Antonio Carrizo, Jorge Luis Borges, Antonio Carrizo, éd. Fondo de Cultura Económica, coll. « Tierra Firme », 1982, p. 138


Pourquoi vais-je mourir, si je ne l’ai jamais fait avant? Pourquoi vais-je faire quelque chose si étrange à mes habitudes ? C’est comme si on me disait que je vais devenir scaphandrier ou dompteur ou quelque chose comme ça, n’est-ce pas ?
  • (es) ¿Por qué voy a morirme, si nunca lo he hecho antes? ¿Por qué voy a cometer un acto tan ajeno a mis hábitos? Es como si me dijeran que voy a ser buzo o domador o algo así, ¿no?
  • (es) Borges verbal, Bravo & Paoletti (trad. Wikiquote), éd. Émece, 1999  (ISBN 9500420201), p. 132


Gardel et moi, nous avons quelque chose en commun: aucun de nous n’aime le tango.
  • (es) Gardel y yo tenemos algo en común: a ninguno de los dos nos gusta el tango.
  • (es) Borges verbal, Bravo & Paoletti (trad. Wikiquote), éd. Émece, 1999  (ISBN 9500420201), p. 92


Je pense que la théologie est une branche de la littérature fantastique. La psychanalyse, c’est encore une autre.
  • (es) Yo creo que la teología es una rama de la literatura fantástica. Otra es el psicoanálisis.
  • (es) Borges verbal, Bravo & Paoletti (trad. Wikiquote), éd. Émece, 1999  (ISBN 9500420201), p. 174


Un philosophe argentin et moi parlions une fois sur le sujet du temps. Et le philosophe a dit : « Par rapport à ça, on a fait beaucoup de progrès ces dernières années. » Et j’ai pensé que si je lui avais parlé de l’espace, sans doute m’aurait-il répondu : « Par rapport à ça, on a fait beaucoup de progrès dans les cent derniers mètres ». C’est un philosophe très connu.
  • (es) Un filósofo argentino y yo conversábamos una vez sobre el tema del tiempo. Y el filósofo dijo: “En cuanto a esto, se hicieron muchos progresos en los últimos años”. Y yo pensé que si le hubiera hecho una pregunta acerca del espacio, seguramente él me hubiera respondido: “En cuanto a esto, se hicieron muchos progresos en los últimos cien metros”. Es un filósofo muy conocido.
  • (es) Borges verbal, Bravo & Paoletti (trad. Wikiquote), éd. Émece, 1999  (ISBN 9500420201), p. 175


De toutes les villes du monde, de toutes les patries intimes qu'un homme cherche à mériter au cours de ses voyages, Genève me semble la plus propice au bonheur.
  • Œuvres complètes, Jorge Luis Borges, éd. Gallimard, 1999, t. 2, p. 884-885


Borges s'arrête à nouveau. Je me sens un peu gêné, planté au milieu de cette rue animée où les gens nous bousculent tandis que Borges, tel le vieil Œdipe, m'empoigne le bras et déclare : "Les panthéistes se représentaient l'univers comme habité par une seule personne, Dieu, un Dieu qui rêve toutes les créatures du monde, nous compris. Selon cette philosophie, nous sommes les rêves de Dieu et nous l'ignorons." Et quelques pas plus loin : "Mais Dieu sait-il que des petits bouts de Lui marchent en ce moment dans la foule de la Calle Florida ?" Et, s'arrêtant une fois encore : "Mais peut-être n'est-ce pas notre affaire."
  • Chez Borges, Alberto Manguel (trad. Christine Le Bœuf), éd. Actes Sud, 2003  (ISBN 2-7427-4257-3), p. 62-63


"Quelqu'un qui désire être immortel doit être fou, hein ?"
Dans le cas de Borges, c'étaient son œuvre, ses sujets, la matière dont était fait son univers qui étaient immortels, et c'est pourquoi il n'éprouvait pas le besoin de rechercher une existence éternelle. "Le nombre des thèmes, des mots, des textes est limité. Par conséquent rien ne se perd jamais. Si un livre est perdu, quelqu'un l'écrira de nouveau, tôt ou tard. Cela devrait suffire à n'importe qui, comme immortalité", me dit-il un jour où il parlait de la destruction de la bibliothèque d'Alexandrie.
  • Chez Borges, Alberto Manguel (trad. Christine Le Bœuf), éd. Actes Sud, 2003  (ISBN 2-7427-4257-3), p. 74


 
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