Alice Zeniter

romancière française
Article en cours de rédaction
Cet article est inachevé. Son état est provisoire et sera modifié. Une version améliorée est en préparation.
  • Veuillez prendre son état actuel avec prudence : Le plan et le contenu peuvent être incomplets, ou en révision.
  • Pour participer à cette amélioration, il vous est recommandé de consulter la page de discussion au préalable.
Cette page est une ébauche. N'hésitez pas à la modifier en ajoutant des citations admissibles !

Citations

modifier

Juste avant l’Oubli, 2015

modifier
La prêtresse avait commencé à parler. Elle avait ouvert cette séance initiale, et l'année entière qu'elle passerait avec ces étudiants encore inconnus, en leur déclarant :

– La littérature est un Kama Sûtra intellectuel.
Émilie avait hésité à prendre des notes. Elle ne savait pas comment écrire Kama Sûtra.

– La littérature est une forme de plaisir poussée à son raffinement le plus extrême par des écrivains que le rapport habituel au langage ne satisfait plus.


Un livre n'est pas terminé quand vous jugez qu'il est parfait. Un livre est terminé au moment où vous ne pouvez plus supporter d'en relire ne serait-ce qu'une ligne. Au moment où vous savez que si vous avez à le retravailler, vous brûlerez le tout dans un grand feu de joie plutôt que de bouger une virgule
  • Citation attribuée à l’auteur fictif Galwin Donnell[1]


L'Art de perdre, 2017

modifier


C'est long de faire ressurgir un pays du silence, surtout l'Algérie. Sa superficie est de 2 381 741 kilomètres carrés, ce qui en fait le dixième plus grand pays du monde, le premier sur le continent africain et dans le monde arabe ; 80 % de cette surface est occupée par le Sahara. Cela, Naïma le sait par Wikipédia, pas par les récits familiaux, pas pour avoir arpenté le sol. Quand on est réduit à chercher sur Wikipédia des renseignements sur un pays dont on est censé être originaire, c'est peut-être qu'il y a un problème.
  • L’Art de perdre, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2017  (ISBN 978-2-0813-9553-4), partie Prologue, p. 13


L'Algérie, à l'été 1830, est clanique. Elle a des histoires. Or, quand l'Histoire se met au pluriel, elle commence à flirter avec le conte et la légende. La résistance d'Abd el-Kader et de sa smala, bourgade ambulante qui paraît flotter sur le désert, résistance de sabres, de burnous et de chevaux semble tout droit tirée des Mille et Une Nuits quand on la regarde depuis la métropole. […] L'Histoire plurielle de l'Algérie n'a pas le poids de l'Histoire officielle, celle qui unifie. Alors les livres des Français avalent l'Algérie et ses contes et ils les transforment en quelques pages de leur Histoire à eux, celle qui paraît être un mouvement précis, tendu entre les jalons de dates apprises par cœur dans lesquelles le progrès soudain s'incarne, se cristallise et irradie.
  • L’Art de perdre, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2017  (ISBN 978-2-0813-9553-4), partie 1. L'Algérie de papa, p. 18


La fiction tout comme les recherches sont nécessaires, parce qu'elles sont tout ce qui reste pour combler les silences transmis entre les vignettes d'une génération à l'autre.
  • L’Art de perdre, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2017  (ISBN 978-2-0813-9553-4), partie 1. L'Algérie de papa, p. 22


L'Algérie les appellera des rats. Des traîtres. Des chiens. Des terroristes. Des apostats. Des bandits. Des impurs. La France ne les appellera pas, ou si peu. La France se coud la bouche en entourant de barbelés les camps d'accueil. Peut-être vaut-il mieux qu'on ne les appelle pas. Aucun nom proposé ne peut les désigner. Ils glissent sur eux sans parvenir à en dire quoi que ce soit. Rapatriés ? Le pays où ils débarquent, beaucoup ne l'ont jamais vu, comment alors prétendre qu'ils y retournent, qu'ils rentrent à la maison ? […] Harkis ?… Curieusement, c'est le nom qui leur reste. Et il est étrange de penser qu'un mot qui, au départ, désigne le mouvement (harka) se fige ici, à la mauvaise place et semble-t-il pour toujours.
  • L’Art de perdre, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2017  (ISBN 978-2-0813-9553-4), partie 2. La France froide, p. 166


Puisque la famille lui oppose la mort, le silence et les vœux pieux, il reste à Naïma la mémoire tentaculaire d'Internet pour appréhender l'histoire des harkis. […] Elle entre les uns après les autres les mots clés suivants :
Harkis
Actions des harkis guerre algérie
rôle des harkis
Représailles harkis algérie
harkis kabyles
Départ harkis 62

Ils la renvoient instantanément vers des milliers d'images, des pages et des pages de textes, des informations en pagaille et des fautes d'orthographe multicolores sur lesquelles elle clique, sans être sûre de ce qu'elle recherche, à travers lesquelles elle tombe, ce soir-là comme ceux qui suivent.
  • L’Art de perdre, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2017  (ISBN 978-2-0813-9553-4), partie 3. Paris est une fête, p. 416-417


– Tu peux venir d'un pays sans lui appartenir, suppose Ifren. Il y a des choses qui se perdent… On peut perdre un pays. Tu connais Elizabeth Bishop ?
Elle rit parce que l'apparition du nom de la poétesse américaine dans cette voiture qui longe la côte algérienne à toute vitesse a quelque chose d'incongru. Ifren commence à réciter :

Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître,
tant de choses semblent si pleines d'envie
d'être perdues que leur perte n'est pas un désastre.
[…][2]

Naïma reste silencieuse. Ifren lui sourit :
– Personne ne t'a transmis l'Algérie. Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'un pays, ça passe dans le sang ? Que tu avais la langue kabyle enfouie quelque part dans tes chromosomes et qu'elle se réveillerait quand tu toucherais le sol ?
Naïma éclate de rire : c'est exactement ce qu'elle avait espéré, sans oser jamais le formuler.
– Ce qu'on ne transmet pas, ça se perd, c'est tout. Tu viens d'ici mais ce n'est pas chez toi.
  • L’Art de perdre, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2017  (ISBN 978-2-0813-9553-4), partie 3. Paris est une fête, p. 496-497


Je suis une fille sans histoire, 2021

modifier

Toute une moitié du monde, 2022

modifier
Je veux à la fois que la fiction m’arrache au monde et qu’elle m’éduque sur lui.
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Préliminaire, p. 13


Toute une littérature à laquelle il manque une moitié du monde, ça fait quand même beaucoup. Ça se pose là, comme trou béant. Ça se remarque... non ?
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Etre autrice, p. 59


S'arrachent à la catégorie des « livres de bonnes femmes » ceux qui remplissent une autre fonction que d'être des romans, ceux à qui l'on reconnaît une fonction politique et sociale, par exemple, une utilité. Le succès qu'a reçu L'Art de perdre tient beaucoup à son sujet : la domination coloniale et la guerre d'Algérie, ça en imposait forcément un peu […]. Ce que beaucoup de critiques ont salué, c'est que j'aurais, avec ce roman, « fait entrer les harkis dans le champ romanesque », « rompu le silence », « comblé les blancs » – en gros, fait une œuvre de pédagogie jugée socialement bénéfique. J'en suis très heureuse, c'est ce que je souhaitais aussi, mais je constate que ce qui m'a donné un statut d'autrice reconnue ne relève pas de la littérature.
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Etre autrice, p. 63-64


L'écueil évident, dans cette manière de distinguer certaines autrices pour leur travail de passeuse vers des histoires méconnues (qu'elles soient nationales ou étrangères), c'est le risque d'en faire des porte-parole et de ne plus les regarder comme des créatrices de fiction. Depuis 2017, j'ai été identifiée aux personnages de L'Art de perdre tant de fois que j'ai cessé de protester (estimant que le temps perdu pour rectifier, dans des interviews souvent trop brèves, me privait de dire autre chose). Il est possible que j'aie parlé d'Algérie (pays dans lequel je suis allée deux fois) plus que j'aie parlé d'écriture (ce qui m'occupe depuis vingt ans).
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Etre autrice, p. 65


J'ai mis du temps, moi aussi, à dire que j'étais écrivaine. […] Mais d'ailleurs, j'ai commencé en disant que j'étais écrivain – pas écrivaine. Auteur. Parce que je voulais être traitée comme un homme, je voulais, d'une certaine manière, aller jusqu'à effacer la femme le plus possible, parce qu'avec la femme venait la suspicion des « romans de bonne femme » et venait, surtout, le corps mis à disposition. Une autrice, ai-je réalisé très vite, c'est un corps sur lequel tout le monde a un avis.
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Etre autrice, p. 68-69


J'ai trop entendu qu'une femme devait être jolie et devait sourire pour que ça me vienne facilement de ne pas le faire. […] C'est vrai, ça aide à faire parler du livre, donc à le vendre, donc à être plus puissantes (riches) et à ne plus être obligées d'être jolies pour vendre plus de livres. Mais chaque fois que j'ai joué le jeu, je savais que je contribuais, d'un autre côté, au fait que je ne serais pas, ou moins, prise au sérieux. J'avance avec mon corps de femme au milieu du chemin, il me fait barrage à moi-même ou, pour le dire moins poliment, avec les mots de Despentes : « J'ai une chatte en travers de la gueule. »
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Etre autrice, p. 74-75


Quand j'écris, il m'arrive d'hésiter à pratiquer une bifurcation, un saut, un abandon et je suis toujours surprise de constater que la question qui se présente alors à moi, c'est : Est-ce que j'ai le droit ? […] qui est l'autorité qui se présente ici et qui joue, parfois, contre moi ? La forme elle-même ? L'horizon d'attente d'un lectorat imaginé ? Malgré les vingt-cinq années que j'ai passées à lire avec ferveur, à m'assurer des journées entières où je pourrais ne faire que lire, malgré la curiosité que j'ai essayé de déployer dans mes choix de lectrice, j'ai développé des goûts qui ont été façonnés par une production narrative majoritaire. Ça ne veut pas dire que je rejette les œuvres qui ne jouent pas le jeu mais ça signifie que ma réception est compliquée par les écarts avec le modèle dominant.
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Sortir du roman « as usual », p. 96-97


Si je peux accepter que ce que j'écris requière un effort de « lectant », je refuse que mes livres intimident. Ou plutôt, parce que je sais que la longueur de certains suffit à le provoquer, je refuse de jouer de ce phénomène d'intimidation, de créer volontairement un tri dans mon lectorat. Je veux écrire des livres qui soient accessibles au plus grand nombre mais je veux aussi sortir des schèmes préétablis dont je connais pourtant le pouvoir de séduction comme la capacité à rassurer. Pour résumer, j'ai le cul entre deux chaises narratives.
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Sortir du roman « as usual », p. 106-107


J'ai répété jusqu'ici que lire m'arrachait à l'état d'impuissance dans lequel mon existence me plonge de manière réitérée. Et bien sûr, écrire a le même effet, décuplé par instants. Écrire me permet de manipuler des choses « éparses et irréconciliables » qui cessent de se présenter comme douloureuses car elles s'avèrent, le temps de l'écriture, utiles dans leur éparpillement. C'est un temps qui me permet de revenir sur des accumulations de pensées, de sensations et de souvenirs laissés en jachère – même si je n'écris pas sur moi et me suis toujours tenue à une distance prudente de l'autofiction, je suis un des matériaux que j'utilise.
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. La forme et le chaos, p. 158-159


Me ressaisir d'une expérience du monde dans l'écriture, « appartenir au monde », dit Morrison, c'est penser des organisations plus vastes que moi (classes sociales, tribus, multitudes) et y chercher des formes, des motifs répétés, des faisceaux de sens et de facteurs, au-delà de récits simplistes qui me les ont masqués. En termes de narration, écrire, ce n'est sans doute pas tant mettre le réel en récit que chercher à le dégager des formes narratives préexistantes qui étouffent, simplifient, bâillonnent ou rendent tout simplement banal ce qui pourrait ou devrait ne pas l'être. Il est certains récits qui ont valeur d'acquiescement à un ordre du monde. Prendre le temps d'écrire est ce qui me permet, pour un moment, de leur échapper.
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. La forme et le chaos, p. 166


Dans Juste avant l’Oubli, j'avais mis en exergue d'un chapitre cette citation de Roberto Bolaño, tirée d'une de ses interviews : « La littérature ressemble énormément à un combat de samourais. Mais un samourai n'y affronte pas un autre samouraï : il se mesure à un monstre. La plupart du temps, il sait bien qu'il sera vaincu. Avoir le courage, alors que vous savez à l'avance que vous perdrez, de sortir vous battre : voilà ce qu'est la littérature. » C'est une phrase qui parfois me rassure (je n'ai pas à gagner) et qui m'angoisse souvent : si je passe mon temps à perdre contre le dragon, sans en mourir, alors c'est que le combat n'a pas de fin. Comment un livre pourrait-il donc en avoir une ?
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Finir, p. 224-225


Tout n'est jamais fini au moment où un récit prend fin, chaque histoire n'a fait que couper une tranche de temps sur laquelle l'attention est focalisée. Dès qu'on porte le regard un peu plus loin, on s'aperçoit que mille lignes se poursuivent…
  • Toute une moitié du monde, Alice Zeniter, éd. Flammarion, 2022  (ISBN 978-2-0802-5933-2), chap. Finir, p. 230-231


Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, 2023

modifier
C’est le premier livre qui me fait me sentir à ma place – je ne sais pas comment l'expliquer : je suis faite pour lire ce livre, ce livre est fait pour être lu par moi. […] La joie, enfant, de découvrir un livre qui paraît fait pour nous, un univers qui nous va mieux que celui dans lequel on est né, je crois que ça dépasse tout. Si j'ai écrit si jeune et sans être impressionnée par la « Littérature » – ça viendra plus tard, avec les études de littérature, justement –, c'est peut-être parce que j'ai rencontré L'Histoire sans fin, un livre qui voulait bien être ma maison.
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie I. Au pays des merveilles (made in Normandie), p. 15-16


Ça a toujours été le plus drôle de tous les jeux. Le plus plaisant de tous, sans limite physique. Quand on jouait dans le jardin avec ma frangine, on essayait d'inventer une histoire, des personnages, mais c'était nous qui les vivions avec nos corps de petites filles. Dans l'écriture, on pouvait déployer des palais imaginaires, des costumes, le kif était absolu.
  • Question : « Écrire a toujours été naturel, pour vous ? »
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie I. Au pays des merveilles (made in Normandie), p. 18


La bascule dans l’imaginaire, c’est un arrachement au quotidien que je trouve merveilleux, ça permet de passer le temps avec rien.
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie I. Au pays des merveilles (made in Normandie), p. 21-22


Il joue du violon, résout des enquêtes et il boxe : forcément, ça me plaît. Mais ça ne s'arrête pas là : il prend de la cocaïne, il est dépressif et particulièrement brillant, il n'a aucune douceur et il est misogyne… Il a tout du type qui pourrait ruiner ma vie si je le rencontrais hors des livres. Mais comme je suis protégée par la mince frontière qui sépare la fiction de ma réalité, je peux l'aimer sans qu'il ne me dévore. Je l'aime sûrement encore un peu, d'ailleurs.
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie I. Au pays des merveilles (made in Normandie), p. 24-25


Il y a cette phrase de Michel Butor que j'ai citée dans Toute une moitié du monde : « Je crois que toute littérature est politique même si elle est naïve, c'est-à-dire qu'elle ne le voit pas » ou « qu'elle ne s'en doute pas ». J'en suis fermement convaincue.
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie II. Vers les vers blancs, p. 45


Je veux encore, aujourd'hui, avoir une écriture du seuil : quelque chose qui puisse accueillir tout le monde et servir d'ouverture vers des œuvres plus difficiles, comme celle de Toni Morrison.
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie II. Vers les vers blancs, p. 48


Mes recherches ont commencé de manière totalement bordélique. […] J'erre de site en site, j'accumule des petites données, des bizarreries, qui allaient m'aider pour les descriptions. Après, je me suis un peu restreinte, en arrêtant de lire n'importe quoi, parce qu'on n'a qu'une vie et un temps limité pour écrire ce livre. Il ne fallait pas que je m'égare.
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie III. C’est vrai que cette histoire manque de chameaux, p. 64


J'ai envie que la langue se présente comme traversable et s'il y a des phrases qui restent, des beautés ou des bizarreries, qu'elles soient là un peu par hasard, que je sois moi-même surprise de les avoir entraînées avec moi. Je n'ai pas envie de la phrase qui arrête, qui dit : Attends, relis-moi, c'est incroyable. Je veux que la langue ait l'air facile, qu'on puisse continuer à la suivre, encore et encore.
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie III. C’est vrai que cette histoire manque de chameaux, p. 74


Une bataille peut contenir de la joie. Je ne suis pas du tout dans la rhétorique qui dit qu'écrire, c'est accoucher dans la douleur. Ça peut être très, très gai. Si on reconnait d'avance qu'on a perdu, les hématomes à l'ego n'existent pas, peut-être. […] On va se défouler contre un dragon, et c'est passionnant. On va se battre, on va perdre, et on recommencera. Je pense aussi qu'il faut perdre pour continuer ; tuer le dragon, ce serait aboutir au livre parfait et si le livre est parfait, il n'y a plus rien à écrire derrière. C'est justement parce que chaque livre renferme des bouts d'échecs, des problèmes, une faille, qu'on peut en écrire d'autres.
  • Question : « Avez-vous l'impression, vous aussi, qu'écrire est un combat perdu d'avance ? Un… art de perdre ?[3] »
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie III. C’est vrai que cette histoire manque de chameaux, p. 93


Ce qui est dans le livre, c'est de l'écriture, et la meilleure manière de la découvrir, c'est de la lire, pas d'en parler.
  • Alice Zeniter : Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, Alice Zeniter, Richard Gaitet, éd. Arte éditions / Points, 2023  (ISBN 978-2-7578-9724-9), partie IV. L’empire sans attaque, p. 105


Autres citations

modifier
 
On continue aujourd’hui à lire Aragon, à l’étudier, à le considérer comme un des auteurs français majeurs du XXe siècle et ce n’est pas le cas pour Triolet. L’effacement des autrices (ou des artistes femmes, en général) qui ont eu le malheur d’être aussi des muses et ne se sont finalement passées à la postérité que comme muses est un cas fréquent […]. Mais dans le cas d’Elsa Triolet, il serait erroné de déclarer qu’on lui a imposé le statut de muse ou de « femme de» et qu’elle en est morte avant même de mourir et encore plus après. Contrairement à ce qu’a été mon premier mouvement de pensée, il n’est pas sexiste de penser à Triolet comme à la femme d’Aragon : elle l’a elle-même voulu.
  • « Un rêve et un souci », Alice Zeniter, L’Humanité, 2020 (lire en ligne)


Il ne rime à rien de faire exister Triolet sans Aragon, je ne la libérerai pas en la détachant d’une conjugalité que j’ai pu imaginer délétère. Elle ne veut pas que je l’en détache. Imaginant ce qui viendra après la mort, quand « le Grand Jamais » (comme elle le disait) aura fait taire toutes les querelles politiques et amicales dont elle a tant souffert, Triolet écrit : « Alors, nos livres croisés viendront noir sur blanc, la main dans la main, s’opposer à ce qu’on nous arrache l’un à l’autre. »
  • « Un rêve et un souci », Alice Zeniter, L’Humanité, 2020 (lire en ligne)


Il serait aussi vain, pour faire relire Triolet, de vouloir la séparer du communisme que de la séparer d’Aragon. Elle n’est pas une grande écrivaine malgré ou grâce à ces deux choses, elle l’est avec elles, sans jamais le cacher, puisqu’il s’agit de la matière même dans laquelle sa vie a pris forme et donc de la matière même que son écriture travaille.
  • « Un rêve et un souci », Alice Zeniter, L’Humanité, 2020 (lire en ligne)


Entretiens

modifier
Ce qui m'intéresse dans l’Art de perdre, c'est de montrer que, quand on parle de faire un choix, on imagine que les gens ont toutes les cartes en main. Alors qu'un paysan analphabète, même enrichi, même devenu notable, n'a pas une lecture du monde telle qu'on peut l'avoir aujourd'hui. C'est facile de me dire, si j'avais été à la place de mon grand-père, je n'aurais certainement pas fait ce choix-là. Oui, moi, avec mon éducation, et avec les outils politiques que j'ai.
  • « Entretien avec Alice Zeniter : « Enfant, j’ignorais pourquoi on n’allait pas en Algérie » », Claire Devarrieux, Libération, 1er septembre 2017 (lire en ligne)


L’écriture déforme les choses, pas dans le sens négatif, mais le simple fait d’écrire distord la réalité, et l’emmène ailleurs, et moi j’aime pouvoir me laisser porter par ça, par cette force qu’a l’écriture de créer des choses qu’on n’avait pas forcément pensées avant de commencer à écrire, et qui émergent dans ce travail-là. […] J’ai besoin que l’écriture puisse lâcher les chevaux, et m’amener là où je vais décider qu’il fait froid parce que tout à coup il y a cette envie d’écrire sur ces sensations-là, sur un homme qui marche seul dans une ville aux volets fermés, dans le froid. Cette liberté que laisse la fiction est très précieuse pour moi.
  • « Entretien avec Alice Zeniter : « Enfant, j’ignorais pourquoi on n’allait pas en Algérie » », Claire Devarrieux, Libération, 1er septembre 2017 (lire en ligne)


La majorité des œuvres littéraires que j’admire ont une portée politique parce qu’elles mettent en présence des individus ou des communautés qui partagent un même espace-temps sans partager du tout le même système de valeurs. À partir de là, elles sont une exploration de ce qu’est la difficulté de s’organiser en société commune, à l’échelle d’une rue, d’une ville ou d’un pays, alors que les sous-mondes sociaux s’ignorent, se méprisent ou se craignent.


Toute personne qui paraît penser qu’il existe une antichambre (artistique, familiale, professionnelle…) à la porte de laquelle on peut laisser la politique (en la priant de « ne pas déranger ») est, à mes yeux, une personne à qui la situation politique bénéficie et qui demande à ceux à qui elle ne bénéficie pas de bien vouloir crier moins fort.
  • « Des incarnations, des percepts et du temps », Alice Zeniter (propos recueillis par Alexandre Gefen), Esprit, 2021 (lire en ligne)


Il est des textes qui sont écrits pour déstabiliser, décevoir des attentes, donner le vertige et, logiquement, ils tiendront à l’écart les lecteurs et les lectrices qui cherchent des sensations plus familières. Il en est d’autres, dits exigeants eux aussi, qui sont pensés comme des jeux, des boîtes à surprises – sans pour autant garantir à leurs auteurs que les lecteurs s’amuseront avec eux. Mais qui peut se targuer d’avoir cette garantie, de toute manière ?
  • « Des incarnations, des percepts et du temps », Alice Zeniter (propos recueillis par Alexandre Gefen), Esprit, 2021 (lire en ligne)


Le choix d’un mot plutôt qu’un autre, dans certaines situations, est révélateur d’un discours politique plus vaste, de droite ou de gauche. Reste alors la question du degré de conscience dans l’emploi du mot : est-ce qu’il est utilisé comme une affirmation de son camp politique ? Est-ce qu’il s’est sédimenté à la place de tous les autres par habitude, par atavisme familial ou professionnel, ou à force de matraquage médiatique ? Est-ce que, devant une interrogation ou une explication, il peut céder la place à un autre mot ?
  • « Des incarnations, des percepts et du temps », Alice Zeniter (propos recueillis par Alexandre Gefen), Esprit, 2021 (lire en ligne)


Notes et références

modifier
  1. Dans Écrire, c'est le plus drôle de tous les jeux, 2023, partie III. C’est vrai que cette histoire manque de chameaux, p. 86 , Alice Zeniter déclare : « c'est une citation de Cioran légèrement bidouillée. »
  2. Elizabeth Bishop (trad. Alix Cléo Roubaud, Linda Orr et Claude Mouchard, préf. Octavio Paz), Géographie III, (ISBN 2-908024-23-3).
  3. En référence à la citation suivante : « La littérature ressemble énormément à un combat de samouraïs. Mais un samouraï n'y affronte pas un autre samouraï : il se mesure à un monstre. La plupart du temps, il sait bien qu'il sera vaincu. Avoir le courage, alors que vous savez à l'avance que vous perdrez, de sortir vous battre : voilà ce qu'est la littérature » (Roberto Bolaño, interviewé par Eduardo Cobos, Mezclaje, 1999), cité dans Juste avant l’Oubli (lire en ligne), « Enfin un cadavre », p. 255.

Voir aussi

modifier

Vous pouvez également consulter les articles suivants sur les autres projets Wikimédia :