Alix Cléo Roubaud

photographe française

Alix Cléo Roubaud, née Alix Cléo Blanchette le à Mexico, et morte le dans le 4e arrondissement de Paris, est une photographe et diariste française d'origine canadienne. Elle tient un journal intime depuis son adolescence. Son journal a été partiellement publié par son époux, le poète et mathématicien Jacques Roubaud, après son décès prématuré à 31 ans causé par une embolie pulmonaire.

Citations

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L'acte du tirage. Tirer hors du noir, faire venir à la lumière. Un acte de remémoration. On peut par la mémoire continuer à « toucher » le morceau de monde qu'a saisi la photographie
  • Journal, 30 août 1979
  • Une image peut-être vraie. Alix Cléo Roubaud, Hélène Giannecchini, éd. Seuil, 2014  (ISBN 978-2-02-113757-6), chap. Postace, p. 186


La destruction du négatif sera un garde-fou contre la tentation d'approcher à nouveau le souvenir du monde que la photographie enferme. Ce souvenir, une fois le tirage effectué est perdu ou, plus précisément, n'est plus que souvenir du souvenir. Le négatif n'est que la palette du peintre
  • Journal, 11 octobre 1979.
  • Une image peut-être vraie. Alix Cléo Roubaud, Hélène Giannecchini, éd. Seuil, 2014  (ISBN 978-2-02-113757-6), chap. Postace, p. 187


Journal (1979-1983)

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  Les extraits publiés couvrent les quatre années qui ont précédé son décès. La typographie non conventionnelle correspond à la celle de la réédition de l'ouvrage en 2009.

Une image incomplète doit montrer qu’elle est incomplète.
  • 28.XII.79
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 21


Dégager l’âme des choses.Leur double incorporel.Ton autre visage,celui que tu ne vois pas,en deçà de ton œil,au-delà de ta vie:redoublement né du regard amoureux:je t’aime jusque-là.
  • 6/7.I.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 22


Photographier le sommeil(là où on ne se voit pas);furtif de la photographie,comme si on voulait regarder et fixer l’aveuglement de l’autre,du photographié,comme si on voulait obturer ses sens,détourner son regard à jamais, comme si on voulait être seul au monde à voir du tout,et que le monde était tout entier vu.
  • 6/7.I.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 23


S’endormir comme tout le monde,etc,une simple vie réglée.S’endormir comme tout le monde,ce que je veux.

(je veux m’endormir comme les autres gens,c’est tout).

J’ai à faire avant d’y parvenir.
  • 25.I.80,un matin
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 27


L’horreur vient le matin

Elle ne vient pas du matin elle vient de la nuit et arrive quand elle survit à la nuit

quand au matin le monde a gardé son visage de nuit

  • 1.II.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 30


Que nous soyons la chambre noire l’un de l’autre

(don’t wake up don’t look now)!!!

ne regarde pas ce moi nocturne qui écrit à la faveur de ton sommeil détourne le regard tu ne sais pas de quoi il s’agit cette pure phobie de l’irruption dans ma nuit à moi cet espace à moi, ce temps à moi, seule en fin, face à ma fin, par exemple.
  • 9.II.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 32


Prisonnière de ma propre cage.bien aménagée.Inlocalisable.
  • 1.IV.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 42


La mort, mon amour, plutôt que l’enfermement,le retrait du monde, l’invulnérabilité sainte que,sacrilège,je désirais en la mort,tout cela dans le mariage.
  • 7.IV.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 43


Que mes photos soient dans le quotidien:notre œil tourné vers le futur antérieur de l’image consignée:nous avons été cela.
  • 7.IV.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 44


Il est vrai que la photographie est un futur antérieur sans cesse déchiré.Je veux dire la pratique photographique de l’autoportrait quotidien ,toujours à recommencer.
  • 25.IV.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 45


Beauté plus pure ne connais pas de beauté plus pure que la répétition tous les jours,la beauté plus pure chaque jour de la répétition,chaque jour,de cela chaque jour.
  • 25.IV.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier bleu, p. 46


La peinture du même lit serait une répétition simple. La photographie du même lit,à un jour près,ne répète pas,mais ajoute un de plus:le photographiable est aussi infiniment fragmentable(en ces fragments brillants que sont les photos)que ce temps que nous avons au monde.
  • 14.VII.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie grand cahier noir, p. 51


Ô mon amour s’il te plaît écoute bien:je ne suis pas un écrivain,je ne le suis en aucun sens imaginable,ce qui en un sens ne rend pas l’explication facile à faire à quelqu’un qui l’est:je n’ai aucun langage en ma possession en lequel je pourrais écrire;mais quoi qu’il en soit il FAUT que j’écrive,aussi souvent que possible, tous les jours si je peux;c’est un exercice à la fois vital et horrible parce qu’aucun de ses produits ne pourra jamais être montré à personne tant que je vivrai.Pas vraiment.Non.Pas vraiment.Non.Ô mon amour aucune importance si tu ne comprends pas du moment que tu sais.
  • 16.VII.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie grand cahier noir, p. 57


je vais mourir.
Tu vas me perdre,mon amour.
Je n’ai jamais aimé que toi.
Je mérite la mort.
Je mérite la mort,stupide,inutile amoureuse.
Tu me verras morte Jacques Roubaud. On viendra te chercher.Tu identifieras mon cadavre.
Tu ne sais rien de Dieu.
prépare-toi à ma mort.
tu m’aimes pour les raisons de la vie –sottement tu oublies les raisons de la mort.

  • 3.VIII.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie grand cahier noir, p. 65-66


Effectuer un simple renversement de propositions:la photographie n'est pas un donné empirique(les photos) mais une intention:il y a des peintures qui sont de la photographie et certaines photos qui ne sont pas de la photographie.
  • 14.X.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie grand cahier noir, p. 84


La photographie s'apparente à la calligraphie par la répétition d'un exercice qui vise à atteindre l'instant pur;[…]C'est ainsi que malgré son réalisme tout à l'opposé de la peinture,elle est proche néanmoins de la peinture gestuelle.Jackson Pollock essaye aussi de garder l'instant pur du moment de sa production.J'essaye,moi,au pinceau lumineux.
  • 28.XII.80
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier italien clair, p. 101


Une photographie est vraiment une forme du silence.Pourtant un journal peut montrer ses silences,comme une image incomplète son incomplétude.
  • (en) Photography is indeed a form of silence.But still a diary can show its silences, as an incomplete image its incompleteness.
  • 14.I.81
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier italien clair, p. 104-105


Incapacité d’écrire,sauf dans un état un peu second.La torture mentale du bilinguisme s’affine.je ne peux pas écrire une phrase sans la corriger mentalement dans l’autre langue.un mariage avec un manieur de la langue n’a rien arrangé.
  • 31.VIII.81
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie deuxième cahier bleu, p. 146


J’ai voulu,à tort,être écrivain. Épouser un poète était le meilleur moyen de ne pas l’être.
  • 20.VII.82
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie deuxième cahier bleu, p. 193


Entre dire et montrer ? L’idéal est le mutisme et la monstration:silence et ostentation du cadavre.

Il n’est pas obligatoirement mon premier public; je ne suis pas obligatoirement sa première lectrice.
Raconter un projet l’annule.

(recommencer à lire,tout court;Wittgenstein)
  • 6.X.81
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier orange, p. 197-198


Aucune maladie,que l’on accueille comme un hôte sous son toit,ne nous permet l’incongruité de désespoir,du moins pas tant que l’on est maître de maison.
  • 19.I.83
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie cahier violet, p. 221


8. Tout ce qui peut être montré peut l'être clairement.
8.0. (Tout ce qui peut être dit peut l'être clairement.) Ce qu'on ne peut pas dire on peut soit le montrer soit le taire. Une image est ainsi une forme de silence. La photographie n'est pas un langage. On lui reconnaîtra le droit d'être belle et de se taire.
  • « Toutes les photographies sont des photographies d’enfance ». Texte écrit pour elle-même, commentant ses propos dans Les Photos d'Alix de Jean Eustache.
  • Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), partie Appendice, p. 229


Citations sur

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Hélène Giannecchini

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Alix Cléo Roubaud a détruit tous ses négatifs, proscrivant ainsi l'œuvre posthume. Les quelques planches-contacts et diapositives qu'elle n'a pas eu le temps de jeter sont des documents de travail : une matière première pour la photographe qui fait réellement advenir la photographie dans la chambre noire. Il y a peu de choix aussi radicaux que celui qui consiste à détruire la matrice de l'image, à lui retirer son principe même de reproductibilité. Revenant aux fondements de l'histoire de la photographie, aux premiers positifs directs, Alix Cléo Roubaud ne livre que des originaux.
  • « Tirer hors du noir », Hélène Giannecchini, dans Alix Cléo Roubaud : photographies : "quinze minutes la nuit au rythme de la respiration", (sous la dir.) Anne Biroleau-Lemagny, Hélène Giannecchini, Dominique Versavel, éd. Bibliothèque nationale de France, 2014  (ISBN 978-2-7177-2617-6), p. 16


En bouleversant ainsi le rapport indiciel de la photographie au réel, en enlevant au spectateur le loisir de "reconnaître", Alix Cléo Roubaud remet en question le temps de la photographie. Pas de passé s'il est impossible de discerner un lieu ou un visage. Pour Alix Cléo Roubaud, la photographie n'est pas « ce qui a eu lieu», mais « ce qui aura eu lieu »; l'image se conjugue au passé du futur : « Il est vrai que la photographie est un futur antérieur sans cesse déchiré. » Le futur antérieur fait signe vers ce qui, dans l'avenir, est de l'ordre du passé, et la photographie s'inscrit dans cette grammaire étrange. La seule certitude de l'artiste est qu'à la découverte de l'image, le moment photographié sera immanquablement révolu. Le négatif porte la trace de l'instant terminé ; c'est pour cela qu'il doit être supprimé. Il est ce qu'Alix Cléo Roubaud nommait « piction » : une image figée qui ne porte plus aucun présent.
  • « Tirer hors du noir », Hélène Giannecchini, dans Alix Cléo Roubaud : photographies : "quinze minutes la nuit au rythme de la respiration", (sous la dir.) Anne Biroleau-Lemagny, Hélène Giannecchini, Dominique Versavel, éd. Bibliothèque nationale de France, 2014  (ISBN 978-2-7177-2617-6), p. 18


Jacques Roubaud

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Voir le recueil de citations : Jacques Roubaud

Je ne peux pas écrire de toi plus véridiquement que toi-même.
Ce n'est pas que j'en sois incapable par nature, mais la vérité de toi, tu l'as écrite.
Et parce que tu écrivais pour n'être lue que morte, parce que je l'ai lue, toi morte, et faite mienne, cette vérité est la plus forte de toutes.

  • Je ne peux pas écrire de toi


 
Ludwig Wittgenstein en 1930
Se penchant sur la carte de France, elle avait découvert une ville et son nom : Aix-en-Provence. Elle y avait vu la promesse d’une santé de nouveau possible, d’une solitude et autonomie studieuse dans la conquête de cette discipline grecque entre toutes selon notre imagination : la philosophie. Elle n’avait pas trouvé la guérison mais une passion double, celle de dire et de montrer : Wittgenstein et la photographie.
  • Le Grand Incendie de Londres, Jacques Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-099689-1), partie La Destruction, chap. Bifurcations. III, Quinze minutes la nuit, p. 373


La langue de la philosophie fut pour elle l’allemand, à partir de la découverte de Wittgenstein puis de Benjamin, tous deux d’ailleurs, pour des raisons différentes, des « errants », ayant vécu, longuement, dans cet état d’insularité linguistique quasi solipsiste qui la fascinait, Benjamin à Paris et Wittgenstein à Cambridge. Une raison sans doute semblable explique son attirance pour l’œuvre de Gertrude Stein.
  • « Introduction au « Journal d’Alix » », Jacques Roubaud, dans Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), p. 8


Elle m’avait dit un jour que le négatif d’une photographie n’était pas plus important que la palette pour le peintre. Une œuvre photographique qu’elle signait était composée par sa main aidée de la lumière et de la chimie. Transposant, pour son propre usage, (et sans revendiquer une quelconque pertinence philosophique pour cet emprunt), une distinction wittgensteinienne, elle opposait l’image, vivante, à ce qu’elle nommait piction et qui n’est qu’une image « oisive ». Sur un négatif, disait-elle, il n’y a qu’une piction. Le « tirage », seul, peut la mettre en mouvement et en faire, véritablement, une image.
  • « Introduction au « Journal d’Alix » », Jacques Roubaud, dans Journal (1979-1983), Alix Cléo Roubaud, éd. Seuil, 2009  (ISBN 978-2-02-100209-6), p. 14-15


Voir aussi

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