Michel Pastoureau

historien de l'art français

Michel Pastoureau est un historien médiéviste français, né le 17 juin 1947.

Michel Pastoureau
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Citations modifier

Bleu, histoire d'une couleur, 2000 modifier

 
La couleur n’est pas tant un phénomène naturel qu’une construction culturelle complexe, rebelle à toute généralisation, sinon à toute analyse. Elle met en jeu des problèmes nombreux et difficiles. C’est sans doute pourquoi rares sont les ouvrages sérieux qui lui sont consacrés, et plus rare encore ceux qui envisagent avec prudence et pertinence son étude dans une perspective historique.
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. Introduction. La couleur et l’historien, p. 7


Dès qu’il s’agit de la couleur, tous les problèmes se posent en même temps à l’historien : physiques, chimiques, matériels, techniques, mais aussi iconographiques, idéologiques, emblématiques, symboliques.
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. Introduction. La couleur et l’historien, p. 8


 
L’histoire du bleu […] pose un véritable problème historique : pour les peuples de l’Antiquité, cette couleur compte peu; pour les Romains, elle est même désagréable et dévalorisante : c’est la couleur des barbares. Or aujourd’hui le bleu est de loin la couleur préférée de tous les Européens, loin devant le vert et le rouge. Il y a donc eu au fil des siècles un renversement complet des valeurs.
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. Introduction. La couleur et l’historien, p. 11


Aux XIIe et XIIIe, le bleu était enfin devenu une couleur de premier plan, une belle couleur, une couleur maritale, une couleur royale, et pour toutes ces raisons un rival du rouge.
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. 4. La couleur préférée : XVIIIe - XXe siècle, p. 123


Le peintre Yves Klein (1928-1962) est resté célèbre pour ses bleus, à la fois très saturés et très lumineux, semblant supprimer toute impression d’espace entre le spectateur et le tableau. Avec l’aide du marchand de couleurs Édouard Adam, Klein a mis au point un pigment bleu outremer particulier, dont la composition chimique est protégé et dont le brevet a été déposé sous le nom de IKB (International Klein Blue). Étrange conception du travail et du rôle de l’artiste…
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. 4. La couleur préférée : XVIIIe - XXe siècle, p. 172


 
Que reste-t-il aujourd'hui de la longue et riche histoire de la couleur bleue dans notre vie quotidienne, dans nos codes sociaux, dans nos sensibilités ? [Elle est] la couleur préférée, loin devant toutes les autres. Et ce, quels que soient le sexe, les origines sociales, la profession ou le bagage culturel : le bleu écrase tout.
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. Conclusion. Le bleu aujourd'hui : une couleur neutre ?, p. 179


 
Vue à grande distance, la Terre présente différentes couleurs mais le bleu y est largement dominant en raison de l’oxygénation de l’atmosphère qui l’entoure. D’où l’expression « planète bleue » devenue courante pour la designer à partir des années 1960, c’est-à-dire à partir des premiers voyages dans l’espace. Mais les poètes avaient précédé les cosmonautes : dès 1929, Paul Eluard chantait dans un poème célèbre : « la Terre est bleue comme une orange. »
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. Conclusion. Le bleu aujourd'hui : une couleur neutre ?, p. 179


 
C’est là une des caractéristiques essentielles du bleu dans la symbolique occidentale des couleurs : il ne fait pas de vague, il est calme, pacifique, lointain, presque neutre. Il fait rêver bien sûr […] mais ce rêve mélancolique a quelque chose d’anesthésiant.
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. Conclusion. Le bleu aujourd'hui : une couleur neutre ?, p. 180


Le bleu est devenu la plus pacifique, la plus neutre de toutes les couleurs. Même le blanc semble posséder une force symbolique plus grande, plus précise, plus orientée.
  • Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2000  (ISBN 978-2-02-020475-0), chap. Conclusion. Le bleu aujourd'hui : une couleur neutre ?, p. 180


Les couleurs de notre temps, 2003 modifier

Une couleur n’a d’existence que si elle est perçue par le couple œil-cerveau d’un être humain et, surtout, que si elle est individualisée par une culture, un vocabulaire, des pratiques sociales qui lui donnent son nom et son sens. Ce n’est pas la nature qui fait la couleur, encore moins la science ou la technique ; c’est la société.
  • Les couleurs de notre temps, Michel Pastoureau, éd. Bonneton, 2003  (ISBN 2-86253-304-1), chap. Ordinateur, p. 139


 
Prenons l’exemple des sous-vêtements féminins, les plus subtilement codés et connotés en ce domaine. Par opposition au blanc, couleur sage et hygiénique, le noir passait autrefois pour indécent, immoral, réservé aux professionnels du stupre et de la débauche. […] Plus que le noir c’est donc le rouge qui de nos jours, en matière de sous-vêtements féminins, passe pour la couleur la plus aguichante ou la plus dépravée (la plus vulgaire aussi ?). Inversement, le blanc n’est peut-être plus aussi innocent que naguère. C’est la couleur que désormais les hommes citent en premier quand on leur demande quelle est celle qui, posée sur une peau féminine, éveille immanquablement en eux le désir. La pureté suscite parfois l’impureté…
  • Les couleurs de notre temps, Michel Pastoureau, éd. Bonneton, 2003  (ISBN 2-86253-304-1), chap. Sous-vêtements, p. 166


Le sport a toujours entretenu avec la couleur des relations étroites et privilégiées. Mais aujourd’hui, la compétition et le spectacle sportifs sont probablement devenus les rituels où la débauche de couleurs est la plus vive et où les couleurs se déclinent selon les systèmes les plus performants. Existe-t-il, par exemple, un cérémonial plus coloré, mieux codé par la couleur que le défilé d’ouverture des Jeux olympiques ?
  • Les couleurs de notre temps, Michel Pastoureau, éd. Bonneton, 2003  (ISBN 2-86253-304-1), chap. Sport, p. 169
 

L'ours, histoire d'un roi déchu, 2007 modifier

Les hommes et les sociétés (...) semblent hantés par ce souvenir, plus ou moins conscient, de ces temps très anciens où avec les ours ils avaient les mêmes espaces et les mêmes proies, les mêmes peurs et les mêmes cavernes, parfois les mêmes rêves et les mêmes couches.
  • L'ours, histoire d'un roi déchu (2007), Michel Pastoureau, éd. Le Seuil, 2007  (ISBN 978-2-02-021542-8), chap. La revanche de l'ours, p. 332


En tuant l'ours, son parent, son semblable, son premier dieu, l'homme a depuis longtemps tué sa propre mémoire et s'est plus ou moins symboliquement tué lui-même. Il est trop tard pour espérer revenir en arrière.
  • L'ours, histoire d'un roi déchu (2007), Michel Pastoureau, éd. Le Seuil, 2007  (ISBN 978-2-02-021542-8), chap. De la montagne au musée, p. 314


Noir, histoire d’une couleur, 2008 modifier

Une couleur ne vient jamais seule; elle ne prend son sens, elle ne « fonctionne » pleinement du point de vue social, artistique et symbolique que pour autant qu’elle est associée ou opposée à une ou plusieurs autres couleurs. Par la même, il est impossible de la considérer isolément. Parler du noir […] c’est aussi - nécessairement - parler du blanc, du rouge, du brun, du violet et même du bleu.
  • Noir, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2008  (ISBN 978-2-02-049087-0), chap. Pour une histoire des couleurs, p. 12


Les couleurs de nos souvenirs, 2010 modifier

Définir la couleur n’est pas un exercice facile. Non seulement, au cours des siècles, les définitions ont varié selon les époques et les sociétés, mais même en se limitant à la période contemporaine la couleur n’est pas appréhendée de la même façon sur les cinq continents. Chaque culture la conçoit et la définit selon son environnement naturel, son climat, ses connaissances, ses traditions. En ce domaine, les savoirs occidentaux ne sont pas des vérités absolues mais seulement des savoir parmi d’autres. Au reste, ils ne sont même pas univoques.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. La couleur pour mémoire, p. 9


Un jour, il m’a semblé que le moment était venu de partager un certain nombre de souvenirs chromatiques, liés à mon histoire propre mais aussi à celle des sociétés française et européennes, de leurs usages et de leurs codes, pendant plus d’un demi-siècle. Le projet n’était pas complètement narcissique mais quelque peu utopique.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. La couleur pour mémoire, p. 10


Je souhaitais être à la fois témoin et historien, fournir la documentation, les faits, les observations, les anecdotes et en assurer la critique ou le commentaire. […] Il faut se méfier de « l’historien témoin de son temps ». Non seulement il n’est qu’un témoin parmi d’autres, nécessairement partial, donneur de leçons, capricieux, égocentrique, parfois ronchon (« c’était mieux avant ») ou de mauvaise foi, mais sa mémoire, si aiguisée soit-elle, n’est pas infaillible.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. La couleur pour mémoire, p. 10


[Dans Je me souviens (1978)] Perec avait réuni quatre cent soixante-dix-neuf phrases ou paragraphes commençant par les mots « Je me souviens » et évoquant « un souvenir banal, inessentiel, commun sinon à tous, du moins à beaucoup ». […] Je me suis répété pendant plusieurs années quelqu’unes de ses formulations.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. La couleur pour mémoire, p. 11


« Je me souviens que le général de Gaulle avait un frère qui s’appelait André, qu’il était roux et sous-directeur de la Foire de Paris ».[…] Pourtant, cette phrase, dont je me rappelais avec précision tous les termes, n’existe pas, du moins pas sous cette forme, dans le recueil de Perec. Ce dernier a simplement écrit : « Je me souviens que le général de Gaulle avait un frère prénommait Pierre qui dirigeait la Foire de Paris ». J’avais donc allongé et transformé le texte de Perec, modifié le prénom du frère du général de Gaulle, dégradé un honnête directeur en sous-directeur et, surtout, introduit des cheveux roux là où il n’était question ni de cheveux ni de rousseur. Pour un historien, cela faisait beaucoup.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. La couleur pour mémoire, p. 11


L’historien sait bien que le passé n’est pas seulement ce qui a été, c’est aussi ce que la mémoire en a fait. Quant à l’imaginaire, il ne s’oppose nullement à la réalité : il n’en est ni le contraire ni l’adversaire, mais constitue lui aussi une réalité - une réalité différente, fertile, mélancolique, complice de tous nos souvenirs.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. La couleur pour mémoire, p. 13


À tout jamais pour moi le surréalisme est jaune, d’un beau jaune lumineux et mystérieux.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Le vêtement, p. 19


Tout jeune, j’ai compris que la vérité des êtres et des choses se trouvait non pas tant dans les réalités de la vie quotidienne que dans les bibliothèques.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 87-88


Le cinéma demeure pour moi un art du noir et blanc. Par la même, je suis de ma génération : un « vrai » film, c’est un film en noir et blanc, et l’histoire du cinéma est par essence une histoire en noir et blanc.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 90


Il faut que l’on me pardonne : je n’aime pas Rimbaud. Ni l’homme ni l’œuvre. Je n’ai jamais vraiment compris ce qu’il y avait d’admirable dans le fait d’être un jeune poète rebelle : cela est relativement banal. […] Quant aux vers de Rimbaud j’avoue qu’ils ne touchent pas : je les trouve heurtés, artificiels, ne possédant ni la musique aérienne de Verlaine ni les étrangetés envoûtantes de Nerval. […] Il est probable que ce rejet du poète traduit chez moi une révolte contre le père : le mien aimait Rimbaud au-delà de toute mesure et avait réuni une bibliothèque rimbaldienne incomparable. Buté, je ne l’ai guère ouverte avant l’âge adulte.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 96-97


Le propre de la poésie est de ne jamais livrer tous ses mystères.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 98


Je n’aime ni Rimbaud ni Stendhal. Je dois être une sorte de barbare des lettres.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 99


Umberto Eco, ami de Jacques Le Goff, rejoignait parfois notre petit groupe, et il n’était alors plus question de travailler : son humour polyglotte, sa faconde burlesque et transgressive, ses anecdotes jubilatoires interdisaient toute activité sérieuse.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 104


Si je n’ai jamais été un grand admirateur de la peinture de Dalí, plusieurs de ses livres m’ont intrigué et ont exercé sur moi une certaine séduction. Ainsi, le savoureux 50 Secrets magiques pour peindre […] il s’agit d’une sorte de traité où Dalí fait part de ses expériences, donne un certain nombre de recettes, la plupart énigmatiques, sinon délirantes, et propose, plus sérieusement, une analyse des différentes qualités que selon lui doit posséder un peintre. Cela le conduit à distinguer neuf paramètres et à examiner les vertus comparées de onze grands artistes. […] Le résultat est jubilatoire, même s’il n’est guère surprenant quand on connaît Dalí.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 106


Pour Dalí, si l’on en croit cet étonnant relevé de notes, c’est Vermeer le plus grand peintre de tous les temps. Un trio de tête, en effet, se détache nettement : Vermeer, Raphaël, Vélasquez. Léonard ne vient qu’en quatrième position. […] Toutefois, le plus remarquable, et aussi le plus délectable, ne se trouve pas là : il est à chercher dans les notes comparées de Dalí et de Picasso. Non seulement Dalí se donne des notes à lui-même mais surtout il en donne à son ami, compatriote et rival Picasso. On peut même imaginer que pour lui, Dalí, c’est là l’essentiel de ce tableau comparatif, et que les neuf autre peintres, y compris les génies anciens, ne sont là que pour habiller le « match » Dalí contre Picasso.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 106-107


Sa note la plus inattendue - la plus subtile et la plus succulente de tout ce carnet - est un modeste 7/20 en originalité. Ici, Dalí montre toute sa finesse, toute sa méchanceté, toute sa jalousie : pas 1/20, ni 18 ou 19, non, un pauvre et anecdotique 7/20. Voilà qui selon Dalí remet Picasso à sa juste place.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 107


Pour Dalí, Vermeer est le plus grand de tous les peintres. Pour moi il l’est aussi, même si je sais bien qu’établir un tel palmarès n’a guère de sens et que comparer des artistes incomparables a quelque chose de futile, voire de scandaleux. […] Parmi ses œuvres, ma préférence s’est tout de suite portée sur La Ruelle et non sur les célèbres Vue de Delft et Jeune Fille au turban. Cette préférence n’a du reste rien d’original, elle est partagée par de nombreux artistes ou critiques d’art. Dès 1884, par exemple, le peintre allemand Max Liebermann […] écrivait que La Ruelle est « le plus beau tableau de chevalet qui soit ». Je partage cette opinion.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 108


Hors du laboratoire, c’est-à-dire au musée ou dans une exposition, apprécier à sa juste mesure la palette d’un peintre ancien n’est pas une tâche facile. Non seulement parce que nous voyons les couleurs qu’il a posées sur la toile ou le panneau telles que le temps les a faites et non pas dans leur état d’origine, mais aussi parce que nous les voyons dans des conditions d’éclairage qui n’ont guère de rapport avec celles qu’ont connues l’artiste et son époque.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 109


Vermeer est un peintre du bleu (et même du bleu et blanc, tant ces deux couleurs fonctionnent chez lui en association). […] Chez Vermeer, il faut rappeler - encore et toujours -, à la suite de Marcel Proust, l’importance des petites zones jaunes, certaines plus ou moins rosées. […] Sur ces jaunes, souvent discrets, semble reposer toute la musique vermeerienne, celle qui nous enchante et qui en fait un peintre à nul autre pareil.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 111


Jeune chercheur enthousiaste et naïf, j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire des couleurs - tous problèmes confondus - au milieu des années 1970. […] Tout m’avait préparé et conduit vers de telles recherches. Je les croyais faciles et estimables, bien acceptées dans le milieu des historiens et pratiquées par de nombreux chercheurs. Je me trompais totalement. […] Même dans des domaines où l’on se serait attendu à trouver des études sur un tel sujet, la couleur brillait par son absence.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 111-112


Dans une discipline [l’histoire de l’art] où la couleur aurait dû, par sa nature même, occuper le premier rang, elle était presque toujours passée sous silence. Des livres entiers, épais, savants […], trois cents ou cinq cents pages sans formuler une seule idée, une seule remarque, un seul mot concernant les couleurs […]. La couleur était la grande absente de l’histoire de l’art.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 112


Avec mes enquêtes sur l’histoire des couleurs, je semblais par trop me faire plaisir. C’était une attitude individualiste, presque indécente, sinon dangereuse, et en tout cas contraire à l’éthique du chercheur.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 113


Dans les arts plastiques, à qui la primauté ? Forme ou couleur ? Dessin ou coloris ? […] Les adversaires de la couleur ne manquent pas d’arguments. […] Le dessin est le prolongement de l’idée, il s’adresse à l’intellect. La couleur, elle, ne s’adresse qu’aux sens ; elle ne vise pas à informer mais seulement à séduire.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 114


Yves Klein (1928-1962), par exemple, a vigoureusement défendu en de nombreuses occasions la primauté de la couleur sur le dessin. On lui doit une phrase que je fais volontiers mienne : « Pour moi les couleurs sont des êtres vivants […], les véritables habitants de l’espace. La ligne, elle, ne fait que le parcourir, que voyager au travers. Elle ne fait que passer.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 116


L’arrivée de l’électricité a totalement modifié le rapport du spectateur à l’objet, à l’œuvre d’art, à l’image et, peut-être plus encore, à la couleur.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 119


Quand on est historien, mieux vaut travailler sur les mots que sur les images !
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Les arts et les lettres, p. 120


« Toi, le gros, dans les buts ! » Cette phrase prononcée d’un ton comminatoire par un professeur d’éducation physique marqua le début de ma carrière sportive à l’automne 1957.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Sur les terrains de sport, p. 125


Je n’avais pour ainsi dire jamais joué au football mais le rôle de gardien de but me plut tout de suite. Au bout de quelques mois je devins le goal attitré de l’équipe première du lycée et le suis resté pendant cinq ans. […] En cinq années, j’ai encaissé un nombre considérable de buts, peut-être plus d’un millier. […] Les scores-« fleuves » étaient fréquents dans les compétitions scolaires […]. Moins « fleuves » toutefois que lors des matchs improvisés dans les cours de récréation à l’heure du déjeuner […]. Deux cartables fatigués et maltraités tenaient lieu de poteaux. Nous avions pourtant promis à nos parents de ne pas « faire les guignols avec les cartables ».
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Sur les terrains de sport, p. 125-126


Sur ma ligne de but, j’étais un acteur à part, comme semblait le proclamer le maillot que je portais : sa couleur était différente de celles des autres joueurs de mon équipe. […] Moi, j’avais le choix entre un maillot rouge, presque orangé, cerclé de blanc, et un maillot vert, plus ou moins grisé, tous deux frappés d’un grand « 1 » dans le dos. J’étais superbe.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Sur les terrains de sport, p. 126


Historiquement, le noir a été pendant des siècles en Europe la couleur de l’autorité, prise dans sa double fonction de police et de justice. C’est pourquoi, comme le juge ou le gendarme, les arbitres se sont vêtus de noir, tout de noir, ce qui ne manquait pas d’impressionner les joueurs et les spectateurs. L’homme en noir faisait peur et imposait le respect. D’autant qu’à la tenue s’ajoutaient le sifflet - attribut premier du policier - et une certaine gestualité militaire, quelque peu insolite sur un terrain de sport.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Sur les terrains de sport, p. 127


En sport, la nouveauté tue la mythologie ; or, sans mythologie, pas de sport véritable.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Sur les terrains de sport, p. 142-143


 
Le maillot [du Stade Français] est rose, ou à dominante rose, et porte sur la poitrine et dans le dos, en lettres énormes, l’inscription « ORANGE » ! Voilà un maillot qui, dans quelques siècles, […] intriguera les archéologues travaillant sur les pratiques et les reliques de notre époque. […] Ruse suprême du marketing sportif - l’a-t-on fait exprès pour attirer l’attention des gogos et piétiner un peu plus les valeurs sportives ? Dans ce cas, la victoire est totale.
  • Les couleurs de nos souvenirs, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2010  (ISBN 978-2-02-096687-0), chap. Sur les terrains de sport, p. 143

Vert, histoire d’une couleur, 2013 modifier

 
Pour l’historien des couleurs, les terrains de sport sont des champs d’observations particulièrement fertiles. Qu’il s’agisse des Jeux Olympiques, antiques ou modernes, des tournois et des joutes du Moyen Âge ou des grands championnats d’aujourd’hui, la moisson est pour lui souvent fructueuse. […] Sur les terrains de sports, les couleurs sont « chez elles » et jouent les premiers rôles.
  • Vert, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2013  (ISBN 978-2-02-109325-4), chap. Un couleur incertaine. Le vert à l’hippodrome, p. 31


 
Discrète et incertaine pendant plusieurs millénaires, et par là même longtemps rebelle aux enquêtes de l’historien, la couleur verte devient plus présente au lendemain de l’an mille. Dans le monde des représentations, elle joue alors un rôle qu’elle n’avait jamais tenu précédemment, et même si- comme toutes les autres couleurs- elle reste ambivalente, sinon ambiguë, elle est désormais plus souvent prise en bonne part qu’en mauvaise.
  • Vert, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2013  (ISBN 978-2-02-109325-4), chap. Une couleur courtoise, XIe - XIVe siècle, p. 53


Associer l’idée de nature à la couleur verte est aujourd’hui un lieu commun, une évidence, presque un réflexe immédiat. Pour nous, la nature est verte. Or il n’en a pas toujours été ainsi. Nos ancêtres avaient de la nature une conception plus large que la nôtre, trop limitée au monde végétal.
  • Vert, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2013  (ISBN 978-2-02-109325-4), chap. Une couleur courtoise, XIe - XIVe siècle. Un lieu pour le vert : le verger, p. 58


Au Moyen Âge, le vert [..] a aussi sa saison : le printemps. Les encyclopédistes, les moralistes, les auteurs de traités de blason, qui aiment établir des correspondances entre les couleurs et différents éléments empruntés au monde naturel, au calendrier, à la théologie, à la médecine (métaux, planètes, signes du zodiaque, jours de la semaine, péchés capitaux, tempéraments de l’homme), s’accordent tous pour associer la couleur verte à la première et la plus admirée des saisons.
  • Vert, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2013  (ISBN 978-2-02-109325-4), chap. Une couleur courtoise, XIe - XIVe siècle. Un temps pour le vert : le printemps, p. 65


Le printemps ne marque pas seulement le réveil de la nature, il voit aussi naître ou renaître les élans du cœur. Les deux événements sont du reste liés, ne serait-ce que parce que les végétaux ont de tout temps joué un rôle important dans les rituels amoureux […]. En cette saison, les montés de sève concernent tout autant les arbres et les plantes que les jeunes gens et les jeunes filles. Par là même, le vert, couleur du printemps, est aussi la couleur de l’amour. Ou du moins de l’amour naissant, de l’amour jeune et plein d’espérance, de l’amour impatient également.
  • Vert, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2013  (ISBN 978-2-02-109325-4), chap. Une couleur courtoise, XIe - XIVe siècle. La jeunesse, l’amour et l’espérance, p. 71


À la fin du Moyen Âge, le vert, tant admiré à l’époque de la chevalerie et de la courtoisie, commence à dévaluer. Couleur chimique instable, aussi bien en peinture qu’en teinture, il est désormais symboliquement associé à tout ce qui est changeant ou capricieux : la jeunesse, l’amour, la fortune, le destin. Par la même il tend à se dédoubler : d’un côté le bon vert, celui de la gaieté, de la beauté, de l’espérance, qui n’a pas disparu mais qui se fait plus discrète; de l’autre, le mauvais vert, celui du Diable et de ses créatures, des sorcières, du poison, qui étend son empire et porte désormais malheur en de nombreux domaines.
  • Vert, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2013  (ISBN 978-2-02-109325-4), chap. Une couleur dangereuse : XIVe-XVIe siècle., p. 89


« au Paradis les yeux gris, au Purgatoire les yeux noirs, en Enfer les yeux verts. »
  • Dicton du XVIe siècle, première formulation connue de Henry Boguet d’après l’auteur.
  • Vert, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2013  (ISBN 978-2-02-109325-4), chap. Une couleur dangereuse : XIVe-XVIe siècle. Du vert au verdâtre, p. 100


Les couleurs expliquées en images, 2015 modifier

  Le texte de cet ouvrage est repris d’un précédent : Le petit livre des couleurs, 2007. Les entretiens ont été publiés précédemment dans L'Express en 2004.


Comme il est docile, comme il est discipliné ! Le bleu est une couleur bien sage, qui se font dans le paysage, et ne veut pas se faire remarquer. […] On lui a même confié l’Europe et l’ONU, c’est dire s’il nous plait ! Ce timoré a encore bien des ressources et des secrets…
  • Les couleurs expliquées en images, Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, éd. Seuil, 2015  (ISBN 978-2-02-122759-8), chap. Le bleu : la couleur qui ne fait pas de vagues, p. 17
  • « 1 : Le bleu - La couleur qui ne fait pas de vagues », propos recueillis par Dominique Simonnet, L’Express, 5 juillet 2004 (lire en ligne)


Avec lui, on ne fait pas vraiment dans la nuance. Contrairement à ce timoré de bleu, le rouge, lui, est une couleur orgueilleuse, pétrie d’ambitions et assoiffée de pouvoir, une couleur qui veut se faire voir.
  • Les couleurs expliquées en images, Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, éd. Seuil, 2015  (ISBN 978-2-02-122759-8), chap. Le rouge : c’est le feu et le sang, l’amour et l’enfer, p. 39
  • « 2 : Le rouge - C'est le feu et le sang, l'amour et l'enfer », propos recueillis par Dominique Simonnet, L’Express, 12 juillet 2004 (lire en ligne)


Cette couleur-là est sans doute la plus ancienne, la plus fidèle, celle qui porte depuis toujours les symboles les plus forts, les plus universels, et qui nous parle de l’essentiel : la vie, la mort, et peut-être aussi - est-ce la raison pour laquelle nous lui en voulons tant ? - un peu de notre innocence perdue.
  • Les couleurs expliquées en images, Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, éd. Seuil, 2015  (ISBN 978-2-02-122759-8), chap. Le blanc : partout, il dit la pureté et l’innocence, p. 59
  • « 3 : Le blanc - Partout, il dit la pureté et l'innocence », propos recueillis par Dominique Simonnet, L’Express, 19 juillet 2004 (lire en ligne)


Quelle plaie ! Tout le monde s’est mis au vert : espaces verts, numéros verts, classes vertes, prix verts, Parti vert… Et jusqu’à nos poubelles, que l’on repeint dans cette couleur censée évoquer la nature et la propreté. N’en jetez plus ! Le symbole est trop beau pour être vrai, et nous ferions mieux de nous méfier, car, contrairement aux apparences, le vert n’est pas une couleur honnête.
  • Les couleurs expliquées en images, Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, éd. Seuil, 2015  (ISBN 978-2-02-122759-8), chap. Le vert : celui qui cache bien son jeu, p. 81
  • « 4. Le vert : celui qui cache bien son jeu », propos recueillis par Dominique Simonnet, L’Express, 26 juillet 2004 (lire en ligne)


Jaune comme les photos qui pâlissent, comme les feuilles qui meurent, comme les hommes qui trahissent…
  • Les couleurs expliquées en images, Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, éd. Seuil, 2015  (ISBN 978-2-02-122759-8), chap. Le jaune : tous les attributs de l’infamie !, p. 103
  • « 5. Le jaune : tous les attributs de l'infamie ! », propos recueillis par Dominique Simonnet, L’Express, 2 août 2004 (lire en ligne)


Noir, ce n’est pas… noir ! Et tant pis pour la chanson. Certes, cette couleur-là est à prendre avec des pincettes, comme le charbon, mais elle n’est pas si uniforme ni si désespérée, ni si noire en somme, qu’on veut bien le croire.[…] Elle habille aussi les branchés. Désormais, l’élégance est en noir. […] Avec le blanc, son compère, le noir nous a construit un imaginaire à part, une représentation du monde véhiculée par la photo et le cinéma, parfois plus véridique que celle décrite par les couleurs.
  • Les couleurs expliquées en images, Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, éd. Seuil, 2015  (ISBN 978-2-02-122759-8), chap. Le noir : du deuil à l’élégance, p. 127
  • « 6. Le noir : du deuil à l'élégance... », propos recueillis par Dominique Simonnet, L’Express, 9 août 2004 (lire en ligne)


Une couleur n’existe que parce qu’on la regarde. Elle n’est en somme qu’une pure production de l’homme. À méditer.
  • Les couleurs expliquées en images, Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, éd. Seuil, 2015  (ISBN 978-2-02-122759-8), chap. Les demi-couleurs : gris pluie, rose bonbon, p. 149
  • « 7: Les demi-couleurs - Gris pluie, rose bonbon », propos recueillis par Dominique Simonnet, L’Express, 16 août 2004 (lire en ligne)


Rouge, histoire d’une couleur, 2016 modifier

 
Le taureau devient furieux seulement si on lui présente une étoffe rouge ; le philosophe, en revanche, dès que l’on lui parle de couleur se met en rage.



Pour les sciences humaines, parler de « couleur rouge » est presque un pléonasme. Le rouge est la couleur archétypale, la première que l’homme a maîtrisée, fabriquée, reproduite, déclinée en différentes nuances, d’abord en peinture, plus tard en teinture. Cela lui a donné pour de long millénaires la primauté sur toutes les autres couleurs.
  • Rouge, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2016  (ISBN 978-2-02-118033-6), chap. Introduction, p. 7


L’historien, comme le linguiste, comme le sociologue ou l’anthropologue, a toujours beaucoup plus à dire sur le rouge que sur n’importe qu’elle autre couleur. Le rouge est un océan !
  • Rouge, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2016  (ISBN 978-2-02-118033-6), chap. Introduction, p. 7


Une couleur ne vient jamais seule, 2017 modifier

Lorsque l’on écrit sur la couleur, il est pertinent de citer Aristote, Newton, Goethe et Wittgenstein. […] Jeune, j’ai beaucoup lu Ludwig Wittgenstein. […] Plus tard encore, alors que je travaillais depuis plusieurs années déjà sur l’histoire des couleurs, j’ai lu son ouvrage posthume Bemerkungen über die Farben (Remarques sur les couleurs), devenu un de mes livres de chevet. […] Sur plusieurs questions je suis en désaccord avec Wittgenstein […] mais chaque fois qu’il souligne - et il le fait souvent - à quel point la couleur est rebelle à toute analyse, sinon à tout discours, j’abonde évidemment dans son sens. Exemplaire est à cet égard une phrase que je tiens pour une des plus importantes jamais écrites à propos des termes de couleur et de leurs significations. […]
Si l’on nous demande ce que signifient les mots rouge, bleu, noir, blanc, nous pouvons bien entendu montrer immédiatement des objets qui sont de telles couleurs. Mais notre capacité à expliquer le sens de ces mots ne va pas plus loin (Bemerkungen über die Farben, I, 68).
Écoutons Wittgenstein et, prudemment, n’allons pas plus loin.
  • Une couleur ne vient jamais seule, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2017  (ISBN 978-2-02-134219-2), chap. 2016. De l’orangé à l’innommable. Définir la couleur (décembre 2016), p. 203-204


Jaune, histoire d’une couleur, 2019 modifier

Si définir la couleur n’est pas un exercice facile, définir ce qu’est le jaune l’est moins encore. Dire qu’il s’agit de la couleur du citron, de l’or, des blés mûrs - comme on le lit en général dans les dictionnaires - n’est pas faux, mais ne constitue pas vraiment une définition. Quant à affirmer que le jaune est la couleur qui dans le spectre se situe entre telle et telle longueur d’onde, c’est une proposition qui ne peut satisfaire qu’un physicien. Que peuvent faire les sciences humaines d’une telle définition ? Rien, absolument rien. Le cas du jaune n’est nullement isolé. Les mêmes remarques peuvent être faites à propos de n’importe qu’elle autre couleur.
  • Jaune, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2019  (ISBN 978-2-02-142057-9), chap. Introduction, p. 9


Qu’il y ait trois couleurs premières ou qu’il y en ait cinq, le jaune en fait partie. […] Dans un ouvrage général sur les couleurs, Experiments and Considerations Touching Colors, l’irlandais Robert Boyle (1626-1691), chimiste polyvalent aux curiosités multiples, l’exprime très clairement en 1664, moins de deux ans avant la découverte du spectre par Isaac Newton :
 « Il n’y a que très peu de couleurs simples ou "primitives" dont les diverses combinaisons produisent en quelque sorte toutes les autres. Car bien que les peintres puissent imiter les teintes (mais pas toujours la beauté) des innombrables colorations que l’on rencontre dans la nature, je ne crois pas qu’ils aient besoin, pour mettre en valeur cette extraordinaire variété, d’employer d’autres couleurs que le blanc, le noir, le rouge, le bleu et le jaune. Ces cinq-là diversement combinées - et aussi, si je puis dire, décombinées - sont suffisantes pour créer un nombre considérable de couleurs et de nuances, un nombre tel que ceux qui ne sont pas familier de la palette des peintres ne peuvent même pas imaginer. »
  • Traduction par l’auteur de Experiments and Considerations Touching Colors, Londres, 1664, p. 219-220
  • Jaune, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2019  (ISBN 978-2-02-142057-9), chap. Une couleur mal aimée. Le jaune des savants, p. 160-161


En commençant sa notice jaune dans son Dictionnaire universel, Antoine Furetière fait une remarque intéressante, reprise par presque tous ses successeurs : « Le jaune est une couleur éclatante, celle qui réfléchit le plus la lumière après le blanc […]. C’est pourquoi les peintres peignent les rayons du soleil avec du jaune ». Il ajoute que l’on peut distinguer cinq nuances de jaune : naissant, pâle, citron, paillé et doré. Mais le spectre newtonien semble lui être inconnu car jamais il ne souligne que le jaune peut tirer d’un côté vers le verdâtre et de l’autre vers l’orangé.
  • Jaune, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éd. Seuil, 2019  (ISBN 978-2-02-142057-9), chap. Une couleur mal aimée. Dictionnaires et encyclopédies, p. 174


Autres citations modifier

Les couleurs du stade, 1990 modifier

Le vert est en Occident la couleur du jeu et du « sport » depuis au moins le 12e siècle. Certes les différences sont immenses entre le tournoi féodal et le match de football du 20e siècle finissant mais l’historien observe ici dans la longue durée un certain nombre de permanences chromatiques sur lesquelles il lui est permis de s’interroger.
  • « Les couleurs du stade », Michel Pastoureau, Vingtième Siècle, nº 26, Le football, sport du siècle, avril-juin 1990, p. 11 (lire en ligne)


Il s’agit de délimiter et de signaler par une couleur peu usitée dans la vie sociale et l’univers de la ville un espace où ont lieu des activités qui ont à voir avec le hasard, parfois même avec une certaine idée d’ordalie. Le destin se joue « sur le pré ».
  • « Les couleurs du stade », Michel Pastoureau, Vingtième Siècle, nº 26, Le football, sport du siècle, avril-juin 1990, p. 12 (lire en ligne)


La couleur n’est pas là mais le plaisir est présent. On ne s’exhibe pas mais on joue, on joue vraiment. Un football débridé, offensif, authentique. Le score est élevé. Le temps est maussade. Il fait froid. Il va pleuvoir.
  • « Les couleurs du stade », Michel Pastoureau, Vingtième Siècle, nº 26, Le football, sport du siècle, avril-juin 1990, p. 18 (lire en ligne)


Une histoire des couleurs est-elle possible ?, 1990 modifier

   Voir aussi Pigments et colorants de l’Antiquité et du Moyen Âge : Teinture, peinture, enluminure, études historiques et physico-chimiques, CNRS éditions, 2002 (ISBN 9782271090898) [lire en ligne], p. 21-40 , « La couleur et l’historien ».

La couleur est un phénomène perceptif; pour qu'il existe, il faut qu'il y ait trois éléments : non seulement une source lumineuse et un objet qu’elle éclaire mais aussi un être vivant doté de ce récepteur complexe que constitue le couple œil-cerveau, c’est à dire un récepteur mettant en jeu la culture, la mémoire, l’imagination, la sensibilité. Si ce troisième élément fait défaut, la couleur n’existe plus.
  • « Une histoire des couleurs est-elle possible ? », Michel Pastoureau, Ethnologie française, vol. 20 nº 4, Paradoxes de la couleur, Octobre-Décembre 1990, p. 368 (lire en ligne)


Il est d'usage de souligner que la couleur du peintre n'est pas celle du physicien et que celle du physicien n'est pas celle du poète. Étendons dans le temps et dans l'espace cette remarque et souvenons-nous constamment que la couleur des Occidentaux n'est pas nécessairement celle des autres cultures, et que, même en se limitant à la culture occidentale, ce qui vaut pour le XXe siècle ne vaut pas toujours pour le XVIIe, pour le XIIe ou pour l'Antiquité. Il faut constamment dresser une sociologie, une géographie et une chronologie de la couleur avant toute enquête quelque peu approfondie.
  • « Une histoire des couleurs est-elle possible ? », Michel Pastoureau, Ethnologie française, vol. 20 nº 4, Paradoxes de la couleur, Octobre-Décembre 1990, p. 368 (lire en ligne)


Entretiens modifier

Toutes les couleurs sont ambivalentes, avec des aspects positifs et négatifs. Le noir du luxe, de l'élégance, existe depuis la fin du Moyen Âge, lorsqu'il devient à la mode en milieu princier. Cela laisse des traces jusqu'à aujourd'hui, avec le smoking, la petite robe noire... Cela n'empêche pas qu'il existe aussi un noir de la souillure, de la faute, de la mort !
  • « Michel Pastoureau : "La couleur est une idée" », Sophie Pujas, Le Point (Le Point Références : "L'âme de l'Afrique"), octobre 2012 (lire en ligne)


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Voir aussi modifier

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