Souffrance

expérience de désagrément et d'aversion liée à un dommage ou à une menace de dommage chez l'individu

La Souffrance désigne la douleur physique ou morale, état de l'être vivant (humain ou animal) qui souffre.

Littérature et mémoires

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Notre pays, me disais-je, depuis la dernière révolution, n'a pas repris son équilibre. Deux classes de la société, la noblesse et le peuple, sont en proie à de vives souffrances ; l'une subit un mal imaginaire, l'autre un mal réel ; la noblesse, parce qu'elle se voit dépouillée de ses privilèges et de ses honneurs par une bourgeoisie arrogante ; le peuple, parce que le triomphe de cette bourgeoisie, amenée par lui au pouvoir, n'a été qu'une déception cruelle.


C'est parce que chacun cherche à tout prix à souffrir le moins possible que la vie est infernale.


Je vois le mal et le bien dans leur état brut, le mal l'emportant de toute la facilité de la souffrance : l'idée qu'il est au loin, peut-être seul, recréateur de bien ne m'effleure même plus.


Je sentais de la vie qu'il en restait encore beaucoup en dedans, qui se défendait pour ainsi dire. J'aurais jamais cru ça possible si on m'avait raconté. Je marchais même pas trop mal à présent, enfin deux cent mètres à chaque coup. C'était abominable partout comme souffrance, du bas du genou au dedans de la tête. L'oreille c'était la bouillie sonore à part ça, les choses n'étaient pas tout à fait les mêmes ni plus comme avant. Elles avaient l'air en mastic, les arbres pas fixés du tout, la route sous mes godasses faisait des montées et des petites descentes. j'avais plus rien sur moi que ma tunique et de la pluie. Toujours personne. Ma torture de tête je l'entendais bien fort dans la campagne si grande et si vide.


Y avait bien encore quatre heures de marche à cloche-pied comme on allait, à travers les sentiers et surtout les champs. Je voyais plus très clair mais je voyais rouge par dessus. Je m'étais divisé en parties tout le corps. La partie mouillée, la partie qu'était saoule, la partie du bras qu'était atroce, la partie de l'oreille qu'était abominable, la partie de l'amitié pour l'anglais qu'était bien consolante, la partie du genou qui s'en barrait comme au hasard, la partie du passé déjà qui cherchait, je m'en souviens bien, à s'accrocher au présent et qui pouvait plus — et puis alors l'avenir qui me faisait plus peur que tout le reste, enfin une drôle de partie qui voulait par-dessus les autres me raconter une histoire. C'était plus même du malheur qu'on peut appeler ça, c'était drôle.


Les chercheurs du vrai et du beau savent que sur la Voie, la souffrance est un passage obligé par lequel on peut atteindre la lumière.
Dans le gouffre tragique d’un monde enténébré, au plus noir de la vie, la moindre lueur est signe de vie, une luciole qui passe, une étoile qui file, un feu qui prend… Je dirais une fois encore que chaque âme, aussi fragile et minime soit-elle, est invitée à témoigner de son vécu, d’un destin entrelacé d’enchantement, d’allégresse, de douleur, de frayeur, de remords, de regrets. Tout est appel, tout est signe. Tel est le sens de la Voie, laquelle doit continuer sa marche de transmutation et reprendre un jour tout ce qui est de Vie.


Seamus avec qui nous dînâmes à Ennis me dit :
– Ça y est, ce n'est plus Bébé Jerry… Oh oui, je sais ce genre de durcissement coûte cher, mais cela en vaut la peine. L'idée chrétienne de la rédemption par la souffrance n'est pas aussi absurde qu'elle en a l'air. Son application laïque est intéressante.


Pendant son agonie, frère Pierre lui a souvent posé cette question : « Frère Vincent, est-ce vraiment si difficile à porter ? Est-ce que vous souffrez beaucoup ? » Il répondait « oui » d’un clignement d'œil. Son angoisse, sa détresse, sa terreur faisaient mal à ses frères. Les maux physiques sont difficiles, mais les souffrances morales sont incommensurables. L'évidence de n’être plus rien, de perdre les capacités les plus élémentaires, est plus profonde encore que les grandes blessures physiques. A trente cinq ans, frère Vincent n'avait plus de rêve.


La souffrance révèle à chacun ses limites. Le laïc comme le moine peuvent devenir des nains ou des géants.


Les personnes qui n'ont jamais connu la souffrance doivent éviter d'en parler à ceux qui la ressentent. La souffrance est un grand mystère. Elle est toujours mauvaise. Le moine s'offre à Dieu pour prier et il donne sa vie à l'Eglise. La dernière étape, même dans la peur, est désirée et connue. Le moine reste radicalement un homme, et il tend vers le divin.


Dom Patrick pense souvent aux paroles du cardinal Pierre Veuillot sur son lit de mort, après qu'il a livré un long combat contre une leucémie douloureuse : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire : nous ignorons ce qu’elle est, et j'en ai pleuré. » Devant un homme qui souffre, les beaux discours ne servent à rien. Ils peuvent uniquement satisfaire les biens portants.


Une fois c'est un Hitler, une autre fois Ivan le Terrible par exemple, une fois c'est la résignation, une autre fois les guerres, la peste, les tremblements de terre, la famine. Les instruments de la souffrance importent peu, ce qui compte, c'est la façon de porter, de supporter, d'assumer une souffrance consubstantielle à la vie et de conserver intact à travers les épreuves un petit morceau de son âme.


Dolman se lassa de son image aqueuse et ordonna à nouveau la mise en route de la communauté. Les villageois ensablés arrachèrent leurs enfants aux cocotiers et repartirent en se lamentant sur les chemins de la forêt. Dolman était lourd d'angoisse. Il retrouva sa hutte et ses vieilles habitudes sans plaisir. L'insatisfaction usait ses méninges, et un désir galopant gonflait ses poumons comme un caillot de sang. La mort acheta un billet de loterie en son nom.
C'est alors que le Diable intervint. Ne pouvant accepter l'évasion d'une de ses créatures, il quitta sa tour de silence et accourut, détermine à enfermer Dolman dans les perspectives toujours changeantes d'une souffrance sans issue. On pense bien qu'il ne pouvait permettre l'anéantissement de la fange, il en avait trop besoin pour consolider son règne..

  • « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 50


Il fit alors profondément l'expérience que les hommes qui passent toute leur vie en enfer ne se rendent pas vraiment compte des souffrances qu’ils y subissent, seuls ceux qui vivent au paradis peuvent véritablement en prendre conscience
  • L’auteur est Chinois
  • Beaux seins, belles fesses (2001), Mo Yan (trad. N. et L. Dutrait), éd. Seuil, coll. « Points », 2004  (ISBN 9 782020 799096), chap. 51, p. 749


Le cœur fatigué d'angoisses qui tiraient leur origine du désordre et de la décadence générale, je succombai à la cruelle fièvre. Après un petit nombre de jours de souffrance, après maints jours pleins de délire, de rêves et d'extases dont tu prenais l'expression pour celle de la douleur, pendant que je ne souffrais que de mon impuissance à te détromper, — après quelques jours je fus, comme tu l'as dis, pris par une léthargie sans souffle et sans mouvement, et ceux qui m'entouraient dirent que c'était la Mort.


La souffrance était telle que je devais limiter mon champ de conscience et fractionner le temps. J'en étais arrivé, pour tenir un jour encore, à séparer ma propre vie en tranches de quelques minutes à peine. Atteindre encore l'autre rive, faire un pas, puis l'autre, marcher, une jambe projetée dans le vide à la recherche d'un peu de terre meuble, soulever mon squelette, ne pas penser, ne pas regarder, trouver encore la force au-delà de mes forces, chercher le visage de ma mère, ne pas pleurer, penser à tous le courage déjà accumulé, haïr les SS pour ce camarade qui m'a tendu la main et qu'ils ont jeté dans la fosse comme un chien, ne pas fermer les yeux, surtout ne pas glisser, forer encore, percer le mur, oublier les aboiements, chercher un appui, vouloir une seconde accrocher le regard du Kapo. Mais non, ne pas quémander un geste de grâce, ne rien lâcher, déjà une minute de gagnée… Maintenant atteindre l'autre minute. Et tout recommencer.


J’admire comme l’on s’accoutume
aux maux et aux incommodités.
Qui m’aurait fait voir tout d’une vue
tout ce que j’ai souffert,
je n’aurais jamais cru y résister,
et jour à jour me voilà.

  • 24 mars 1676, tome 2


Léon Silbermann

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« La souffrance est le premier lien social. Les hommes se réunissent moins pour partager leurs joies que pour adoucir leurs peines »
  • D'un médecin à l'enterrement d'un de ses infirmiers

Leon Silbermann, Souvenirs de campagne, Plon, Paris, 1910, p. 59

Il n’est pas possible dans la pratique d’élever des animaux pour la consommation sur une grande échelle sans leur infliger une quantité considérable de souffrance.


Tu souffres comme le Christ sur la croix. Alors, Jésus doit être en train de t'embrasser.
  • La religion contre l'humanité, Apologie du blasphème, Jean-Paul Gouteux, éd. matériologiques, 2011, p. 66


La souffrance ne sera jamais totalement absente de nos vies. N'ayez donc pas peur de souffrir. Votre souffrance est un grand instrument de l'amour, si vous vous en servez, surtout si vous l'offrez pour la paix du monde. La souffrance en elle-même et pour elle-même est inutile, la souffrance qui est partagée avec la passion du Christ est un merveilleux cadeau et un signe d'amour. La souffrance du Christ s'est révélée un cadeau, le plus grand cadeau de l'amour, parce que par sa souffrance nos péchés ont été rachetés.


Je ne dois pas aimer ma souffrance parce qu'elle est utile, mais parce qu'elle est.


Psychologie. Psychanalyse

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La mise en évidence de phénomène réputé résilient ne signifie pas que la souffrance du sujet soit négligée ou négligeable. Les individus résilients ne sont pas invulnérables et conservent une cicatrice de leurs blessures. En fait, le sujet qui a été blessé va reprendre un autre type de développement et pourra garder trace du traumatisme, sans pour autant être anéanti par les effets délétères.


Par extension, le terme « perversion » peut concerner aussi des sujets qui n'ont pas de comportements sexuels inhabituels, mais un mode de jouissance reposant sur la souffrance, l'humiliation, l'instrumentation de l'autre : registre de la perversion « morale » ou « narcissique » qui procéderait d'un noyau commun à toutes les perversions. Ce sont alors la domination et la disqualification du moi d'autrui qui sont cherchées.


L'attraction de l'objet (l'autre) étant vécue comme dangereuse, le pervers narcissique en fait un « objet non-objet », chosifié, sur qui les souffrances et douleurs internes, déniées, sont largement projetées. Pour lui, toujours en quête de reconnaissance, l'autre n'existe en effet que comme miroir, reflet de lui-même.
  • Les Perversions sexuelles et narcissiques, Gérard Pirlot/Jean-Louis Pedinielli, éd. Armand Colin, coll. « 128 Psychologie », 2005  (ISBN 2-200-34042-7), partie IV. Perversions narcissiques, chap. 1. Pourquoi l'extension du terme ?, 1.4 Perversion narcissique b) Pathologie du narcissisme, p. 105


Des sujets qui, plutôt que de souffrir des peines ordinaires, font souffrir des tourments extraordinaires au moi des autres ; [...] des noyaux pervers gâchant tout alentour les charmes de la libido et les vertus de la vérité ; une pensée s’exerçant à tarir le courant de la pensée : rien de plus contraire à l’esprit de la psychanalyse, rien de plus difficile à comprendre ; et pourtant rien de plus important à connaître dans les rouages interpsychiques des familles, des institutions, des groupes et même des sociétés.
  • Pensée perverse et décervelage, 1992, Préambule, dans [1], paru Trait pour trait Mouvement de travail et de recherche autour de la psychanalyse, Paul-Claude Racamier.


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