On ne me prendra pas Beyrouth !
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 11
Je porte le
deuil de ces
souvenirs qu’on m’a confisqués. Mais que ceux qui œuvrent à la destruction de notre
passé se rassurent : quoi qu’ils fassent, et même si je n’ai plus mes yeux pour voir,
Beyrouth m’habite. Elle est hors de l’espace et du temps. Elle fait partie de ces lieux que nul ne peut envahir. Comme le paradis.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 13
Tu sais, jeune homme, remonter aux origines n’est jamais facile : il y a l’
oubli —
ce grand trou noir —, la nostalgie, la pudeur qui
transmuent les souvenirs. Et si raconter ma propre vie suppose que je vide ma mémoire sans crainte de réveiller d’anciennes douleurs,
raconter celle des autres exige le secours de l’imagination. Car enfin, comment appréhender la
pensée, les
sentiments, les secrets d’autrui quand on ne les a pas partagés ? Comment pénétrer, comment violer, le sanctuaire d’une vie ? Comment remplir les blancs que nos semblables ont, sciemment ou non, laissés derrière eux ? Comment cerner tout ce qui a déterminé leur action, comment justifier leurs actes — si tant est qu’il faille toujours « justifier » ?
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 14
« Les révolutionnaires, se dit-il, sont comme ces
fous d’
amour qui foncent tête baissée vers l’objet de leur convoitise, sans se poser de questions, sans mesurer les conséquences de leur audace, comme si
leur désir rendait leur folie légitime, comme si la passion leur donnait tous les droits. »
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 30-31
Pour la première fois, mon père éprouva de la
honte à prodiguer des soins médicaux aux Ottomans. Sa
conscience lui commandait, certes, de soulager la souffrance des hommes
quels qu’ils soient, sans distinction de race ou de couleur, mais l’idée de porter secours à ceux qui occupaient son pays et asservissaient son peuple lui apparut tout à coup intolérable.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 73
Les royaumes ne se construisent que sur les crânes des héros. Les nôtres formeront la base de l’indépendance du Liban !
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 83
La
justice sous l’occupation est une notion illusoire, une vue de l’esprit. Le jugement est toujours écrit à l’avance ;
les officiers dictent leur loi aux magistrats. […] Critiquer l’occupation n’est pas un délit, c’est un devoir !
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 91
[I]l craignait surtout que dans cette région du monde où les trois religions monothéistes étaient appelées à cohabiter,
il n’y eût pas de paix possible.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 122
La nudité est l’expression la plus pure de la beauté qu’est l’œuvre visible, parfaite et manifeste de Dieu.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 240
[S]i en
prison on est libre et à l’
école on ne l’est pas, c’est donc que l’école est pire que la prison !
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 281
La solitude me pesait. Car la solitude n’est ni une tentation ni une amie : la solitude est tragique.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 323
En temps de
guerre, la vie est suspendue. On passe des jours dans les abris à ne rien faire, à tourner en rond, à l’écoute des dernières nouvelles du front. On ne sait plus vraiment ce qui se passe dehors, si la radio ment ou pas, si les déflagrations qu’on entend sont des « départs » ou des « arrivées ». En temps de guerre, on bannit le confort : on s’adapte à tout, on
fait avec. En cas de pénurie d’essence, on attend des heures devant les stations-service ; quand le pain manque, on prend d’assaut les boulangeries ; et lorsque l’eau tarit dans les réservoirs, on court à la fontaine remplir les bidons. En temps de guerre,
plus rien ne compte sauf Dieu, seule planche de salut dans un pays livré à la violence aveugle des hommes. Églises et mosquées ne désemplissent pas ; ceux qui n’ont jamais cru se retrouvent à genoux. En temps de guerre, enfin, les normes n’existent plus : le milicien fait la loi ; le gendarme se planque. Ceux qui ne se battent pas deviennent des lâches ; ceux qui tuent, des héros.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 382
C’est de la frustration que naît la
violence.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 397
[J]’étais allergique à la censure et encore plus à certains juges qui s’érigeaient en parangons de vertu et en gardiens de l’ordre religieux et moral. Je ne comprenais pas comment, dans « l’État de droit et des institutions » que prônaient nos dirigeants, dans un pays prétendument démocratique, considéré comme un havre de liberté par les autres pays arabes, pareille mesure pouvait être décrétée.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 407
Qu’est-ce qui fait qu’on s’attache à sa
patrie ? L’habitude, les racines, les parents, les amis ? Je crois qu’on ne naît pas dans un pays par hasard. Si on naît quelque part, c’est pour
appartenir à ce lieu, même si les vicissitudes de l’existence nous en éloignent.
Le Roman de Beyrouth, Alexandre Najjar, éd. Pocket, 2005, p. 434
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 13
Je regrette amèrement l’époque où, en compagnie de ma mère, je fréquentais l’église Saint Jean-Baptiste à Achrafieh. Celui qu’on appelle « le Précurseur » a toujours été mon saint préféré. Je ne sais pas s’il était essénien ou non. Ce que je sais, c’est qu’il eut le courage de tout abandonner pour aller prêcher dans le désert !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 19
Je suis un
enfant de la
guerre : j’en ai gardé des traumatismes indélébiles. La guerre, je n’ai pas honte de l’avouer, j’y ai participé par
devoir.
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 20
« Raisonnable »… Ce mot me poursuit depuis l’enfance. Est-ce mon éducation religieuse chez les jésuites qui me commande de sacrifier mes
désirs sur l’autel de la raison ? Je ne saurais le dire. Tout ce que je sais, c’est que je ressemble à un navire en partance, attiré par le grand large, mais qui reste à quai, incapable de larguer les amarres.
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 37
Le [Liban] est […] une mosaïque de dix-huit communautés religieuses.
Nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone. Nous vivons
avec les musulmans, nous ne vivons pas
chez eux. Musulmans et chrétiens forment les deux piliers du Liban « définitif » et indépendant. Si l’un de ces piliers s’effondre, le pays tout entier s’écroule ! C’est sans doute en pensant à cette cohabitation que le pape Jean-Paul II a déclaré un jour que « le Liban est plus qu’un
pays, c’est un message » ! La présence des chrétiens au Liban est indispensable, elle est d’ailleurs souhaitée par les musulmans modérés qui voient en eux un facteur d’enrichissement, d’ouverture et d’équilibre. Mais ce n’est certainement pas l’avis des intégristes…
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 62
Car ceux qui abandonnent les plaisirs et les richesses du monde trouvent dans le
Christ le véritable trésor !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 76
Ils étaient riches, oui, car la
culture est un
trésor. […] Avec une machine pareille, Kozhaya et la Kadicha allaient s’imposer comme un phare culturel incontournable au Levant, en Asie et en Afrique, et cela, il le savait, n’avait pas de prix.
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 94
Il feuilleta le
livre avec dévotion et se dit qu’il y avait quelque chose d’
humain dans cet objet : il avait un pied, un dos, une odeur, une peau et, quand on en tournait les pages, une voix.
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 96
Ce que vous appelez entêtement, je l’appelle indépendance !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 124
Memento mori […]. C’est pour se rappeler la
mort et mieux s’y préparer ! […] On n’a pas à accomplir des choses extraordinaires pour devenir des saints.
La sainteté est dans l’exercice des détails les plus anodins de la vie quotidienne avec amour et en communion avec Dieu ! […] La Kadicha est le lieu idéal pour la prière et la solitude. Ici, j’ai atteint une paix intérieure à laquelle je ne renoncerais pour rien au monde ! […] Chacun a une mission dans la vie. Tout être doit écouter Dieu et faire ce qu’Il lui dit. Moi, il m’a demandé de venir ici, je suis venu. C’est ici, dans cette grotte de la Kadicha, que je souhaite mourir !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 129
Ta
beauté est l’exemple le plus éclatant de l’existence de Dieu !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 135
La
mort de Baddoura n’ébranla pas la
foi d’Ibrahim ; elle conforta sa piété. La
prière devint pour lui le meilleur moyen de communiquer avec la défunte et d’implorer la miséricorde de Dieu qui l’avait rappelée à Lui. Il ne manifesta aucune rancune à l’égard du Créateur, convaincu que le départ de Baddoura était écrit et que la volonté divine devait être respectée, quelque sévère qu’elle fût.
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 137
À gauche, perchée sur un massif rocheux, Bécharré ; à droite, un paysage qu’on dirait tridimensionnel : une colline baignée de lumière se découpe sur une colline obscure que le
soleil couchant n’éclaire plus… Une brume pellucide ajoute à la féerie de cette vision.
— C’est beau, dis-je, émerveillé.
Voilà le Liban que j’aime !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 165
« Un ascète ne pleure pas », se dit-il en serrant les lèvres. Il eut envie de crier, d’extérioriser sa douleur, mais, craignant que l’écho ne le trahît en répercutant sa voix, il se ravisa. Il ouvrit alors les Évangiles et relut la fameuse phrase de Jésus : « Celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra. » Sa mère n’était donc pas morte.
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 175
Le désespoir n’est pas chrétien.
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 178
Je ne dois pas chercher à diminuer mon supplice quand le Seigneur a embrassé le sien jusqu’à l’extrémité sans en vouloir adoucir la rigueur !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 182
Je suis entré pauvre dans la vie monastique, j’en sortirai intérieurement riche.
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 185
[L]e
silence et la
solitude ont un sens : elles permettent de s’unir à Dieu. Quant à la souffrance, elle a une valeur rédemptrice : la valeur du salut ! […] [Le père Nehmetallah al-Hardini] disait : « Le moine dans son monastère est un roi dans son palais : sa congrégation est son royaume ; ses frères constituent son armée ; ses vertus sont sa gloire ; l’amour de Dieu et de son ordre forment sa couronne ; sa pureté et sa chasteté lui servent de spectre ; sa pauvreté, son obéissance et ses prières sont ses armes ; son habit de pourpre est tissé d’humilité et de mansuétude. »
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 186
Souviens-toi avec quelle sérénité
M. de Chasteuil a affronté le départ de sa mère.
Victor Hugo, qui a perdu sa fille, disait que « les morts sont des invisibles, mais non des absents ! » Ta maman est toujours présente, même si on ne la voit pas. Prête l’oreille au silence, tu l’entendras…
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 188
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 207
Depuis des siècles, ce pauvre pays n’a jamais connu la paix. Nous ne sommes que le paillasson des grandes puissances !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 211
Le but de la
vie est de nous rapprocher de ses
secrets, et la
folie en est le seul moyen ! […] Et moi, je suis en exil dans un pays lointain où vivre en ermite est considéré comme une folie !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 213
Avait-il été puni par le
destin pour avoir été infidèle à ses racines, à Hala, à sa vallée ?
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 215
L’art est le reflet de l’âme ; la
poésie, le rythme de la vie. Si l’âme est triste et que la vie est obscurcie par les malheurs, à quoi bon l’image suggestive et le vers réussi ? Mieux vaut se retrancher dans la méditation plutôt que de façonner des œuvres avec nos pulsions négatives… […] Entre-temps, ne nous taisons pas : l’art reste encore la voie la plus sûre pour arriver à
Dieu !
Kadicha, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2011, p. 218
Injustice et lâcheté vont toujours de pair. Pour ne pas admettre sa faute, on se dérobe (...).
Harry et Franz, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2018, p. 100
(...) Les fanatiques de l’histoire ont toujours usé de cette équation : mentir, accabler, éliminer. J’ai honte : j’ai le sentiment de porter une croix, celle des crimes et des égarements commis par mes congénères. Mais si mon sang est allemand – je ne renie pas mes origines –, cette appartenance n’implique pas que je doive suivre aveuglément ceux qui mènent mon pays à sa perte. Mon esprit est meurtri, mais libre.
Harry et Franz, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2018, p. 103
– Il ne faut pas que le cas de Harry Baur fasse tache d’huile, me dit-il d’un ton déclamatoire. Obtenir sa libération, c’est signifier à ses bourreaux que nous autres, artistes, ne sommes ni des paillassons ni des souffre-douleur !
Harry et Franz, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2018, p. 103
Je contemple la vaste étendue tantôt verte tantôt bleue qui brasille sous le
soleil et les vagues qui s’évanouissent aux dunes. Je ne puis d’empêcher de songer à Heinz, englouti par les flots. Pour fascinante qu’elle soit, la
mer est imprévisible, indigne de confiance, comparable à un cheval fou qui peut désarçonner son cavalier à tout instant, sans crier gare. Je voyais en elle une complice, une source de poésie et de sérénité, mais elle m’a trahi en emportant mon frère. Il y avait entre elle et moi une osmose que je ne retrouve plus, un pacte désormais rompu. Nous sommes devenus comme deux amants séparés : nostalgiques mais irréconciliables.
Harry et Franz, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2018, p. 134
(...) Un saint homme comme vous, ça ne s’oublie pas.
Harry et Franz, Alexandre Najjar, éd. Plon, 2018, p. 171